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Revue des Deux Mondes6e période, tome 44 (p. 721-747).
VAINCRE

Les considérations qui vont suivre nous ont été adressées par un savant et brillant tacticien, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive allemande. Les grands événemens qui se sont déroulés depuis lors, — la ruée sur le front britannique, la splendide attitude de nos troupes, l’unité de commandement enfin réalisée, le prodige de valeur et de science militaire auquel s’est une fois de plus heurté l’ennemi, la résolution dont les peuples alliés ont fait preuve, l’énergie déployée par les chefs de leurs gouvernemens, — sont venus apporter une éclatante confirmation aux idées présentées par notre éminent collaborateur comme les principes essentiels d’une conduite de la guerre qui doit nous mener à la victoire.



I


15 mars 1918.

Les derniers événemens du front oriental de la guerre ont dû convaincre dans le monde entier les hommes de bonne foi et qui pensent, qu’aucune paix n’est possible pour le monde tant que l’Allemagne n’aura pas été vaincue. Il n’est pas inutile cependant d’insister sur cette tragique leçon de choses. Le plus grave danger qui puisse menacer l’Entente aux heures critiques serait qu’elle se fit illusion sur l’inéluctable nécessité de mener la lutte jusqu’au bout.

Depuis deux mois, l’impérialisme allemand a mis cartes sur table ; il veut de vastes conquêtes politiques et la domination économique ; il a commencé de réaliser son plan ; il entend en poursuivre l’exécution par des paix séparées. Les Puissances de l’Entente ont proclamé leur volonté de n’ouvrir de négociations de paix qu’en vue d’un règlement général, garantissant l’indépendance effective de chaque nation et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Entre ces deux volontés, entre ces deux principes, aucune conciliation n’est possible. Il faut que le monde se soumette à l’Allemagne ou que l’Allemagne soit vaincue.

« Les peuples et les provinces, dit le président Wilson, ne doivent pas faire l’objet de marchés entre souveraineté et souveraineté... Tout règlement territorial se rapportant à cette guerre doit être fait dans l’intérêt et au bénéfice des populations intéressées... ; toutes les aspirations nationales bien définies doivent recevoir satisfaction. » Le général Hofmann à Brest-Litovsk, le comte von Hertling devant le Reichstag, répondent : « Nous concluons la paix sur la base du succès de nos armes. » En regard de cette affirmation du « droit du poing » (Faustrecht) et de l’illustration éclatante que lui donnent les faits, il est bien clair que les adhésions de principe, données par la diplomatie allemande au droit des peuples, n’étaient hier et ne pourraient être demain qu’un simple piège tendu à la lassitude des combattans.

L’Empereur, à Homburg, justifie toutes les annexions et toutes les germanisations par la mission providentielle de l’État allemand. « Notre-Seigneur a certainement une idée à lui au sujet du peuple allemand... Ceux qui ont étudié l’histoire savent que le Seigneur-Dieu, en employant tantôt un peuple, tantôt un autre, a essayé de mettre le monde dans le droit chemin. Ces peuples n’ont pas réussi. L’Empire romain s’est écroulé. L’Empire franc est tombé en morceaux. L’ancien Empire allemand a fait de même. C’est à nous maintenant que le Seigneur a confié la grande tâche... Nous serrons la main de l’ennemi battu par les armes et qui lève la main pour se rendre. Mais quant à l’ennemi qui n’accepte pas la paix et s’obstine à verser notre sang et celui de nos peuples, il subira notre contrainte... » L’erreur des Bolcheviki, — de ceux qui furent sincères dans leur folie, — aura été de se fier au peuple allemand pour faire la leçon à ses gouvernans. Ne tombons pas dans les mêmes illusions. Si la forme mystique du discours appartient en propre à Guillaume II, sachons que l’Empereur, quand il affirme le droit du germanisme à conquérir et à dominer, a tout son peuple avec lui. Plus exactement : c’est son peuple qui le pousse dans cette voie.

J’entends : tout ce qui compte dans le peuple allemand. Car en Allemagne, quelque extraordinaire que cela puisse nous paraître, il y a des classes dirigeantes et des classes qui, de leur plein gré, se laissent diriger [1]. Quelques protestations isolées, que le gouvernement allemand ne voit pas d’un mauvais œil, puisque sa censure les épargne, ne doivent pas nous faire concevoir à cet égard la moindre illusion. Le peuple allemand se révoltera peut-être le jour où il sentira passer le vent de la défaite. Mais tant que ses dirigeans tiendront le succès, ou les apparences du succès, il étonnera le monde par sa docilité.

Or, aujourd’hui comme en août 1914, ces dirigeans, hobereaux agrariens, intellectuels, financiers, industriels et, avant tout, militaires, ne comprennent la paix allemande que comme la consécration de la Weltpolitik et le commencement de la domination universelle. Depuis plus de dix ans, ceux des Français qui sont allés en Allemagne et qui savaient regarder autour d’eux et écouter, nous ont prévenus que l’opinion allemande était partie à la conquête du monde : Deutschland über alles in der Welt. Depuis le début de cette guerre, quantité de documens ont été publiés, montrant combien est fort et combien répandu chez nos adversaires le désir ou le besoin de nouvelles annexions. Il n’y a pas lieu d’insister ici sur les causes matérielles de cet état d’esprit. Mais si l’on admet, avec tout le monde civilisé, qu’il y a trois ans et demi le peuple allemand a entrepris de propos délibéré une guerre de conquête, on ne peut s’étonner qu’il ait été ressaisi tout entier par ses rêves les plus ambitieux, dès que l’effondrement russe lui a offert un moyen de les réaliser. On doit conclure aussi que toute paix future ne sera qu’une simple trêve, si elle n’enlève pas au peuple allemand la possibilité de reprendre les conquêtes interrompues.

Les négociations de Brest-Litovsk ont prouvé jusqu’à l’évidence qu’en Allemagne le haut commandement impose ses directives au chancelier. Le contraire seul eût pu nous surprendre, car nous savons, ou nous devrions savoir, qu’en Allemagne les militaires ont depuis longtemps l’habitude d’être les maîtres. En face des grandes nations libérales chez qui le principe Cedant arma togæ est entré depuis longtemps dans les mœurs comme dans les constitutions, le royaume de Prusse est resté, en plein XXe siècle, un anachronisme féodal et militaire. La guerre fut, de tout temps, son « industrie nationale » et la Prusse, depuis 1871, gouverne l’Allemagne et la façonne à son image. Les militaires composent exclusivement l’entourage du souverain, ils pénètrent l’administration et la diplomatie. Même la constitution actuelle des Chambres y assure la prépondérance du parti conservateur agrarien, c’est-à-dire de la caste militaire.

On a pu se figurer l’an dernier à l’étranger qu’une opposition se dressait en Allemagne contre l’élément militaire. La majorité du Reichstag a voté une « résolution » en faveur de la paix « sans annexions ni indemnités. » Le gouvernement a fait cette formule sienne, — pour le dehors, — car il continuait à distribuer à ses soldats des brochures pangermanistes. Il était facile, dès cette époque, à quiconque ne voulait pas s’illusionner, de découvrir l’hypocrisie de la formule allemande et d’apercevoir quels projets d’annexions déguisées et de conquêtes économiques elle dissimulait. Aujourd’hui, les tractations de Brest-Litovsk ont déchiré tous les voiles.

