Vie de Didius Julianus
Texte établi par Désiré Nisard, J. J. Dubochet et compagnie, (p. 404-940).
I.
Didius Julien, qui reçut l’empire après Pertinax, avait pour bisaïeul Salvius Julien, honoré deux fois du consulat, préfet de Rome et jurisconsulte, ce qui ajoutait encore à son illustration. Sa mère se nommait Clara Emilia; son père, Pétronius Didius Sévère. Il avait pour frères Didius Proculus et Nummius Albinus ; pour oncle maternel, Salvius Julien. Son grand-père paternel était originaire de Milan, et son aïeul maternel, de la colonie d’Adrumète. Julien fat élevé chez Domitia Lucilla, mère de l’empereur Marc-Aurèle. L’appui de cette princesse le fit élire parmi les vigintivirs. Il fut désigné questeur avant l’âge fixé par les lois. Marc-Aurèle lai fit ensuite obtenir l’édilité, puis la préture, après laquelle il eut, en Germanie, le commandement de la vingt-deuxième légion Primitive. IL gouverna longtemps et avec distinction la Belgique. Là, il s’opposa, avec le seul secours des auxiliaires provinciaux tumultuairement rassemblés, aux irruptions des Cauques, peuples de la Germanie, qui habitaient sur les rives de l’Elbe. Ce succès lui valut, sur le témoignage de l’empereur, les honneurs du consulat. Il défit aussi les Cattes. Il fut ensuite nommé gouverneur de la Dalmatie, et il délivra ce pays des incursions des peuples voisins. Il reçut, après ce gouvernement, celui de la Germanie inférieure, et il fut chargé, à son retour, du soin d’approvisionner l’Italie.
II.
[modifier]Il fut alors accusé par un certain Sévère, soldat des plus distingués, d’avoir formé avec Salvius une conjuration contre Commode. Mais ce prince, qui avait déjà fait périr, pour la même cause, un grand nombre de sénateurs et de citoyens aussi illustres que puissants, craignit enfin la haine publique; et, faisant condamner l’accusateur, il mit l’accusé en liberté. Julien, absous, alla reprendre ses fonctions. Il gouverna ensuite la Bithynie ; mais il n’y mérita pas la même réputation que dans ses autres gouvernements. Il fut consul avec Pertinax, et lui succéda dans le proconsulat d’Afrique. Aussi celui-ci l’appelait-il toujours son collègue et son successeur : ce qui fut surtout remarqué le jour où Julien vint lui présenter un de ses parents qu’il avait fiancé à sa fille : « Honorez en lui mon collègue et mon successeur, » dit l’empereur au jeune homme, d’un ton plein de respect. En effet, la mort de Pertinax suivit de près ces paroles. Dès que ce prince eut été tué, et tandis que Sulpitien tâchait de se faire nommer empereur dans le camp des prétoriens, Julien se rendit avec son gendre au sénat, qui avait été convoqué ; mais il en trouva les portes fermées. Les tribuns P. Florianus et Vectius Aper, qu’il rencontra, l’exhortèrent à s’emparer du pouvoir ; et Julien leur ayant répondu qu’on avait déjà choisi un empereur, ils le forcèrent de se rendre avec eux au camp des prétoriens. Lorsqu’ils y furent arrivés, ils entendirent Sulpitien, préfet de Rome et beau-père de Pertinax, haranguer les soldats et réclamer l’empire. Personne ne voulut laisser entrer Julien, qui faisait, du haut des murailles, les plus brillantes promesses. Il avait commencé par exhorter les prétoriens à ne pas choisir pour empereur un homme qui voudrait venger la mort de Pertinax; il écrivit ensuite sur des tablettes qu’il réhabiliterait la mémoire de Commode. Il parvint ainsi à être admis dans le camp, et à se faire nommer empereur. Toutefois les prétoriens exigèrent qu’il ne fit point de mal à Sulpitien, pour avoir aspiré à l’empire.
III.
