Aller au contenu

Vert-Vert ou les voyages du perroquet de la Visitation de Nevers

La bibliothèque libre.
___________________


VER-VERT,


A


MADAME DE ***,


ABBESSE DE ***.


___________________


CHANT PREMIER



Vous, près de qui les graces solitaires
brillent sans fard, et regnent sans fierté,
vous, dont l’esprit, né pour la vérité,
sçait allier à des vertus austeres
le goût, les ris, l’aimable liberté ;
puisqu’à vos yeux vous voulez que je trace
d’un noble oiseau la touchante disgrace,
soyez ma muse, échauffez mes accens,
et prêtez-moi ces sons intéressans,
ces tendres sons que forma votre lyre,
lorsque Sultane *[1], au printems de ses jours,
fut enlevée à vos tristes amours,
et descendit au ténébreux empire :

De mon Héros les illustres malheurs,
Peuvent aussi se promettre vos pleurs.
Sur sa vertu, par le sort traversée,
Sur son voyage et ses longues erreurs,
On auroit pû faire une autre odissée ;
Et, par vingt chants, endormir les lecteurs :
On auroit pû, des fables surannées,
Ressusciter les diables et les dieux ;
Des faits d’un mois, occuper des années ;
Et, sur des tons d’un sublime ennuyeux,
Psalmodier la course infortunée
D’un perroquet, non moins brillant qu’énée,
Non moins dévôt, plus malheureux que lui.
Mais trop de vers entraînent trop d’ennui.
Les muses sont des abeilles volages ;
Leur goût voltige, il fuit les longs ouvrages ;
Et, ne prenant que la fleur d’un sujet,
Vole bien-tôt sur un nouvel objet.
Dans vos leçons j’ai puisé ces maximes ;
Puissent vos loix se lire dans mes rimes !
Si, trop sincere, en traçant ces portraits,
J’ai dévoilé les mysteres secrets,
L’art des parloirs, la science des grilles,
Les graves riens, les mystiques vetilles,
Votre enjoûment me passera ces traits ;
Votre raison, exempte de foiblesses,
Sçait vous sçauver ces fades petitesses ;
Sur votre esprit, soumis au seul devoir,
L’illusion n’eut jamais de pouvoir :

Vous sçavez trop qu’un front que l’art déguise,
Plaît moins au Ciel, qu’une aimable franchise.
Si la vertu se montroit aux mortels,
Ce ne seroit ; ni par l’art des grimaces,
Ni sous des traits farouches & cruels ;
Mais sous votre air, ou sous celui des graces,
Qu’elle viendroit mériter nos autels.
Dans maint Auteur de science profonde,
J’ai lû qu’on perd à trop courir le monde,
Très-rarement en devient-on meilleur :
Toûjours la fin, c’est le vice ou l’erreur.
Il nous vaut mieux vivre au sein de nos Lares,
Et conserver, paisibles casaniers,
Notre vertu dans nos propres foyers,
Que parcourir bords lointains & barbares ;
Sans quoi le cœur, victime des dangers,
Revient chargé des vices étrangers.
L’affreux destin du Héros que je chante,
En éternise une preuve touchante :
Tous les échos des parloirs de Nevers,
Si l’on en doute, attesteront mes vers.
A Nevers donc, chez les Visitandines,
Vivoit n’aguére un Perroquet fameux,
A qui son art & son cœur généreux,
Ses vertus même, & ses graces badines,
Auroient dû faire un sort moins rigoureux,
Si les beaux cœurs étoient toûjours heureux.

Ver-Vert (c’étoit le nom du personnage).
Transplanté là de l’Indien rivage,
Fut, jeune encor, ne sçachant rien de rien,
Au susdit cloître enfermé pour son bien :
Il étoit beau, brillant, leste & volage,
Aimable & franc, comme on l’est au bel âge,
Né tendre & vif, mais encor innocent :
Bref, digne Oiseau d’une si sainte cage,
Par son caquet fait pour être en couvent.
Pas n’est besoin, je pense, de décrire
Les soins des Sœurs, des Nones, c’est tout dire :
Non, chaque Mere, après son Directeur,
N’aimoit rien tant ; même dans plus d’un cœur,
(Ainsi l’écrit un Chroniqueur sincere)
Souvent l’Oiseau l’emporta sur le Pere.
Il partageoit dans ce paisible lieu,
Tous les sirops dont le cher Pere en Dieu,
(Graces aux dons des Nonettes sucrées)
Réconfortoit ses entrailles sacrées.
Objet permis à leur oisif amour,
Ver-Vert étoit l’ame de ce séjour :
Exceptez-en quelques vieilles dolentes,
Des jeunes cœurs jalouses surveillantes,
Il étoit cher à toute la maison.
N’étant encor dans l’âge de raison,
Libre, il pouvoit & tout dire & tout faire :
Il étoit sûr de charmer & de plaire.
Des bonnes sœurs égayant les travaux,

