Vers authentiques de la reine Marie Stuart
VERS AUTHENTIQUES
DE LA
REINE MARIE STUART
NOUVELLEMENT DÉCOUVERT
par
M. J. MALINOWSKI ⸙
Licencié ès-sciences, ancien Professeur de l’université,
membre de la Société des Études du Lot et d’autres sociétés savantes
IMPRIMERIE DE A. LAYTOU et FILS, RUE DU LYCÉE
—
1884
VERS AUTHENTIQUES
DE LA REINE MARIE STUART
D’après un livre récemment découvert, par M. Gustave Pawlowski, officier de l’instruction publique, lauréat de l’Institut, conservateur de la bibliothèque Ambroise-Firmin Didot, avec un portrait de la Reine, à deux teintes. — Paris, imprimerie A. Quantin, 1883.
Nous lisons dans la Revue critique d’histoire et de littérature, no du 11 février 1884, sous la signature de M. Tamizey de Larroque :
» Parmi les livres anciens, décrits par M. Gustave Pawlowski, dans le cinquième catalogue de la bibliothèque de feu M. Ambroise-Firmin Didot, et qui ont été vendus en juin dernier, se trouvait un petit volume tellement rare, qu’il n’a été connu d’aucun bibliographe. M. Pawlowski n’ayant pu lui consacrer, dans le catalogue de la vente, qu’une notice très sommaire, a voulu traiter le sujet avec tout le développement convenable, en ajoutant ainsi comme il s’exprime (p. 3) « un chapitre entièrement nouveau à l’histoire littéraire de la France du XVIe siècle. » Voici le titre du volume :
» Consolations divines et remèdes souverains de l’Esprit affligé, liv. I. Et le Rampart préservatif de l’Esprit tranquille, liv. II. Par le R. P. en Dieu, Messire Jean de Lesselie Escossois, Evesque de Rosse. Œuvre fort utile et nécessaire à tous ceux qui désirent, avec repos et tranquilité d’esprit, passer ce temps turbulent et calamiteux. À Paris, chez Arnold Sittart, à l’Escu de Cologne. m. d. lxxxxiii. Avec privilège, petit in-8o de 12 feuillets préliminaires non chiffrés ; 264 pages de texte, plus encore 12 feuillets non chiffrés pour des prières et oraisons non mentionnées au titre. »
C’est dans ce bouquin poudreux et unique exemplaire peut-être, d’une édition inconnue, que M. Pawlowski a eu le bonheur de trouver les vers authentiques de l’infortunée reine d’Écosse. Qui ne connaît pas l’histoire de Marie Stuart ? Tous les écoliers de France l’ont apprise avec indignation, toutes les écolières l’ont arrosée de leurs larmes, mais à côté des malheurs trop réels de cette reine infortunée, il resta un vague souvenir qu’elle était poète. Toutefois ses poésies sont restées inconnues, jusqu’à l’heureuse trouvaille de M. Pawlowski dans le petit livre oublié de l’Évêque Leslie, dont nous venons de parler.
Rappelons cependant, qu’un hardi compilateur du xviiie siècle, le sieur Anne-Gabriel Meusnier de Querlon[1] osa donner des vers de sa façon pour ceux que la jeune reine Marie avait, soit-disant, composés en s’embarquant à Calais pour revenir en Écosse après la mort prématurée de son premier mari, François II, roi de France[2]. Et le public français a accepté parfaitement ce canard littéraire sans faire la moindre attention qu’une princesse presque contemporaine de Rabelais et de Clément Marot ne pouvait pas composer des vers en langage du xviiie siècle. Et cette erreur aurait pu se propager encore longtemps, si le susdit Meusnier de Querlon, n’eut écrit, dans un moment de franchise à un sien ami, le sieur Mercier, abbé de Saint-Léger, que le passage en vers, qu’il avait donné au public français n’était que le produit de son imagination et de sa verve poétique. Mais ce n’est pas seulement le public français plus ou moins lettré qui a admiré pendant longtemps les vers du faussaire ; le grand Frédéric Schiller, ce prince des poètes Allemands a cru probablement que c’était un monument de l’époque, puisque dans sa magnifique tragédie de Marie Stuart, il met dans la bouche de la reine une longue tirade qui n’est en somme que la reproduction des vers de Meusnier de Querlon que nous reproduisons d’après la biographie de Marie Stuart du grand dictionnaire biographique de MM. Michaud et Poujoulat, tome 27, page 102.
« Adieu, plaisant pays de France !
» Ô ma patrie
» La plus chérie,
» Qui as nourri ma jeune enfance !
» Adieu, France ! adieu mes beaux jours !