Serons-nous assez fous pour compter, comme le gouvernement des Soviets, sur le désir de paix du peuple allemand qui souffre, sur l’ouvrier et sur le paysan allemands ? Peut-être un jour, quand nous aurons battu l’armée allemande ; mais maintenant non. Retenons l’histoire des grèves de Berlin de janvier dernier, réglées en un tournemain par le général von Kessel, gouverneur des Marches. Un roulement de tambour annonçant la suspension des garanties constitutionnelles ; toute réunion, même privée, interdite : quatre jours après, sans l’ombre d’une résistance, la grève avait pris fin.

Allons plus au fond des choses. C’est toute l’éducation nationale (la plus grande force de l’Allemagne contemporaine) qui a créé l’orgueil de domination, la folie de conquêtes, comme la docilité du peuple allemand. A cette forte discipline nationale, dont nous ne devons point trop médire, s’ajoutent, dans un enseignement raisonné, suivi, prolongé, le culte des victoires militaires, la doctrine que l’intérêt supérieur de l’État justifie tout, l’affirmation constante de la supériorité de la Culture allemande et de son développement nécessaire. En Allemagne, le christianisme lui-même s’est mis au service de l’État et s’est fait allemand[2].

Par là s’explique l’état d’esprit, étrange autant que révoltant chez un civilisé, que constatent toutes les commissions d’enquête sur les « atrocités allemandes » et dont on ne peut retrouver l’équivalent que dans les guerres d’extermination des peuplades primitives. Le but de la guerre n’est plus seulement la destruction des forces organisées de l’adversaire, mais la destruction de l’adversaire lui-même. Le véritable but de guerre de l’Allemagne est de détruire ce qui fait obstacle à la juste expansion de la civilisation allemande, de l’industrie et du commerce allemands de la race, allemande.

Ce ne sont pas seulement deux groupes de nations que la guerre actuelle a mis en présence, ce sont deux civilisations, ou, pour employer ce mot dans le sens le plus large, deux religions opposées ; c’est, d’un côté, un idéal de liberté et de justice humaines, de l’autre une civilisation purement matérielle et fondée sur la force. La lutte ne peut pas finir par un compromis, mais seulement par la défaite d’un des deux partis. Ou le règne du sabre, ou le règne du droit.


Abandonnons le terrain des idées et plaçons-nous sur celui des faits. Pour que nous n’ayons pas combattu en vain, pour qu’il nous soit garanti que la paix future ne sera pas une simple trêve, il est clair qu’un certain équilibre des forces dans le monde est indispensable. S’il y avait une nation supérieure en puissance à toutes les autres, jamais la « Société des Nations » ne pourrait se constituer.

Or, la Russie désarmée semble être pour le moment à qui veut la prendre. Nous ne savons pas ce qui s’y passe. Nous ne connaissons même pas les limites exactes des « Etats limitrophes » que les Allemands ont « libérés du joug russe » par une parodie de traité et qu’ils se proposent d’annexer sous la forme d’une sorte de Protectorat. Mais la proie est d’importance : le chiffre d’habitans de la zone « protégée » semble se rapprocher de soixante millions.

Certes, l’occupation de cet immense territoire désorganisé et surtout sa mise en exploitation demanderont des forces et du temps. Cependant, si nous laissons la Russie à elle-même, si elle continue à donner au monde le spectacle d’un peuple qui s’abandonne et se livre à l’ennemi, l’établissement de l’ordre allemand dans les provinces de l’Ouest sera besogne relativement facile. Que deviendront les territoires, plus immenses encore, situés à l’Est ? Tout ce qu’on peut dire, c’est que, si l’anarchie y persiste, ils offriront à l’envahisseur les mêmes facilités et les mêmes tentations d’intervenir.

Supposons même que l’Empire allemand se contente, pour prix de cette guerre, de consolider et d’exploiter sa situation nouvelle dans l’Europe orientale, avec toutes les conséquences politiques et économiques qu’elle comporte et qu’il puisse y parvenir. Supposons, — ce qui n’arrivera certainement pas, — que pour obtenir d’avoir les mains libres vers l’Est, nos adversaires renoncent provisoirement, du côté de l’Ouest, à toute annexion, à toute « garantie » d’ordre territorial ou militaire et que la paix générale consacre cet état de choses. Qu’en adviendra-t-il ?

Il est clair que les projets de Mitteleuropa de Naumann seraient de beaucoup dépassés par l’Allemagne de demain. Aucune puissance, aucun groupement libre de puissances ne pourrait, dans l’avenir, être assuré de faire équilibre à une Mitteleuropa grossie de soixante millions d’habitans d’origine russe, sans compter les Serbes et les Roumains asservis, gouvernée et militairement organisée par le grand état-major allemand, libérée de tout contrepoids vers l’Est, dominant par la Baltique les États scandinaves, touchant par le golfe Persique aux Indes et par la Syrie au canal de Suez et à l’Egypte, exploitant à son profit toutes les Russies et maîtresse de toutes les routes terrestres qui conduisent d’Europe en Asie.

La situation que nos ennemis tentent en ce moment d’établir dans l’Est, et qu’ils ne peuvent pas ne pas vouloir maintenir à la paix générale, est telle qu’aucune des nations du groupe opposé ne peut l’admettre, quelle que soit d’ailleurs la situation créée dans l’Ouest par le traité de paix. Car si, par impossible, les nations de l’Entente consentaient à cette paix de faiblesse et d’abdication, nul doute que l’Allemagne agrandie, devenue plus confiante encore dans sa force et plus désireuse d’hégémonie mondiale, ne poursuive par tous les moyens l’exécution du plan de conquête et de germanisation des peuples voisins qu’elle estime être dans ses destinées.

Ni la Grande-Bretagne, ni les États-Unis, ni l’Italie, ni le Japon, ni aucune des nations qui se sont solidarisées avec nous dans cette guerre, ne peut accepter de transmettre aux générations futures une tâche infiniment plus rude et plus lourde que celle qui leur incombe pour achever nos adversaires actuels.

Quant à notre France, sa situation est infiniment plus nette encore. Si elle laissait se constituer et s’organiser la « plus grande Mitteleuropa » que nous voyons s’ébaucher sous nos yeux, elle tomberait tout de suite à l’état de puissance secondaire, vouée d’abord à la ruine, puis à l’asservissement.

Être ou ne pas être. Si nous voulons vivre, il faut vaincre.


Mais, peut-on répondre, si les Allemands ont acquis, au cours de la guerre, des gages territoriaux considérables, que nous ne pouvons pas laisser entre leurs mains, notre coalition de son côté détient des gages, d’autre nature il est vrai, mais dont l’importance est également vitale pour nos ennemis. Nous occupons la totalité des colonies allemandes ; nous avons la maîtrise des mers ; nous contrôlons la production d’une part très importante des matières premières indispensables à l’industrie allemande. N’est-il pas possible de procéder à un échange ?

La réponse est dans ce fait qu’atteste la lecture de tous les journaux allemands : les succès que leur a valus la trahison des Bolcheviki ont exaspéré jusqu’à la démence chez nos adversaires l’espoir d’hégémonie. Non seulement ils ne songent à rien abandonner de ce qu’ils croient tenir, mais ils visent des conquêtes nouvelles et d’importance non moindre : l’occupation de la côte flamande, l’annexion des bassins de Briey et de Longwy, la création d’une Mittelafrika allemande englobant toute l’Afrique Centrale, depuis le Cameroun et le Gabon jusqu’à la région des Grands Lacs et au Mozambique. En Allemagne, la politique de Bethmann ou de Kuhlmann, — celle des annexions déguisées et des conquêtes économiques, — a succombé devant la politique de Ludendorf, celle des annexions à outrance. Une inéluctable fatalité veut que le militarisme allemand, qui a déchaîné sur le monde le crime de cette guerre, soit acculé à la politique du tout ou rien et qu’il ne puisse, sans être balayé, abandonner aucun de ses buts de conquête. La constatation à laquelle nous ne pouvons nous soustraire est qu’après trois ans et demi de guerre, l’Allemagne, si épuisée qu’elle soit, est tout entière avec Ludendorf contre Kuhlmann.

