Valentines et autres vers/Jaloux

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Valentines et autres vers, Texte établi par Ernest DelahayeAlbert Messein (p. 90-92).
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JALOUX


En été dans ta chambre claire,
Vers le temps des premiers aveux,
(Ce jeu-là paraissait Te plaire)
On ouvrait parfois Baudelaire,
Avec ton épingle à cheveux,

Comme un croyant ouvre sa Bible,
En s’imaginant que le Ciel,
Dans un verset doux ou terrible,
Va parler à son cœur sensible,
Quelque peu superficiel ;

D’avance on désignait la page
À droite ou bien à gauche, et puis,
Par un chiffre le vers, ce mage
Qui devrait être ton image,
Ou me dire ce que je suis.


Nous prenions du goût à la chose.
Donc on tirait chacun pour soi
Un vers, au hasard, noir ou rose,
Dans ce beau Poète morose.
Nous commencions, d’abord à Toi,

Attention ! Dans ta ruelle
Tu mettrais l’univers entier.
Vous riez ! bon pour Vous, cruelle !
Car ce vers Vous flatte de l’aile,
Et c’est un compliment altier !

Un compliment comme en sait faire
Un homme sagace en amour,
Et qui fleure en sa grâce fière,
Sous le style de La Bruyère,
Son joli poète de Cour ;

Un compliment qui sent sa fraise,
Son talon rouge, et qui, vainqueur,
Allumant ses pudeurs de braise,
Eût faire rire Sainte-Thérèse,
Chatouillée… au fond de son cœur.

Qu’il est bon ! oui !… mais moi… je gronde !
Y songez-Vous, avec ce vers,
Quelle figure fais-je au monde,
Dans cette ruelle profonde,
Au milieu de cet Univers !


Ah ! fi !… Pardonnez-moi… Madame…
Oui, je m’oublie !… oui, je sais bien…
Toute jalousie est infâme…
C’est un peu de vertige à l’âme,
Ça va se passer… ce n’est rien…

Ah ! tant mieux ! je vous vois sourire.
Continuons ce jeu si doux ;
Mais avant, je dois Vous le dire,
Afin d’éviter un mal pire,
Si jamais je deviens jaloux,

Rejetez-moi, moi G, moi N,
Moi, vilain « monstre rabougri »,
Rejetez-moi dans ma Géhenne ;
Le jaloux n’est plus, dans sa haine,
Rien… qu’un billet d’amour… aigri.