Il becquetoit & guimpes & bandeaux :
Il n’étoit point d’agréable partie,
S’il n’y venoit briller, carracoller,
Papillonner, sifler, rossignoler :
Il badinoit, mais avec modestie,
Avec cet air doux, ingenu, prudent
Qu’une Novice a même en badinant.
Par plusieurs voix interrogé sans cesse,
Il répondoit à tout avec justesse.
Tel autrefois César, en même tems,
Dictoit à quatre, en stiles différens.
Admis par tout (si l’on en croit l’histoire)
L’Amant chéri mangeoit au réfectoire :
Là, tout s’offroit à ses frians desirs,
Outre cela, pour ses menus plaisirs,
Pour amuser son ventre infatigable,
Pendant le tems qu’il passoit hors de table,
Mille bonbons, mille exquises douceurs
Chargeoient toûjours les poches de nos Sœurs.
Les petits soins, les attentions fines,
Sont nés, dit-on, chez les Visitandines.
L’heureux Ver-Vert l’éprouvoit chaque jour :
Plus mitonné qu’un Perroquet de cour,
Tout s’occupoit du beau pensionnaire ;
Ses jours couloient dans un noble loisir :
Au grand dortoir il couchoit d’ordinaires.
Là, de cellule il avoit à choisir :
Heureuse encor, trop heureuse la Mere,

Dont il daignoit, au retour de la nuit,
Par sa présence honorer le réduit !
Très-rarement les antiques Discrettes,
Logeoient l’Oiseau : des Novices proprettes
L’alcove simple étoit plus de son goût ;
Car, remarquez qu’il étoit propre en tout.
Quand, chaque soir, le jeune Anachorette
Avoit fixé sa nocturne retraite,
Jusqu’au lever de l’astre de Venus
Il reposoit sur la boëtte aux Agnus :
À son réveil, de la fraîche Nonette
Libre témoin, il voyoit la Toilette,
Je dis Toilette, & je le dis tout bas :
Oui, quelque part j’ai lu qu’il ne faut pas
Aux fronts voilés des miroirs moins fideles
Qu’aux fronts ornés de ponpons & dentelles.
Ainsi qu’il est pour le Monde & les Cours,
Un art, un goût de modes & d’atours ;
Il est aussi des modes pour le voile ;
Il est un art de donner d’heureux tours
À l’étamine, à la plus simple toile.
Souvent l’essain des folâtres amours,
Essain qui sçait franchir grilles & tours ;
Donne aux bandeaux une grace piquante,
Un air galant à la guimpe flotante :
Enfin, avant de paroître au parloir
On doit au moins deux coups d’œil au miroir :
Ceci soit dit entre nous, en silence ;
Sans autre écart revenons au Héros.

Dans ce séjour de l’oisive indolence
Ver-Vert vivoit sans ennuis, sans travaux,
Dans tous les cœurs il regnoit sans partage :
Pour lui sœur Thecle oublioit les moineaux :
Quatre Serins en étoient morts de rage,
Et deux Matous autrefois en faveur
Dépérissoient d’envie & de langueur.
Qui l’auroit dit qu’en ces lieux pleins de charmes,
En pure perte on cultivoit ses mœurs ?
Qu’un tems viendroit, tems d’erreurs & d’allarmes,
Où ce Ver-Vert, tendre idole des cœurs,
Ne seroit plus qu’un triste objet d’horreurs ?
Arrête Muse, & retarde les larmes
Que doit coûter l’aspect de ces malheurs,
Fruit trop amer des égards de nos Sœurs.


Fin du Chant premier.


CHANT SECOND.