Peut-on concevoir une paix de transaction avec les alliés de l’Allemagne ? En tout cas, il n’y a pas de transaction possible avec l’impérialisme allemand, qui exploiterait la paix comme une trêve, lui permettant de recommencer dans quelques années, avec des moyens agrandis, le coup de 1914. Réciproquement, aucune des clauses positives de la paix du droit, telle que nous la voulons, telle que nous devons l’exiger, n’a chance d’être acceptée par le peuple allemand dans sa mentalité actuelle. Or, précisément parce que le programme de paix de l’Entente est fondé sur le terrain solide des principes, il échappe aux transactions de la diplomatie, il est intangible dans ses grandes lignes. L’antinomie est complète.

Prenons comme exemple deux articles du « Programme de la paix du monde » tracé par le président Wilson : la restitution de l’Alsace-Lorraine à la France et la reconstitution de la Pologne.

Il nous est impossible de concevoir l’établissement dans le monde d’une paix fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, si cette paix laisse subsister les conséquences de la violence faite, il y a cinquante ans, aux populations alsaciennes. Nulle protestation ne fut plus vraiment unanime que la leur, nulle n’est moins sujette à discussion. Abandonner nos droits sur l’Alsace serait sacrifier les principes mêmes que nous jugeons indispensables à la garantie de la paix. Les chefs des gouvernemens alliés ont promis de nous « soutenir jusqu’à la mort [3] » dans nos revendications. Les délégués socialistes des pays alliés, réunis à Londres, sont d’accord sur ce point avec les gouvernemens.

D’autre part tous les Allemands considèrent l’Alsace-Lorraine comme une terre allemande de droit, arrachée à l’Allemagne par la violence, reconquise en 1870 ; car, malgré l’évidence des faits historiques, aucun livre d’histoire allemand n’admet une autre doctrine. Quand M. de Kuhlmann a prononcé devant le Reichstag la fameuse phrase : « Faire à la France des concessions quelconques sur l’Alsace-Lorraine ? Jamais ! » — il n’a trouvé en Allemagne, même parmi les socialistes indépendans, aucun contradicteur, La « Terre d’Empire » est pour les Allemands le « bouclier de l’Empire » contre ses ennemis (conception militaire) ; elle est aussi le fruit tangible des victoires qui ont rétabli l’unité allemande et donné à l’Allemagne quarante ans d’une prospérité sans précédent. Les protestations du peuple alsacien, qualifié de race inférieure, ne peuvent valoir contre les droits et les intérêts du germanisme. L’Alsace, après un demi-siècle de domination allemande, est restée le « pays sujet » (Unterthanenland), privé des droits politiques des États allemands et systématiquement sacrifié à leurs concurrences économiques.

Deux symboles en présence, — liberté des peuples d’un côté, droits supérieurs du germanisme de l’autre, — deux concepts inconciliables.

Serait-il davantage possible d’arriver à un accord sur la question polonaise ? L’article 13 du programme de paix du président Wilson, conforme à la « Résolution de Cracovie » des patriotes polonais, est ainsi conçu : « Un Etat polonais indépendant devra être constitué, auquel seront incorporés les territoires habités par des populations d’origine indiscutablement polonaise, et auquel devra être garanti un accès libre et sûr à la mer ; l’indépendance politique et économique, ainsi que l’intégralité territoriale, sera accordée à cet Etat par un accord international. » Les Puissances de l’Entente ne peuvent retrancher quoi que ce soit de ce programme. Elles se déshonoreraient en abandonnant à la persécution un peuple qui a donné, dans des épreuves sans précédent, des marques éclatantes de vitalité, de patriotisme et d’unité. Elles manqueraient de toute prudence si elles ne résolvaient pas définitivement un problème qui renferme la menace d’une nouvelle guerre européenne. Elles doivent, pour la même raison, exiger que le nouvel Etat polonais soit constitué dans des conditions qui le rendent viable, c’est-à-dire de telle sorte qu’il ait un débouché.

Mais il est certain qu’aucun gouvernement allemand ne consentira autrement que contraint par la force, à rétablir une Pologne véritablement indépendante ; il est certain qu’aucun Allemand ne voudrait aujourd’hui le proposer. Cela, pour des raisons d’ordre national et d’ordre sentimental qui sont manifestes, et pour une raison de sécurité qui les domine toutes : les méthodes de germanisation employées par l’Empire allemand vis-à-vis des Polonais furent telles qu’un État polonais indépendant ne peut désormais qu’être hostile à l’État allemand.

Là est le nœud du problème : le passé de l’Allemagne saisit son présent. Des populations que la force seule a soumises, que la force seule maintient sous l’oppression allemande, ne peuvent être libérées que par la force : seule, elle peut trancher la grande querelle.

Engagés dans le plus vaste conflit que le monde ait jamais vu, il n’y a pas de moyen terme pour nous entre la victoire et la défaite. Aujourd’hui, tous ceux qui croient à l’avenir des démocraties, tous ceux qui veulent vivre et mourir en hommes libres, ne peuvent avoir qu’une pensée et qu’un but : combattre jusqu’à la paix juste, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’Allemagne soit vaincue. « La démocratie, a dit à la conférence de Londres le chef du socialisme belge, commettrait une faute irréparable en mettant bas les armes, avant que l’impérialisme ait été défait. »


II

Il faut vaincre, — vaincre par la force, par les armes, car il n’existe pas d’autre victoire.

Est-il nécessaire de montrer que nous avons les moyens de vaincre, que nous vaincrons si nous le voulons ?

Cette démonstration est sans doute inutile pour ceux qui se battent. Consciens de leur supériorité individuelle sur les ennemis qu’ils ont devant eux, leur bon sens se satisfait avec la pensée que l’Allemagne ne peut avoir raison contre le monde entier. Mais à l’arrière traînent de déplorables théories que la grande presse ne combat pas suffisamment : « Les opérations militaires, dit-on, n’avancent pas ; atteindront-elles leur objet ? Depuis trois ans on se bat sur notre front dans les mêmes tranchées. Les Allemands ne perceront pas nos lignes ; nous ne percerons pas les leurs... » (Ce qui revient à dire : nous ne battrons pas les Allemands, puisqu’ils ne sont pas encore battus.) On dit encore : « Nos sacrifices ont été assez grands ; nous ne voulons plus d’offensives qui coûtent trop de vies humaines. Nous avons en main l’arme économique, l’arme morale, etc., etc. Attendons l’ennemi. S’il nous attaque, nous le repousserons. Après son échec, sa lassitude sera telle que les armes lui tomberont des mains. »

Ces théories, si elles se répandaient, seraient néfastes. Si jamais elles devaient prévaloir auprès de ceux qui nous gouvernent, elles nous prépareraient les plus douloureux réveils.

Ce serait une étrange illusion, après quatre ans de guerre, de compter sur le blocus seul pour réduire nos adversaires. L’importance du blocus est capitale, et j’y reviendrai ; mais ses effets sont lents et incertains. Attendre, laisser faire l’ennemi, n’a jamais conduit à aucun résultat. Les formes nouvelles prises par la guerre, — la prédominance de la guerre de tranchées sur la guerre de mouvement, — ne doivent pas nous cacher son essence, qui ne change pas. Le plus vieux principe de la guerre est que seule l’action, seule l’offensive mène à des résultats.