» La nef qui disjoint nos amours,
» N’a eu de moi que la moitié ;
» Une part te reste, elle est tienne ;
» Je la fie à ton amitié,
» Pour que l’autre il te souvienne. »
Assurément les véritables vers de Marie Stuart que M. Pawlowski a trouvé dans le bouquin de l’Évêque Leslie sont bien loin de présenter cette harmonie et cet agencement heureux qui caractérisent les pièces de vers français des deux derniers siècles. Mais dans la poésie, la plus belle pièce, qui n’est que la contrefaçon d’un ouvrage ancien, ne peut avoir aucune valeur aux yeux d’un véritable critique, comme un archéologue, digne de ce nom, ne conservera jamais parmi les médailles romaines une contrefaçon moderne, quand même elle serait l’ouvrage d’un très habile graveur.
Nous croyons donc faire plaisir aux amateurs de la littérature française en reproduisant ici les trois pièces de vers authentiques de Marie Stuart, croyant que les compatriotes de Clément Marot seront bien aises de faire une comparaison des productions poétiques du même siècle, de deux personnes qui ont également souffert une cruelle persécution pour la religion, quoique appartenant aux opinions diamétralement opposées.
Encore un rapprochement singulier qui nous vient à l’idée. Dans ces derniers temps, un riche et savant russe, le prince Labanow[3], s’éprit d’amour platonique pour l’existence romanesque de Marie Stuart. Il voyagea longtemps en Écosse, en Angleterre, en France, il prodiguait ses trésors pour réunir tous les documents et tous les souvenirs de cette reine malheureuse. Eh bien ! ce qu’il n’a pas pu faire avec toutes ses richesses, un proscrit polonais, M. Gustave Pawlowski, aidé par une bonne chance vient de l’accomplir. Au reste, si la providence a jugé à propos de s’occuper de cette petite affaire, elle a bien mené les choses, car le prince Labanow est sans contredit l’homme le plus illogique de la terre. Il verse dans son ouvrage des larmes de crocodile sur les infortunes de la reine Marie, victime de l’intolérance et de la persécution religieuse ; il maudit les persécuteurs, juste au moment où son maître et son ami l’Empereur Nicolas Ier force des milliers de polonais à quitter l’église catholique, la religion de leur père, pour embrasser le schisme Moscovite.
MÉDITATIONS
Lorsqu’il convient à chacun reposer,
Et pour un temps tout soucy déposer,
Un souvenir de mon amère vie
Me vient oster de tout dormir l’envie,
Représentant à mes yeux vivement,
De bien en mal un soudain changement.
Qui distiller me fait lors sur la face
La triste humeur qui tout plaisir efface.
Dont tost après, cerchant de m’alléger,
I’entre en discours, non frivole ou légier,
Considérant du monde l’inconstance,
Et des mortels le trop peu d’assurance :
Iugeant par là rien n’estre permanent,
Ny bien, ny mal, dessous le firmament.
Ce que soudain me met en souvenance
Des sages dicts du Roy plein de prudence.
J’ai (ce dit-il) cerché tous les plaisirs,
Qui peuvent plus assouvir mes désirs :
Mais je n’ay veu en ceste masse ronde
Que vanité, dont fol est qui s’y fonde.
Dequoy mes yeux expérience ont eu
Durant nos jours : car j’ay souvent veu
Ceux qui touchoyent les hauts cieux de la teste.
Soudainement renversez par tempeste.
Les plus grands Roys, Monarques, Empereurs,
De leurs estats et vies ne sont seurs.
Bastir palais et amasser chevance,
Retourne en brief en perte et décadence.
Estre venu des parens généreux,
N’empesche point qu’on ne soit malheureux.
Les beaux habits, le jeu, le ris, la danse,
Ne laissent d’eux que deuil et repentance :
Et la beauté, tant agréable aux yeux,
Se part de nous quand nous devenons vieux.
Boire et manger, et vivre tout à l’aise,
Revient aussi à douleur et malaise.
Beaucoup d’amis, richesse, ny sçavoir,
De contenter, qui les a, n’ont pouvoir.
Brief, tout le bien de ceste vie humaine
Se garde peu et s’acquiert à grand’peine.
Que nous sert donc icy nous amuser
Aux vanitez, qui ne font qu’abuser ?
Il faut chercher en bien plus haute place
Le vray repos, le plaisir et la grace
Qui promise est à ceux qui de bon cœur
Retourneront à l’unique Sauveur :
Car au ciel est nostre éternel partage,
Jà ordonné parmi nous en héritage.
Mais qui pourra, ô père très-humain,
Avoir ceste heur, si tu n’y mets la main,
D’abandonner son péché et offense,
En ayant fait condigne pénitence ?
Ou qui pourra ce monde despriser,
Pour seul t’aymer, honorer et priser ?