[modifier]Julien nomma préfets du prétoire, avec l’agrément des prétoriens, Flavius Génialis et Tullius Crispinus. Il s’avança ensuite au milieu de la foule, avec l’escorte impériale commandée par Maurentius, qui avait appuyé auparavant les prétentions de Sulpitien. Au lieu de vingt-cinq mille sesterces[1] qu’il avait promis aux soldats, il leur en donna trente[2]. Ayant ensuite harangué l’armée, il se rendit vers lesoir au sénat, et se mit entièrement à la disposition de cette assemblée. Un sénatus-consulte lui donna le titre d’empereur, avec la puissance tribunitienne et le pouvoir proconsulaire, auquel il avait droit par son agrégation aux familles patriciennes. Sa femme Mallia Scantilla fut appelée Auguste, ainsi que sa fille Didia Clara. De là il se rendit au palais, où il manda sa femme et sa fille, qui y vinrent à regret et en tremblant, comme si elles eussent pressenti la fin tragique qui les menaçait. Il nomma son gendre Cornélius Répentinus préfet de Rome, à la place de Sulpitien. Cependant le nouvel empereur était haï du peuple, qui, persuadé que Pertinax eût fait servir son autorité à réparer les maux du dernier règne, soupçonnait Julien d’avoir conseillé le meurtre de ce prince. Aussi les ennemis de Julien commencèrent-ils par faire courir le bruit que, voulant, dès le premier jour, se moquer de la frugalité de Pertinax, il avait donné un festin des plus somptueux, où l’on avait servi des huitres, des viandes délicates, et des poissons. Rien n’était plus faux ; car Julien poussait, dit-on, la parcimonie jusqu’à se nourrir pendant trois jours d’un cochon de lait, et pendant trois jours d’un lièvre, quand, par hasard, on lui en avait envoyé. On le vit aussi, les jours même où la religion n’en faisait pas un devoir, diner sans viande, avec des légumes et des fruits. Enfin il ne dina pas avant les obsèques de Pertinax; cette mort rendit son repas fort triste, et il passa toute la nuit à veiller, plein d’inquiétude au milieu de ces difficiles conjonctures.
IV.
[modifier]Dès le point du jour il reçut les sénateurs et les chevaliers qui s’étaient rendus au palais, et il leur fit l’accueil le plus flatteur, donnant à chacun d’eux, suivant son âge, les noms de frère, de fils ou de père. Cependant le peuple, envahissant les Rostres et la salle du sénat, accablait d’injures le nouveau prince, et se flattait de pouvoir aussi disposer de l’empire, que les soldats venaient de donner. Julien faillit être lapidé et lorsqu’il descendit vers la salle du sénat avec les soldats et les sénateurs, il fut poursuivi par les malédictions de la foule : on alla jusqu’à souhaiter que le sacrifice accoutumé ne donnât pas d’heureux présages. Les plus furieux lui jetèrent des pierres, tandis qu’il tâchait de Îles apaiser du geste. Il prononça dans le sénat des paroles pleines de modération et de prudence. Il rendit grâces à cette assemblée, pour son élection; il la remercia de lui avoir donné le nom d’Auguste, ainsi qu’à sa femme et à sa fille; il accepta le titre de Père de la patrie, et refusa une statue d’argent. Le peuple l’attaqua de nouveau, comme il se rendait du sénat au Capitole ; mais l’emploi des armes, quelques blessures, enfin des pièces d’or promises à la foule, et que Julien lui-même agitait dans ses mains, pour la convaincre, finirent par la dissiper et l’éloigner. De là, il se rendit au spectacle du cirque ; mais il y trouva tous les sièges indistinctement occupés, et il fut encore l’objet des insultes du peuple, qui appela même au secours de Rome Pescennius Niger, qu’on disait déjà empereur. Julien souffrit patiemment tous ces outrages : il montra aussi beaucoup de douceur pendant son règne. Le peuple était furieux contre les soldats, qui avaient tué Pertinax pour de l’argent. Julien, pour se concilier la faveur du peuple[3], rétablit plusieurs usages introduits par Commode et supprimés par Pertinax. Il ne fit rien pour la mémoire de cet empereur : ce qui parut un crime à beaucoup de personnes ; et,:par ménagement pour les soldats, il se garda de parler de lui avec éloge.
V.
[modifier]Julien ne craignait ni les armées de Bretagne ni celles d’Illyrie; mais, redoutant les légions de Syrie, il y envoya un primipilaire, chargé de tuer Niger. Pescennius Niger et Septime Sévère se révoltèrent donc avec les armées dont ils avaient le commandement, l’un en Syrie, et l’autre en Illyrie. A la nouvelle de la défection de Sévère, dont il n’avait pas suspecté la fidélité, Julien courut, plein de trouble, au sénat, et il obtint que ce général fût déclaré ennemi. On fixa aussi, pour les soldats qui avaient suivi son parti, un délai, passé lequel on devait les traiter comme lui, s’ils ne s’en étaient pas détachés. Le sénat leur députa, en outre, des consulaires, pour les engager à abandonner Sévère, et à reconnaitre l’empereur élu par cette assemblée. Parmi ces députés se trouvait Vespronius Candidus, qui avait jadis été consul, et que les soldats haïssaient depuis ce temps-là, pour son avarice et sa dureté. Valérius Catulinus fut envoyé pour succéder à Sévère, comme s’il était possible de remplacer un homme qui s’était attaché les soldats. On fit partir en même temps, avec ordre de tuer Sévère, le centurion Aquilius, connu comme meurtrier de plusieurs sénateurs. Julien, de son côté, ordonna de conduire les prétoriens au champ de Mars, et de fortifier les tours. Mais les soldats, corrompus et amollis par les plaisirs de la ville, apportaient une extrême répugnance aux exercices militaires, et se faisaient même remplacer, pour de l’argent, dans le travail assigné à chacun d’eux.