Vaincre, c’est obtenir que l’adversaire se croie vaincu, qu’il « lève les mains pour se rendre. » Il est arrivé parfois, dans l’histoire, qu’après un seul coup vigoureusement assené, l’un des partis ait renoncé à la lutte ; ce fut le cas pour l’Autriche après Sadowa. Mais ces exemples sont rares. Quand un peuple a le sentiment national développé, quand il est décidé à mettre tout en œuvre pour se défendre, une succession d’efforts a toujours été nécessaire pour user ses ressources matérielles et plus encore sa résistance morale. Après quoi, une dernière bataille (qui fut décisive parce qu’elle vint à son heure) a persuadé le vaincu de son impuissance. Les journées d’Austerlitz, de Friedland, de Wagram, ont été chacune l’aboutissement d’une série de combats ; la fin de la résistance de la capitale, en 1871, a décidé la France à se rendre. User l’adversaire, puis le battre, c’est en quoi se résume l’histoire de toutes les guerres du passé.

Cette conception est toujours vraie ; mais il est nécessaire de la mettre à l’échelle de la guerre actuelle : la grandeur des effectifs, la puissance des moyens matériels mis en œuvre ont changé en effet toutes les conditions du problème.


Du temps des armées de métier, le peuple qui s’engageait dans une guerre déléguait, pour ainsi dire, la défense de sa cause au chef qu’il avait choisi, aux troupes qu’il avait, de longue date, recrutées, instruites, armées et organisées pour ce but. Vaincre, — disait-on dans les cours de tactique, — c’est détruire les forces organisées de l’adversaire. Le génie d’un Napoléon a fixé la forme de guerre correspondant aux conditions qui étaient celles de son temps : articuler ses forces, de façon à les mouvoir rapidement et à se trouver en mesure de les réunir, pour s’assurer la supériorité numérique sur le point décisif ; viser la masse principale de l’adversaire et la détruire, ou, plus exactement, la désorganiser et la démoraliser par un grand coup ; puis exploiter la victoire par une poursuite implacable, enlever ainsi à l’adversaire toute possibilité de rassembler les réserves ou les débris qui lui restaient et de les réorganiser pour reprendre la lutte.

Dans la stratégie napoléonienne, tout l’effort de la guerre converge vers la bataille : le chef manœuvre pour engager la bataille dans les meilleures conditions, il la gagne, il l’exploite. La phase préalable de la guerre d’usure peut être réduite au minimum et la victoire gagnée presque d’un seul coup. Sur le champ de bataille même, le chiffre des effectifs mis en œuvre et la portée des armes employées il y a cent ans, permettaient au regard du chef d’embrasser tout le terrain de la lutte. On s’engageait partout ; chacun des deux adversaires s’efforçait d’infliger à l’autre le plus de pertes possible, de le forcer à dépenser ses réserves sans engager les siennes propres (phase d’usure de la bataille). Puis, le plus souvent, grâce à la manœuvre habile ou heureuse d’un des partis, grâce à une supériorité locale quelconque, une rupture d’équilibre se produisait. Une des deux armées était battue sur un point. L’ébranlement se propageait de proche en proche ; la peur, la croyance à la défaite gagnaient l’ensemble des combattans ; le parti vaincu était moralement dissous, il ne tardait pas à l’être matériellement. Le vainqueur n’avait plus qu’à le poursuivre et à l’achever.

Nous pouvons garder dans notre esprit cette image de la victoire napoléonienne ; elle nous aidera à comprendre, par comparaison, comment la grandeur des effectifs (résultant de l’application généralisée du système de la nation armée), l’accroissement de puissance et de portée des armes, l’intervention de nouveaux moyens matériels (résultant du développement de l’industrie moderne) imposent à la bataille d’aujourd’hui des conditions toutes différentes.

C’est presque, actuellement, une impossibilité matérielle d’engager dans une action offensive la totalité (ou la presque totalité) de ses forces. On ne peut donc plus se proposer de détruire en une seule bataille le gros des forces organisées de l’adversaire [4].

Les champs de bataille sont immenses et ils sont vides. Le front s’étend, non seulement parce que les effectifs engagés sont considérables, mais parce que la grande portée des armes permet à un petit nombre d’hommes de tenir sous leur feu de vastes espaces. L’ébranlement de la défaite, quand il se produit, ne se propage plus que dans un rayon restreint [5].

L’augmentation de puissance des armes, — fusil, canon et surtout mitrailleuse, — donne, beaucoup plus souvent que jadis, au commandant d’un parti, battu sur un point, la faculté de limiter, avec des réserves même inférieures en nombre, les progrès de l’adversaire.

Le développement des moyens de transport (chemins de fer, autocamions) et de liaison (télégraphe, téléphone, T. S. F., etc.,) permet d’amener des renforts à pied d’œuvre de très loin, donc avec un moral non ébranlé par le voisinage du combat.

Enfin, la totalité des ressources en hommes et en matériel des pays belligérans forme pour les armées d’opérations un réservoir de renforts, non pas inépuisable, mais long à épuiser.

Il résulte de ces considérations, non que la victoire militaire est impossible, comme certains affectent de le croire, non que la défensive l’emporte sur l’offensive, ce qui est le contraire du vrai, mais bien qu’aujourd’hui la victoire va d’un pas plus lent et qu’elle est soumise à de tout autres conditions, à de tout autres préparations que dans le passé.

Si les deux partis ne sont pas très inégaux en force, si leurs troupes sont à peu près de même valeur, le seul résultat d’une bataille sera le plus souvent d’avoir imposé à l’un des deux adversaires une diminution, une usure plus grande qu’à son vainqueur. Une victoire décisive doit être regardée comme très difficile à obtenir, même pour un parti possédant une certaine supériorité de moyens, tant que l’adversaire dispose, en arrière de son front, de réserves stratégiques importantes et tant que le moral de ses troupes reste élevé. Elle deviendra facile le jour où les réserves de l’ennemi seront épuisées et où son moral aura baissé.

L’importance de la lutte d’usure, par rapport au choc final, s’est démesurément agrandie. La victoire ne peut plus être obtenue sur un seul champ de bataille ; elle résulte d’une série d’efforts, de batailles successives. La Marne, l’Yser, Verdun, la Somme, les chocs immenses du front russe, la bataille du 16 avril 1917, la bataille des Flandres, tous les flux et reflux des trois dernières années de guerre, ne seront pour l’avenir que des phases successives de l’usure allemande, préparant la rupture d’équilibre finale.

Non seulement la lutte d’usure s’est agrandie et prolongée, comme aucun des belligérans ne l’avait prévu ; mais elle s’est étendue à des domaines nouveaux. Le perfectionnement du matériel de guerre, les exigences particulières de la guerre de tranchées, ont accru de beaucoup sur le champ de bataille l’importance du facteur-matériel, par rapport au facteur-hommes. On prodigue les munitions pour épargner les soldats. Des milliers de projectiles sont dépensés pour un simple coup de main ; les chiffres des consommations d’une grande bataille de plusieurs jours dépassent l’imagination. Par suite, le chiffre du rendement de la fabrication en munitions est devenu un facteur important des décisions du commandant en chef. Ce n’est là qu’un exemple entre bien d’autres. La lutte se prolongeant, toutes les branches des industries de guerre du pays ont dû se développer ; toutes ses ressources ont été atteintes ; tous les facteurs de sa vie sont intervenus.

A la guerre des armées a succédé la guerre des peuples. Pour abattre la volonté de son adversaire, il ne suffit plus aujourd’hui d’avoir mis ses armées en désordre sur un ou plusieurs champs de bataille ; il faut avoir usé plus ou moins complètement, par une lutte prolongée, ses ressources en hommes et en matériel, ses forces économiques et financières, ses forces morales surtout.