Nul pour certain, si ta douce clémence
Le prevenant, à tes biens ne l’avance,
Parquoy, Seigneur et pere souverain,
Regarde moy de visage serain,
Dont regardas la femme pécheresse.
Qui à tes pieds pleurait ses maux sans cesse :
Dont regardas Pierre, pareillement,
Qui jà t’avait nié par jurement :
Et comme à eux, donne moy ceste grâce,
Que ta mercy tous mes pechez efface.
En retirant de ce monde mon cœur,
Fais l’aspirer à l’éternel bonheur.
Donne, Seigneur, donne moy patience,
Amour et foy, et en toy espérance,
L’humilité, avec dévotion
De te servir de pure affection.
Envoye moy ta divine prudence,
Pour empescher que peché ne m’offence.
Jamais de moy n’es longue vérité,
Simple douceur, avecques charité.
La chasteté, et la persévérance
Demeure en moi, avec obéissance.
De tous erreurs, Seigneur, préserve-moi,
Et tous les jours, Christ, augmente la foy
Que j’ay receu de ma mère l’Eglise,
Où j’ay recours pour mon lieu de franchise,
Contre peché, ignorance, et orgueil,
Qui font aller au perdurable deuil.
Permets, Seigneur, que tousjours mon bon ange
Soit pres de moy, et t’offre ma loüange,
Mes oraisons, mes larmes, et souspirs,
Et de mon cœur tous justes désirs.
Ton S. Esprit sur moy face demeure.
Tant que voudras qu’en ce monde je dure.
Et quand Seigneur, ta clemence et bonté
M’oster voudra de la captivité,
Où mon esprit réside en ceste vie,
Pleine de maux, de tourmens et d’envie,
Me souvenir donne moy le pouvoir
De tes mercis et fiance y avoir,
Ayant au cœur ta passion escrite,
Que t’offriray au lieu de mon mérite.
Donques, mon Dieu, ne m’abandonne point,
Et mesmement en cest extresme poinct,
A celle fin que tes voyes je tienne,
Et que vers toy à la fin je parvienne.
Sa vertu m’attire,
MARIE STVVARTE.
SONNET
L’ire de Dieu par le sang ne s’appaise
De bœufs, ny boucs, espandu sur l’autel,
Ny pas encens, ou sacrifice tel,
Le souverain ne reçoit aucun aise.
Qui veut, Seigneur, faire œuvre qu’il te plaise,
Il faut qu’il ayt sa foy en l’Immortel,
Avec espoir, charité au mortel,
Et bien faisant, que ton loy il ne taise.
L’oblation, qui t’est fort agréable,
C’est un esprit en oraison constant,
Humble et dévot, en un corps chaste estant.
O tout puissant, soit moy si favorable,
Que pour tousjours ces grâces dans mon cœur
Puissent rester à la gloire et honneur
VA, TU MÉRITERAS[5]
À l’évêque de Rosse, après sa délivrance de prison.
Puisque Dieu a, par sa bonté imence,
Permis qu’ayez obtins tant de bonheur,
De despartir en crédit et faveur
Hors de prison, en sayne conscience,
Remerciez sa divine clémence,
Qui de tous biens est seul cause et autheur,
Et le priez d’un humble et dévot cœur,
Qu’il ait pitié de ma longue souffrance.
SA VERTU M’ATTIRE[6]
VERITAS ARMATA
formé avec son nom en latin Maria Stevarta.
- ↑ Né à Nantes en 1702 et mort à Paris le 22 avril 1780.
- ↑ Il ne serait pas mal de rappeler aux Quercynois que le rapprochement entre la France et l’Écosse scellé par le mariage du dauphin avec Marie Stuart a été en grande partie l’œuvre d’un homme de Quercy, diplomate habile, Pierre de Lagarde, seigneur de Sagnes, dont la biographie est très incomplète dans l’ouvrage de M. Vidaillet et appelle en quelque sorte les hommes laborieux du pays à faire des recherches relatives aux faits et gestes de ce diplomate dans les archives de France et de l’Écosse.
- ↑ Alexandre Kakowlewitz prince de Labanow de Rostoff, né en 1788,
publia à ses frais :
1o Lettres inédites de la reine Marie Stuart, 1 vol. 1826 ;
2o Lettres et instructions de Marie Stuart, 7 vol. in-8o, 1844 et un volume de supplément ;
3o Glossaire en français des locutions peu usitées actuellement qui se trouvent dans la correspondance de cette reine. - ↑ P. 12 des Poésies françaises de la reine Marie Stuart, d’après on livre récemment découvert par Gustave Pawlowski, Paris, 1883.
- ↑ Page 14.
- ↑ Ibidem.