VI.
[modifier]Cependant Sévère s’approchait de Rome à la tête de ses légions irritées, et Julien, à qui le peuple témoignait tous les jours plus de haine et de mépris, n’avançait rien avec l’armée prétorienne. Ingrat envers Létus, qui l’avait soustrait à la cruauté de Commode et qu’il croyait partisan de Sévère, il le fit mettre à mort. Il ordonna aussi de tuer Martia. Tandis que Julien se conduit ainsi, Sévère s’empare de la flotte de Ravenne : les députés du sénat, qui avaient promis leur concours à l’empereur, se rangent sous les drapeaux de son ennemi; et Tullius Crispinus, préfet du prétoire, à qui l’on avait donné le commandement de la flotte contre ce rebelle, revient vaincu à Rome. Dans ces conjonctures, Julien demanda au sénat que les vestales, tous les prêtres et les sénateurs eux-mêmes allassent au devant de l’armée de Sévère, et, la tête ceinte de bandeaux sacrés, implorassent sa pitié ; mais c’était employer un bien faible secours contre des barbares. Telles étaient toutefois les prétentions de Julien. Faustus Quintillus, consulaire et augure, combattit cette demande, alléguant que celui-là n’était pas digne de l’empire, qui ne pouvait résister, les armes à la main, à son adversaire ; et cet avis fut partagé par beaucoup de sénateurs. Julien, outré de ce refus, fit sortir les soldats de leur camp, pour forcer le sénat à obéir, ou pour le massacrer. Mais une telle résolution fut désapprouvée : devait-il, en effet, se montrer l’ennemi d’un ordre qui s’était déclaré pour lui contre Sévère? Prenant donc un meilleur conseil, il se rendit au sénat, et demanda un sénatus-consulte qui partageât l’empire; ce que l’on fit sur-le-champ.
VII.
[modifier]Chacun alors se rappela le présage qu’il avait fourni lui-même le jour où il avait reçu l’empire. En effet, le consul désigné ayant dit, dans la conclusion de son avis sur cette élection, « Je pense qu’il faut nommer empereur Didius Julien, » celui-ci reprit aussitôt : « Ajoutez Sévère; » or, c’était un surnom qu’il avait pris de son aïeul et de son bisaïeul. Il y a toutefois des auteurs qui affirment que Julien ne pensa jamais à faire massacrer le sénat, auquel il devait tant. Le sénatus-consulte à peine voté, Didius Julien envoya vers Sévère Tullius Crispinus, un des préfets. Il en créa un troisième, Véturius Macrin, à qui Sévère avait écrit pour lui donner cette dignité, Mais le peuple prétendit et Sévère soupçonna que cette paix n’était qu’un leurre, cachant le dessein de le faire tuer par le préfet du prétoire Tullius Crispinus. Quoi qu’il en soit, Sévère, du consentement même des soldats, aima mieux disputer l’empire à Julien que de le partager avec lui. Il écrivit sur-le-champ à Rome à plusieurs magistrats, et il y fit passer secrètement des édits, qui furent aussitôt proposés. Julien poussa la folie jusqu’à ordonner des opérations magiques, destinées, suivant lui, à calmer la haine du peuple et à rendre inutiles les armes de ses ennemis : on fit des sacrifices contraires à la religion romaine, et l’on chanta des hymnes profanes. Il eut aussi recours à cette espèce de divination qui se fait avec un miroir, derrière lequel des enfants, dont la tête et les yeux ont été soumis à certains enchantements, lisent, dit-on, l’avenir. Celui qu’on avait choisi vit, à ce que l’on prétend, l’arrivée de Sévère et la retraite de Julien.
VIII.
