Vérité (Zola)/Livre I/Chapitre I

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Vérité
Les quatre évangiles
Chapitre I
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LIVRE PREMIER




I


La veille, le mercredi soir, Marc Froment, instituteur à Jonville, accompagné de sa femme Geneviève et de sa fillette Louise, était arrivé, comme il en avait l’habitude, à Maillebois, où il passait un mois de ses vacances, chez la grand’mère et la mère de sa femme, madame Duparque et madame Berthereau, ces dames, ainsi qu’on les nommait dans le pays. Maillebois, un chef-lieu de canton de deux mille habitants, n’était qu’à dix kilomètres du village de Jonville, et à six seulement de Beaumont, la grande et vieille ville universitaire.

Ces premières journées d’août étaient accablantes. Le dimanche, pendant la distribution des prix, il y avait eu un orage épouvantable. Cette nuit encore, vers deux heures, une pluie diluvienne était tombée, sans avoir rafraîchi le ciel, qui restait nuageux, bas et jaune, d’une lourdeur de plomb. Et ces dames, levées dès six heures, pour assister à la messe de sept heures, se trouvaient déjà dans la petite salle à manger du rez-de-chaussée, attendant le jeune ménage, qui ne se hâtait point de descendre.

Les quatre tasses étaient sur la toile cirée blanche, et Pélagie entra, la cafetière à la main. Petite, rousse, avec un grand nez et des lèvres minces, depuis vingt ans au service de madame Duparque, elle avait la parole libre.

— Ah bien ! dit-elle, le café va être froid, et ce ne sera pas ma faute.

Quand elle fut retournée dans sa cuisine, en mâchant de sourds reproches, madame Duparque elle-même témoigna son mécontentement.

— C’est insupportable, on dirait que Marc s’amuse à nous faire manquer la messe, quand il est ici.

Mais madame Berthereau, indulgente, risqua doucement une excuse.

— L’orage les aura empêchés de dormir, et je viens de les entendre qui se dépêchaient, au-dessus de ma tête.

Âgée de soixante-trois ans, très grande, très noire encore de cheveux, le visage froid, coupé de profondes rides symétriques, avec des yeux de sévérité et un nez de domination, madame Duparque avait longtemps tenu un magasin de nouveautés, « À l’Ange Gardien », sur la place Sainte-Maxence, en face de la cathédrale de Beaumont. Et c’était après la mort brusque de son mari, causée, disait-on, par l’effondrement d’une banque catholique, qu’elle avait eu la sagesse de liquider et de se retirer, avec une rente d’environ six mille francs, à Maillebois, où elle possédait une petite maison. Il y avait bientôt douze ans de cela, et sa fille, madame Berthereau, était venue l’y rejoindre, veuve elle aussi, amenant sa fillette Geneviève, qui entrait dans sa onzième année. C’était une amertume nouvelle, cette mort brusque de son gendre, un employé des Finances à l’avenir duquel elle avait eu le tort de croire, qui mourait pauvre, en lui remettant sur les bras sa femme et son enfant. Depuis cette époque, les deux veuves avaient vécu là ensemble, dans le petite maison morne, d’une vie étroite, enfermée, peu à peu rétrécie par les pratiques religieuses les plus rigides. Mais, pourtant, madame Berthereau, que son mari avait adorée, gardait une douceur tendre de cet éveil à l’amour, à la vie ; et, grande, brune comme sa mère, elle avait des traits meurtris et tristes, des yeux de soumission, une bouche lasse où passait parfois le secret désespoir du bonheur perdu.

Un ami de Berthereau, un ancien instituteur de Beaumont, Salvan, alors inspecteur primaire, et devenu depuis directeur de l’École normale, avait fait le mariage de Marc et de Geneviève, dont il était le subrogé-tuteur. Berthereau, esprit très libéré, ne pratiquait pas, mais laissait sa femme pratiquer ; et il avait même fini par l’accompagner à la messe, par faiblesse tendre. Salvan, d’intelligence plus affranchie encore, tout à l’unique certitude expérimentale, avait eu également l’imprudence affectueuse de faire entrer Marc dans cette famille dévote, sans s’inquiéter des conflits possibles. Les deux jeunes gens s’aimaient passionnément, ils s’arrangeraient toujours. Et, depuis trois ans qu’elle était mariée, Geneviève, une des bonnes élèves de la Visitation, de Beaumont, avait en effet négligé peu à peu ses devoirs religieux, jusqu’à ne plus dire ses prières, toute à son amour pour son mari. Madame Duparque s’en montrait profondément affligée, bien que la jeune femme, désireuse de lui être agréable, quand elle passait près d’elle un mois des vacances à Maillebois, se fit un devoir de la suivre à l’église. Mais la terrible grand’mère, qui avait lutté contre le mariage, gardait une noire rancune contre Marc, qu’elle accusait de lui voler l’âme de sa petite-fille.

— Sept heures moins un quart, murmura-t-elle, en entendant l’horloge de l’église voisine sonner les trois quarts. Jamais nous n’aurons fini.

Et elle s’approcha de la fenêtre, jeta un coup d’œil sur la place des Capucins. La petite maison se trouvait bâtie à l’angle de cette place et de la rue de l’Église. C’était une maison à un seul étage : en bas, à droit et à gauche du couloir central, la salle à manger et le salon, tandis qu’au fond étaient la cuisine et la buanderie, sur une cour moisie et sombre ; puis, au premier, deux pièces à droite pour madame Duparque, deux pièces à gauche pour madame Berthereau ; et, enfin, sous le toit, en face de la chambre de Pélagie et des greniers, deux petites pièces encore, qu’on avait meublées autrefois pour Geneviève, jeune fille, et où elle se réinstallait avec de bons rires, quand elle et son mari venaient à Maillebois. Mais quelle ombre humide, quel silence lourd, une fraîcheur sépulcrale tombant des plafonds obscurs ! La rue de l’Église, qui partait du chevet de l’église paroissiale de Saint-Martin, était si étroite, que les voitures n’y passaient pas, crépusculaire en plein midi, avec des façades lépreuses, un petit pavé moussu, empuanti par les eaux ménagères. Et la place des Capucins s’étendait au nord, sans un arbre, assombrie par la haute façade d’un ancien couvent, que s’étaient partagé des Capucins, desservant la grande et belle chapelle, et des Frères des Écoles chrétiennes, qui avaient installé une école très prospère dans les dépendances du couvent.

Un instant, madame Duparque regarda ce coin désert, d’une paix cléricale, où ne passaient que des ombres dévotes, égayé seulement par les élèves des Frères, à des intervalles réguliers. Lentement, une cloche sonnait dans l’air mort, et elle se retournait avec impatience, lorsque la porte s’ouvrit et que Geneviève entra.

— Enfin ! dit la grand-mère. Déjeunons vite, voilà le premier coup qui sonne.

Blonde, grande et fine, avec des cheveux admirables et un visage de passion et de joie qu’elle tenait de son père, Geneviève riait de toutes ses dents blanches, gamine encore à vingt-deux ans. Mais, déjà, voyant qu’elle était seule, Mme  Duparque se récriait.

— Comment, Marc n’est pas prêt !

— Il me suit, grand-mère, il descend avec Louise.

Et après avoir embrassé sa mère, silencieuse, elle dit son amusement de se retrouver, mariée, dans cette maison si calme de sa jeunesse. Ah ! cette place des Capucins, elle en connaissait chaque pavé, elle y saluait en vieilles amies les moindres touffes d’herbe ! Et, comme, pour être aimable et gagner du temps, elle s’extasiait devant la fenêtre, elle vit passer deux ombres noires, qu’elle reconnut.

— Tiens ! le père Philibin et le frère Fulgence, où vont-ils donc de si bonne heure ?

Deux religieux traversaient lentement la petite place, qu’ils semblaient emplir de l’ombre de leurs soutanes, sous le ciel bas et orageux. Le père Philibin, d’origine paysanne, aux épaules carrées, à la face épaisse et ronde, roux, avec de gros yeux, une bouche grande et des mâchoires solides, était à quarante ans, préfet des études au collège de Valmarie, le magnifique domaine que les jésuites possédaient dans les environs. De même âge, mais petit, noir et chafouin, le frère Fulgence était le supérieur des trois autres frères qui tenaient avec lui l’école chrétienne voisine. Et, fils naturel, disait-on, d’un médecin aliéniste mort dans une maison de fous et d’une servante, nerveux, irritable, cervelle brouillée et orgueilleuse, c’était lui qui parlait très haut, avec de grands gestes.

— Cette après-midi, expliqua Mme  Duparque, on donne les prix à l’école. Et le père Philibin, qui aime beaucoup nos bons frères, a bien voulu accepter de présider la distribution. Alors, il doit arriver de Valmarie, et je suppose qu’il accompagne le frère Fulgence, pour régler certains détails.

Mais elle fut interrompue, Marc descendait enfin, et il tenait dans ses bras sa fillette Louise, à peine âgée de deux ans, qui, pendue de ses deux menottes à son cou, jouait, riait comme une bienheureuse.

— Houp là ! houp là ! cria-t-il en rentrant. Nous arrivons en chemin de fer, hein ! on ne peut pas arriver plus vite !

