Vers la fée Viviane/Sénile

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Édition de la Phalange (p. 11-13).

IV

Sénile

Pour Guy Lavaud

Vieillir, c’est voir monter le Passé
Et, blondement s’estomper les lignes présentes,
D’une blondeur qui tourne au gris des cendres,
Sous un soleil doux, très pâle, comme lassé.

Tout devient trouble comme en une angoisse
Nostalgique et tristement espérante…
Ô soir dissolvant, à l’air suave, trop moite,
Éternel Soir où du révolu se lamente !

Avant ces maisons qui font des archipels blêmes,
Je vis des roseraies fraîches comme des filles ;
Au lieu des jardins — où nuls parfums ne s’emmêlent, —
Réguliers et morts, pareils à des Thèbes, —

J’ai vu des vérandas sucrées de chèvrefeuille
Où fleurissaient mes petites amies.

Petites amies, vous n’êtes pas toutes mortes
Mais vous n’êtes plus vous, en les entours changés ;
Souvent je vous regarde, aussi belles qu’alors, —
(Ne vieillissent ni les femmes, ni les nuages
Qu’on suit d’un œil d’envie dans le ciel bleu et or,) —
Mais autres, moins amies, touchées d’un jour étrange,
Aube de quelles hautes et prochaines vies ?

Vos yeux brillent toujours, profonds et lumineux,
Reflets d’astres en l’eau diaphane, loin des rives ;
Mais leur mystère n’est plus mien ;
Que disent-ils des futures ascensions bleues
Dans la terreur exquise d’un gouffre serein ?

Serons-nous encore enfants ensemble
Sous des cieux de fleurs et de gemmes ?
Un sort nouveau nous liera-t-il de liens tendres,
Ou revivrons-nous sans jamais plus nous aimer ?
Voguerons-nous, perdus en l’éther sans limites,
Ou réaliserons-nous les rêves anciens,
Sur une étoile, au delà des zones ultimes
Confusément perçues par les regards humains ?


L’une de vous, — (fut-elle bien des vôtres ? —)
Savait conduire sa pensée de monde en monde
Et attirait mon débile esprit vagabond
Dans le sillage clair de ses ailes d’aurore,

Ou venait jeter des pétales inconnus,
Qui changeaient les mots en parfums et en musiques,
Sur les tristes écrits où je peinais, vaincu.

Et il me faut ouïr de vieux airs nostalgiques,
Subodorer de languides senteurs perdues
Aux limbes grisants des parfums évanouis,
Pour revoir, en de flaves gloires adoucies,

La fée blonde comme un rayon sur un sommet,
Comme un espoir de jour dans la poix des barathres,
Gardant, après sa longue errance par les astres,
Le charme poignant des anciennes Bien-Aimées…