ON juge bien qu’étant à telle école
Point ne manquoit du don de la parole
L’Oiseau disert ; hors le tems des repas,
Tel qu’une None il ne déparloit pas :
Bien est-il vrai qu’il parloit comme un livre,
Toûjours d’un ton confit en sçavoir vivre.
Il n’étoit point de ces fiers Perroquets
Que l’air du siecle a rendus trop coquets,
Et qui, siflés par des bouches mondaines
N’ignorent rien des vanités humaines.
Ver-Vert étoit un Perroquet dévot,
Une belle ame innocemment guidée,
Jamais du mal il n’avoit eu l’idée
Ne disoit onc un immodeste mot :
Mais en revanche il sçavoit des Cantiques,
Des Oremus, des Colloques mystiques
Il disoit bien son Benedicite,
Et notre Mere, & votre charité.
Il sçavoit même un peu du Soliloque
Et des traits fins de Marie Alacoque.
Il avoit eu, dans ce docte manoir,
Tous les secours qui menent au sçavoir :
Il étoit là, maintes filles sçavantes,
Qui, mot pour mot portoient dans leurs cerveaux,
Tous les Noëls anciens & nouveaux.

Instruit, formé par leurs leçons fréquentes,
Bien-tôt l’Eleve égala ses Régentes ;
De leur ton même adroit imitateur,
Il exprimoit la pieuse lenteur,
Les saints soupirs, les notes languissantes
Du chant des Sœurs, colombes gémissantes ;
Finalement, Ver-Vert sçavoit par cœur,
Tout ce que sçait une Mere de chœur.
Trop resserré dans les bornes d’un Cloître,
Un tel mérite au loin se fit connoître :
Dans tout Nevers, du matin jusqu’au soir,
Il n’étoit bruit que des scenes mignones
Du Perroquet des bienheureuses Nones ;
De Moulins même on venoit pour le voir,
Le beau Ver-Vert ne bougeoit du parloir :
Sœeur Mélanie en guimpe toujours fine,
Portoit l’Oiseau d’abord aux spectateurs :
Elle en faisoit admirer les couleurs,
Les agrémens, la douceur enfantine,
Son air charmant ne manquoit point les cœurs ;
Mais la beauté du tendre Néophite
N’étoit encor que son moindre merite ;
On oublioit ses attraits séducteurs,
Dès que sa voix frappoit les Auditeurs.
L’esprit rempli de saintes gentillesses
Que lui dictoient les plus jeunes professes,
L’illustre Oiseau commençoit son récit ;
À chaque instant de nouvelles finesses,
Des charmes neufs varioient son débit ;

Eloge unique & difficile à croire,
Pour tout Parleur qui dit publiquement ;
Nul ne dormoit dans tout son Auditoire :
Quel Orateur en pourroit dire autant ?
On l’écoutoit, on ventoit sa mémoire :
Lui, cependant, stilé parfaitement,
Bien convaincu du néant de la gloire,
Se rengorgeoit toûjours dévotement,
Et triomphoit toûjours modestement.
Quand il avoit débité sa science,
Serrant le bec, & parlant en cadence,
Il s’inclinoit d’un air sanctifié,
Et laissoit là son monde édifié :
Il n’avoit dit que des phrases gentilles,
Que des douceurs, excepté quelques mots
De médisance, & tels propos de filles
Que, par hazard, il apprenoit aux grilles
Ou que nos Sœurs traitoient dans leur enclos.
Ainsi vivoit, dans ce nid délectable
En maître, en saint, en sage veritable,
Pere Ver-Vert, cher à plus d’une Hebé ;
Gras comme un Moine, & non moins vénérable,
Beau comme un cœur, sçavant comme un Abbé,
Toûjours aimé comme toûjours aimable,
Civilisé, musqué, pincé, rangé,
Heureux enfin, s’il n’eût pas voyagé.
Mais vint ce tems d’affligeante mémoire,

Ce tems critique où s’éclipse sa gloire ;
Ô crime ! Ô honte ! Ô cruel souvenir !
Fatal voyage ! Aux yeux de l’avenir,
Que ne peut-on en dérober l’histoire ?
Ah, qu’un grand nom est un bien dangereux !
Un sort caché fut toûjours plus heureux.
Sur cet exemple, on peut ici m’en croire ;
Trop de talens, trop de succès flatteurs
Presque toûjours pervertissent les mœurs.
Ton nom, Ver-Vert, tes proüesses brillantes
Ne-furent point bornés à ces climats ;
La Renommée annonça tes appas,
Et vint porter ta gloire jusqu’à Nantes.
Là, comme on sçait, la Visitation
À son Bercail de Révérendes Meres,
Qui, comme ailleurs, dans cette Nation,
À tout sçavoir ne sont pas les dernieres.
Or un beau jour apprenant des premières
Ce qu’on disoit du Perroquet venté,
Desir leur vint d’en voir la verité.
Desir de fille est un feu qui dévore,
Desir de None est cent fois pis encore.
Déja les cœurs s’envolent à Nevers,
Voilà, d’abord, vingt têtes à l’envers
Pour un Oiseau. L’on écrit tout à l’heure
En Nivernois à la Supérieure,
Pour la prier que l’Oiseau plein d’attraits
Soit, pour un tems ; amené par la Loire ;
Et que conduit aux rivages Nantais,