[modifier]Sévère, d’après le conseil de Julius Létus, fit tuer Crispinus, qui était venu à la rencontre de ses éclaireurs. On annula aussi tous les sénatus-consultes favorables a Julien. Ce prince convoqua de nouveau les sénateurs, et leur demanda leur avis sur ce qu’il fallait faire; mais il n’en reçut aucune réponse positive. Alors, ne prenant plus conseil que de lui-même, il ordonna à Lollianus Titianus d’armer les gladiateurs de Capoue, et il manda près de lui, de sa retraite de Terracine, Claude Pompéien, gendre de Pertinax, et qui avait longtemps commandé les armées. Mais celui-ci s’excusa sur son âge et sur la faiblesse de sa vue. Julien apprit, en outre, que des soldats étaient passés de l’Ombrie sous les drapeaux de Sévère, lequel avait envoyé à Rome l’ordre de s’assurer des meurtriers de Pertinax. Julien se vit bientôt abandonné de tout le monde, et resta dans le palais avec Génialis, un de ses préfets, et avec son gendre Répentinus. Il fut enfin résolu que l’empire serait ôté à Julien, par l’autorité du sénat ; ce qui fut exécuté, et l’on donna aussitôt le titre d’empereur à Sévère, sur le bruit, répandu à dessein, que Julien s’était empoisonné. La vérité est que le sénat avait envoyé au palais des gens affidés, qui firent tuer Julien par un simple soldat, quoiqu’il implorât la clémence de César, c’est-à-dire de Sévère. Julien, en prenant possession de l’empire, avait émancipé sa fille et lui avait donné son patrimoine. Elle le perdit, par cette catastrophe, avec le nom d’Auguste, Sévère fit rendre le corps de ce prince à sa femme Manlia Scantilla et à sa fille, qui le déposèrent dans le tombeau de son bisaïeul, à cinq milles de Rome, sur la voie Lavicane.
IX.
[modifier]On reprochait à Julien d’aimer la table, d’avoir la passion du jeu, de se livrer aux exercices des gladiateurs, et surtout d’avoir contracté dans sa vieillesse tous ces vices, dont sa jeunesse avait été exempte. On l’accusa aussi d’orgueil, quoiqu’il parût fort humble, même sur le trône. Il se montra, d’ailleurs, plein d’affabilité dans ses festins, de bonté dans ses décisions, de modération dans ses rapports avec les citoyens. Il vécut cinquante-six ans et quatre mois ; il régna deux mois et cinq jours. On lui reprocha principalement d’avoir abandonné le gouvernement de la république à des hommes qu’il aurait dû tenir sous son autorité.
SÉVERE,
PAR ÉLIUS SPARTIEN.
A L’EMPEREUR DIOCLÉTIEN.
SOMMAIRE.
). Famille et naissance de Sept. Sévére. Son enfance el ses études. Des présages lui promettent l’empire. — IT. Sa jeunesse. Ses dignités et ses commandements. Son orgueil. Son horoscope. — TII. Son crédit auprès de Marc-Aurèle. Son voyage à Athènes, Ses connaissances en astrologie. Sa seconde femme. — IV. Ses gouvernements. Jl est aecusé sous le régne de Commode, et absous. Sa frugalité, — V. 1l est élu empereur par l’armée de Germanie. 11 marche vers Rome sans rencontrer d’obstacle, et il fait tuer Julien. — VI. Des députés du sénat vont lui offrir l’empire. — VIT. Son entree dans Rome. Ses soldats s’y conduisent comme dans une ville conquisc. U rend de grands honneurs à la mémoire de Pertinax. — VIII. 11 fait ses deux gendres consuls, et va combattre Niger. Succès de ses lieutenants. — IX. Il tue Niger prés de Cyzique, et se’ venge de ses partisans. Ses avantages contre les Parthes et les Adiabénes. — X. Il marche contre Clodius Albin, et il nomme César son fils Bassien. — XT. Il court, pendant cette guerre, un grand danger. Son acharnement contre le cadavre d’Albin. — XII. Ses proscriptions. Ses fureurs. — XIII. Ses victimes les plus illustres. — XIV. Sa haine contre Plautien. Ses meurtres. — XV. Son expédition contre les Parthes. Ses nouvelles cruautés. Sa sceur Lépitana. —— XV]. Ses succés contre les Parthes. L’armée associe son fils Bassien à l’empire, el nomme César son second fils. Il refuse le triomphe, et en laisse jouir Dassien, qu’il fait consul. — XVII. Il donne des lois à différents peuples. Son séjour en. Égypte. Sa conduite aprés la mort de Julien.
, — XVHI. 1l soumet plusieurs nations, et éléve un mur
X. en Bretagne. Sa fureur quand les soldats lui associèrent £^ sonfils Bassien. — XIX. Sa mort. Sa vénération pour Marc-Aurèle. Ses obsèques. Ses constructions. Son por-
subscriptiones, moderatissimus ad libertatem, Vixit annis quinquaginta sex , meusibus quatuor : imperavit mensibus duobus, dicbus quinque. Reprehensum in eo pra :cipue, quod eos quos regere autorilate sua debuerat, regenda reipubl. sibi prxesules ipse fecisset.
ÆLII SPARTIANI SEVERUS AD DIOCLETIANUM AUG. I. Interfecto Didio Juliano, Severus Africa oriundus
imperium oblinuit : cui civitas Leplis, pater Geta : majores equites Romani ante civitatem omnibus datam : ma-
trait. — XX. ll se réjouit , en mourant, de laisser le trône à ses fils. — XXI. Réflexions de l’auteur sur les fils des hommes célèbres. Vices et cruautés de Bassien, — XXII. Présages qui annoncérent la mort de Sévére. — XXIII. Ses derniéres paroles. La mort l’empéche de faire faire .une seconde image de la l’ortune de l’empire. — XXIV. Son dessein dans la construction du Seplizone.