Les moyens de tout ordre qui contribueront à cette usure prépareront la victoire finale : le blocus, les ententes commerciales avec les pays neutres, qui restreignent les ressources alimentaires de l’adversaire et l’apport des matières premières nécessaires à son industrie ; les entraves apportées à ses exportations et à ses transactions financières, qui l’empêchent d’améliorer son crédit à l’étranger ; la propagande, qui fait comprendre aux neutres la justice de notre cause et démontre à l’adversaire l’impossibilité de nous vaincre.

Un ennemi, pour qui la fin justifie tout, dispose encore d’autres moyens. Il demande à ses gothas d’agir sur les nerfs de la population civile. « La propagande aura pour but de faire naître des mouvemens sociaux accompagnés de grèves, des explosions révolutionnaires, des mouvemens séparatistes et de guerre civile, ainsi qu’une agitation en faveur du désarmement et de la cessation de cette guerre sanglante [6]. » Prévenus par la leçon russe, nous continuerons à prendre chez nous les précautions nécessaires contre cette guerre à l’allemande.


La constatation que la guerre actuelle ne se livre pas seulement sur les champs de bataille, mais qu’elle est à la fois industrielle, économique, financière, morale, constitue un des meilleurs argumens à l’appui de notre certitude de vaincre. Il est hors de doute que, si on envisage la guerre dans son ensemble, si on compare la situation d’ensemble actuelle à celle d’août 1914, on constate, — et nous nous bornerons aux faits dûment constatés, — que nos adversaires sont considérablement plus usés que nous.

D’abord l’usure des effectifs. Nous ne pouvons pas faire en public une comparaison des effectifs allemands et des nôtres ; mais nous pouvons rappeler des faits positifs qui sont connus de tous. Chez nous, la classe 18 a été incorporée l’année dernière, mais elle est intacte ; la classe 19 va être appelée. Les armées de nos Alliés sont encore mieux partagées. Au contraire, en Allemagne, dès l’année dernière, la classe 18 figurait dans les unités combattantes et elle a subi une assez forte usure. La classe 19 (jeunes gens ayant 18 ans), incorporée en septembre dernier, a paru déjà sur notre front. La classe 20 (17 ans) est recensée. Sans la défection russe, le commandement allemand aurait dû, dès ce printemps, faire appel à ces enfans. Il n’en reste pas moins en avance sur nous d’une classe. Il a épuisé toutes ses ressources en récupérés et en hommes en sursis d’appel, toutes les disponibilités créées par l’emploi des prisonniers, par l’extension de la main-d’œuvre féminine, par la mobilisation civile ; en un mot, toutes les ressources auxiliaires qui lui avaient permis, dans les années précédentes, de combler le déficit des classes annuelles par rapport aux pertes. Cependant, d’après des renseignemens qui ont été communiqués à nos journaux, les dépôts allemands n’avaient, en décembre dernier, pour combler les vides du front, que de faibles ressources, environ 550 000 hommes. Il est certain que, si la paix russe n’était pas survenue, la baisse des effectifs allemands sur le front en 1918 aurait été rapide ; les réserves indispensables pour la bataille se seraient épuisées progressivement.

Des prélèvemens sur les divisions du front oriental, la rentrée d’une partie des prisonniers internés en Russie ont rétabli l’équilibre [7]. Mais cet équilibre ne peut être que momentané. Que la bataille use les effectifs allemands sur notre front, leur baisse reprendra et s’accélérera bientôt, tandis que, par suite des apports américains, nos propres effectifs augmenteront constamment.

Nous avons la supériorité en matériel et en munitions. Nous l’avons constaté en 1917 sur tous les champs de bataille, sans que le front russe absorbât certes de grosses disponibilités de l’ennemi. La balance ne cessera de s’améliorer, car la puissance industrielle de l’Allemagne et de ses alliés ne peut être comparée à celle de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de la France réunis. Les ressources du monde entier sont à notre disposition, tandis que l’industrie allemande souffre d’un manque croissant de certaines matières premières. Au cours de cet hiver, la fabrication des usines de guerre a été entravée ; l’insuffisance de l’extraction du charbon, le manque de wagons sur les chemins de fer ont occasionné de sérieuses difficultés [8]. Dans cette guerre de matériel, l’avantage final ne peut pas ne pas rester à notre coalition.

On ne peut davantage contester que l’usure de nos adversaires, au point de vue des ressources alimentaires, ne soit extrêmement supérieure à la nôtre [9]. Aux personnes qui, dans les pays alliés, se lamentent de quelques restrictions, demandons de méditer les chiffres officiels de la ration hebdomadaire en Allemagne : 1 950 grammes de pain, 252 grammes de viande, 7 livres de pommes de terre (au lieu de 10 livres en 1917), 62 grammes de graisse (au lieu de 90 grammes en 1917). Encore savons-nous que souvent, dans la pratique, les distributions n’atteignent pas ces chiffres.

L’Allemagne trouvera-t-elle en Ukraine les denrées qui lui manquent pour rétablir une situation normale ? Des voix autorisées, en Allemagne même, ont répondu négativement. La Russie, épuisée par la guerre, ne possède plus en céréales et en bétail que des réserves de faible importance ; il n’est pas certain que la récolte à prévoir pour cette année suffise aux besoins du pays. Même en admettant l’existence de réserves, il faudrait, pour décider les paysans à les vendre, leur apporter en échange les produits manufacturés dont ils ont un urgent besoin, et que l’industrie allemande, absorbée par les fabrications de guerre, a cessé de fabriquer pour l’exportation [10]. Les transports russes sont à réorganiser. Contentons-nous de penser que la paix avec l’Ukraine ne peut avoir, pour la solution des difficultés alimentaires de l’Allemagne, une signification immédiate. Constatons également qu’à tous les points de vue, les alliés de l’Allemagne paraissent beaucoup plus usés qu’elle.

Tous les facteurs d’usure que je viens d’énumérer réagissent directement sur l’issue de la guerre. La baisse des effectifs des dépôts facilitera un jour l’épuisement des réserves stratégiques ; les difficultés de l’industrie entravent le ravitaillement en matériel et en munitions ; l’insuffisance de l’alimentation réagit sur la santé publique et a déjà causé une diminution de la ration sur le front. Indirectement les mêmes facteurs agissent sur le moral du pays, dont dépend le plus ou moins de durée de la guerre.

Quel est le degré d’usure morale de l’Allemagne ? Il est incontestable que les événemens de Russie ont merveilleusement servi le parti militaire et donné au peuple allemand un nouvel élan de confiance en ses gouvernans, en ses chefs militaires surtout. Comme je l’ai dit, l’opinion allemande est repartie à la conquête du monde. Mais la situation est sans issue. Le contraste est trop grand entre la mégalomanie de la politique allemande et la fragilité des moyens sur lesquels elle s’appuie. Nous entrons dans la phase décisive de la guerre. Qu’un échec militaire survienne, et une crise morale peut se produire : « La cause profonde et essentielle de la difficulté de la paix, disait le Vorwærts en décembre dernier, se trouve dans nos succès militaires. La victoire ne peut nous donner la paix, parce que la supériorité politique, économique et géographique des autres est trop grande, et nous ne pouvons vouloir, par instinct de conservation, le seul moyen qui, aux yeux de nos adversaires, pourrait nous procurer la paix, la défaite. »


Quoi qu’il en soit, l’effort qui nous reste à accomplir est considérable. Aujourd’hui, comme par le passé, le facteur purement militaire, le combat, continuera de jouer dans la guerre un rôle absolument prépondérant. C’est parce que le peuple allemand voit sur toutes les frontières ses armées installées en pays ennemi que son gouvernement a pu lui demander depuis trois ans et demi des efforts et des privations sans précédent. Quand l’Allemagne se croira vaincue, la valeur des gages territoriaux qu’elle détient n’aura plus qu’une faible importance. Mais, pour que l’Allemagne se croie vaincue, pour que le peuple allemand lève les mains, il est nécessaire qu’il ait perdu confiance dans son armée, il est nécessaire qu’il n’ait plus assez de réserves intactes en hommes, en canons et en munitions pour alimenter ou pour reprendre la lutte. Ce n’est que par le combat, — par une série de combats successifs, — que nous userons les ressources en hommes, en matériel et en munitions de l’Allemagne. Puis, lorsque notre supériorité en hommes, en matériel et en munitions se sera définitivement affirmée, ce n’est que par le combat que nous désorganiserons un jour l’armée allemande et que nous la contraindrons à la retraite. La victoire militaire ne cesserait de nous être indispensable que si, en Allemagne, l’arrière cessait de tenir ; rien ne nous autorise à nous guider d’après une hypothèse aussi favorable à nos intérêts.

