Véritables lettres de Marie-Anne-Charlotte Corday

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Véritables lettres de Marie-Anne-Charlotte Corday


VERITABLES
LETTRES
DE
MARIE-ANNE-CHARLOTTE CORDAY,


Ecrites à son père, à Barbaroux, et autres Scélérats qui avoient connoissance de son crime.


SUIVIES


De la conduire qu’elle a tenue jusqu’à l’échaffaud.


Séparateur


Première lettre adressée au citoyen Marat,
lorsq’elle fut arrivée à Paris.


Paris, 12 Juillet, l’an 2ème de la République.


Citoyen,

« J’arrive de Caen ; votre amour pour la patrie me fait présumer que vous connoîtrez à vos plaisirs les malheureux événemens de cette partie de la République. Je me présenterai chez vous vers une heure. Ayez la bonté de me recevoir, et de m’accorder un moment d’entretien, je vous mettrai à même de rendre un grand service à la France. Je suis, etc.

Charlotte CORDAY.


Seconde lettre à Maras.

Paris, 17 Juillet.

« Je vous ai écrit ce matin, Marat, avez-vous reçu ma lettre ? Je ne puis le croire, puisqu’on m’a refusé votre porte. J’espère que demain vous m’accorderez une entrevue. Je vous le répète : j’arrive de Caen ; j’ai à vous reveler les secrets les plus importans pour le salut de la république. D’ailleurs, je suis persécutée pour la cause de la liberté ; je suis malheureuse ; il suffit que je le sois pour avoir droit à votre protection.

Charlotte CORDAY.


Aux prisons de l’Abbaye dans la ci-devant chambre de Brissot, le deuxième jour de la préparation de la paix.

Vous avez désiré, citoyen, le détail de mon voyage, je ne vous ferai pas grâce de la moindre anecdote. J’étois avec de bons montagnards que je faisois parler tout leur content ; et leurs propos aussi sots que leurs personnes étoient désagréables, ne servirent pas peu à m’endormir. Je ne m’éveillai, pour ainsi dire, qu’à Paris ; je fus loger rue des Vieux-Augnstins, hôtel de la Providence ; je trouvai Duperret, et je ne sais comment le comité de sûreté générale a été instruit que j’avois conféré avec Duperret ; vous connoissez l’ame ferme de ce dernier. Il leur a répondu la vérité ; j’ai confirmé sa déposition à la mienne ; il n’y a rien contre lui je craignois ; je vais le retrouver, il est trop têtu ; je me décidai donc à l’exécution de mon projet.

Le croiriez vous ? Fauchet est en prison comme mon complice, lui qui igneroit mon existence ; mais on n’est guère content de n’avoir qu’une femme sans conséquence à offrir aux mânes d’un grand homme. Pardon, humains, ce nom déshonore votre espèce, c’étoit une bête féroce qui alloit dévorer le reste de la France, pour la fin de la guerre civile : maintenant, vive la paix. Grâce au ciel, il n’étoit pas un français. Quatre membres se trouvèrent à mon premier interrogatoire ; Chabot avoit l’air d’un fou ; Legendre doutoit m’avoir vu le matin chez lui ; je n’ai jamais songé à cet homme, je ne lui connais d’assez grands moyens pour être le tyran de son pays, et je ne voulois pas punir tout le monde. Tous ceux qui me voyoient pour la première fois, prétendoient me connoitre depuis long-tems. Je crois qu’on a imprimé les dernières paroles de Marat ; je doute qu’il en ait proféré, mais voici les dernières qu’il m’a dites. Après avoir reçu vos noms à tous et ceux des administrateurs du Calvados, qui sont à Evreux, il dit pour me consoler que dans peu de jours ils vous feroient tous guillotiner à Paris.

Ces derniers mots décidèrent de son sort. Si le département met sa figure vis-à-vis celle de Saint-Fargeau, il pourra faire graver ces paroles en lettres d’or. Je ne vous ferai aucun détail sûr ce grand événement, les journaux vous en parleront. J’avoue que ce qui m’a décidé tout-à-fait, c’est le courage avec lequel nos volontaires se sont enrôlés dimanche 4 juillet. Vous vous souvenez comment j’en étois charmée, et je me promettois bien de faire repentir Pétion du soupçon qu’il manifesta sur mes sentimens. Est-ce que vous seriez fâchée s’ils ne partoient pas, me dit-il ? Enfin j’ai considéré que tant de braves gens venant à Paris pour chercher la tête d’un seul homme, qu’ils auroient peut-être manqué, ou qui auroit entraîné dans sa perte beaucoup de bons citoyens, il ne méritoit pas tant d’honneur : cela suffisoit de la main d’une femme. J’avoue que j’avoue que j’ai employé un artifice perfide pour qu’il pût me recevoir. Je comptois, en partant de Caen, le sacrifier sur la cime de la montagne, mais il n’étoit plus à la convention. Nous, si bons républicains qu’à Paris, l’on ne conçevoit pas comment une femme puérile, dont la plus longue vie ne seroit bonne à rien, peut sacrifier de sang-froid pour sauver son pays.

Je m’attendois bien à mourir dans l’instant.