Moins grand que ses trois frères, Mathieu, Luc et Jean, le visage plus allongé et plus maigre, Marc Froment avait, très prononcé, le haut front, le front en forme de tour de la famille. Mais ce qui le caractérisait surtout, c’étaient les yeux et la voix de charme, des yeux clairs, très doux, qui pénétraient jusqu’au fond des âmes, une voix prenante, conquérante, qui s’emparait des intelligences et des cœurs. Des moustaches et une barbe légère laissaient voir la bouche, un peu forte, ferme et bonne. Comme tous les fils de Pierre et de Marie Froment, il avait appris un métier manuel, celui de lithographe, et, bachelier à dix-sept ans, il était venu à Beaumont terminer son apprentissage chez les Papon-Laroche, la grande maison qui fournissait de cartes géographiques et de tableaux scolaires presque toutes les écoles de France. Ce fut là que sa passion de l’enseignement se déclara, au point de lui faire passer l’examen, du brevet élémentaire, de façon à pouvoir entrer à l’École normale de Beaumont, d’où il était sorti instituteur adjoint, à vingt ans, avec son brevet supérieur. Titularisé plus tard, ayant obtenu son certificat d’aptitude pédagogique, il allait, à vingt-sept ans, être nommé instituteur à Jonville, lorsqu’il épousa Geneviève, grâce à son grand ami Salvan, qui l’avait introduit chez ces dames et que l’amour délicieux des deux jeunes gens attendrissait. Et, depuis trois ans, Marc et Geneviève, peu riches, ayant toutes sortes d’embarras d’argent et de tracas administratifs, menaient une adorable vie d’amour, dans leur village de huit cents habitants à peine.

Mécontente, Mme  Duparque ne s’égaya pas des bons rires du père et de la fillette.

— Voilà un chemin de fer, dit-elle, qui ne vaut pas les pataches de ma jeunesse… Allons, déjeunons vite, nous n’arriverons jamais.

Elle s’était assise et elle versait déjà le lait dans les tasses. Pendant que Geneviève plaçait la haute chaise de la petite Louise entre elle et sa mère, pour surveiller l’enfant, Marc, d’humeur conciliante, voulut obtenir son pardon.

— Oui, n’est-ce pas ? je vous ai mises en retard… C’est votre faute, grand-maman, on dort trop bien chez vous, on y est si tranquille !

Mme  Duparque, pressée, le nez dans sa tasse, ne daigna pas répondre. Mais Mme  Berthereau, qui regardait longuement sa fille Geneviève, l’air si heureux entre son mari et son enfant, eut un pâle sourire. Et, de sa voix basse, comme involontaire, elle murmura, avec un lent coup d’œil autour d’elle :

— Oh ! oui, tranquille, si tranquille qu’on ne s’y sent pas même vivre.

— Pourtant, reprit Marc, il y a eu un bruit sur la place, à dix heures. Geneviève n’en revenait pas. Du tapage nocturne, sur la place des Capucins !

Il jouait de malheur, dans sa bonne volonté à faire rire le monde. La grand-mère répondit cette fois, l’air blessé.

— C’était la sortie de la chapelle des Capucins. Il y a eu, hier soir, à neuf heures, adoration du Saint-Sacrement. Les frères y ont conduit ceux de leurs élèves qui ont fait leur première communion cette année, et ces enfants se sont un peu émancipés à causer et à rire, en passant sur la place… Cela vaut mieux que les jeux abominables des enfants sans morale et sans religion.

Du coup, le silence se fit, profond et gênant. On n’entendit plus que le bruit des cuillers dans les tasses. C’était pour l’école de Marc, pour son enseignement laïque, cette accusation de jeux abominables. Et, comme Geneviève lui jetait un petit regard suppliant, il ne se fâcha pas, il reprit bientôt la conversation, il causa de leur vie à Jonville, avec Mme  Berthereau, il parla même de ses élèves, en instituteur qui les aimait, qui tirait d’eux des satisfactions et des joies. Trois d’entre eux venaient d’obtenir leur certificat d’études.

À ce moment, au-dessus du quartier morne et désert, la sonnerie de la cloche reprit, des coups ralentis qui semblaient pleurer dans l’air lourd.

— Le dernier coup ! s’écria Mme  Duparque. Je le disais bien que nous n’arriverions pas !

Et elle se levait, elle bousculait sa fille et sa petite-fille, en train d’achever leur tasse, lorsque Pélagie reparut, tremblante, bouleversée, Le Petit Beaumontais à la main.

— Ah ! madame, ah ! madame, quelle horreur !… Le gamin qui apporte le journal vient de m’apprendre…

— Quoi donc ? dépêchez-vous !

La servante suffoquait.

— On vient de trouver assassiné le petit Zéphirin, le neveu du maître d’école, là, tout près, dans sa chambre.

— Comment ! assassiné ?

— Oui, madame, étranglé, et pendant qu’il était en chemise, et après toutes sortes d’abominations !

Un effroyable frisson passa, Mme  Duparque elle-même frémissait.

— Le petit Zéphirin, le neveu de ce Simon, de cet instituteur juif, un enfant infirme, mais si joli ; et il était catholique, lui, il allait chez les frères, il devait être à la cérémonie d’hier soir, car il venait de faire sa première communion… Que voulez-vous ? il y a des familles maudites.

Marc avait écouté, glacé, révolté. Et il cria, sans ménagement cette fois :

Simon, je le connais Simon ! Il était à l’École normale avec moi, il n’est mon aîné que de deux ans. Je ne sais pas de raison plus solide, de cœur plus tendre. Ce pauvre enfant, ce neveu catholique, il l’avait recueilli, il le laissait chez les frères, par un rare scrupule de conscience… C’est affreux, le malheur qui le frappe !

Et Marc s’était levé, frissonnant, et il ajouta :

— Je vais le trouver… Je veux savoir, je veux être là pour le soutenir dans son chagrin.

Mme  Duparque n’entendait plus, poussait dehors Mme  Berthereau et Geneviève, en leur laissant à peine le temps de mettre leur chapeau. La sonnerie du dernier coup venait de s’éteindre, ces dames se hâtèrent vers l’église, dans le lourd silence orageux du quartier désert. Et, après avoir confié la petite Louise à Pélagie, Marc sortit à son tour.

L’école primaire de Maillebois, toute neuve, et qui se composait de deux pavillons, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles, se trouvait sur la place de la République, en face de la mairie, également neuve et de même style ; et la Grand-Rue, la route de Beaumont à Jonville, traversant la place, séparait seule les deux monuments, d’une blancheur de craie, dont le pays se montrait fier. Cette Grand-Rue, la rue marchande, sur laquelle se dressait aussi, plus bas, la façade de l’église paroissiale de Saint-Marin, était populeuse, animée d’un continuel va-et-vient de piétons et de voitures. Mais, derrière l’école, le désert, le silence se faisaient, l’herbe poussait entre les petits pavés. Une rue, la rue Courte, où il n’y avait que le presbytère et la papeterie tenue par les dames Milhomme, reliait ce bout ensommeillé de la place de la République à la place des Capucins. De sorte que Marc n’avait que trois pas à faire.

Les deux cours de récréation donnaient sur la rue Courte, séparées par les deux étroits jardins, qu’on avait ménagés, l’un pour l’instituteur, l’autre pour l’institutrice. Et, c’était au rez-de-chaussée du pavillon des garçons, à l’angle de la cour, que Simon avait pu donner une étroite pièce au petit, Zéphirin, lorsqu’il l’avait recueilli. L’enfant était un neveu de sa femme, Rachel Lehmann, un petit-fils des Lehmann, de pauvres tailleurs juifs, qui occupaient une maison noire de la rue du Trou, la rue la plus misérable de Maillebois. Le père, Daniel Lehmann, de quinze ans plus jeune que son frère le tailleur, mécanicien de son état, avait épousé par amour une orpheline catholique, Marie Prunier, élevée chez les sœurs, et couturière. Le ménage s’était adoré, et quand le petit Zéphirin naquit, on ne le baptisa pas, il ne fut d’aucune religion, le père et la mère n’ayant pas voulu se faire mutuellement le chagrin de le donner à son Dieu. Mais, six ans plus tard, la foudre tomba, Daniel mourut d’une mort épouvantable, happé, broyé par un engrenage, devant sa femme qui lui apportait son déjeuner, à l’usine. Et Marie, terrifiée, reconquise à la religion de sa jeunesse, voyant là un châtiment du ciel qui la punissait d’avoir aimé un juif, fit baptiser son fils, le mit ensuite à l’école chez les frères. Le pis était que l’enfant se courbait, devenait bossu, sous quelque tare héréditaire, dans laquelle la mère crut sentir l’implacable vengeance céleste, s’acharnant, parce qu’elle n’arrivait pas à s’arracher du cœur la mémoire adorée de son mari. Cette angoisse, cet obscur combat, joint à son travail obstiné de couture, finit par la tuer, comme le petit Zéphirin, âgé de douze ans, allait faire sa première communion. Et ce fut alors que Simon, bien pauvre lui-même, le prit chez lui, pour qu’il ne retombât pas à la charge des parents de sa femme, très bon, très tolérant, se contentant de l’héberger et de le nourrir, le laissant communier et achever ses études à l’école voisine des frères.