Sous quelle forme peut-on concevoir ces batailles d’usure indispensables, puis ce choc final ?

Depuis que la Russie a été mise hors de combat, la guerre se poursuit sur un seul front de bataille, de la mer du Nord à l’Adriatique. Sur toute l’étendue de ce front, chacun des deux partis oppose à l’ennemi, non pas une ligne de tranchées, mais plusieurs lignes continues s’échelonnant en profondeur, défendues par tous les engins modernes, couvertes par les feux d’une formidable artillerie.

Une seule solution de continuité existe : c’est celle qu’ouvre le territoire suisse, il est indubitable que l’Entente ne violera pas la neutralité suisse ; tous les précédens, tous les principes qui nous ont toujours guidés, en font foi. Nos adversaires, qui ont déjà violé la neutralité belge, n’ont pas les mêmes raisons de s’abstenir. L’hypothèse ne doit pas être négligée ; il est évident qu’elle n’a pas échappé à notre Commandement.

En dehors du front principal, deux théâtres d’opérations secondaires sont ouverts : le front de Salonique et la Palestine. Il nous est impossible de les négliger ; il peut s’y passer des opérations importantes ; il ne semble pas cependant que ces opérations puissent avoir des conséquences décisives pour la suite de la guerre.

Suivant toutes les probabilités, suivant toutes les vraisemblances, le sort de la guerre mondiale se jouera sur le front occidental, dans des batailles de tranchées. Nous ne pouvons plus actuellement songer à chercher un terrain libre, pour y reprendre la guerre de mouvement. La tranchée et le fil de fer sont partout. Les positions adverses n’offrent pas d’aile que nous puissions manœuvrer, suivant la tactique de Napoléon ou celle de Moltke. La forme de la bataille, des batailles prochaines, nous est imposée ; ce seront des actions de front, des coups de force contre une ligne fortifiée adverse.

Ici se dressent en face de nous les stratèges en chambre, qui proscrivent toute offensive contre un front fortifié, comme meurtrière et sans résultat. D’après eux, nous n’aurions plus, au point de vue militaire, qu’à attendre l’ennemi. Cette théorie peut donner lieu à de faciles développemens, elle ne résiste pas à l’examen. C’est le but qu’il faut envisager d’abord. Nous n’avons pas voulu la guerre, mais nous voulons la victoire : ce n’est pas la défensive, la passivité, qui nous la donnera.

De quoi s’agit-il en ce moment ? D’user l’adversaire. Nous sommes convaincus que c’est, par des actions offensives que nous aurons le plus de chances de lui infliger une usure supérieure à la nôtre. Car il est faux de prétendre que, dans la guerre de tranchées actuelle, l’assaillant subisse plus de pertes que le défenseur ; c’est l’inverse qui est vrai dans la plupart des cas.

Depuis que la guerre de tranchées s’est installée sur notre front, une évolution s’y est produite ; des transformations successives se sont opérées qui rappellent la lutte classique de la cuirasse et du canon dans les constructions navales. Suivant les phases de cette lutte, l’équilibre était rompu tantôt en faveur de la défense, tantôt en faveur de l’attaque ; il semble que définitivement celle-ci ait pris le dessus.

Au début de la guerre, de simples réseaux en fil de fer barbelé opposaient aux attaques d’infanterie un obstacle qui parut un instant insurmontable. Les vagues d’assaut, arrêtées par ce mince obstacle sous le feu efficace des fusils et des mitrailleuses de la défense, subissaient des pertes telles que les meilleures troupes étaient clouées au sol. On ne tarda pas à découvrir que notre canon de 75, méthodiquement employé, ouvrait à coup sûr des brèches dans les réseaux. La photographie aérienne vint à son aide en lui fixant avec précision les buts à battre. Puis intervinrent les canons de tranchée ; imaginés pour suppléer à notre insuffisance en artillerie lourde courte, ils se révélèrent, dans la préparation des attaques, le meilleur outil de destruction des premières lignes ennemies ; tranchées et réseaux barbelés furent déblayés par les mêmes tirs. Aujourd’hui les réseaux de fil de fer sont restés pour nos lignes une protection indispensable contre les surprises ; mais on peut dire qu’ils ne sont plus un obstacle à une attaque montée, car, avant que les vagues d’assaut n’abordent les lignes adverses, leurs fils de fer ont été détruits ou présentent des brèches suffisantes.

Contre le réseau des tranchées et les organes multiples de défense qu’il abrite, chacune des grandes actions de la guerre a vu augmenter la puissance des moyens d’artillerie employés à la préparation et à l’appui des attaques. Le nombre des pièces, leur rapidité de tir, leur calibre, l’efficacité de leurs projectiles s’accroissaient parallèlement. Pour échapper à cet ouragan d’explosions, qui nivelle les obstacles et laboure le sol de ses entonnoirs jointifs, le défenseur multipliait les abris profondément enterrés, ou recouverts d’une épaisse carapace en béton. Sur certains points de notre front, les Allemands avaient creusé des tunnels étendus, à entrées multiples, qui formaient une véritable forteresse souterraine correspondant à leurs tranchées de surface. En dernière analyse, la violence des « pilonnages » d’artillerie, l’habileté manœuvrière de l’attaque ont toujours pris le dessus. Souvent les vastes abris créés par le défenseur nous ont valu la capture de nombreux prisonniers.

Les lignes de défense se sont multipliées et échelonnées en profondeur, pour forcer le canon ennemi à disperser son effort ; même le défenseur est sorti de sa tranchée pour occuper et organiser sommairement les entonnoirs creusés par les projectiles de gros calibre ennemis. Contre cette nouvelle méthode de défense l’artillerie a trouvé des procédés d’attaque nouveaux. A la préparation devenue insuffisante elle a suppléé par un accroissement de violence des tirs d’accompagnement qui précèdent et couvrent les vagues d’assaut, des tirs d’interdiction et d’encagement qui isolent les défenseurs de l’arrière, leur interdisent d’être renforcés ou ravitaillés et barrent le chemin aux contre-attaques.

En fin de compte, aujourd’hui comme au début de la guerre de tranchées, le plus redoutable obstacle à la progression d’une attaque est la présence de quelques braves, de quelques hommes d’élite qui, à la dernière minute, lorsque le barrage d’artillerie a passé au-dessus de leurs têtes, sortent d’un trou avec une mitrailleuse et la mettent en action derrière le moindre abri du terrain, — revanche remarquable de la valeur individuelle contre le déchaînement de la matière. Mais pour réduire ces résistances isolées, l’infanterie dispose de moyens propres plus puissans que par le passé (grenades à fusil, canons d’accompagnement), et un nouvel engin, le tank, va droit au nid de résistance pour l’écraser.