Des hommes courageux et vraiment au-dessus de toute éloge m’ont préservé des fureurs bien excusables des malheureux que j’avois fait. Comme j’étois vraiement de sang-froid, je souffris des cris de quelques femmes ; mais qui sauve la patrie ne s’apperçoit pas de ce qu’il en coûte. Puisse la paix s’établir aussitôt que je le désire. Voilà un grand criminel à bas, sans cela, nous ne l’aurions jamais eu. Je jouis de la paix depuis deux jours.

Le bonheur de mon pays fait le mien ; je ne doute pas que l’on ne tourmente mon pere, qui a déjà assez de ma perte pour l’affliger. Je lui ai envoyé dernierement que, redoutant le feu de la guerre civile, j’irois en Angleterre ; mon projet étoit alors de garder à l’incognito la mort de Marat, en désirant aussitôt laisser les parisiens chercher inutilement mon nom.

Je vous prie, citoyen, vous et vos collègues, de prendre la défense de mes parens, si on les inquiète. Je n’ai jamais tué qu’un seul élu, et j’ai fait voir mon caractère. Ceux qui me regretteront se réjouiront de me voir jouir du repos dans les Champs-Elysée, avec Brutus et quelques anciens. Il est peu de vrais patriotes qui sachent mourir pour leur pays ; ils sont presque tous égoïstes. Elle termine sa lettre en priant Barbaroux de dire à Wimpfen qu’elle a gagné plus d’une bataille par l’action qu’elle vient de commettre.


Par une autre lettre, Charlotte Corday instruit son père des événemens qui viennent de se passer ; qu’elle l’embrasse tendrement ainsi que sa sœur et ceux de ses amis. Elle fini par supplier son père et tous ceux qui s’intéressent à elle, de ne point la regretter parce que leurs pleurs ne serviroient qu’à ternir sa mémoire.


INTERROGATOIRE.


Interpellée de déclarer ses noms, âge, qualité demeure et lieu de naissance :

A répondu se nommer Marie-Anne-Charlotte Corday, ci-devant d’Armans, native de Caën, âgée de vingt-cinq ans, demeurant, depuis son arrivée à Paris, rue des Vieux-Augustins, hôtel de la Providence, et vivant de ses revenus.

Interrogée sur le crime à elle imputé :

A dit qu’elle est arrivée à Paris le jeudi, 11 Juillet, à 11 heures du matin ; qu’elle a été chez Duperret pour lui remettre un paquet de la part de Barbaroux ; qu’elle est sorti très-peu de tems le vendredi ; que le samedi elle a écrit une lettre à Marat pour le prier de lui donner audience ; qu’elle se présenta chez lui dans la même journée, qu’on lui refusa la porte ; qu’étant revenue, et ayant persisté à parler à Marat, elle y a réussi, attendu que Marat avoit lui-même donné ordre qu’on la laissât entrer ; qu’étant arrivée au pied de la baignoire, dans laquelle Marat étoit, cille lui parla de différens députés qui sont à Caen et des administrateurs du département du Calvados ; que Marat lui dit « Ces scélérats seront bientôt entre les mains de la justice, et leur tête tombera sous le glaive de la loi ». Qu’elle, accusée, indignée de pareils propos (ce sont ses expressions), tira de son seing un coutau, qu’elle y avoit caché, et poignarda Marat ; qu’elle espéroit qu’il ne reviendroit pas.

Plusieurs témoins déposent les mêmes faits que ceux énoncés ci-dessus.

Le président interpelle l’accusée de dire si elle a quelque chose à observer aux témoins :

Elle répond que tout ce qu’ont dit les témoins est la pure vérité et qu’elle n’a rien à observer.

Interpellé de dire si quelqu’un lui avoit conseillé de faire l’assassinat, dont elle s’est rendu coupable, a déclaré que c’étoit les crimes de Marat, qui depuis le 31 mai lui avoit fait concevoir ce projet ; qu’elle ne l’avoit dit à personne, et que tout le monde l’ignoroit.

A elle demandé ce qu’elle entendoit par les crimes de Marat ; a répondu la guerre civile qu’il allumoit dans tous les départemens, qu’il ruinoit la république, qu’il faisoit distribuer des assignats par-tout et en profusion.

Sur cette allégation on lui a observé que le fait étoit faux, puisque la nation payoit les dettes du citoyen Marat, mort pauvre.

A répondu qu’elle persistoit, qu’elle avoit assassiné le monstre qui avoit fait couler le sang des patriotes ; qu’elle étoit satisfaite d’avoir tué un homme pour en sauver 100000.

A elle présenté le couteau avec lequel elle a assassiné le citoyen Marat ;

A dit le reconnoître, ainsi que des lettres qu’elle a écrit et qu’elle a signé, lesquelles lettres sont datées de l’Abbaye, chambre qu’avoit habité Brissot, et le deuxieme jour de sa préparation à la paix, parce qu’elle dit que Marat étant mort, la paix alloit renaître.


Cette femme, dès le moment de son arrestation, a montré une fermeté et un courage digne d’une héroïne, et l’histoire rapporte peu d’exemple d’un pareil caractère. Elle fut à la mort avec un courage extraordinaire ; elle regardoit le peuple, qui, indigné de la mort de son ami, l’injurioit à juste titre, et elle ne lui répondoit que par un sourire dédaigneux. Enfin, cette femme auroit bien mérité les honneurs du Panthéon, si elle eut employée son courage et son héroïsme au bonheur de sa patrie, au lieu d’attenter à sa destruction en assassinant le plus zélé de ses défenseurs.



De l’Imp. de LACHAVE, rue Serpente.