I.
Après la mort de Didius Julien, Sévère, originaire de l’Afrique, obtint l’empire. Il était né à Leptis[4] ; son père se nommait Géta ; ses ancêtres étaient chevaliers romains, avant que le droit de cité n’eût été accordé à toutes les provinces[5]. Il eut pour mère Fulvia Pia; pour oncles paternels, M. Agrippa et Sévère, tous deux consulaires ; pour aïeul maternel, Macer, et, du côté de son père, Fulvius Pius. Il naquit le six des ides d’avril, sous le second consulat de Sévère et d’Érucius Clarus. Dès sa plus tendre jeunesse, et avant qu’on ne l’instruisit dans les lettres grecques et latines, où il acquit un grand savoir, il ne jouait avec les enfants de son âge qu’à un jeu imitant les formes de la justice. Entouré de ses camarades, dont quelques-uns portaient devant lui des haches et des faisceaux, il siégeait sur un tribunal et rendait des jugements, A l’âge de dix-huit ans, il déclama en public. Le besoin de perfectionner ses études l’amena ensuite à Rome, et, favorisé par Septime Sévère, son parent, qui avait été deux fois consul, il sollicita et obtint de M. Aurèle le laticlave. Le jour de son arrivée à Rome, il trouva son hôte occupé à lire la vie de l’empereur Adrien ; ce qu’il prit pour un présage de sa grandeur future. Une autre circonstance lui présagea aussi l’empire : invité à souper chez l’empereur, ils’y rendit en manteau, tandis qu’il y devait paraître avec la toge; et on lui donna celle que portait le prince quand il présidait quelque assemblée. Il rêva, dans la même nuit, qu’il s’allaitait, comme Remus ou Romulus, aux mamelles d’une louve. On le vit aussi s’asseoir, par mégarde, sur le siège de l’empereur, qu’un esclave avait mal placé. Un jour enfin qu’il s’était endormi dans une hôtellerie, un serpent vint s’enrouler autour de sa tête, et se retira sans lui faire aucun mal, au grand étonnement de ses amis réveillés.
II.
[modifier]Il signala sa jeunesse par des violences et même par des crimes. Il eut à se défendre d’une accusation d’adultère, et fut absous par Julien, alors proconsul. Il fut son successeur dans le proconsulat, son collègue dans la dignité consulaire, et il obtint l’empire après lui. Il remplit avec zèle les fonctions de questeur. Né pour réussir en tout, il obtint par le sort la questure de la Bétique, et il passa de là en Afrique, où l’appelaient, par suite de la mort de son père, des intérêts de famille. Pendant son séjour dans cette province, on lui assigna la Sardaigne, au lieu de la Bétique, ravagée par les Maures. Après sa questure en Sardaigne, il fut nommé lieutenant proconsulaire en Afrique. Là, un de ses concitoyens du municipe de Leptis, obscur plébéien, étant accouru l’embrasser au milieu de ses faisceaux, comme un ancien camarade, il le fit bâtonner, tandis que le crieur public disait : « Garde-toi, téméraire plébéien, d’embrasser un lieutenant du peuple romain. » Cette circonstance fut cause que les lieutenants, qui auparavant allaient à pied, ne sortirent plus qu’en voiture. Pour s’assurer de sa destinée, il consulta, dans une ville de l’Afrique, un astrologue : celui-ci, voyant de grandes choses dans l’heure donnée par Sévère, lui dit : « Indiquez-moi votre nativité, et non celle d’un autre; » et Sévère lui ayant juré que c’était la sienne, l’astrologue lui prédit tout ce qui lui arriva depuis.
III.