La chambre où couchait Zéphirin, une petite pièce de débarras, aménagée très proprement pour lui, avait donc une fenêtre qui s’ouvrait presque au ras du pavé, derrière l’école, sur le coin le plus solitaire de la place. Et, ce matin-là, comme le jeune instituteur adjoint Mignot, logé au premier, sortait dès sept heures, il remarqua que la fenêtre se trouvait grande ouverte. Mignot, profitant des premiers jours de vacances, pêcheur passionné, partait en chapeau de paille et en veste de coutil, sa canne à l’épaule, pour pêcher dans la Verpille, la mince rivière qui traverse le quartier industriel de Maillebois. Fils de paysan, entré à l’École normale de Beaumont comme il serait entré au séminaire, afin d’échapper au dur travail des champs, il était blond, les cheveux ras, de figure massive et grêlée, ce qui lui donnait un air dur, sans qu’il fût mauvais au fond, bon plutôt, simplement désireux de ne pas nuire à son avancement. À vingt-cinq ans, il ne se hâtait pas de se marier, en attente comme pour le reste, destiné à être ce que les circonstances voudraient qu’il fût. Et la fenêtre de Zéphirin, grande ouverte ce matin-là, le frappa tellement, qu’il s’approcha et jeta un coup d’œil dans la chambre, bien que le fait n’eût en lui-même rien d’anormal, car d’habitude le petit se levait de très bonne heure.

Mais la stupeur cloua Mignot, l’horreur lui arracha des cris.

— Mon Dieu ! le pauvre enfant !… Mon Dieu ! mon Dieu ! qu’est-ce donc, quel affreux malheur !

L’étroite chambre, au papier clair, gardait son calme, son air d’enfance heureuse. Sur la table, il y avait une statuette coloriée de la Vierge, quelques livres, des images de sainteté, rangées, classées avec soin. Le petit lit blanc n’était pas même défait, l’enfant ne s’était pas couché. Et, par terre, ne traînait qu’une chaise abattue. Et là, sur la descente de lit, le pauvre petit corps de Zéphirin gisait, en chemise, étranglé, la face livide, le cou nu, portant les marques des abominables doigts de l’assassin. La chemise souillée, arrachée, à demi fendue, laissait voir les maigres jambes écartées violemment, dans une posture qui ne permettait aucun doute sur l’immonde attentat ; et l’échine déviée apparaissait, elle aussi, la pauvre bosse que le bras gauche, rejeté par-dessus la tête, faisait saillir. Mais cette tête, malgré sa pâleur bleuie, gardait son charme délicieux, une tête d’ange blond et frisé, un visage délicat de fille, aux yeux bleus, au nez fin, à la bouche petite et charmante, avec d’adorables fossettes dans les joues, lorsque l’enfant riait tendrement.

Mignot, éperdu, ne cessait de crier son épouvante.

— Ah, mon Dieu ! ah, mon Dieu ! l’horrible chose Ah, mon Dieu ! au secours, venez donc !

Et Mlle  Rouzaire, l’institutrice, ayant entendu ces cris, accourut. Elle était descendue de bonne heure dans son jardin, s’intéressant à des salades que les orages faisaient monter. C’était une rousse de trente-deux ans, pas belle, grande, forte, avec une face ronde, criblée de taches de rousseur, de gros yeux gris, une bouche décolorée, sous un nez pointu, qui annonçait une dureté rusée et avaricieuse. Bien que laide, elle avait eu, disait-on, des complaisances pour l’inspecteur primaire, le beau Mauraisin, ce qui assurait son avancement. Elle était d’ailleurs tout acquise à l’abbé Quandieu, le curé de la paroisse, aux capucins, aux bons frères eux-mêmes ; et elle conduisait en personne ses élèves au catéchisme et aux cérémonies religieuses.

Lorsqu’elle vit l’affreux spectacle, elle jeta des cris à son tour.

— Bonté divine ! ayez pitié de nous !… C’est une tuerie, un massacre, une œuvre du diable, ô Dieu de miséricorde !

Puis, voyant Mignot près d’enjamber l’appui de la fenêtre, elle l’en empêcha.

— Non, non ! n’entrez pas, il faut savoir, il faut appeler.

Mais, justement, comme elle se retournait, cherchant du monde, elle aperçut le père Philibin et le frère Fulgence, qui débouchaient de la rue Courte, venant de la place des Capucins, où Geneviève et ces dames les avaient vu passer. Elle les reconnut, leva les mains au ciel, ainsi qu’à l’apparition du bon Dieu lui-même.

— Oh ! mon père, oh ! mon frère, venez, venez vite, le démon a passé par ici !

Les deux religieux s’approchèrent, reçurent l’horrible secousse. Tandis que le père Philibin, énergique et réfléchi, restait silencieux, le frère Fulgence, impulsif, cédant au continuel besoin de se mettre en avant, se répandait en exclamations.

— Ah ! le pauvre enfant !… Ah ! le crime exécrable ! un enfant si doux, si bon, le meilleur de nos élèves, et si pieux, si fervent !… Voyons, il faut nous rendre compte, nous ne pouvons laisser les choses ainsi.

Et, sans que Mlle  Rouzaire osât de nouveau protester, il enjamba le premier l’appui de la fenêtre, suivi par le père Philibin, qui, ayant aperçu près du corps une boule de papier, roulée en une sorte de tampon, alla tout de suite la ramasser. L’institutrice, par crainte, ou plutôt par prudence, n’entra pas ; et elle retint même Mignot un instant encore. Ce que pouvaient se permettre les ministres de Dieu n’était peut-être pas sain pour de simples instituteurs. Cependant, tandis que le frère Fulgence s’empressait auprès de la victime, sans la toucher, avec de nouvelles exclamations tumultueuses, le père Philibin, toujours muet, déroulait le tampon de papier, semblait l’examiner avec soin. Il tournait le dos à la fenêtre, on ne voyait que le mouvement de ses coudes, sans rien distinguer de ce papier, dont on entendait les petits craquements. Cela dura quelques secondes. Et, comme Mignot sautait à son tour dans la chambre, il reconnut que le tampon était fait d’un journal, et qu’il y avait, avec ce journal, une étroite feuille blanche, froissée, maculée.

— Qu’est-ce donc ?

Le jésuite regarda l’adjoint, et tranquillement, de voix grosse et lente :

— C’est un numéro du Petit Beaumontais, daté d’hier 2 août, et le singulier est que, froissé dans ce numéro, se trouve ce modèle d’écriture. Voyez un peu.

Il ne pouvait faire autrement que de le montrer, Mignot l’ayant aperçu. Et il le tenait dans ses doigts épais, n’en laissant voir que les mots : « Aimez-vous les uns les autres », calligraphiés en belle écriture anglaise. Des trous, des salissures faisaient de ce modèle une loque. L’adjoint n’eut pas le temps d’y jeter un coup d’œil, car de nouvelles exclamations terrifiées s’élevaient devant la fenêtre.

C’était Marc qui arrivait et que la vue du pauvre Petit corps pitoyable soulevait d’horreur et de colère. Sans écouter les explications de l’institutrice, il l’écarta, enjamba l’appui, voulant comprendre. La présence des deux religieux l’étonnait, il sut de l’adjoint que, lui Mignot, et Mlle  Rouzaire, les avaient appelés, comme ils passaient, au moment même de la découverte du crime.

— Ne touchez à rien, ne dérangez rien, cria Marc. Il faut tout de suite courir chez le maire et à la gendarmerie.

Des gens commençaient à s’attrouper, un jeune homme se chargea de la commission, partit au galop, pendant que Marc continuait à examiner la chambre. Devant le corps, il vit le frère Fulgence, bouleversé de pitié, les yeux pleins de larmes, en homme nerveux que les grosses émotions jetaient hors de lui. Il fut touché de cette attitude, il était lui-même frissonnant des détails qu’il constatait, de la nature abominable des outrages, où se révélait un sadisme ignoble et sournois, la signature même du violateur et de l’assassin. Cela l’effleura brusquement d’une certitude, que plus tard il devait retrouver. Mais la sensation s’effaça, il ne remarqua plus que le père Philibin, d’un grand calme navré, qui tenait toujours à la main le numéro du journal et le modèle d’écriture. Un instant, le jésuite avait tourné le dos, comme pour regarder sous le lit, puis il était revenu.

— Tenez ! dit-il de lui-même, en montrant le numéro du journal et le modèle, voici ce que j’ai trouvé par terre, roulé en tampon ; il est bien certain que le meurtrier a essayé d’enfoncer ce tampon dans la bouche de l’enfant, pour étouffer ses cris. N’y réussissant pas, il l’aura étranglé… Et, vous voyez, le modèle, souillé de salive, porte la trace des dents du pauvre petit… N’est-ce pas ? monsieur Mignot, le tampon était là, près de ce pied de table. Vous l’avez vu.

— Oh ! bien sûr, dit l’adjoint. Je l’avais aperçu tout de suite.

Comme il se rapprochait, pour examiner encore le modèle d’écriture, il eut un vague sentiment de surprise, en constatant que le coin de droite, en haut, manquait, déchiré. Il croyait bien ne pas avoir remarqué cette déchirure, lorsque le jésuite avait dû le lui montrer. Mais, sans doute, elle était alors cachée sous les gros doigts qui tenaient l’étroite feuille. Sa mémoire se brouilla, il ne savait plus, il aurait dès lors été incapable d’affirmer le fait.

Cependant, Marc avait pris le modèle, qu’il étudiait, pensant tout haut.

— Oui, oui, les dents ont mordu… Oh ! l’indication ne sera pas bien utile, car ces modèles sont dans le commerce, on les trouve partout. L’écriture lithographiée en est impersonnelle… Ah ! mais il y a ici, en bas, une sorte de paraphe, des initiales qu’on ne lit pas bien !

Sans hâte, le père Philibin se rapprocha.

— Un paraphe, croyez-vous ? Cela m’a semblé une tache d’encre, à demi effacée par la salive et par le coup de dents qui a percé la feuille, à côté.

— Une tache d’encre, non ! Ce sont bien des initiales, mais elles sont illisibles en effet.

Puis, Marc s’aperçut de la déchirure.

