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Vénus physique/page 2

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PREMIERE PARTIE, Chapitres IV - VII

CHAPITRE IV (suite).


On ne put guere s’empêcher de penser que ces animaux découverts dans la liqueur séminale du mâle étoient ceux qui dévoient un jour le reproduire : car malgré leur petitesse infinie,et leur forme de poissons, le changement de grandeur et de figure coûte peu à concevoir au Physicien, et ne coûte pas plus à exécuter à la Nature. Mille exemples de l’un et de l’autre sont sous nos yeux, d’animaux dont le dernier accroissement ne semble avoir aucune proportion avec leur état au temps de leur naissance, et dont les figures se perdent totalement dans des figures nouvelles. Qui pourroit reconnoître le même animal, si l’on n’avoit suivi bien attentivement le petit ver, et le hanneton, sous la forme duquel il paroît ensuite ? Et qui croiroit que la plupart de ces mouches parées des plus superbes couleurs eussent été auparavant de petits insectes rampans dans la boue, ou nageans dans les eaux ?

Voilà donc toute la fécondité qui avoit été attribuée aux femelles rendue aux mâles. Ce petit ver qui nage dans la liqueur séminale contient une infinité de générations de pere en pere ; il a sa liqueur séminale, dans laquelle nagent des animaux d’autant plus petits que lui, qu’il est plus petit que le pere dont il est sorti : et il en est ainsi de chacun de ceux-là à l’infini. Mais quel prodige, si l’on considere le nombre et la petitesse de ces animaux ! Un homme qui a ébauché sur cela un calcul, trouve dans la liqueur séminale d’un brochet, dès la premiere génération, plus de brochets qu’il n’y auroit d’hommes sur la Terre, quand elle seroit par-tout aussi habitée que la Hollande.[1]

Mais si l’on considere les générations suivantes, quel abyme de nombre et de petitesse ! D’une génération à l’autre les corps de ces animaux diminuent dans la proportion de la grandeur d’un homme à celle de cet atôme qu’on ne découvre qu’au meilleur microscope ; leur nombre augmente dans la proportion de l’unité au nombre prodigieux d’animaux répandus dans cette liqueur.

Richesse immense, fécondité sans bornes de la Nature, n’êtes-vous pas ici une prodigalité ? et ne peut-on pas vous reprocher trop d’appareil et de dépense ? De cette multitude prodigieuse de petits animaux qui nagent dans la liqueur séminale un seul parvient à l’humanité : rarement la femme la mieux enceinte met deux enfans au jour, presque jamais trois. Et quoique les femelles des autres animaux en portent un plus grand nombre, ce nombre n’est presque rien en comparaison de la multitude des animaux qui nageoient dans la liqueur que le mâle a répandue. Quelle destruction, quelle inutilité paroît ici !

Sans discuter lequel fait le plus d’honneur à la Nature, d’une économie précise, ou d’une profusion superflue ; question qui demanderoit qu’on connût mieux ses vues, ou plutôt les vues de celui qui la gouverne ; nous avons sous nos yeux des exemples d’une pareille conduite, dans la production des arbres et des plantes. Combien de milliers de glands tombent d’un chêne, se déssechent ou pourrissent, pour un très-petit nombre qui germera, et produira un arbre ! Mais ne voit-on pas par-là même que ce grand nombre de glands n’étoit pas inutile, puisque si celui qui a germé n’y eût pas été, il n’y auroit eu aucune production nouvelle, aucune génération ?

C’est sur cette multitude d’animaux superflus qu’un Physicien chaste et religieux[2] a fait un grand nombre d’expériences, dont aucune, à ce qu’il nous assure, n’a jamais été faite aux dépens de sa postérité. Ces animaux ont une queue, et sont d’une figure assez semblable à celle qu’a la grenouille en naissant, lorsqu’elle est encore sous la forme de ce petit poisson noir appellé tétard, dont les eaux fourmillent au printemps. On les voit d’abord dans un grand mouvement : mais il se rallentit bientôt ; et la liqueur dans laquelle ils nagent se refroidissant, ou s’évaporant, ils périssent. Il en périt bien d’autres dans les lieux mêmes où ils sont déposés : ils se perdent dans ces labyrinthes. Mais celui qui est destiné à devenir un homme, quelle route prend-il ? comment se métamorphose-t-il en fœtus ?