[modifier]Ses services le firent nommer tribun du peuple par l’empereur Marc-Aurèle, et il s’acquitta de ces fonctions avec autant d’intelligence que de sévérité, C’est à cette époque qu’il épousa Marcia, dont il ne parle pas dans l’histoire de sa vie privée, et à laquelle il érigea des statues, lorsqu’il parvint, dans la suite, à l’empire. Il fut désigné préteur, à trente-deux ans, par Marc-Aurèle, non parmi les candidats connus, mais entre un grand nombre de compétiteurs. Envoyé alors en Espagne, il rêva, une première fois, qu’il était chargé de restaurer, à Tarragone, le temple d’Auguste, qui menaçait ruine[6] ; ensuite, qu’il voyait, du haut d’une montagne, l’univers et Rome, à qui toutes les provinces donnaient un concert de lyres, de voix et de flûtes. Il donna des jeux, quoiqu’absent. Il commanda ensuite, près de Marseille, la quatrième légion Scythique. Le goût des lettres et le désir de connaître les mystères, les ouvrages et les antiquités d’Athènes, le conduisirent dans cette ville. Mais il reçut des Athéniens certains outrages, qui firent de lui leur ennemi, et dont il se vengea, quand il fut empereur, en restreignant leurs privilèges. Il fut envoyé de là, comme lieutenant, dans la province Lyonnaise. Ayant perdu sa femme et voulant en prendre une autre, il tira lui-même l’horoscope de plusieurs jeunes filles qu’on lui offrit; car il était fort habile en astrologie. Mais apprenant qu’il y en avait une en Syrie, à laquelle sa nativité promettait un roi pour époux, il la demanda en mariage : c’était Julie ; il l’obtint par l’entremise de ses amis, et elle ne tarda pas à le rendre père.
IV.
[modifier]Sa sévérité, la pureté de ses mœurs et son intégrité le firent aimer des Gaulois plus que personne. Il gouverna bientôt, comme proconsul, les deux Pannonies. Le proconsulat de Sicile lui échut ensuite en partage, et un second fils lui naquit à Rome. On l’accusa, pendant son séjour en Sicile, d’avoir consulté des devins ou des Chaldéens, pour savoir s’il parviendrait à l’empire; mais Commode ayant déjà commencé à se faire haïr, les préfets du prétoire, nommés pour l’entendre, le renvoyèrent absous, et firent mettre en croix son accusateur. Il exerça son premier consulat avec Apuléius Ruffinus, Commode l’ayant lui-même désigné entre beaucoup d’autres. Après ce consulat, il resta près d’une année oisif à Rome. La protection de Létus lui valut le commandement de l’armée de Germanie. Avant de s’y rendre, il acheta des jardins spacieux, tandis qu’il avait eu jusque-là une fort petite maison à Rome, et un seul fonds de terre. Un jour que, couché sur le gazon dans ces jardins, il prenait un repas modeste avec ses fils, l’aîné, qui n’avait alors que cinq ans, se mit, lorsqu’on eut servi le fruit, à en faire une large distribution à ses camarades : son père lui dit, en le grondant : « Ne sois pas si libéral ; car tu n’as point les richesses d’un roi. — Je les aurai un jour. » répondit l’enfant, Parti enfin pour la Germanie, Sévère y mit le comble à la gloire qu’il s’était déjà acquise.
V.
[modifier]Il avait commandé jusque-là au nom d’un autre : mais les légions de Germanie, informées du meurtre de Commode et de la haine universelle qui poursuivait Julien sur le trône, élurent Sévère empereur à Carnunte, aux ides d’août, quoiqu’il s’y refusât. Il finit toutefois par céder à leurs instances. Il donna aux soldats ce qu’aucun prince ne leur avait encore donné, cinquante mille sesterces[7]. Après s’être assuré des provinces qu’il laissait derrière lui, il s’avança vers Rome. Tout ce qu’il rencontra sur sa route se soumit à lui. Les chefs des armées de l’Illyrie et des Gaules les avaient déjà forcées à le reconnaître. Il était reçu partout comme le vengeur de Pertinax. Cependant Julien le fit déclarer ennemi par le sénat, qui envoya même à son armée des députés chargés de donner aux soldats l’ordre formel d’abandonner sa cause. Sévère, en apprenant que ces députés venaient exécuter l’expresse volonté du sénat, éprouva d’abord quelque crainte; mais il prit ensuite le parti de les corrompre. Ils parlèrent À l’armée en sa faveur, et se rangèrent sous ses drapeaux. A cette nouvelle, Julien fit faire un sénatus-consulte, qui partageait l’empire entre Sévère et lui. On ignore s’il agit ainsi par ruse ou de bonne foi ; car il avait déjà fait partir, pour tuer Sévère, des émissaires connus par le meurtre de quelques généraux. Il en avait aussi envoyé pour assassiner Pescennius Niger, qui, de son côté, avait pris l’empire contre lui, à la demande des armées de Syrie. Mais Sévère sut échapper aux coups de ces assassins : il écrivit aux prétoriens, et donna le signal d’abandonner ou de tuer Julien. Il fut aussitôt obéi : Julien fut massacré dans le palais, et Sévère invité à venir à Rome. Ainsi, ce que l’on n’avait jamais vu jusque-là, Sévère n’eut qu’à vouloir pour vaincre, et il marcha sur Rome avec ses troupes.
VI.
