Victoire de la constance

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Texte établi par M. L. Lalanne, L. Hachette et Cie (Œuvres de Malherbe. Tome premierp. 28-31).


Enfin ceste beauté m’a la place renduë,
Que d’un siege si long elle avoit defenduë :
Mes vainqueurs sont vaincus ; ceux qui m’ont fait la loy
            La reçoivent de moy.

J’honore tant la palme acquise en cette guerre
Que si, victorieux des deux bouts de la terre
J’avois mille lauriers de ma gloire tesmoins,
            Je les priserois moins.

Au repos où je suis tout ce qui me travaille,
C’est la doute que j’ay qu’un malheur ne m’assaille,
Qui me separe d’elle, et me face lascher
            Un bien que j’ay si cher.

Il n’est rien icy-bas d’éternelle durée ;

Une chose qui plaist n’est jamais asseurée ;
L’espine suit la rose, et ceux qui sont contens
            Ne le sont pas long-temps.

Et puis qui ne sçait point que la mer amoureuse
En sa bonace mesme est souvent dangereuse,
Et qu’on y voit tousjours quelques nouveaux rochers,
            Inconnus aux nochers ?

Desja de toutes parts tout le monde m’esclaire ;
Et bien tost les jaloux ennuyez de se taire,
Si les veux que je fais n’en destournent l’assaut,
            Vont mesdire tout haut.

Peuple qui me veux mal, et m’impute à vice
D’avoir esté payé d’un fidelle service,
Où trouves-tu qu’il faille avoir semé son bien,
            Et ne recueillir rien ?

Voudrois-tu que madame, estant si bien servie,
Refusast le plaisir où l’âge la convie,
Et qu’elle eust des rigueurs à qui mon amitié
            Ne sceust faire pitié ?

Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimeres,
Qui naissent aux cerveaux des maris et des meres,

Étoient-ce impressions qui peussent aveugler
      Un jugement si cler ?

Non, non, elle a bien fait de m’estre favorable,
Voyant mon feu si grand et ma foy si durable,
Et j’ay bien fait aussi d’asservir ma raison
      En si belle prison.

C’est peu d’experience à conduire sa vie,
De mesurer son aise au compas de l’envie,
Et perdre ce que l’âge a de fleur et de fruit
      Pour éviter un bruit.

De moy, que tout le monde à me nuire s’appreste,
Le Ciel à tous ses traicts face un but de ma teste :
Je me suis résolu d’attendre le trepas,
      Et ne la quitter pas.


Plus j’y voy de hazard, plus j’y trouve d’amorce ;
Où le danger est grand, c’est là que je m’efforce :
En un sujet aisé moins de peine apportant,
            Je ne brusle pas tant.

Un courage eslevé toute peine surmonte :
Les timides conseils n’ont rien que de la honte,
Et le front d’un guerrier aux combas estonné
            Jamais n’est couronné.

Soit la fin de mes jours contrainte ou naturelle,
S’il plaist à mes destins que je meure pour elle,
Amour en soit loué, je ne veux un tombeau
            Plus heureux ny plus beau.