Lui-même il puisse y joüir de sa gloire,
Et se prêter à de tendres souhaits.
La Lettre part. Quand viendra la réponse ?
Dans douze jours. Quel siécle jusques-là !
Lettre sur Lettre & nouvelle semonce,
On ne dort plus, Sœur Cecile en mourra.
Or, à Nevers, arrive enfin l’Epître.
Grave sujet : On tient le grand Chapitre !
Telle Requête effarouche d’abord.
Perdre Ver-Vert ; Ô Ciel ! Plûtôt la mort.
Dans ces tombeaux, sous ces Tours isolées
Que ferons-nous, si ce cher Oiſeau sort ;
Ainsi parloient les plus jeunes voilées,
Dont le cœur vif, & las de son loisir,
S’ouvroit encore à l’innocent plaisir ;
Et dans le vrai, c’étoit la moindre chose
Que cette troupe étroitement enclose,
À qui, d’ailleurs, tout autre Oiseau manquoit,
Eût pour le moins un pauvre Perroquet.
L’avis, pourtant, des Meres assistantes,
De ce Sénat rigides Présidentes,
Dont le vieux cœur aimoit moins vivement,
Fut d’envoyer le Pupile charmant
Pour quinze jours ; car, en têtes prudentes,
Elles craignoient qu’un refus obstiné
Ne les brouillât avec nos Sœurs de Nantes :
Ainsi jugea l’Etat embeguiné.
Après ce Bill des Miledis de l’Ordre,
Dans la Commune, arrive grand desordre :

Quel sacrifice ! Y peut-on consentir ?
Est-il donc vrai ; (dit la Sœur Seraphine)
Quoi, nous vivons, & Ver-Vert va partir !
D’une autre part, la Mere Sacristine
Trois fois pâlit, soûpire quatre fois,
Pleure, fremit, se pâme, perd la voix :
Tout est en deüil : Je ne sçai quel présage
D’un noir crayon leur trace ce voyage.
Pendant la nuit, des songes pleins d’horreur
Du jour qui suit annoncent la terreur.
Trop vains regrets ! L’instant fatal arrive :
Jà, tout est prêt sur la funeste rive ;
Il faut enfin se resoudre aux adieux,
Et commencer une absence cruelle :
Jà, chaque Sœur gémit en Tourterelle,
Et plaint d’avance un veuvage ennuyeux.
Que de baisers, au sortir de ces lieux,
Reçut Ver-Vert ! Quelles tendres allarmes ?
On se l’arrache, on le baigne de larmes :
Plus il est prêt de quitter ce séjour,
Plus on lui trouve & d’esprit & de charmes ;
Enfin, pourtant il a passé le tour.
Du Monastere, avec lui, fuit l’amour.
Pars, va mon fils, vôle ou l’honneur t’appelle ;
Reviens charmant, reviens toûjours fidele ;
Que les Zephirs te portent sur les flots ;
Tandis qu’ici dans un triste repos
Je languirai forcément exilée,
Sombre, inconnuë, & jamais consolée :

Pars, cher Ver-Vert ; & dans ton heureux cours,
Sois pris, par tout, pour l’aîné des amours.
Tel fut l’adieu d’une Nonain poupine
Qui, pour distraire & charmer sa langueur
Entre deux draps, avoit, à la sourdine,
Très-souvent fait l’Oraison dans Racine ;
Et qui, sans doute, auroit de très-grand cœur,
Loin du couvent, suivi l’Oiseau parleur.
Mais c’en est fait, on embarque le drôle ;
Jusqu’à présent, vertueux, ingenu,
Jusqu’à présent modeste en sa parole :
Puisse son cœur, constamment défendu,
Au Cloître un jour rapporter sa vertų !
Quoiqu’il en soit, déjà la rame vole,
Du bruit des eaux les airs ont retenti,
Un bon vent souffle, on part, on est partis.


Fin du Chant second.


CHANT TROISIEME.


