Vaguement (Verhaeren)

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PoèmesSociété du Mercure de France (p. 15-16).

VAGUEMENT


Voir une fleur là-bas, fragile et nonchalante,
En cadence dormir au bout d’un rameau clair,
En cadence, le soir, fragile et nonchalante,
Dormir ; — et tout à coup voir luire au clair de l’air,
Luire, comme une pierre, un insecte qui danse,
Instant de nacre en fuite au long d’un rayon d’or ;
— Et voir à l’horizon un navire qui danse
Sur ses ancres et qui s’enfle et tente l’essor.
Un navire lointain vers les grèves lointaines,
Et les îles et les hâvres et les départs
Et les adieux ; — et puis, à ces choses lointaines,
À ces choses du soir confier les hasards :


Craindre si la fleur tombe ou si l’insecte passe
Ou s’il part le navire à travers vents, là-bas,
Vers la tempête et vers l’écume et vers l’espace
Danser, parmi la houle énorme, au son des glas…
Ton souvenir ! — et le mêler à ces présages,
À ce navire, à cet insecte, à cette fleur,
Ton souvenir qui plane, ainsi que des nuages,
Au couchant d’ombre et d’or de ma douleur.