Quelques lieux imperceptibles de la membrane intérieure de la matrice seront les seuls propres à recevoir le petit animal, et à lui procurer les sucs nécessaires pour son accroissement. Ces lieux, dans la matrice de la femme, seront plus rares que dans les matrices des animaux qui portent plusieurs petits. Le seul animal, ou les seuls animaux spermatiques qui rencontreront quelqu’un de ces lieux, s’y fixeront, s’y attacheront par des filets qui formeront le placenta, et qui l’unissant au corps de la mere, lui portent la nourriture dont il a besoin : les autres périront comme les grains semés dans une terre aride. Car la matrice est d’une étendue immense pour ces animalcules : plusieurs milliers périssent sans pouvoir trouver aucun de ces lieux, ou de ces petites fosses destinées à les recevoir.

La membrane dans laquelle le fœtus se trouve sera semblable à une de ces enveloppes qui tiennent différentes sortes d’insectes sous la forme de chrysalides , dans le passage d’une forme à une autre.

Pour comprendre les changemens qui peuvent arriver au petit animal renfermé dans la matrice, nous pouvons le comparer à d’autres animaux qui éprouvent d’aussi grands changemens, et dont ces changemens se passent sous nos yeux. Si ces métamorphoses méritent encore notre admiration, elles ne doivent plus du moins nous causer de surprise.

Le papillon, et plusieurs especes d’animaux pareils, sont d’abord une espece de ver : l’un vit des feuilles des plantes ; l’autre caché sous terre, en ronge les racines. Après qu’il est parvenu à un certain accroissement sous cette forme, il en prend une nouvelle ; il paroît sous une enveloppe qui resserrant et cachant les différentes parties de son corps, le tient dans un état si peu semblable à celui d’un animal, que ceux qui élevent des vers à soie l’appellent feve ; les Naturalistes l’appellent chrysalide, à cause de quelques taches dorées dont il est quelquefois parsemé. Il est alors dans une immobilité parfaite, dans une léthargie profonde qui tient toutes les fonctions de sa vie suspendues. Mais dès que le terme où il doit revivre est venu, il déchire la membrane qui le tenoit enveloppé ; il étend ses membres, déploie ses ailes, et fait voir un papillon, ou quelqu’autre animal semblable.

Quelques-uns de ces animaux, ceux qui sont si redoutables aux jeunes beautés qui se promenent dans les bois, et ceux qu’on voit voltiger sur le bord des ruisseaux avec de longues ailes, ont été auparavant de petits poissons ; ils ont passé la premiere partie de leur vie dans les eaux, et ils n’en sont sortis que lorsqu’ils sont parvenus à leur derniere forme.

Toutes ces formes, que quelques Physiciens mal-habiles ont prises pour de véritables métamorphoses, ne sont cependant que des changemens de peau. Le papillon étoit tout formé, et tel qu’on le voit voler dans nos jardins, sous le déguisement de la chenille.

Peut-on comparer le petit animal qui nage dans la liqueur séminale à la chenille, ou au ver ? Le fœtus dans le ventre de la mere, enveloppé de sa double membrane, est-il une espece de chrysalide ? et en sort-il, comme l’insecte, pour paroître sous sa derniere forme ?

Depuis la chenille jusqu’au papillon, depuis le ver spermatique jusqu’à l’homme, il semble qu’il y ait quelqu’analogie. Mais le premier état du papillon n’étoit pas celui de chenille : la chenille étoit déjà sortie d’un œuf, et cet œuf n’étoit peut-être déjà lui-même qu’une espece de chrysalide. Si l’on vouloit donc pousser cette analogie en remontant, il faudroit que le petit animal spermatique fut déjà sorti d’un œuf : mais quel œuf ! de quelle petitesse devroit-il être ! Quoi qu’il en soit, ce n’est ni le grand ni le petit qui doit ici causer de l’embarras.


CHAPITRE V

Systême mixte des œufs et des animaux spermatiques.


La plupart des Anatomistes ont embrassé un autre systême, qui tient des deux systêmes précédens, et qui allie les animaux spermatiques avec les œufs. Voici comment ils expliquent la chose.

Tout le principe de vie résidant dans le petit animal, l’homme entier y étant contenu, l’œuf est encore nécessaire : c’est une masse de matiere propre à lui fournir sa nourriture et son accroissement. Dans cette foule d’animaux déposés dans le vagin, ou lancés d’abord dans la matrice, un plus heureux, ou plus à plaindre que les autres, nageant, rampant dans les fluides dont toutes ces parties sont mouillées, parvient à l’embouchure de la trompe, qui le conduit jusqu’à l’ovaire : là, trouvant un œuf propre à le recevoir, et à le nourrir, il le perce, il s’y loge, et y reçoit les premiers degrés de son accroissement. C’est ainsi qu’on voit différentes sortes d’insectes s’insinuer dans les fruits dont ils se nourrissent. L’œuf piqué se détache de l’ovaire, tombe par la trompe dans la matrice, où le petit animal s’attache par les vaisseaux qui forment le placenta.