LA même Nef legere & vagabonde,
Qui voituroit le saint Oiseau sur l’Onde,
Portoit aussi deux Nymhes, trois Dragons,
Une Nourrice, un Moine, deux Gascons.
Pour un enfant qui sort du Monastere,
C’étoit écheoir en dignes compagnons !
Aussi, Ver-Vert, ignorant leurs façons,
Se trouva là, comme en terre étrangere ;
Nouvelle langue & nouvelles leçons :
L’Oiseau surpris n’entendoit point leur stile ;
Ce n’étoit plus paroles d’Evangile,
Ce n’étoit plus ces pieux entretiens,
Ces traits de Bible & d’Oraisons mentales
Qu’il entendoit chez nos douces Vestales :
Mais de gros mots & non des plus chrétiens ;
Car, les Dragons, race assez peu dévote,
Ne parloient là, que langue de Gargotte ;
Charmant au mieux les ennuis du chemin,
Ils ne fêtoient que le Patron du vin ;
Puis les gascons & les trois peronelles
Y concertoient sur des tons de ruelles :
De leur côté, les Bateliers juroient,
Rimoient en Dieu, blasphêmoient & sacroient ;
Leur voix stilée aux tons mâles & fermes,
Articuloit, sans rien perdre des termes.

Dans le fracas, confus, embarrassé,
Ver-Vert gardoit un silence forcé ;
Triste, timide, il n’osoit se produire
Et ne sçavoit que penser ni que dire.
Pendant la route, on voulut, par faveur,
Faire causer le Perroquet rêveur :
Frere Lubin, d’un ton peu monastique,
Interrogeant le beau mélancolique,
L’Oiseau benin prend son air de douceur,
Et, vous poussant un soupir méthodique
D’un ton pedant, répond, Ave, ma Sœur.
À cet Ave, jugez si l’on dût rire :
Tous en chorus bernent le pauvre sire.
Ainsi berné, de Novice interdit,
Comprit-en soi qu’il n’avoit pas bien dit ;
Et qu’il seroit mal mené des commeres,
S’il ne parloit la langue des confreres :
Son cœur né fier, & qui, jusqu’à ce tems,
Avoit été nourri d’un doux encens,
Ne put garder sa modeste constance
Dans cet assaut de mépris flétrissans :
À cet instant, en perdant patience,
Ver-Vert perdit sa première innocence :
Dès lors ingrat, en soi-même il maudit
Les cheres Sœurs, ses premières maîtresses,
Qui n’avoient point sçu mettre en son esprit
Du beau françois les vives gentillesses,
Les sons nerveux & les délicatesses.
À les apprendre il met donc tous ses soins,

Parlant très-peu, mais n’en pensant pas moins.
D’abord, l’Oiseau, comme il n’étoit pas bête,
Pour faire place à de nouveaux discours,
Vit qu’il devoir oublier, pour toûjours,
Tous les gaudés qui farcissoient sa tête :
Ils furent tous oubliés en deux jours,
Tant il trouva la langue à la dragone
Plus du bel air que les termes de None.
En moins de rien, l’éloquent animal,
(Hélas ! Jeunesse apprend trop bien le mal !)
L’animal, dis-je, éloquent & docile,
En moins de rien, ne fut que trop habile.
Bien vîte il sçut jurer & maugréer,
Mieux qu’un vieux diable, au fond d’un benitier :
Il démentit les célébres maximes,
Où nous lisons, qu’on ne vient aux grands crimes
Que par dégrès. Il fut un scélerat
Profès d’abord, & sans noviciat.
Trop bien sçût-il graver en sa mémoire,
Tout l’alphabet des Bateliers de Loire,
Dès qu’un d’iceux, dans quelque vertigo,
Lâchoit un mor… Ver-Vert faisoit l’écho :
Lors applaudi par la bande susdite,
Fier & content de son petit mérite,
Il n’aima plus que le honteux honneur
De sçavoir plaire au monde suborneur ;

