Vers d’amour (Rodenbach)/06

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Vers d’amourDans les bureaux de La Jeune Belgique (p. 17-18).


VI

PRINTEMPS SENTIMENTAL



VOUS souvient-il du jour où vous êtes allée
Avec moi dans le calme et les taillis du Bois ?
Votre jupe à volants toute raide d’empois
Balayait la poussière au coin de chaque allée.

Nous devenions plus gais sous le ciel du printemps,
Sous le ciel du printemps tendu d’étoffes roses ;
Nous devenions meilleurs dans la bonté des choses
Que le vent voyageur nous portait par instants.

Tout disait la gaîté des branches étoilées,
Les oiseaux retournant vers leur pays natal,
Les jets d’eau délivrés des prisons de cristal
Qui sanglotent encor des dernières gelées.

Tout disait la chaleur des nids ressuscités
Et le charme odorant des roses revenues,
Des roses-thé qui sont comme des gorges nues,
Et le rythme dolent des vieux airs rechantés !


Tout nous disait d’aimer dans ces floraisons neuves,
D’effacer de nos yeux l’ancien rêve meurtri,
Et d’aussi nous parer d’un peu d’espoir fleuri
Comme d’un bouquet blanc le demi-deuil des veuves !

Tout chantait, tout clamait le triomphe charnel
Des pistils entrouverts, des ailes rapprochées,
Et le vent nous disait, de ses lèvres cachées,
Que la fleur souffre aussi du souci maternel.

Et, tout en souriant dans d’adorables moues,
Sous votre parasol que vos doigts remuaient,
De vagues rayons d’or parfois s’insinuaient
Et l’ombre et le soleil se disputaient vos joues.