CHAPITRE VI

Observations favorables et contraires aux œufs.


On trouve dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences[3] des observations qui paroissent très-favorables au systême des œufs ; soit qu’on les considere comme contenans le fœtus, avant même la fécondation ; soit comme destinés à servir d’aliment et de premier asyle au fœtus.

La description que M. Littre nous donne d’un ovaire qu’il disséqua, mérite beaucoup d’attention. Il trouva un œuf dans la trompe ; il observa une cicatrice sur la surface de l’ovaire, qu’il prétend avoir été faite par la sortie d’un œuf. Mais rien de tout cela n’est si remarquable que le fœtus qu’il prétend avoir pu distinguer dans un œuf encore attaché à l’ovaire.

Si cette observation étoit bien sûre, elle prouveroit beaucoup pour les œufs. Mais l’histoire même de l’Académie de la même année la rend suspecte, et lui oppose avec équité des observations de M. Mery qui lui font perdre beaucoup de sa force.

Celui-ci, pour une cicatrice que M. Littre avoit trouvée sur la surface de l’ovaire, en trouva un si grand nombre sur l’ovaire d’une femme, que si on les avoit regardées comme causées par la sortie des œufs, elles auroient supposé une fécondité inouie. Mais, ce qui est bien plus fort contre les œufs, il trouva dans l’épaisseur même de la matrice une vésicule toute pareille à celles qu’on prend pour des œufs.

Quelques observations de M. Littre, et d’autres Anatomistes, qui ont trouvé quelquefois des fœtus dans les trompes, ne prouvent rien pour les œufs : le fœtus, de quelque maniere qu’il soit formé, doit se trouver dans la cavité de la matrice ; et les trompes ne sont qu’une partie de cette cavité.

M. Mery n’est pas le seul Anatomiste qui ait eu des doutes sur les œufs de la femme, et des autres animaux vivipares : plusieurs Physiciens les regardent comme une chimere. Ils ne veulent point reconnoître pour de véritables œufs ces vésicules dont est formée la masse que les autres prennent pour un ovaire : ces œufs qu’on a trouvés quelquefois dans les trompes, et même dans la matrice, ne sont, à ce qu’ils prétendent, que des especes d’hydatides.

Des expériences devroient avoir décidé cette question, si en Physique il y avoit jamais rien de décidé. Un Anatomiste qui a fait beaucoup d’observations sur les femelles des lapins, GRAAF qui les a disséquées après plusieurs intervalles de temps écoulés depuis qu’elles avoient reçu le mâle, prétend avoir trouvé au bout de vingt-quatre heures des changemens dans l’ovaire ; après un intervalle plus long, avoir trouvé les œufs plus altérés ; quelque temps après, des œufs dans la trompe ; dans les femelles dissequées un peu plus tard, des œufs dans la matrice. Enfin il prétend qu’il a toujours trouvé aux ovaires les vestiges d’autant d’œufs détachés qu’il en trouvoit dans les trompes ou dans la matrice.[4]

Mais un autre Anatomiste aussi exact, et tout au moins aussi fidele, quoique prévenu du systême des œufs, et même des œufs prolifiques, contenans déjà le fœtus avant la fécondation ; VERHEYEN a voulu faire les mêmes expériences, et ne leur a point trouvé le même succès. Il a vu des altérations ou des cicatrices à l’ovaire : mais il s’est trompé lorsqu’il a voulu juger par elles du nombre des fœtus qui étoient dans la matrice.




CHAPITRE VII

Expériences de Harvey


Tous ces systêmes si brillans, et même si vraisemblables, que nous venons d’exposer, paroissent détruits par des observations qui avoient été faites auparavant, et auxquelles il semble qu’on ne sauroit donner trop de poids : ce sont celles de ce grand homme à qui l’Anatomie devroit plus qu’à tous les autres, par sa seule découverte de la circulation du sang.

Charles I. Roi d’Angleterre, Prince curieux, amateur des Sciences, pour mettre son Anatomiste à portée de découvrir le mystere de la génération, lui abandonna toutes les biches et les daimes de ses parcs. HARVEY en fit un massacre savant : mais ses expériences nous ont-elles donné quelque lumiere sur la génération ? ou n’ont-elles pas plutôt répandu sur cette matiere des ténebres plus épaisses ?

HARVEY immolant tous les jours au progrès de la Physique quelque biche, dans le temps où elles reçoivent le mâle ; disséquant leurs matrices, et examinant tout avec les yeux les plus attentifs, n’y trouva rien qui ressemblât à ce que GRAAF prétend avoir observé, ni avec quoi les systêmes dont nous venons de parler paroissent pouvoir s’accorder.