— Un coin manque, là-haut. Sans doute un autre coup de dents… Avez-vous trouvé le morceau ?

Le père Philibin dit qu’il ne l’avait pas cherché. Et il déplia de nouveau le numéro du journal, le visita soigneusement, tandis que Mignot se baissait, regardait par terre. On ne découvrit rien. Cela fut d’ailleurs jugé sans aucune importance. Marc était tombé d’accord avec les religieux que l’assassin, pris de terreur, avait dû étrangler l’enfant, après avoir vainement essayé d’étouffer ses cris, en lui enfonçant dans la bouche le tampon de papier. Ce qui restait extraordinaire, c’était le modèle d’écriture mêlé à ce journal. Un numéro du Petit Beaumontais du jour, cela se comprenait, pouvait être dans n’importe quelle poche. Mais ce modèle, d’où venait-il, de quelle façon se trouvait-il là, froissé, comme pétri avec ce numéro ? Toutes sortes d’hypothèses étaient permises, et ce serait à la justice d’ouvrir une enquête, afin d’établir la vérité.

Marc sentit passer le vent tragique, dans l’obscurité du drame, comme si une affreuse nuit s’était faite tout d’un coup.

— Ah ! murmura-t-il involontairement, c’est le monstre au fond de son gouffre de ténèbres !

Du monde, pourtant, continuait à s’arrêter devant la fenêtre, et il y avait là les dames Milhomme, les papetières voisines, accourues de leur boutique, en voyant l’attroupement. Mme  Alexandre, grande, blonde, l’air très doux, et Mme  Édouard, aussi grande, mais brune et rude, étaient d’autant plus émues, que Victor, le fils de la seconde, allait chez les frères, tandis que Sébastien, le fils de la première, fréquentait l’école de Simon. Et elles écoutaient Mlle  Rouzaire qui, au milieu du groupe, donnait des détails, en attendant l’arrivée du maire et des gendarmes.

— J’étais, hier soir, à la chapelle des Capucins, pour cette adoration du Saint-Sacrement, qui a été si touchante, et le pauvre Zéphirin se trouvait là, avec les quelques camarades de l’école, les premiers communiants de l’année. Il nous a tous édifiés, il avait l’air d’un petit ange.

— Mon fils Victor n’y est pas allé, il n’a que neuf ans, dit Mme  Édouard. Mais est-ce que Zéphirin s’y était rendu seul ? Personne ne l’a donc ramené ?

— Oh ! expliqua l’institutrice, il n’y a qu’un pas d’ici à la chapelle. Je sais que le frère Gorgias a été chargé de reconduire des enfants dont les parents n’avaient pu venir et qui demeurent assez loin. D’ailleurs, Mme  Simon m’avait priée de veiller sur Zéphirin, et c’est moi qui l’ai ramené. Il était très gai, il a rouvert les volets, qu’il avait poussés simplement, et il est rentré dans cette chambre, en sautant par la fenêtre, riant, jouant, disant que c’était bien plus commode et bien plus court. Un instant, je suis restée là, j’ai attendu qu’il eût allumé sa bougie.

Marc, qui s’était approché, écoutait avec attention. Il demanda :

— Et quelle heure était-il ?

— Dix heures juste, répondit Mlle  Rouzaire. L’heure sonnait à Saint-Martin.

Des frissons passaient. Ce détail du pauvre gamin rentrant d’un saut dans la chambre, où il allait périr si tragiquement, attendrissait les cœurs. Et Mme  Alexandre fit avec douceur la réflexion qui venait à l’esprit.

— Ce n’était guère prudent, cet enfant couchant seul ainsi, dans cette pièce écartée, ouvrant sur la place. On aurait dû, la nuit, mettre une barre aux volets.

— Oh ! il les fermait, dit Mlle  Rouzaire.

De nouveau, Marc intervint.

— Hier soir, les a-t-il fermés, pendant que vous étiez encore là ?

— Non, je ne puis le dire. Quand je l’ai quitté, pour rentrer chez moi, en faisant le tour, il avait allumé sa bougie et il rangeait des images sur la table, la fenêtre grande ouverte. À son tour, l’adjoint Mignot vint se mêler à la conversation.

— Cette fenêtre inquiétait M. Simon, il aurait voulu pouvoir donner une autre chambre au petit. Aussi lui recommandait-il souvent de bien fermer les volets. Mais je crois que l’enfant ne l’écoutait guère.

Les deux religieux s’étaient, eux aussi, décidés à sortir de la chambre. Le père Philibin, après avoir déposé sur la table le numéro du Petit Beaumontais et le modèle d’écriture, ne parlait plus, regardait, écoutait, suivait surtout très attentivement chaque parole, chaque geste de Marc ; pendant que le frère Fulgence continuait à se répandre en lamentations. Et le jésuite, qui semblait lire dans les yeux du jeune instituteur, finit par dire :

— Alors, vous pensez que ça peut être un rôdeur de nuit, qui, voyant l’enfant seul dans cette pièce, s’y sera introduit par la fenêtre ?

Marc eut la prudence de ne pas se prononcer.

— Oh ! je ne pense rien, c’est à la justice de chercher et de trouver le coupable… D’ailleurs, le lit n’est pas défait, l’enfant en chemise allait sûrement se coucher, et cela paraît indiquer que le crime a dû être commis très peu de temps après dix heures. Mettez que l’enfant se soit occupé un quart d’heure, une demi-heure au plus, avec ses images. Ensuite, il aurait crié, en voyant un inconnu pénétrer violemment chez lui, et, certainement, on l’aurait entendu… Vous n’avez rien entendu, mademoiselle ?

— Non, rien, répondit l’institutrice. Moi-même, je me suis couchée vers dix heures et demie. Je n’ai été réveillée que vers une heure du matin, par l’orage.

— La bougie a très peu brûlé, fit encore remarquer Mignot. L’assassin l’aura soufflée sûrement, en repartant par la fenêtre, qu’il a laissée grande ouverte, telle que je l’ai trouvée tout à l’heure.

Cette constatation, qui donnait quelque poids à la version du rôdeur se ruant, violentant et étranglant sa victime, tomba dans la gêne épouvantée du petit groupe qui stationnait là. Personne ne voulait se compromettre, chacun gardait ses réflexions sur les impossibilités et les invraisemblances. Puis, comme le maire et les gendarmes se faisaient attendre, le père Philibin demanda, après un silence :

— M. Simon n’est donc pas à Maillebois ?

Dans le bouleversement de la secousse dont il ne pouvait se remettre, Mignot le regardait, effaré. Et il fallut que Marc lui-même s’étonnât.

— Simon est sûrement chez lui… On ne l’a donc pas prévenu ?

— Ma foi, non ! cria l’adjoint. Je ne sais plus où j’ai la tête !… M. Simon avait hier soir un banquet à Beaumont, mais il est rentré certainement cette nuit. Sa femme est un peu souffrante, il doivent être encore couchés.

Il était sept heures et demie déjà, mais le ciel orageux restait si lourd, si bas, qu’on aurait dit une aube louche, dans ce coin solitaire de la place. Et l’adjoint se décida, monta chez Simon. Un joli réveil, comme il le disait, une commission agréable qu’il avait à remplir auprès de son directeur !

Simon était fils d’un petit horloger juif de Beaumont, et il avait un frère, David, son aîné de trois ans. Il venait d’avoir quinze ans, et son frère dix-huit, lorsque leur père, ruiné par des procès, était mort d’une brusque congestion. Trois ans plus tard, leur mère s’éteignit à son tour, dans une grande gêne. Simon venait d’entrer à l’École normale, tandis que son frère David prenait le parti de s’engager. Sorti de l’École en très bon rang, il resta instituteur adjoint à Derbecourt, un gros bourg voisin, pendant près de dix années. Ce fut là qu’à vingt-six ans il épousa par amour sa femme, Rachel Lehmann, la fille du petit tailleur de la rue du Trou, qui avait à Maillebois une assez bonne clientèle. Elle était d’une grande beauté, une brune à la chevelure magnifique, aux larges yeux de caresse, et son mari l’adorait, l’entourait d’un culte passionné. Deux enfants déjà leur étaient nés, un petit garçon de quatre ans, Joseph, une fillette de deux, Sarah. Et, pourvu de son certificat d’aptitude pédagogique, il se montrait fier d’être, à trente-deux ans, titulaire à Maillebois, où il se trouvait depuis deux années, rare exemple d’avancement rapide parmi les instituteurs du pays.

Marc, qui n’aimait guère les juifs, par une sorte de répugnance et de méfiance ataviques, dont il n’avait jamais eu la curiosité d’analyser les causes, malgré sa grande libération d’esprit, gardait pourtant à Simon, qu’il tutoyait, un amical souvenir de leur rencontre à l’École normale. Il disait de lui qu’il était fort intelligent, très bon instituteur, pénétré de ses devoirs. Mais il le trouvait trop méticuleux, trop attaché à la lettre, esclave du règlement, plié à l’étroite discipline, toujours tourmenté par la crainte d’être mal noté, de ne pas satisfaire ses chefs. Et il constatait là, chez lui, la terreur, l’humilité de la race, sous la persécution de tant de siècles, gardant la continuelle angoisse de l’outrage et de l’iniquité. D’ailleurs, Simon avait des raisons d’être prudent, car sa nomination à Maillebois, dans cette petite ville cléricale, où il y avait une école des frères et une communauté puissante de capucins, avait presque été un scandale. Aussi ne se faisait-il pardonner d’être juif que grâce à beaucoup de correction et surtout à un patriotisme ardent, exaltant dans sa classe la France armée, la rêvant glorieuse, maîtresse du monde.

