Vers d’amour (Rodenbach)/08

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Vers d’amourDans les bureaux de La Jeune Belgique (p. 21-22).


VIII

NOCTURNE



DEVANT votre maison close dans du silence
Combien je suis allé souvent, par les beaux soirs,
Avec les gestes fous d’un amant qui balance
Ses songes dans le vent comme des encensoirs.

Je n’avais nul espoir de vous voir apparaître ;
Dans vos rideaux à fleurs je vous savais dormant,
Mais je croyais sentir à travers la fenêtre
Quelque chose de vous m’arriver par moment.

Les rangs d’arbres plissaient dans le brouillard des voiles,
En processionnant à l’horizon qui fuit ;
Et le cortège blanc des divines étoiles
Écoutait le Silence et regardait la Nuit.

À peine entendait-on en de lointaines rues
Les pas lourds d’un veilleur ou l’aboiement d’un chien,
Et toutes ces rumeurs incessamment décrues
Évoquaient une eau morte où l’on ne voit plus rien.


Et je restais longtemps, debout, sous vos croisées
Et mes yeux fatigués s’amusaient à saisir
Le caprice des fleurs de fonte entrecroisées
Aux dessins du balcon où montait mon désir.

Et me sachant tout près de vous dans la nuit calme,
J’imaginais qu’un peu de mon Âme en émoi
Devait aller vers vous avec un bruit de palme
Et qu’en ce moment-là vous rêveriez de moi !