Jamais il ne trouva dans la matrice de liqueur séminale du mâle ; jamais d’œuf dans les trompes ; jamais d’altération au prétendu ovaire, qu’il appelle, comme plusieurs autres Anatomistes, le testicule de la femelle.

Les premiers changemens qu’il apperçut dans les organes de la génération, furent à la matrice : il trouva cette partie enflée et plus molle qu’à l’ordinaire. Dans les quadrupedes elle paroît double ; quoiqu’elle n’ait qu’une seule cavité, son fond forme comme deux réduits, que les Anatomistes appellent ses cornes, dans lesquelles se trouvent les fœtus. Ce furent ces endroits principalement qui parurent les plus altérés. HARVEY observa plusieurs excroissances spongieuses, qu’il compare aux bouts des tetons des femmes. Il en coupa quelques-unes, qu’il trouva parsemées de petits points blancs enduits d’une matiere visqueuse. Le fond de la matrice qui formoit leurs parois étoit gonflé et tuméfié comme les levres des enfans, lorsqu’elles ont été piquées par des abeilles, et tellement mollasse, qu’il paroissoit d’une consistance semblable à celle du cerveau. Pendant les deux mois de Septembre et d’Octobre, temps auquel les biches reçoivent le cerf tous les jours, et par des expériences de plusieurs années, voilà tout ce que HARVEY découvrit, sans jamais appercevoir dans toutes ces matrices une seule goutte de liqueur séminale : car il prétend s’être assuré qu’une matiere purulente qu’il trouva dans la matrice de quelque biche, séparée du cerf depuis vingt jours, n’en étoit point.

Ceux à qui il fit part de ses observations, prétendirent, et peut-être le craignit-il lui-même, que les biches qu’il disséquoit n’avoient pas été couvertes. Pour les convaincre, ou s’en assurer, il en fit renfermer douze après le rut dans un parc particulier ; il en disséqua quelques-unes, dans lesquelles il ne trouva pas plus de vestiges de la semence du mâle qu’auparavant ; les autres porterent des faons. De toutes ces expériences, et de plusieurs autres faites sur des femelles de lapins, de chiens, et autres animaux, HARVEY conclut que la semence du mâle ne séjourne ni même n’entre dans la matrice.

Au mois de Novembre la tumeur de la matrice étoit diminuée, les caroncules spongieuses devenues flasques. Mais, ce qui fut un nouveau spectacle, des filets déliés étendus d’une corne à l’autre de la matrice, formoient une espece de réseau semblable aux toiles d’araignée ; et s’insinuant entre les rides de la membrane interne de la matrice, ils s’entrelaçoient autour des caroncules, à peu près comme on voit la pie-mere suivre et embrasser les contours du cerveau.

Ce réseau forma bientôt une poche, dont les dehors étoient enduits d’une matiere fétide : le dedans, lisse et poli, contenoit une liqueur semblable au blanc d’œuf, dans laquelle nageoit une autre enveloppe sphérique remplie d’une liqueur plus claire et crystalline. Ce fut dans cette liqueur qu’on apperçut un nouveau prodige. Ce ne fut point un animal tout organisé, comme on le devroit attendre des systêmes précédens : ce fut le principe d’un animal, un Point vivant[5] avant qu’aucune des autres parties fussent formées. On le voit dans la liqueur crystalline sauter et battre, tirant son accroissement d’une veine qui se perd dans la liqueur où il nage : il battoit encore lorsqu’exposé aux rayons du Soleil, HARVEY le fit voir au Roi.

Les parties du corps viennent bientôt s’y joindre ; mais en différent ordre, et en différens temps. Ce n’est d’abord qu’un mucilage divisé en deux petites masses, dont l’une forme la tête, l’autre le tronc. Vers la fin de Novembre le fœtus est formé ; et tout cet admirable ouvrage, lorsqu’il paroît une fois commencé, s’acheve fort promptement. Huit jours après la premiere apparence du point vivant l’animal est tellement avancé, qu’on peut distinguer son sexe. Mais encore un coup cet ouvrage ne se fait que par parties : celles du dedans sont formées avant celles du dehors ; les visceres et les intestins sont formés avant que d’être couverts du thorax et de l’abdomen ; et ces dernieres parties, destinées à mettre les autres à couvert, ne paroissent ajoutées que comme un toit à l’édifice.


  1. Lewenhoek.
  2. Lewenhoek.
  3. Année 1701.
  4. Regnerus de Graaf, de mulierum organis.
  5. Punctum saliens.