Vers, 1892/Toc

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VersTypographie J. Goude-Dumesnil (p. 4-6).


TOC


À MM. Adrien Planté
et Charles de Bordeu.


I


Sur la mousse et la violette,
La bergère, s’en va seulette.
 
Toc, toc, toc. Ce sont les piverts
Qui cognent les grands chênes verts.
 
Avec sa quenouille légère,
S’en va la légère bergère.
 
Toc, toc, toc. C’est un cavalier
Le long des ronces d’un hallier.
 
Il suit un chevreuil qui s’effare :
Des cors cornent une fanfare.
 
La bergère se cache, oiseau,
Dans les joncs fleuris du ruisseau.
 
Toc, toc, toc. C’est beau sur les pierres,
Le cresson, la mousse et les lierres.
 
La chasse entière disparait
À l’horizon de la forêt.

II


Toc, toc-toc, toc : Je vous apporte
Du lin ; grand’mère, ouvrez la porte ?

c’est la bergère du ruisseau
Avec sa quenouille en roseau.

Sur le vieux perron qui s’effrite
La mère-grand paraît bien vite.

Elle dit : Comme t’as couru
Ô petiote ! le long du ru.

Toc, toc, toc. C’est le rouet rauque
Achevant sa chanson baroque.

Tout à-coup, par enchantement,
Disparaît la bonne maman.

La bergère voit à sa place
Le beau cavalier de la chasse.

Elle est rose et dans l’embarras,
Mais lui la prend vite entre ses bras.

La quenouille blanche et légère,
Tombe aux pieds nus de la bergère.

Toc, toc, toc. C’est son petit cœur
Sur le pourpoint de son vainqueur.

Il l’aima bien deux cents journées
Jusqu’au temps des feuilles fanées.

III


Dans le grand bois où les bouvreuils
Sifflent les souples écureuils,

Elle trépassa, la bergère,
En accouchant sur la fougère.

On cloua la bière en tilleul
— Toc — de la bergère en linceul.

Et ce fut un beau gars que Pierre,
Fils de la légère bergère.

Il fut solide comme un roc,
Poète et légèrement toc.


1891.

Francis JAMMES.


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