[modifier]Quoique Julien fût mort, Sévère, comme s’il eût été en pays ennemi, continua de s’avancer à la tête de son armée. Le sénat lui envoya en députation cent sénateurs, pour le féliciter et le prier d’accepter l’empire. Ils le trouvèrent à Intéramne[8], et, avant de les admettre à le saluer, il s’assura, en les faisant fouiller, s’ils avaient des armes; lui-même les reçut armé et entouré de soldats. Le lendemain, il vit accourir tous ceux qui faisaient partie de la cour, et il donna aux députés quatre-vingt-dix pièces d’or; puis il les congédia, laissant à ceux qui le voudraient la faculté de rester auprès de sa personne, et de retourner avec lui à Rome. Il donna aussitôt la préfecture du prétoire à Flavius Juvénal, que Julien avait aussi nommé son troisième préfet, Cependant de vives inquiétudes s’étaient répandues à Rome parmi les citoyens et les soldats, fondées sur ce que Sévère s’avançait, les armes à la main, contre ceux qui l’avaient déclaré ennemi. De son côté, Sévère fut informé que les légions de Syrie avaient donné le titre d’empereur à Pescennius Niger. A l’aide de ses émissaires, il intercepta les lettres et les édits que celui-ci adressait aux citoyens et aux sénateurs, et il empêcha ainsi d’en faire la proposition devant le peuple, ou la lecture dans le sénat. Il pensa en même temps à se substituer Clodius Albin, à qui un décret de Commode semblait assurer la qualité de César et l’empire. Mais comme il appréhendait ceux même dont il jugeait avantageusement, il envoya Héraclite s’emparer des Bretagnes, et Plautien se saisir des enfants de Niger. Arrivé aux portes de Rome, Sévère ordonna aux prétoriens de se rendre auprès de lui en simple tunique et sans armes. Il les fit aussi paraître devant son tribunal, autour duquel étaient rangés des soldats.
VII.
[modifier]Il entra ensuite armé dans Rome, au milieu de ses troupes, et il monta au Capitole. Delà, fl se rendit, avec le même appareil, au palais des Césars, faisant porter devant lui, non pas droites mais renversées, les enseignes qu’il avait ôtées aux prétoriens. Les soldats se répandirent alors par toute la ville, et s’établirent dans les temples, sous les portiques, dans la demeure impériale, comme dans autant d’hôtelleries. L’entrée de Sévère dans Rome eut quelque chose d’odieux et de terrible
- les soldats prenaient tout sans rien payer, et n’avaient à la bouche
que des menaces de destruction. Le lendemain, Sévère vint au sénat, escorté non-seulement de ses soldats, mais aussi de ses amis armés. Il y rendit compte des motifs qui lui avaient fait prendre l’empire, et il allégua que Julien avait envoyé, pour le tuer, des hommes bien connus par le meurtre de plusieurs généraux. Il obtint, en mème temps, un sénatus-consulte qui défendait à l’empereur de faire mourir un membre du sénat, sans en avoir délibéré avec ce corps. Tandis qu’il était au sénat, les soldats mutinés exigèrent de cette assemblée dix mille sesterces[9], à l’exemple de ceux qui avaient autrefois conduit Octave Auguste à Rome, et à qui l’on avait donné la même somme. Sévère voulut les réprimer, et il ne put y parvenir qu’en leur accordant une gratification. Il fit de magnifiques obsèques à l’image de Pertinax, le mit au rang des dieux, lui donna un flamine et des prêtres nommés Helviens, lesquels avaient appartenu à Marc-Aurèle. Il voulut aussi être appelé Pertinaz ; mais, dans la suite, il quitta ce nom, sur les représentations de ses amis.
VIII.
[modifier]Il paya ensuite tout ce qu’il devait. Il donna pour maris à ses filles, après les avoir dotées, Probus et Aétius. Il offrit à son gendre Probus la préfecture de Rome; mais celui-ci la refusa, disant qu’il préférait la qualité de gendre de l’empereur à celle de préfet. Il commença par faire ses deux gendres consuls, et il les enrichit tous deux. Il se rendit ensuite au sénat, et s’y porta l’accusateur des amis de Julien, qui furent dépouillés de leurs biens et mis à mort. Il jugea aussi plusieurs causes, et il punit sévèrement, sur des preuves manifestes, les juges accusés par les provinces. Ayant trouvé en fort mauvais état les approvisionnements, il y pourvut avec une telle vigilance, qu’à sa mort il en laissa au peuple romain une réserve pour sept années. Il partit pour pacifier l’Orient, sans avoir encore dit en publie un seul mot de Niger. Toutefois il envoya des légions en Afrique, de peur que Niger ne vint occuper ce pays par la Libye et l’Egypte, et ne fit souffrir au peuple romain la disette. Il laissa Domitius Dexter préfet de Rome, à la place de Bassus, et il sortit de cette ville trente jours après y avoir fait son entrée. Après son départ, il essuya, aux Roches-Rouges[10], une violente sédition de son armée, à cause de l’emplacement du camp. Son frère Géta s’empressa de venir à sa rencontre et reçut de lui, contre son espérance[11], l’ordre d’aller gouverner la province qui lui était confiée. Il eut pour les enfants de Niger, qu’on lui avait amenés, autant d’égards que pour les siens mêmes. Il avait envoyé une légion occuper au plus tôt la Grèce et la Thrace, pour empêcher Niger de s’en emparer ; mais celui-ci était déjà maître de Byzance. Voulant réduire aussi Périnthe en son pouvoir, Niger fit périr un grand nombre de soldats; ce qui lui fit donner le nom d’ennemi, ainsi qu’à Émilien. Il fit à Sévère la proposition de partager avec lui l’empire; proposition qui fut repoussée avec mépris. Sévère lui offrit toutefois un asile sûr, s’il voulait l’accepter ; mais il refusa de pardonner à Émilien. Ce dernier, vaincu dans l’Hellespont par les lieutenants de Sévère, se réfugia d’abord à Cyzique, puis dans une autre ville, où il fut tué par l’ordre des vainqueurs. Les troupes de Niger furent aussi défaites par les mêmes généraux.