Brusquement, Simon parut, amené par Mignot. Petit, maigre et nerveux, il avait les cheveux roux, coupés courts et la barbe rousse. Les yeux bleus étaient doux, la bouche était fine, sous le nez de la race, grand et mince ; mais la physionomie restait assez ingrate, vague, brouillée, d’aspect chétif. Et, en ce moment, il était si bouleversé par l’affreuse nouvelle, qu’on aurait dit un homme ivre, chancelant, bégayant, les mains tremblantes.

— Est-ce possible, grand Dieu ! une telle atrocité, une monstruosité pareille !

Lorsqu’il fut devant la fenêtre, il resta comme anéanti, les yeux sur le petit corps, ne trouvant plus une parole, continuant de frémir de tout son être, d’un tremblement involontaire. Le monde qui était là, les deux religieux, les papetières, l’institutrice, le regardait en silence, s’étonnant qu’il ne pleurât pas.

Il fallut que Marc, très apitoyé, lui prît les mains, l’embrassât.

— Voyons, mon camarade, il te faut du courage, tu as besoin de toute ta force.

Mais, sans l’écouter, Simon se retourna vers l’adjoint.

— Je vous en supplie, Mignot, retournez auprès de ma femme. Je ne veux pas qu’elle voie cela. Elle aimait beaucoup son neveu, et elle est trop souffrante déjà pour supporter cet horrible spectacle.

Puis, quand le jeune homme fut parti, il continua, de sa voix cassée.

— Ah ! quel réveil ! Pour une fois, nous faisions la grasse matinée. Ma pauvre Rachel dormait ; et, ne voulant pas troubler ce bon repos, je restais près d’elle, les yeux ouverts, à réfléchir, à rêver les joies de nos vacances… Cette nuit, je l’avais réveillée en rentrant, et elle ne s’était pas rendormie avant trois heures du matin, énervée par l’orage.

— À quelle heure es-tu donc rentré ? demanda Marc.

— À minuit moins vingt précis. Ma femme m’a demandé l’heure, et j’ai regardé la pendule.

Mlle  Rouzaire parut surprise, elle fit tout haut une réflexion.

— Mais il n’y a pas de train de Beaumont, à cette heure-là.

— Je ne suis pas revenu par le chemin de fer, expliqua Simon. Le banquet s’est prolongé, j’ai manqué le train de dix heures et demie, et je me suis décidé à faire les six kilomètres à pied, pour ne pas attendre le train de minuit… J’avais hâte de retrouver ma femme.

Le père Philibin se taisait toujours, l’air calme ; mais le frère Fulgence ne put se contenir davantage, et il posa des questions.

— Minuit moins vingt, le crime alors devait être commis… Et vous n’avez rien vu, rien entendu ?

— Absolument rien. La place était déserte, l’orage grondait déjà au loin… Je suis rentré sans rencontrer âme qui vive. Toute la maison était plongée dans un profond silence.

— Vous n’avez donc pas eu l’idée d’aller voir si ce pauvre Zéphirin était bien revenu de la chapelle, s’il dormait ? Vous ne lui faisiez donc pas une petite visite, chaque soir ?

— Non. Le cher enfant était déjà un petit homme très avisé, nous lui laissions le plus de liberté possible. Puis, tout paraissait si calme, que l’idée ne pouvait me venir de le déranger dans son sommeil. Je suis monté directement à notre chambre, en faisant le moins de bruit possible. J’ai embrassé les enfants qui dormaient, et je me suis couché tout de suite, heureux de trouver ma femme un peu remise, causant doucement avec elle.

Le père Philibin eut un hochement de tête approbatif, en disant enfin : — Évidemment, tout cela s’explique très bien.

Et les personnes présentes parurent convaincues, la version du rôdeur faisant son coup vers dix heures et demie, entrant et se sauvant par la fenêtre, semblait de plus en plus certaine. Ce que racontait Simon confirmait les renseignements donnés par Mlle  Rouzaire. Et il n’était pas jusqu’aux dames Milhomme, les papetières voisines, qui prétendaient avoir vu, dès la tombée de la nuit, un homme de mauvaise mine rôder sur la place.

— Il y a tant de mauvaises gens par les chemins ! conclut le père jésuite. Espérons que la police mettra la main sur le meurtrier, bien que la besogne ne soit pas toujours facile.

Seul, Marc gardait une incertitude, un malaise. Bien que, le premier, il eût conçu cette idée d’un inconnu se ruant sur Zéphirin, il en avait ensuite senti le peu de vraisemblance. N’était-il pas plus admissible que l’homme connaissait l’enfant et qu’il avait causé d’abord, le cajolant, le rassurant ? Puis la brusque et abominable tentation devait être venue, et la ruée folle, et les cris étouffés, et le viol, et le meurtre, dans l’épouvante. Mais cela était si confus, que Marc, après en avoir eu comme une intuition rapide, était retombé aux ténèbres, aux débats anxieux des hypothèses contradictoires. Il se contenta de dire à Simon, pour achever de le calmer :

— Tous les témoignages concordent, la vérité se fera vite.

Enfin, à ce moment, comme Mignot revenait, après avoir décidé Mme  Simon à ne pas quitter sa chambre, le maire Darras arriva, en amenant avec lui trois gendarmes. Darras, un entrepreneur de maçonnerie en train de faire une belle fortune, était un gros homme de quarante-deux ans, à la face ronde et rose, blond, les cheveux courts, la face rasée. Tout de suite, il fit pousser les volets, mit deux gendarmes devant la fenêtre, tandis que le troisième allait, dans le couloir intérieur, garder la porte de la chambre, simplement fermée au pêne. Jamais Zéphirin ne la fermait à clef. Et, dès lors, la consigne sévère fut de ne plus toucher à rien, de ne plus même approcher du théâtre du crime. Tout de suite, le maire avait télégraphié à Beaumont, au Parquet, et l’on attendait les magistrats, qui sûrement allaient arriver par le premier train. Le père Philibin et le frère Fulgence ayant prétexté leurs affaires, cette distribution des prix de l’après-midi qui les occupait, Darras leur conseilla de se hâter, puis de revenir, car sûrement le procureur de la République les interrogerait, au sujet du numéro du Petit Beaumontais et du modèle d’écriture trouvés près du corps. Et, pendant que, sur la place, les deux gendarmes avaient grand-peine à maintenir la foule, désormais grossissante, violente, poussant des cris de mort, Simon rentra, attendit avec Darras et Marc, Mlle  Rouzaire et Mignot, dans la vaste salle de classe, où le soleil pénétrait par l’immense baie donnant sur la cour de récréation.

Il était huit heures, il y eut une brusque averse orageuse, puis le ciel se déblaya, la journée devint admirable. Et ce fut à neuf heures seulement que les magistrats purent être là. Le procureur de la République, Raoul de La Bissonnière, s’était dérangé en personne, accompagné du juge d’instruction Daix, tous les deux émus de la grandeur du crime, prévoyant une grosse affaire. Petit et fringant, brun avec une figure poupine, encadrée de favoris corrects, La Bissonnière, extrêmement ambitieux, ne pouvait se contenter à quarante-cinq ans de son avancement rapide, guettait toujours quelque procès retentissant qui le lancerait à Paris, où il se flattait de décrocher une haute situation, grâce à son adresse souple, à son respect complaisant du pouvoir, quel qu’il fût. Au contraire, grand et sec, Daix, avec sa face en lame de couteau, était le juge d’instruction méticuleux, tout à son devoir professionnel, un inquiet, un timide, que sa femme, laide et coquette, dépensière, exaspérée de son ménage pauvre, terrorisait et désolait par son amertume à lui reprocher son manque d’ambition. Tous deux descendirent à l’école, et ils voulurent d’abord se rendre dans la chambre, procéder aux constatations premières, avant de recueillir quelques témoignages.

Ce fut Simon et Darras qui les accompagnèrent, tandis que Marc, Mlle  Rouzaire et Mignot les attendaient dans la grande salle, où le père Philibin et le frère Fulgence ne tardèrent pas à rejoindre ces derniers. Quand les magistrats reparurent, ils avaient relevé toutes les conditions matérielles du crime, ils étaient instruits des moindres circonstances déjà connues. Et ils rapportaient le numéro du Petit Beaumontais et le modèle d’écriture, auxquels ils paraissaient attacher une importance extrême. Aussi, tout de suite, s’asseyant à la table du maître, examinèrent-ils ces deux pièces, les discutant, montrant surtout le modèle aux deux instituteurs, Simon et Marc, ainsi qu’à l’institutrice et aux religieux. Ce n’était d’ailleurs qu’à titre de renseignements, aucun greffier n’étant là pour prendre les interrogatoires.

— Oh ! répondit Marc, ces modèles sont d’un usage courant dans toutes les écoles, aussi bien dans les écoles laïques que dans les écoles congréganistes.

Parfaitement, confirma le frère Fulgence, on trouverait les mêmes chez nous, de même qu’ils doivent exister ici.

La Bissonnière voulut préciser.

— Mais, demanda-t-il à Simon, vous souvenez-vous d’avoir mis celui-ci dans les mains de vos élèves ? « Aimez-vous les uns les autres », cela aurait dû vous frapper.

— Jamais ce modèle n’a servi dans ma classe, répondit nettement Simon. Comme vous le dites très bien, monsieur, je me souviendrais.

Et, le procureur de la République ayant posé la même question au frère Fulgence, celui-ci eut d’abord une légère hésitation.

