Van Dyck (Fierens-Gevaert)/01

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Henri Laurens, éditeur (Les Grands Artistes) (p. 5-7).

I


On considère habituellement Antoine Van Dyck comme un peintre peu flamand. La grâce raffinée de sa personne, de ses manières, de ses modèles, le cosmopolitisme de son existence, et même la fluide souplesse de sa technique affaiblissent le caractère de son art aux yeux de ses critiques, de ses historiographes et de bon nombre de ses compatriotes. De ce que son génie se pare d’une fantaisie parfois ondoyante, de ce que sa physionomie morale est en apparence très différente de celle des grands Anversois du XVIIe siècle, de ce qu’il vit loin de sa patrie pendant le dernier quart de son existence et n’est point fidèle à la « manière flamande », on en conclut qu’il est comme une fleur très rare et très pure arrachée du sol natal, et qui ne s’est épanouie qu’imparfaitement à l’étranger…

Combien injuste est cette condamnation ! Van Dyck possède des vertus autochtones, locales. S’il en a conquis d’autres par le commerce avec les maîtres italiens, y pouvons-nous voir un amoindrissement de son art ? La force d’assimilation du grand portraitiste fut un inappréciable facteur dans l’histoire de la peinture. Instinctive et plus flamande qu’on ne croit, développée, affinée au cours des voyages, cette élégance infinie de Van Dyck que l’on admire comme une manifestation exceptionnelle — mais que des esprits étroits jugent dédaigneusement au nom de je ne sais quel protectionnisme esthétique — devient un exemple, une ressource, un idéal pour tous les peintres qui suivront. Supposez le XVIIe siècle privé de Van Dyck. Peut-être l’admirable école des portraitistes français du XVIIIe siècle aurait-elle rayonné d’un éclat moins vif et surtout moins soudain. Supposez maintenant que l’artiste ait passé les dix dernières années de sa vie à Anvers au lieu de porter son art aristocratique et subtil à Londres. Nous n’aurions certainement pas connu de peinture anglaise. Nous n’aurions admiré ni les œuvres de Gainsborough, de Lawrence, ni celles de l’illustre Reynolds qui, dans un élan d’enthousiasme filial, écrivait : « Van Dyck est le plus grand peintre de portraits qui ait jamais existé. »

Tandis que Rubens et son cortège brillant de collaborateurs font, à Anvers même, resplendir la gloire de la peinture flamande, Van Dyck est le missionnaire éloquent que le destin choisit pour assurer au dehors l’avenir de l’art. Le tumulte triomphal de la peinture flamande du XVIIe siècle étouffe la voix de bien des artistes. Que d’individualités effacées ou fondues dans le soleil de Rubens ! La réserve et la séduction de Van Dyck sont une leçon que l’on suit avec plus d’aisance et souvent même avec plus de profit. L’originalité dû peintre de Charles Ier dégénère parfois en une délicatesse exagérée ; mais son influence est indéniable. L’art de Van Dyck, détaché comme une branche splendide du tronc originaire, s’est ramifié en tous sens ; dans la peinture européenne et a déterminé une expression nouvelle de l’idéal plastique.

J’essayerai de montrer, par la biographie du maître, par quelques indications sur sa technique et ses œuvres capitales, par un bref tableau de son temps et de l’art au commencement du XVIIe siècle, comment cette formule, ou mieux ce style, dont nous trouverons les sources en Italie, s’est développé et affirmé dans la peinture à la faveur de l’esprit flamand et par l’intermédiaire de Van Dyck.