Versailles, légende poétique/04

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Versailles, légende poétique
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 73 (p. 769-773).
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VERSAILLES
LEGENDE

IV.
MADEMOISELLE DENISE (PARC AUX CERFS).


La voilà, l’aimable fée,
Attifée Pour l’auguste séducteur !
Rien n’y manque ; la toilette
Est complète,
Et le coup d’œil enchanteur !

« Mon éventail, dame Marthe.
Que je parte,
Le carrosse est là, je croi,
Et monsieur Lebel qui monte…
J’aurais honte
De faire attendre le roi ! »

En effet, dans une honnête
Maisonnette,
Louis, morne et soucieux,
D’un regard que l’ennui voile
Suit l’étoile
Qui tremblote au fond des cieux,

Étoile si bienvenue
Dans la nue,
Que tous invoquent beaucoup,
Et qui, voyez le mystère !
Sur la terre
Plaît au berger comme au loup.

Ce soir, c’est le loup qui guette.
La coquette
Vient au piège qu’on lui tend.
L’ogre, qui sent la chair fraîche,
Se pourlèche,
Et presse l’heureux instant…

Mademoiselle Denise,
En marquise,
Ferait trembler Pompadour.
Est-elle assez triomphante,
Cette infante,
Dans son radieux atour !

Ces diamans, ô merveille,
A l’oreille
De quelqu’un sorti de rien !
Tout cet appareil qui brille
Pour la fille
D’un brave homme mort sans bien !

D’un vieux qui tenait boutique
Sous l’attique
Du château, près des degrés,
Vendant pour quelques cruzades
Ses pommades,
Son fard et ses gants ambrés !

Il est vrai que cette fille
Sans famille
Est un trésor défendu,
Un fruit précoce où l’aurore
Seule encore
De ses baisers a mordu ;

Une de ces tant exquises
Gourmandises
Dont le goût met en émoi,

Et que le diable en personne
Vous façonne
Pour un déjeuner de roi.

Lebel, qui, mignonne et blanche,
Un dimanche,
L’accosta sur le chemin,
S’est dit : « Celle-ci doit plaire !… »
Grande affaire,
Connaître le cœur humain !

Et depuis l’habile drôle,
A son rôle
Tout entier avec amour,
Travaille à se rendre utile,
Et la style
De mieux en mieux chaque jour.

Elle, se prête au manège :
Le dirai-je ?
On n’a pas pour rien quinze ans.
D’ailleurs comment éconduire
Qui fait luire
Tout cet or, tous ces présens ?

Marthe et Méphisto : l’épreuve
N’est point neuve,
Et toujours réussira.
Le serpent et sa commère !
Point de mère ;
Bien forte qui ne choira.

Un roi si chevaleresque,
Un dieu presque,
Dont partout est le portrait !
Grande dame, villageoise
Ou bourgeoise,
Ne point l’aimer, qui pourrait ?

On touche à l’heure suprême ;
Le soir même,
Jupiter, dans son réduit,
Attend en veste légère
Sa bergère,
Que Mercure lui conduit.

Elle arrive et vite grimpe
Vers l’olympe
D’un pas furtif et jaloux.
Mons Lebel, qui la conseille,
A l’oreille
Lui glisse trois mots bien doux :

Le programme de la fête ;
Puis seulette
L’enferme dans un boudoir,
Sanctuaire de sultane,
Très profane,
Dont le mur n’est qu’un miroir.

Au plafond, à chaque place,
Une glace ;
Dans ces fouillis rococo,
Partout le cristal qui vibre
A l’œil libre
Comme un indécent écho.

Ce spectacle, chose étrange,
Soudain change
En regrets l’émotion ;
La voilà toute confuse
Qui refuse
De croire à l’illusion.

Elle, enfant toute novice
Dans le vice,
Pâlit devant ce cristal,
Qui ricane et répercute
De sa chute
L’éclat honteux et fatal.

Cette beauté qui miroite,
Nue et moite,
Sous son regard interdit,
L’insulte et la calomnie ;
L’ironie
De tous ces feux l’assourdit.

Tête éprise d’un beau rêve,
Fille d’Ève,
Cœur enivré seulement,

Elle a son premier scrupule,
Et recule
Devant le scintillement.

Elle eût, dans un coin modeste,
Je l’atteste,
Cédé, la main sur ses yeux ;
Mais se voir, nue et séduite,
Reproduite
Par ces murs licencieux !

« Que me veut cette éhontée
Galatée,
Qui, de miroir en miroir,
Partout grimaçante et proche
Me reproche
Tant de honte où j’ai pu choir ?

« Moi, cette dévergondée !
Quelle idée !
Cette montreuse d’appas,
Moi, Denise ? Ma parole,
J’étais folle,
Et ne me reconnais pas !

« Diamans, plumes d’autruches,
Fanfreluches,
Au démon cet appareil !
Qu’on me rende, fille honnête,
Ma cornette,
Mon aiguille et mon soleil ! »

Vintimille, La Tournelle,
Filles Nesle,
Dont on rêvait le destin,
Et vous, la régnante idole,
D’Étiole,
Qu’on détrônait ce matin,

Glorieuses favorites,
Vos mérites,
Vos gloires, votre splendeur,
Lui font horreur à cette heure,
Elle pleure…
Un reflet fit sa pudeur !