En résumé et pour ne point trop nous étendre, les moyens offensifs de la guerre ont repris le dessus sur les moyens défensifs.

C’est l’expérience qui nous dicte cette conclusion. Chaque fois que nous nous sommes assuré pour la bataille une supériorité de moyens matériels suffisante, chaque fois que nous avons proportionné les moyens au but, nous avons pu conquérir, avec peu de pertes, des positions ennemies même fortement organisées.

Dans la guerre de tranchées, les batailles défensives coûtent plus cher que les batailles offensives. Il a été prouvé que, dans la bataille de Champagne (septembre-octobre 1915), où cependant notre attaque ne put franchir les deuxièmes lignes allemandes, les pertes ennemies furent très supérieures aux nôtres. De même, dans la bataille de la Somme, nous avons usé aux Allemands plus de divisions que nous n’en avons nous-mêmes engagé [11]. Le phénomène est général ; il résulte du rôle prépondérant que joue, dans la bataille actuelle, la supériorité en matériel et surtout en artillerie. L’assaillant a toujours, plus ou moins complètement, l’avantage de la surprise ; il a choisi son point d’attaque, en vue de l’emploi efficace du matériel dont il dispose ; il y a accumulé ses moyens. Nécessairement, pendant les premiers jours de l’action tout au moins, il a sur le défenseur une supériorité marquée en matériel et en munitions.

Aussi, quand la préparation d’artillerie est bien faite, quand l’infanterie d’assaut s’avance, précédée d’un barrage d’artillerie suffisamment dense, constate-t-on régulièrement que les pertes pendant l’attaque même sont très faibles. C’est seulement après l’attaque, lorsque l’infanterie qui s’installe sur les positions conquises est encore sans abris, que se produisent presque toujours les réactions d’artillerie les plus dangereuses. Si les troupes d’assaut ont pénétré jusqu’à l’artillerie adverse et s’en sont emparées, — comme ce fut le cas, par exemple, à la bataille de la Malmaison, le 23 octobre dernier, les pertes sont réduites au minimum.

Dans la guerre de tranchées, on attaque à coups de canon, on se défend à coups d’hommes. ; car le défenseur est forcé d’engager ses réserves pour boucher les trous ouverts dans ses lignes et pour compenser son infériorité en artillerie. Vouloir proscrire l’offensive pour épargner les vies humaines, c’est aller directement à l’encontre de son but [12]. Nous et nos Alliés nous sommes forcés d’agir. Agir, non seulement pour user l’ennemi, mais pour lui enlever sa liberté d’action. A la guerre, l’initiative de l’attaque a des avantages incontestables, et la défensive comporte toujours des risques, en laissant la porte ouverte à des surprises.

Quelle forme prendront ces actions d’usure prochaines sur des fronts fortifiés ? Nous n’en savons rien ; les procédés de la guerre varient autant que les circonstances. Les batailles livrées depuis trois ans sur le front franco-anglais nous offrent des exemples très divers de lutte d’usure efficace. Nos chefs sauront exploiter les formules anciennes ou trouver des formules nouvelles, pour poursuivre la tâche commencée en épargnant le plus possible les vies humaines. Ce qui serait absurde, ce qui est criminel, c’est de prétendre que nous avons échoué, parce que jusqu’ici nous n’avons pas renversé la barricade. L’ennemi lui-même nous a démontré l’efficacité de notre action en s’y dérobant, à deux reprises, par des replis ; non, comme il l’a prétendu, pour préparer une reprise de l’offensive, mais simplement pour éviter de se laisser user.


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Mais ne renverserons-nous jamais la barricade ? Et, s’il est vrai que l’offensive a, sur la défensive, de tels avantages, ne devons-nous pas répondre à deux autres questions ? Pourquoi n’avons-nous pas encore réussi à percer le front allemand ? — Puis : N’est-il pas à craindre que les Allemands percent le nôtre ?

Il y a eu, pendant cette guerre, des « percées » réalisées sur d’autres fronts que le front français. Comment a été réalisée cette opération ?

Elle comprend deux phases : d’abord une action de vive force, un assaut, dont l’objectif est de s’emparer des organisations fortifiées ennemies sur toute leur profondeur et sur un front aussi étendu que possible pour y ouvrir une brèche. Cette rupture doit être obtenue d’un seul coup ; tout au moins, les attaques doivent-elles se succéder très rapidement et aboutir avant que le défenseur ne puisse être secouru. On bat ses réserves locales, on enlève ses batteries. Puis commence la deuxième phase de l’opération : l’exploitation. Elle consiste à développer la brèche obtenue, à la fois en avant et sur les flancs, par des opérations qui se rapprochent de plus en plus des manœuvres de la guerre de mouvement.

Deux fois au moins, au cours de cette guerre, nos ennemis ont réussi à percer des fronts fortifiés ; chaque fois, les résultats obtenus ont été considérables. En 1915, en Galicie, l’effort des armées de Mackensen à Gorlice entraîna de proche en proche la retraite des armées russes hors de Pologne. En novembre dernier, la poussée des divisions allemandes de von Below à Caporetto détermina la retraite des armées italiennes jusqu’à la Piave ; une grande partie de leur matériel, un chiffre élevé de prisonniers restèrent entre les mains de l’ennemi. La percée, quand elle réussit, est une opération très rémunératrice.

On sait, sans que j’aie besoin d’y insister, que les opérations que je viens de citer ont été réalisées dans des conditions très différentes des conditions actuelles du front français. Jamais la percée n’a pu réussir sur notre front. Est-ce à dire qu’elle y sera toujours impossible ?

Actuellement notre front est assez fort et assez fortement défendu, pour que nous n’ayons pas à craindre une aventure analogue à celle qui s’est produite, en novembre dernier, sur le Tagliamento. Mais il est important de nous rendre compte du pourquoi. En premier lieu, cela nous empêchera de perdre la tête, au cas où notre ligne serait écornée sur un point. Ensuite, c’est le moyen de nous convaincre qu’un jour, dans d’autres conditions, la percée pourra devenir réalisable et même s’offrir, s’imposer à nous comme la meilleure forme de l’action.

Des deux actes que comporte la percée, le combat de rupture et l’exploitation, constatons que le premier, la rupture, n’est nullement irréalisable. La meilleure preuve est que cette rupture a déjà été réalisée plusieurs fois. Pour me borner aux exemples les plus récens, le 23 octobre dernier la 6e armée a pénétré profondément dans les lignes allemandes, sur un front de huit kilomètres, entre Laffaux et Pargny-Filain, après une préparation d’artillerie de plusieurs jours ; donc sans qu’il y ait eu, à proprement parler, surprise tactique. Un exemple d’un caractère tout différent nous est fourni par l’attaque anglaise du 20 novembre en direction de Marcoing : rupture des organisations fortifiées ennemies sur un front de 14 kilomètres, réalisée par surprise, sans préparation d’artillerie et à l’aide de tanks. Dans ces deux exemples, les positions fortifiées de l’ennemi étaient franchies, ses réserves locales étaient battues, un grand nombre de ses batteries étaient prises. Il semble incontestable que la ligne allemande était percée. Elle peut donc l’être encore.