— J’ai trois frères avec moi, les frères Isidore, Lazarus et Gorgias, et il m’est difficile de rien affirmer.

Puis, dans le grand silence qui se faisait :

— Non, non, jamais ce modèle n’a existé chez nous, il m’aurait passé sous les yeux.

Les magistrats n’insistèrent pas, se réservant, désireux même de ne pas montrer davantage l’intérêt qu’ils attribuaient à la pièce. Ils dirent pourtant leur surprise qu’on n’eût pas retrouvé le coin déchiré.

— Est-ce que, parfois, demanda Daix, les modèles d’écriture ne portent pas dans un angle le cachet de l’école ?

— Oui, parfois, dut répondre le frère Fulgence.

Mais Marc se récria.

— Jamais, quant à moi, je n’ai timbré les modèles d’écriture. Ça ne se fait pas chez nous.

— Pardon, déclara Simon avec sa grande tranquillité, j’en ai ici sur lesquels on trouverait le cachet. Mais je les timbre en bas, à cette place.

Devant la perplexité visible des magistrats, le père Philibin, muet et attentif jusque-là, se permit un léger rire.

— Cela prouve, dit-il, combien la vérité est malaisée à établir… Tenez ! monsieur le procureur de la République, c’est comme la tache que vous examinez en ce moment. On a déjà voulu y voir de vagues initiales, une sorte de paraphe. Moi, je crois plutôt à un pâté, qu’un élève aura voulu effacer du doigt.

— Est-il donc d’usage, demanda Daix de nouveau, que les maîtres paraphent les modèles ?

— Oui, avoua encore le frère Fulgence, cela se fait chez nous.

— Ah ! non, crièrent ensemble Simon et Marc, nous ne faisons pas cela dans les écoles communales.

— Vous vous trompez, dit Mlle  Rouzaire, si je ne timbre pas les modèles, il m’est arrivé d’y mettre mes initiales.

La Bissonnière, d’un geste, arrêta la discussion, car il savait par expérience à quel gâchis on arrive, dans ces questions secondaires des habitudes de chacun. C’était à l’instruction d’étudier la pièce si grave, le coin disparu, le cas possible du cachet et du paraphe. Il se contenta dès lors de se faire raconter par les témoins la découverte du crime. Mignot dut dire comment la fenêtre grande ouverte avait attiré son attention et comment il avait crié, en apercevant le petit corps, violenté si atrocement. Mlle  Rouzaire expliqua comment elle était accourue, puis donna des détails sur la cérémonie de la veille, sur la façon dont elle avait reconduit Zéphirin jusqu’à la fenêtre, par laquelle il était entré, en sautant. Le père Philibin et le frère Fulgence, à leur tour, contèrent le hasard qui les avait mêlés au drame, décrivant l’état dans lequel ils avaient trouvé la chambre, indiquant l’endroit exact où gisait le tampon de papier, qu’ils s’étaient permis simplement de déplier, avant de le poser sur la table. Et Marc lui-même indiqua enfin les quelques remarques qu’il avait faites, lorsqu’il était arrivé après les autres.

Alors, La Bissonnière se tournant vers Simon, l’interrogea.

— Vous nous avez dit que vous étiez rentré à minuit moins vingt et que toute la maison vous avait paru être dans un grand calme… Votre femme dormait.

Mais Daix se permit d’interrompre.

— Monsieur le procureur de la République, n’y aurait-il pas intérêt à ce que Mme  Simon fût présente ? Ne pourrait-elle descendre un instant ?

D’un hochement de tête, La Bissonnière approuva, et Simon monta chercher sa femme, qui parut bientôt avec lui.

En peignoir de toile écrue, très simple, Rachel était si belle, que son entrée, dans le silence, fit passer un léger frisson d’admiration et de tendresse. C’était la beauté juive en fleur, un visage d’un ovale délicieux, une admirable chevelure noire, un teint doré, de grands yeux caressants, une bouche rouge aux dents éclatantes et pures. Et on la sentait toute d’amour, un peu indolente, enfermée dans son ménage avec son mari et ses enfants, comme la femme orientale en son étroit jardin secret. Simon repoussait la porte, lorsque les deux enfants, Joseph et Sarah, quatre et deux ans, forts et superbes, firent invasion, malgré la défense qu’on leur avait faite de descendre ; et ils vinrent se réfugier dans les jupes de la mère, où les magistrats, d’un geste, dirent qu’on les laissât.

La Bissonnière, galant, touché par tant de beauté, prit une voix de flûte pour poser quelques questions.

— Madame, il était minuit moins vingt, lorsque votre mari est rentré ?

— Oui, monsieur, il a regardé la pendule, et il était couché, nous causions encore, à demi-voix, la lumière éteinte, pour ne pas réveiller les enfants, lorsque minuit a sonné.

— Mais vous, madame, avant l’arrivée de votre mari, de dix heures et demie à onze heures et demie, n’avez-vous rien entendu, des pas, des voix, des bruits de lutte, des cris étouffés ?

— Non, monsieur, absolument rien. Je dormais, c’est mon mari qui m’a réveillée en entrant dans la chambre… Il m’avait laissée assez souffrante et il était si heureux de me trouver remise, il riait et jouait si gaiement en m’embrassant, que je l’ai fait se tenir tranquille, par crainte de déranger le monde, tant le silence était grand autour de nous… Ah ! qui nous aurait dit qu’un si effroyable malheur s’était abattu sur la maison !

Elle était bouleversée, des larmes ruisselèrent le long de ses joues, tandis qu’elle se tournait vers son mari, comme pour mettre en lui sa consolation et sa force. Et lui, pleurant aussi de la voir pleurer, oubliant où il était, la saisit passionnément entre ses bras, l’embrassa dans un élan de tendresse infinie. Les deux enfants levaient leurs têtes inquiètes, ce fut un instant d’émotion profonde et de grande bonté pitoyable.

— J’étais un peu surprise de l’heure, parce qu’il n’y a pas de train à cette heure-là, reprit d’elle-même Mme  Simon. Une fois couché, mon mari m’a raconté l’histoire.

— Oui, expliqua Simon, je n’avais pu faire autrement que d’aller à ce banquet ; et j’ai été si contrarié, en arrivant à la gare, de voir le train de dix heures et demie filer devant moi, que, ne voulant pas attendre le train de minuit, je suis tout de suite parti à pied. Six kilomètres, ce n’est pas une affaire. La nuit était très belle, très chaude… Vers une heure, lorsque l’orage a éclaté, je racontais encore ma soirée, je causais doucement avec ma femme, qui ne pouvait se rendormir. C’est ce qui nous a retenus au lit, ce matin, pendant que l’affreuse mort était chez nous.

Et, Rachel s’étant remise à pleurer, il l’embrassa de nouveau, en amant et en père.

— Voyons, chérie, calme-toi, nous avons aimé le pauvre petit de tout notre cœur, nous le traitions comme notre enfant, et notre conscience n’a rien à nous reprocher, dans cette abominable catastrophe.

C’était l’avis des personnes présentes. Le maire Darras témoignait une grande estime à l’instituteur Simon, qu’il disait très zélé, très honnête. Mignot et Mlle  Rouzaire, tout en n’aimant guère les juifs, tombaient d’accord que celui-là s’efforçait de se faire pardonner par une conduite irréprochable. Restaient le père Philibin et le frère Fulgence, qui, devant le sentiment alors général, se montraient neutres, comme en dehors, silencieux, regardant de leurs yeux aigus, fouillant les êtres et les choses. Et les magistrats, désormais en pleine nuit, avec l’unique hypothèse d’un inconnu entré et ressorti par la fenêtre, durent se contenter de ces premières constatations. Seule, l’heure du crime se trouvait nettement établie, de dix heures et demie à onze heures ; et, quant au crime lui-même, immonde et farouche, il glissait aux monstrueuses ténèbres.

Marc, laissant les autorités régler certains détails, voulut rentrer déjeuner, après avoir embrassé fraternellement Simon. La scène entre le mari et la femme ne lui avait rien appris, car il savait leur adoration tendre. Mais il avait eu des larmes dans les yeux, remué profondément par tant d’amour et de douloureuse bonté.

Midi allait sonner à Saint-Martin, lorsqu’il se retrouva sur la place, encombrée d’une telle cohue, toujours grossie, qu’il lui fut difficile de se frayer un chemin. A mesure que la nouvelle du crime se répandait, des gens arrivaient de toutes parts, se pressant devant la fenêtre close, que les gendarmes avaient grand-peine à défendre ; et les récits qui circulaient de bouche en bouche, défigurés, exagérés, atroces, soulevaient les colères, ameutaient la foule grondante. Comme Marc se dégageait enfin, un prêtre l’aborda.

— Vous sortez de l’école, monsieur Froment, est-ce vrai, tous ces horribles détails ?

C’était l’abbé Quandieu, le curé de Saint-Martin, l’église paroissiale, un homme de quarante-trois ans, grand et robuste, mais de visage doux et bon, les yeux d’un bleu très clair, les joues rondes, le menton douillet. Marc l’avait connu chez Mme  Duparque, dont il était le directeur et l’ami ; et, tout en n’aimant pas les prêtres, il éprouvait pour celui-ci une certaine estime, le sachant tolérant, d’un esprit raisonnable, doué d’ailleurs de plus de sentimentalité que de véritable intelligence.

En quelques mots, Marc rétablit les faits, déjà bien assez monstrueux.

— Ah ! ce pauvre M. Simon, reprit le curé d’ une voix pitoyable, quel chagrin ce doit être pour lui, car il aimait beaucoup son neveu et il se conduisait très bien à son égard ! J’en ai eu la preuve.