Et dégradant son génereux organe,
Il ne fut plus qu’un Orateur profane.
Faut-il qu’ainsi l’exemple seducteur,
Du Ciel au diable emporte un jeune cœur !
Pendant ces jours, durant ces tristes scénes,
Que faisiez-vous dans vos cloîtres déserts,
Chastes Iris du couvent de Nevers ?
Sans doute, hélas ! vous faisiez des neuvaines
Pour le retour du plus grand des ingrats,
Pour un volage indigne de vos peines,
Et qui, soumis à de nouvelles chaînes,
De vos amours ne faisoit plus de cas.
Sans doute, alors, l’accès du Monastere
De mille ennuis se trouvoit obsedé :
La grille étoit dans un deüil solitaire,
Et le silence étoit presque gardé.
Cessez vos vœux : Ver-Vert n’en est plus digne,
Ver-Vert n’est plus cet Oiseau réverend,
Ce Perroquet d’une humeur si benigne,
Ce cœur si pur, cet esprit si fervent :
Vous le dirai-je ? Il n’est plus qu’un brigand,
Lâche apostat, blasphémateur insigne :
Les vents legers, & les Nymphes des eaux
Ont moissonné le fruit de vos travaux.
Ne ventez point sa science infinie :
Sans la vertu, que vaut un grand génie ?
N’y pensez plus, l’infàme a, sans pudeur,

Prostitué ses talens & son cœur.
Déjà, pourtant, on approche de Nantes,
Où languissoient nos Sœurs impatientes :
Pour leurs desirs le jour trop tard naissoit.
Des cieux, trop tard, le jour disparoissoit.
Dans ces ennuis, l’esperance flatteuse,
À nous tromper toujours ingénieuse,
Leur promettoit un esprit cultivé,
Un Perroquet noblement élevé,
Une voix tendre, honnête, édifiante,
Des sentimens, un mérite achevé :
Mais, ô douleur ! Ô vaine & fausse attente !
La Nef arrive, & l’équipage en sort.
Une Tourriere étoit assise au port.
Dès le départ de la première lettre,
Là, chaque jour elle venoit se mettre :
Ses yeux errans sur le lointain des flots,
Sembloient hâter le vaisseau du Heros.
En débarquant auprès de la Béguine,
L’Oiseau madré la connut à la mine ;
A son œil prude, ouvert en tapinois,
À sa grand’coëffe, à sa fine étamine,
À ses gants blancs, à sa mourante voix,
Et mieux encore à sa petite croix :
Il en fremit, & même il est croyable,
Qu’en militaire, il la donnoit au diable ;
Trop mieux aimant suivre quelque dragon,
Dont il sçavoit le bachique jargon
Qu’aller apprendre encor les litanies,
La reverence, & les cérémonies :

Mais force fut au grivois dépité
D’être conduit au gîte détesté.
Malgré ses cris, la Tourriere l’emporte :
Il la mordoit, dit-on, de bonne sorte,
Chemin faisant ; les uns disent au cou,
D’autres au bras ; on ne sçait pas bien où :
D’ailleurs, qu’importe ? À la fin, non sans peine,
Dans le couvent, la Béate l’emmeine.
Elle l’annonce : avec grande rumeur
Le bruit en court : aux premières nouvelles
La cloche sonne : on étoit lors au chœur :
On quitte tout, on court, on a des aîles
C’est lui, ma Sœur, il est au grand parloir
On vole en foule, on grille de le voir ;
Les vieilles même, au marcher simétrique,
Des ans tardifs ont oublié le poids.
Tout rajeunit, & la Mere Angélique
Courut alors pour la première fois.


Fin du Chant troisiéme.


CHANT QUATRIEME.


ON voit enfin, on ne peut se repaître
Assez les yeux des beautés de l’Oiseau :
C’étoit raison ; car le fripon, pour être
Moins bon garçon, n’en étoit pas moins beau.
Cet œil guerrier, & cet air petit-maître
Lui prêtoient même un agrément nouveau.
Faut-il, grand Dieu ! que sur le front d’un traître,
Brillent ainsi les plus tendres attraits ?
Que ne peut-on distinguer & connoître
Les cœurs pervers à de difformes traits ?
Pour admirer les charmes qu’il rassemble,
Les bonnes Sœurs parlent toutes ensemble :
En entendant cet essain bourdonner,
On eût, à peine, entendu Dieu tonner :
Lui, cependant, parmi tout ce vacarme,
Sans daigner dire un mot de pieté,
Rouloit les yeux d’un air de jeune Carme.
Premier grief. Cet air trop effronté
Fut un scandale à la Communauté.
En second lieu, quand la Mere Prieure
Se presentant en fille interieure,
Voulut parler à l’Oiseau libertin :
Pour premiers mots, & pour toute réponse,
Nonchalamment, & d’un air de dedain,