Il est prudent de se placer dans l’hypothèse où nos lignes seraient percées également. Cet accident (que nous espérons bien ne pas devoir se produire) serait désagréable pour les nerfs du pays. Nous n’aurions pas sujet néanmoins d’en concevoir des craintes sérieuses. Car ce qu’aucun des deux partis n’a encore réalisé sur notre théâtre occidental, c’est l’exploitation d’une rupture du front, l’élargissement de la brèche obtenue par une série d’opérations de mouvement analogues à la poursuite de Gorlice ou à celle de Caporetto. Pour en trouver les motifs, il suffit de se reporter à ce que nous avons dit plus haut, en comparant à la bataille napoléonienne les batailles de la guerre de tranchées d’aujourd’hui. Réserve faite de hasards de guerre qu’il est impossible de prévoir tous, on doit affirmer que, sur un front défensif outillé comme le nôtre, l’exploitation à outrance d’un succès local se présente pour l’assaillant comme une tâche extrêmement difficile, pratiquement impossible à remplir, tant que le défenseur dispose de réserves suffisantes et que ses troupes gardent un moral élevé.

Nous pouvons donc nous reposer avec confiance sur la valeur de nos soldats et de leurs chefs, au cas où l’ennemi, réalisant le grand projet qu’il a fait annoncer, s’efforcerait par une poussée à fond de s’ouvrir un passage à travers nos lignes. Après les premiers succès que lui vaudraient peut-être la surprise et la concentration de ses moyens d’attaque, sa progression ne tarderait pas à être définitivement arrêtée [13].

Nous ne pouvons pas non plus songer à enfoncer actuellement le front allemand qui nous fait face. Mais si, pour une raison quelconque, il s’offrait à nous en un point du front de guerre une zone de moindre résistance, les conditions de la percée pourraient se présenter toutes différentes. Nous devons envisager et étudier la possibilité d’opérations dont notre adversaire nous a donné l’exemple et qui lui ont valu d’importans succès.

C’est aussi sans doute sous la forme de percée qu’il faut prévoir le choc final, le jour où, notre supériorité s’étant affirmée, nos ennemis étant matériellement et moralement diminués, ce choc apparaîtrait néanmoins comme nécessaire pour cueillir le fruit d’une longue série d’efforts, et imposer à l’Allemagne notre volonté et notre paix.


Concluons. Il faut vaincre. Seule, la victoire militaire peut faire justice de cette guerre et donner au monde la seule paix qui soit durable : la paix du droit.

Cette victoire militaire, nous avons en mains les moyens de l’obtenir ; nous l’obtiendrons. Elle serait proche de nous, si la trahison du gouvernement maximaliste russe et la paix séparée qui s’en est suivie n’avaient arrêté la puissance militaire allemande sur la pente qu’elle commençait à descendre. L’effort américain a remplacé l’effort russe. L’ensemble des moyens dont nous disposons est supérieur à l’ensemble des moyens de nos adversaires ; leur usure est supérieure à la nôtre ; l’écart ne fera qu’augmenter.

Mais l’effort militaire américain n’est pas encore actuellement en mesure de se produire et la guerre continue. Tenir ne suffit pas ; il faut agir. L’offensive est nécessaire pour user l’ennemi, en attendant qu’elle nous permette de le battre. Elle serait encore nécessaire, s’il prend l’initiative de l’attaque, comme étant la meilleure riposte à lui opposer.

Cela ne veut pas dire, bien entendu, qu’il faille attaquer sans réserve ni restriction, qu’il faille attaquer toujours et partout. La défensive, dans une guerre, a son heure ; mais elle est toujours provisoire ; elle n’est que la préparation de l’offensive. Seule la défensive sans restriction est à condamner absolument. C’est parce que nous avons entendu circuler à cet égard dans le public des théories redoutables, qu’il nous a paru utile de rappeler des faits qui devraient être connus de tous, des principes qui sont toujours vrais ; c’est le seul but des lignes qui précèdent. A ceux qui l’ignorent, à ceux qui le nient, nous sommes venu affirmer, répéter bien haut qu’il faut faire la guerre de la seule façon qui mène à gagner la guerre.

Nous avons toute confiance que notre Commandement, qui sait, qui voit, qui seul possède tous les élémens du problème, attaquera à l’heure et à l’endroit voulus. Il prendra des décisions que nous ne songeons pas à-discuter à l’avance, qu’il vaudrait infiniment mieux ne pas discuter, dans la presse ou ailleurs. Tout ce que nous savons, c’est qu’il ne restera pas inactif.

Quand je dis : le Commandement, je devrais dire plutôt : le Gouvernement. Il faudra faire la guerre jusqu’au bout et sur tous les terrains. Dans une guerre des peuples, la conduite des opérations militaires et la conduite de toutes les affaires sont intimement mêlées, la stratégie suit la politique. Mais il n’y a qu’une politique : vaincre.


  1. «... Nos ennemis parlent d’affranchir le peuple allemand de la tyrannie de ses autorités. Nous ne pouvons qu’en rire. Le mal vient de l’extrême docilité de beaucoup d’Allemands, qui ont à l’égard des autorités une attitude apathique et n’ont aucun désir d’avoir une responsabilité personnelle dans les affaires du pays... » (Discours prononcé le 14 décembre 1917 par le prince Max de Bade à l’ouverture de la session de la Chambre des seigneurs badoise.) Les rares esprits libéraux qui existent en Allemagne pensent sur ce point comme le prince Max de Bade.
  2. « … L’État national allemand n’a pas seulement été adoré. Il a été divinisé… Cette identification de l’État avec le Royaume de Dieu a pour conséquence naturelle que l’augmentation de puissance de l’État apparaît comme le but le plus élevé de l’activité humaine… Après les immenses succès de 1870, en présence d’une force et d’un éclat tels que la nation allemande ne les avait pas vus depuis des siècles, ce culte de l’État est devenu la religion, non seulement des militaires et des fonctionnaires, mais de la plus grande partie des intellectuels, notamment des historiens et des hommes politiques… » — Extrait d’une brochure, parue en 1917, de Frédéric Curtius, conseiller d’État allemand et président de Consistoire, citée par le Journal de Genève du 12 janvier 1918.
  3. Discours prononcé par M. Lloyd George devant les délégués des Trade-Unions, le 5 janvier dernier.
  4. La prolongation de la bataille impose, il est vrai, la nécessité de relever les divisions engagées en première ligne, donc d’engager successivement ses réserves. Mais les divisions relevées vont se reconstituer à l’arrière avec les ressources des dépôts, de sorte qu’en définitive chacun des partis garde d’importantes disponibilités.
  5. Sous réserve que les troupes ont un moral suffisamment élevé. L’histoire nous apprend aussi que même dans de bonnes troupes, des paniques ne sont pas impossibles. Mais, quand on se bat à distance, elles sont évidemment beaucoup plus rares et plus difficiles à exploiter.
  6. Circulaire du 23 février 1915 du directeur de la Presse au ministère des Affaires étrangères allemaad aux Ambassadeurs, ministres et consuls des pays Neutres.
  7. La situation paraît trop instable en Russie pour que les Allemands puissent, de longtemps, rappeler sur notre front la totalité de leurs forces.
  8. Il y a crise grave sur les laines, sur les cotons, sur les lubrifians indispensables à toute industrie.
  9. Il est certain qu’au début de la guerre beaucoup de gens en France, et des plus autorisés, avajent fondé sur le Blocus des espoirs exagérés. Mais aujourd’hui les cris de détresse qui viennent d’Allemagne ne sont pas niables.
  10. D’après un article de Hans Vorst, dans le Berliner Tageblatt du 16 février.
  11. D’après des communiqués du G. Q. G.
  12. Qu’on demande à ceux qui se battent ce qu’ils préfèrent : marcher à l’assaut dans les conditions où sont préparées les attaques d’aujourd’hui, ou tenir sous certains bombardemens.
  13. Nous faisons remarquer que ces lignes ont été écrites avant le déclenchement de l’offensive allemande. (N. D. L. R.)