Ce témoignage si spontané fit plaisir à Marc, qui continua de causer un instant avec le prêtre. Mais un père capucin s’approcha, le père Théodose, le supérieur de la petite communauté qui desservait la chapelle voisine. Homme superbe, de beau visage aux larges yeux ardents, et qu’une admirable barbe brune rendait majestueux, il était un confesseur réputé, un orateur mystique dont la voix chaude faisait accourir les dévotes. Bien qu’en sourde guerre avec le curé Quandieu, il affectait à son égard une attitude déférente de serviteur de Dieu plus jeune et plus humble. Tout de suite, il dit son émotion, sa douleur : ce pauvre enfant, que la veille au soir, à la chapelle, il avait remarqué, tant sa dévotion était vive, un véritable ange du ciel, avec son adorable tête blonde et frisée de chérubin ! Marc, immédiatement, s’était hâté de prendre congé, dès les premiers mots du père Théodose, qu’il tenait en une méfiance, en une antipathie invincibles. Et, cette fois, il rentrait déjeuner, lorsqu’il fut arrêté de nouveau, une main amicale s’étant posée sur son épaule.

— Tiens, Férou !… Vous êtes donc à Maillebois ?

Férou était instituteur au Moreux, à quatre kilomètres de Jonville, petite commune isolée qui n’avait pas même de curé à elle, et qui était desservie par l’abbé Cognasse, le curé de Jonville. Aussi Férou y menait-il une vie de misère noire, avec sa femme et ses trois enfants, trois filles. C’était un grand diable de trente ans, dégingandé, dont les vêtements semblaient toujours trop courts. Des épis hérissaient ses cheveux bruns, sur sa tête longue et osseuse, au nez bossué, à la bouche large, au menton saillant. Et il ne savait que faire de ses grands pieds et de ses grandes mains.

— Vous savez bien, répondit-il, que ma femme a sa tante épicière à Maillebois. Alors, nous sommes venus la voir… Mais dites donc, quelle ignominie, ce gamin, ce pauvre petit bossu violé, étranglé ! Et voilà une histoire qui va permettre à cette sale prêtraille de taper sur nous, les pervertisseurs, les empoisonneurs de la laïque !

Marc le considérait comme un garçon très intelligent, ayant beaucoup lu, mais aigri par son étroite vie de privations, jeté à une amertume violente, aux idées extrêmes de revendication et de revanche. Pourtant, il fut troublé par l’âpreté de ce cri.

— Comment, taper sur nous ? demanda-t-il. Je ne vois pas ce que nous avons à faire là-dedans ?

— Ah bien ! vous êtes naïf. Vous ne connaissez pas l’espèce, vous allez voir tous les ensoutanés, tous les bons pères et les chers frères à l’œuvre… Dites-moi, est-ce qu’ils n’ont pas déjà laissé entendre que c’était Simon qui avait lui-même violé et étranglé son neveu ?

Du coup, Marc se fâcha. Vraiment Férou allait trop loin, dans sa haine de l’Église.

— Mais vous êtes fou ! Personne ne soupçonne, n’oserait même soupçonner Simon un instant. Tous rendent justice à son honnêteté, à sa bonté. Le curé Quandieu vient de me dire qu’il a eu la preuve de sa conduite paternelle à l’égard de la triste victime.

Un rire convulsif agita le grand corps maigre de Férou, et ses cheveux se hérissèrent davantage sur sa longue tête chevaline.

— Ah ! non, vous êtes trop drôle, vous croyez qu’on va se gêner avec un sale juif ! Est-ce qu’un sale juif, ça mérite la vérité ? Votre Quandieu et toute la bande diront ce qu’il faudra dire, s’il est nécessaire que le sale juif soit le coupable, grâce à la complicité de nous tous, les sans-Dieu et les sans-patrie, qui pourrissons la jeunesse française !

Et, comme Marc, pris de froid au cœur, protestait toujours, il continua avec plus de véhémence :

— Voyons, vous savez bien ce qui se passe au Moreux. J’y crève de faim, j’y suis méprisé, ravalé plus bas que le misérable cantonnier qui casse les cailloux sur les routes. L’abbé Cognasse, quand il vient dire sa messe, cracherait sur moi, s’il me rencontrait. Et c’est parce que j’ai refusé de chanter au lutrin et de sonner la cloche que je n’ai pas de pain tous les jours… Vous le connaissez, l’abbé Cognasse, vous l’avez à peu près maté, à Jonville, depuis que vous avez su mettre le maire avec vous. Mais, quand même, vous êtes en guerre chaque jour, et il vous dévorerait, si vous le laissiez faire… Un instituteur, mais c’est la bête de somme, c’est le valet de tout le monde, le déclassé, le monsieur raté dont les paysans se défient et que les curés brûleraient, pour installer sur le pays entier l’unique règne du catéchisme !

Amèrement, il continua, il dit les misères et les souffrances des damnés de l’enseignement primaire, comme il les nommait. Lui, fils d’un berger, ayant eu des succès à son école de village, sorti plus tard de l’École normale avec des notes excellentes, avait toujours souffert de son manque absolu d’argent, car il s’était, par honnêteté, permis la bêtise d’épouser une fille de boutique, aussi pauvre que lui, après l’avoir engrossée, lorsqu’il était simple instituteur adjoint, à Maillebois. Mais est-ce que Marc lui-même, dont la femme avait une grand-mère qui lui faisait de continuels cadeaux, était beaucoup plus heureux, à Jonville, toujours menacé de la dette, en continuelle lutte avec le curé, pour sauvegarder sa dignité et son indépendance ? Il était heureusement secondé par l’institutrice de l’école des filles, Mlle  Mazeline, une raison solide, un cœur inépuisable, qui l’avait aidé à conquérir peu à peu le conseil municipal et toute la commune. L’exemple restait peut-être unique dans le département, grâce à des circonstances heureuses. Et ce qui se passait à Maillebois n’achevait-il pas le tableau ? cette Mlle  Rouzaire, acquise aux prêtres et aux moines, prenant sur les heures des leçons pour conduire ses élèves à l’église, remplissant si bien le rôle abêtissant des bonnes sœurs, que la congrégation avait jugé inutile d’installer à Maillebois une école pour les filles ! et ce pauvre Simon, qui certes était un honnête homme, mais qui, par crainte qu’on ne le traitât de sale juif, ménageait tout le monde, laissait aller son neveu à l’école des chers frères, saluait très bas la cléricale dont le pays était empoisonné !

— Un sale juif, conclut Férou violemment, il n’est et il ne sera jamais qu’un sale juif ! Instituteur et juif, c’est le comble !… Vous verrez, vous verrez !

Et il se perdit dans la foule, avec des gestes impétueux qui secouaient tout son grand corps dégingandé.

Marc était resté au bord du trottoir, haussant les épaules, le trouvant à demi fou ; car, vraiment, le tableau lui paraissait d’une grande exagération. À quoi bon répondre à ce pauvre homme dont la malchance finirait par détraquer la cervelle ? Et il reprit sa route vers la place des Capucins, hanté pourtant de tout ce qu’il venait d’entendre, pris sourdement d’inquiétude.

Il était midi un quart, lorsque Marc revint à la petite maison de la place des Capucins. Et, depuis un quart d’heure, ces dames et Geneviève l’attendaient dans la salle à manger, devant la table servie. Ce nouveau retard avait jeté Mme  Duparque hors d’elle. Elle ne parla pas, mais la façon brusque dont elle s’assit, en dépliant nerveusement sa serviette, disait combien ce peu d’exactitude lui semblait coupable.

— Je vous demande pardon, expliqua le jeune homme, j’ai dû attendre les magistrats, et il y a un tel monde sur la place., que je ne pouvais plus passer.

Malgré sa volonté de silence, la grand-mère eut un cri.

— J’espère bien que vous n’allez pas vous occuper de cette abominable histoire !

— Certes, répondit-il simplement, j’espère bien aussi n’avoir pas à m’en occuper, à moins que mon devoir ne soit de le faire.

Et, Pélagie ayant servi une omelette, puis des tranches de mouton grillées sur une purée de pommes de terre, il conta ce qu’il savait, il donna tous les détails. Geneviève l’écoutait, frémissante d’horreur et de pitié, tandis que sa mère, Mme  Berthereau, très émotionnée elle aussi, retenait des larmes, en jetant de furtifs coups d’œil sur Mme  Duparque, comme pour savoir jusqu’où son attendrissement pouvait aller. Mais celle-ci était retombée dans sa muette désapprobation de tout ce qui lui paraissait contraire à la règle. Elle mangeait posément, elle finit par dire :

— Dans ma jeunesse, je me souviens très bien qu’un enfant disparut, à Beaumont. On le retrouva sous le porche de Saint-Maxence, le corps coupé en quatre morceaux ; et il n’y avait que le cœur qui manquait… On accusa les juifs d’avoir eu besoin de ce cœur, pour le pain azyme de leur Pâque.

Béant, Marc la regardait.

— Vous ne parlez pas sérieusement, grand-mère, vous ne croyez pas à ces stupidités infâmes ?

Elle tourna vers lui ses yeux froids et clairs ; et, sans répondre d’une façon directe :

— C’est simplement un vieux souvenir qui me revient… Je n’accuse personne, bien entendu.

Mais Pélagie, qui apportait le dessert, osa se mêler à la conversation, avec sa familiarité d’ancienne servante.