Sans bien songer aux horreurs qu’il prononce,
Mon gars s’écrie, avec un ton faquin :
Par la corbleu, que les Nones sont folles !
L’histoire dit, qu’il avoit en chemin
D’un de la troupe entendu ces paroles.
À ce debut, la Sœur Saint Augustin,
D’un air sucré, voulant le faire taire,
Et lui disant, fi donc ! mon très-cher Frere :
Le très-cher Frere indocile & mutin,
Vous la rima très-richement en tain.
Vive Jesus ! Il est sorcier, ma Mere,
Reprend la Sœur, Juste Dieu ! Quel coquin !
Quoi ! C’est donc là ce Perroquet divin ?
Ici Ver-Vert, en vrai gibier de Greve,
L’apostropha d’un La peste te creve.
Chacune vint pour brider le caquet
Du grenadier ; chacune eut son paquet :
Turlupinant les jeunes précieuses,
Il imitoit leur courroux babillard ;
Plus dechaîné sur les vieilles grondeuses,
Il bafoüoit leur sermon nazillard :
Ce fut bien pis, quand, d’un ton de corsaire,
Las, excedé de leurs fades propos,
Bouffi de rage, écumant de colere,
Il entonna tous les horribles mots
Qu’il avoit sçû rapporter des bateaux ;
Jurant, sacrant d’une voix dissoluë,
Faisant passer tout l’enfer en revûë,

Les B les F voltigoient sur fon bec :
Les jeunes Sœurs crurent qu’il parloit grec.
Jour de Dieu !… mor ! … mille pipes de diables !
Toute la grille, à ces mots effroyables,
Tremble d’horreur ; les Nonettes sans voix
Font, en fuyant, mille signes de croix :
Toutes, pensant être à la fin du monde,
Courent en poste aux caves du couvent ;
Et, sur son nez, la mere Cunegonde
Se laissant cheoir, perd sa derniere dent.
Ouvrant à peine un sépulcral organe,
Pere éternel dit la Sœur Bibiane,
Miséricorde ! Ah ! Qui nous a donné
Cet Antechrist, ce démon incarné ?
Mon doux Sauveur ! En quelle conscience
Peut-il ainsi jurer comme un damné ?
Est-ce dont là l’esprit & la science
De ce Ver-Vert si chéri, si prôné ?
Qu’il soit banni, qu’il soit remis en route.
Ô Dieu d’amour, reprend la Sœur Ecoute,
Quelles horreurs ! Chez nos Sœurs de Nevers,
Quoi, parle-t-on ce langage pervers ?
Quoi, c’est ainsi qu’on forme la jeunesse ?
Quel héretique ! Ô divine sagesse !
Qu’il n’entre point : avec ce Lucifer,
En garnison, nous aurions tout l’enfer.
Conclusion. Ver-Vert est mis en cage ;
On se résout, sans tarder davantage,

À renvoyer le parleur scandaleux :
Le pelerin ne demandoit pas mieux.
Il est proscrit, déclaré détestable,
Abominable, atteint & convaincu
D’avoir tenté d’entamer la vertu
Des saintes Sœurs : Toutes de l’execrable
Signent l’arrêt en pleurant le coupable ;
Car quel malheur qu’il fût si dépravé,
N’étant encor qu’à la fleur de son âge ;
Et qu’il portât, sous un si beau plumage,
La fiére humeur d’un escroc achevé,
L’air d’un payen, le cœur d’un reprouvé.
Il part enfin, porté par la Tourriere,
Mais sans la mordre, en retournant au port.
Une cabane emporte le compere,
Et, sans regret, il fuit ce triste bord.
De ses malheurs telle fut l’Iliade.
Quel désespoir, lorsqu’enfin, de retour,
Il vint donner pareille serénade,
Pareil scandale en son premier séjour !
Que résoudront nos Sœurs inconsolables ?
Les yeux en pleurs, les sens d’horreur troublés,
En manteaux longs, en voiles redoublés,
Au Discretoire, entrent neuf vénérables :
Figurez-vous neuf siécles assemblés.
Là, sans espoir d’aucun heureux suffrage,
Privé des Sœurs qui plaideroient pour lui,
En plein parquet, enchaîné dans sa cage,
Ver-Vert paroît sans gloire & sans appui.

