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Veronica Silvestris/Sous les chênes

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Veronica Silvestris
Revue des Deux Mondes (p. 743-744).


I. — SOUS LES CHÊNES.


Véroniques des bois, vous qui savez guérir,
Salut ! — Je ne viens pas vous cueillir sous le chêne,
Ni chercher dans vos fleurs un remède à ma peine ;
Le. mal dont j’ai souffert, j’en veux toujours souffrir.

Même dans ses excès ma peine a ses délices.
Et je renferme en moi mes sanglots défendus,
Comme vous enfermez au fond de vos calices
Les pleurs que la rosée à l’aube a répandus.

Qui voudrait te guérir, immortelle douleur ?
Tu fais la trame même et le fond de la vie.
S’il se mêle aux jours noirs quelques jours de bonheur,
Comme des grains épars, c’est ton fil qui les lie…

Vous ne l’ignorez pas, véroniques des bois !
Bien des fois vous avez contemplé sous les traînes
Le cortège navrant des tristesses humaines,
Et ses pleurs ont baigné vos épis bien des fois.

Près du hêtre croulant au choc de la cognée.
Vous avez vu tomber le bûcheron meurtri ;
Vous avez vu marcher la pauvresse inclinée
Sous le fagot trop lourd pour son corps amaigri ;

Dans l’agreste chemin qui mène au cimetière.
Vous avez vu passer le convoi de l’enfant
Qui jouait, hier encor, rose et l’œil triomphant,
Et qui gît, froid cadavre, en son étroite bière ;


Et la mère à son tour, vous la verrez venir,
— Pauvre âme ! — en vos sentiers, tremblante et l’œil aride.
Se demandant pourquoi les champs peuvent fleurir
Quand son cher bien-aimé dort sous le sable humide.

Les petits, les souffrans, vous les avez vus tous…
Oui, vous les connaissez, les épreuves humaines !
Et c’est pourquoi je viens à vous, sœurs des verveines,
Véroniques aux yeux sympathiques et doux !

Je viens, près de la source où boit la tourterelle,
Vous parler de mes morts et des mondes meilleurs.
Et des joyeux printemps d’autrefois, et de celle
Dont le regard est clair et frais comme vos fleurs.

Véroniques, salut ! — Sans remède est ma peine.
Et vos calices bleus ne sauraient la guérir ;
Le mal dont j’ai souffert, j’en veux toujours souffrir.
Car ce mal, c’est l’amour, véroniques du chêne.