— Madame a bien raison de n’accuser personne, et le monde devrait faire comme madame… Le quartier est en révolution depuis ce crime, on n’a pas idée des histoires affreuses qui circulent, et je viens d’entendre un ouvrier crier qu’il faudrait brûler l’école des frères.

Ce mot tomba dans un grand silence. Marc, frappé, avait eu un geste vif, qu’il réprima tout de suite, en homme qui juge préférable de garder pour lui ses réflexions. Et Pélagie put ajouter :

— Madame me permettra d’aller assister à la distribution des prix, cette après-midi. Je crois bien que mon neveu Polydor n’aura rien, mais ça me fera plaisir tout de même d’y être… Ah ! ces bons frères, ça ne va pas être gai pour eux, cette fête, le jour où on leur tue un de leurs meilleurs élèves.

Mme  Duparque consentit d’un signe de tête, et l’on parla d’autre chose, le déjeuner s’acheva, un peu égayé par les rires de la petite Louise, qui regardait avec étonnement les visages bouleversés de son père et de sa mère, si clairs, si souriants d’habitude. Il y eut une détente, la famille un instant causa dans une cordiale intimité.

L’après-midi, à l’école des frères, la distribution des prix souleva une grande émotion. Jamais cette solennité n’avait attiré un pareil concours de foule. D’abord, le fait qu’elle était présidée par le père Philibin, le préfet des études au collège de Valmarie, lui donnait un éclat tout particulier. Le recteur de ce collège, le père Crabot, un jésuite fameux par ses influences mondaines et la toute-puissance qu’on lui prêtait dans les événements contemporains, se trouvait également là, désireux de donner aux frères un témoignage public de son estime. Puis, il y avait encore un député réactionnaire du département, le comte Hector de Sanglebœuf, le châtelain de la Désirade, un admirable domaine des environs, que sa femme, fille du grand banquier juif, le baron Nathan, lui avait apporté en dot, avec quelques millions. Mais, surtout, ce qui surexcitait les esprits, ce qui emplissait d’une cohue fiévreuse la place des Capucins, si déserte et si calme d’habitude, c’était le monstrueux crime découvert le matin, ce pauvre enfant, cet élève des frères violenté, étranglé. Et il était comme présent, il n’y avait que lui, dans la cour ombragée où se dressait l’estrade, devant les rangs pressés des chaises, pendant que le père Philibin faisait l’éloge de l’établissement, de son directeur, le très distingué frère Fulgence, et de ses trois adjoints, les frères Isidore, Lazarus et Gorgias. Cette hantise s’accrut encore, lorsque ce dernier, un homme maigre et noueux au front bas et dur sous des cheveux noirs crépus, au grand nez en bec d’aigle entre des pommettes saillantes, à la bouche épaisse laissant voir des dents de loup, se leva pour lire le palmarès. Zéphirin était le meilleur élève de sa classe, dont il avait remporté tous les prix ; et son nom revenait sans cesse, et le frère Gorgias, dans sa longue soutane noire, avec la tache blanche de son rabat, avait une telle façon, lente et lugubre, de laisser tomber ce nom, que, chaque fois, un frisson croissant courait parmi la foule. Chaque fois, le pauvre petit mort semblait se dresser à cet appel, pour venir recevoir sa couronne et son livre à tranche dorée. Les couronnes et les livres s’amoncelaient sur la table, rien ne devenait plus poignant que le silence et le vide où étaient jetées tant de récompenses, à cet enfant modèle, si tragiquement disparu, dont le triste corps, torturé et souillé, gisait à quelques maisons de là. L’émotion de l’assistance fut bientôt trop forte, les sanglots finirent par éclater, tandis que le frère Gorgias continuait à lancer le nom, avec son habituel retroussement de lèvres qui découvrait, à gauche, un peu de ses dents blanches, dans un rictus involontaire où il y avait de la goguenardise et de la cruauté.

La solennité s’acheva au milieu d’un grand malaise. Malgré la belle assistance, accourue pour exalter les frères, une angoisse avait grandi, comme une inquiétude qui passait sur toutes les têtes, en une menace venue de loin. Et le pis fut la sortie, parmi les murmures et les sourdes imprécations des groupes nombreux d’ouvriers et de paysans, amassés sur la place. Les histoires abominables dont Pélagie avait parlé circulaient dans cette foule, frémissante du crime. On se souvenait d’une sale histoire étouffée l’année précédente, d’un frère que ses supérieurs avaient fait disparaître, pour lui éviter la cour d’assises. Toutes sortes de vilains bruits couraient depuis cette époque, des monstruosités qui se passaient dans cette école, des enfants qui refusaient de parler, sous le coup d’une terreur profonde. Naturellement, ces mystérieuses abominations s’étaient encore exagérées en passant de bouche en bouche. Et l’indignation des gens entassés sur la place était faite des rumeurs réveillées, exaspérées dans les mémoires par le viol et le meurtre d’un élève des bons frères. Des accusations commençaient à se préciser, des mots de vengeance volaient : est-ce qu’on laisserait cette fois encore échapper le coupable ? est-ce qu’on n’allait pas fermer cette baraque à sanglantes ordures ? Et, quand la belle assistance s’écoula, quand parurent des robes de moine et des soutanes de prêtre, tout un groupe poursuivit de huées les pères Crabot et Philibin, blêmes et inquiets, tandis que le frère Fulgence faisait verrouiller solidement les portes de son école.

Marc, par curiosité, avait suivi la scène, d’une fenêtre de la petite maison de Mme  Duparque ; et, intéressé vivement, il était même sorti un instant sur le seuil, afin de mieux voir et entendre. Que disait donc Férou, avec sa prophétie que le juif serait chargé de tout le crime, que l’instituteur laïque deviendrait le bouc émissaire de toute la cléricale enfiellée ? Loin de tourner ainsi, les choses avaient l’air de très mal s’annoncer pour les bons frères. Cette colère montante de la foule, ces cris de mort indiquaient que l’aventure pouvait aller loin, remonter du coupable à la communauté, s’étendre, ébranler l’Église elle-même, si vraiment ce coupable était un de ses membres. Et Marc s’interrogeait, ne trouvait encore en lui aucune conviction arrêtée, à ce point que même un simple soupçon lui aurait paru une chose hasardée et peu honnête. L’attitude du père Philibin et du frère Fulgence lui avait semblé absolument correcte, d’une tranquillité parfaite. Il s’efforçait d’être très tolérant, très juste, par crainte de céder à sa passion de penseur libre, libéré de tous les dogmes. Et il attendait d’en savoir davantage, au milieu des ténèbres de l’effroyable drame.

Mais, comme il était là, il vit revenir Pélagie endimanchée, ayant avec elle son neveu, Polydor Souquet, un gamin de onze ans, qui tenait sous son bras un beau volume, à la couverture gaufrée et dorée.

— C’est le prix de bonne conduite, monsieur ! cria-t-elle enorgueillie. Ça vaut encore mieux qu’un prix de lecture ou d’écriture, n’est-ce pas ?

La vérité était que Polydor, paisible et sournois, étonnait les frères eux-mêmes par sa prodigieuse paresse. C’était un enfant gros et blême, de cheveux pâles, avec une longue figure obtuse. Fils d’un cantonnier toujours ivre, ayant perdu sa mère de bonne heure, il vivait au hasard, pendant que son père cassait les cailloux sur les chemins. Et, par haine de tout travail, terrifié à l’idée de casser des cailloux à son tour, il laissait sa tante faire le rêve de le voir un jour ignorantin, il disait comme elle, venait souvent à sa cuisine, dans l’espoir d’attraper quelque bon morceau.

Cependant, Pélagie, malgré sa joie, se retournait frémissante, regardait la foule d’un air de fureur et de défi.

— Vous entendez, monsieur, vous entendez ces anarchistes ! Des frères si dévoués, qui aiment tant les enfants, qui ont pour eux des soins si maternels !… Tenez ! Polydor habite avec son père, sur la route de Jonville, à un kilomètre d’ici. Eh bien ! hier soir, après cette cérémonie, on a craint quelque mauvaise rencontre, le frère Gorgias l’a accompagné jusqu’à sa porte… N’est-ce pas, Polydor ?

— Oui, répondit laconiquement le gamin, de sa voix sourde.

— Et c’est eux qu’on insulte, qu’on menace ! continua la servante. Vous voyez ce pauvre frère Gorgias faisant deux kilomètres, allant et venant dans la nuit noire, pour que rien n’arrive à ce petit homme-là. Vrai ! ça dégoûterait d’être prudent et gentil !

Marc, qui examinait l’enfant, était frappé de sa volonté de silence, de la somnolence hypocrite où il semblait se faire un nid de doux refuge. Et il n’écouta pas davantage Pélagie, dont il négligeait d’habitude les propos. Mais, comme il rentrait dans le petit salon, où Geneviève lisait, tandis que Mme  Duparque et Mme  Berthereau s’étaient remises à leur perpétuel tricot, pour les œuvres religieuses, il s’inquiéta en voyant sa femme, le livre abandonné, très émue de ce qui se passait sur la place. Elle vint à lui, se jeta presque à son cou, dans un élan de tendresse peureuse, adorablement jolie en son émoi.

— Que se passe-t-il donc ? demanda-t-elle. Est-ce qu’on va se battre ?

Et il la rassurait, lorsque Mme  Duparque, levant les yeux de son ouvrage, répéta sévèrement sa volonté.

— Marc, j’espère bien que vous n’allez pas vous mêler de cette vilaine histoire… Soupçonner, outrager les frères, vraiment c’est de la folie ! Dieu finira par venger les siens.