On est aux voix ; déjà deux des Sibilles,
En billets noirs ont crayonné sa mort ;
Deux autres Sœurs, un peu moins imbécilles,
Veulent qu’en proye à son malheureux sort,
On le renvoye au rivage profane
Qui le vit naître avec le noir Brachmane :
Mais, de concert, les cinq dernieres voix,
Du châtiment déterminent le choix.
On le condamne à deux mois d’abstinence,
Trois de retraite, & quatre de silence,
Jardins, dortoirs, cellules & biscuits
Pendant ce tems lui seront interdits :
Ce n’est point tout, pour comble de misere,
On lui choisit pour garde, pour geoliere,
Pour entretien, l’Alecton du couvent,
Une converse, infante doüairiere,
Singe voilé, squelette octogenaire ;
Spectacle fait pour l’œil d’un pénitent.
Malgré les soins de l’Argus infléxible,
Dans leurs loisirs souvent, d’aimables Sœurs,
Venant le plaindre avec un cœur sensible,
De son exil suspendoient les rigueurs.
Sœur Rofalie, au retour de Matines,
Plus d’une fois, lui porta des pralines :
Mais dans les fers, loin d’un libre destin,
Tous les bonbons ne sont que chicotin.
Couvert de honte, instruit par l’infortune
Ou las de voir sa compagne importune,
L’oiseau contrit se reconnut enfin

Il oublia les Dragons & le Moine
Et pleinement remis à l’unisson
Avec nos Sœurs pour l’air & pour le ton,
Il redevint plus dévot qu’un Chanoine.
Quand on fut sûr de sa conversion,
Le vieux Divan désarmant sa vengeance,
De l’éxilé borna la pénitence.
De son rapel, sans doute, l’heureux jour
Va, pour ces lieux, être un jour d’allegresse :
Tous ses instans donnés à la tendresse,
Seront filés par les mains de l’Amour.
Que dis-je ? Hélas ! Ô plaisirs infidéles
Ô vains attrais des délices mortelles !
Tous les dortoirs étoient jonchés de fleurs ;
Caffé parfait, chansons, course legere,
Tumulte aimable, & liberté pleniere ;
Tout exprimoit de charmantes ardeurs,
Rien n’annonçoit de prochaines douleurs.
Mais de nos Sœurs, ô largesse indiscrette !
Du sein des maux d’une longue diette,
Passant trop tôt dans des flots de douceurs
Bourré de sucre, & brûlé de liqueurs,
Ver-Vert, tombant sur un tas de dragées,
En noirs cyprès vit ses roses changées.
En vain les Sœurs tâchoient de retenir
Son ame errante, & son dernier soupir :
Ces doux excès hâtant sa destinée,
Du tendre amour victime fortunée,
Il expira dans le sein du plaisir.
On admiroit ses paroles dernieres.

Venus, enfin, lui fermant les paupieres,
Dans l’Elissée, & les sacrés bosquets,
Le place au rang des Héros Perroquets,
Près de celui, dont l’amant de Corine
À pleuré l’ombre, & chanté la doctrine.
Qui peut narrer combien l’illustre mort
Fut regretté ? La Sœur Dépositaire
En composa la Lettre circulaire,
D’où j’ai tiré l’histoire de son Sort.
Pour le garder à la race future,
Son portrait fut tiré d’après nature :
Plus d’une main conduite par l’Amour.
Sçut lui donner une seconde vie
Par les couleurs & par la broderie ;
Et la Douleur travaillant à son tour
Peignit, broda des larmes à l’entour.
On lui rendit tous les honneurs funebres,
Que l’Hélicon rend aux Oiseaux celebres.
Au pied d’un myrthe on plaça son tombeau,
D’un goût exquis & d’un travail nouveau.
Là, par les mains des tendres Arthémises,
En lettres d’or, ces rimes furent mises
Sur un porphyre environné de fleurs :
En les lisant on snt naître ses pleurs.

Novices, qui venez causer dans ces Bocages
À l’insçû de nos graves Sœurs,
Un instant, s’il se peut, suspendez vos ramages ;
Apprenez nos malheurs.

Vous vous taisez : si c’est trop vous contraindre,
Parlez ; mais parlez pour nous plaindre.
Un mot vous instruira de nos justes douleurs.
cy gift Ver-Vert, cy gissent tous les cœurs.

On dit pourtant (pour terminer ma glose
En peu de mots) que l’ombre de l’Oiseau
Ne loge plus dans le susdit tombeau :
Que son esprit dans les Nones repose ;
Et, qu’en tout tems, par la métémpsicose,
De Sœur en Sœur, l’immortel Perroquet
Transportera son ame & son caquet.




ERRATA.
Page 7. ligne 29.

|Auroit dû. Lisez Auroient dû.

Page 10. ligne 4.

propettes. Lisez proprettes.

Page 12. ligne 22.

Tous le. Lisez Tous les.

Page 22. Ligue 29.

apprendre encore. Lisez apprendre encor.

  1. * Epagneule.