IX.
[modifier]A cette nouvelle, Sévère Pertinax écrivit au sénat, comme si la guerre eût été terminée. Mais bientôt il en vint lui-même aux mains avec Niger, le tua près de Cyzique, et promena sa tête plantée au bout d’une pique. Il envoya en exil, avec leur mère, les fils de son ennemi, qu’il avait d’abord traités comme ses enfants. Il annonca cette victoire au sénat par des dépêches, et, de tous les sénateurs qui avaient favorisé le parti de Niger, il n’en fit mourir qu’un. Il témoigna beaucoup de ressentiment contre les habitants d’Antioche, qui s’étaient moqués de lui pendant son administration en Orient, et qui avaient fourni des vivres à Niger ; il finit même par les priver de la plupart de leurs privilèges. I retira le droit de cité aux habitants de Naplouse en Palestine, parce qu’ils avaient longtemps porté les armes en faveur de Niger. Il punit un grand nombre de ses partisans, excepté ceux qui faisaient partie de l’ordre des sénateurs. Il se vengea aussi, par des outrages et des confiscations, de plusieurs villes qui avaient embrassé sa cause. Il fit mettre à mort les sénateurs qui avaient combattu, comme généraux ou comme tribuns, pour Niger. Il remporta ensuite plusieurs avantages du côté de l’Arabie, et il soumit les Parthes et les Adiabènes, qui avaient tous fait cause commune avec son ennemi. Aussi lui décerna-t-on, à son retour, les honneurs du triomphe, et les surnoms d’Arabique, d’Adiabénique et de Parthique. Mais il renonça au triomphe, pour ne pas célébrer une victoire remportée sur ses concitoyens : il refusa aussi le surnom de Parthique, dans la crainte de provoquer les Parthes.
X.
[modifier]A son arrivée à Rome, après la guerre civile de Niger, il reçut la nouvelle d’une autre révolte suscitée en Gaule par Clodius Albin; événement qui fut cause que l’on fit mourir les fils de Niger avec leur mère. Il fit aussitôt déclarer Albin ennemi publie, avec ceux qui avaient écrit ou répondu à ce rebelle avec trop de ménagement. Il marcha ensuite contre lui, et, en route, afin d’ôter à son frère Géta l’espérance de régner, il créa César à Viminate son fils aîné Bassien, auquel il fit prendre les noms d’Aurèle Antonin, parce qu’il avait rêvé qu’un Antonin lui succéderait. Quelques auteurs prétendent que Géta prit aussi le nom d’Antonin, dans l’espoir de devenir son successeur au trône. D’autres pensent qu’il le porta du consentement de Sévère, qui voulait lui-même entrer dans la famille de Marc-Aurèle. Les généraux de Sévère furent d’abord vaincus par les troupes d’Albin. Inquiet sur l’issue de cette guerre, l’empereur consulta les augures pannoniens : il apprit d’eux qu’il serait vainqueur, que son ennemi n’échapperait pas, mais ne tomberait point en son pouvoir, et périrait près d’un endroit plein d’eau, Un grand nombre des amis d’Albin l’abandonnèrent aussitôt ; plusieurs de ses généraux furent pris, et punis par Sévère.
XI.
[modifier]On combattit en Gaule avec des chances diverses. Sévère remporta d’abord une victoire complète sur Albin à Tiburtium ; mais son cheval s’étant abattu, il courut le plus grand danger; on le crut même mort d’un coup de balle de plomb, et l’armée fut sur le point d’élire un autre empereur. Ayant lu, pendant cette guerre, des actes où l’on faisait l’éloge de Clodius Celsinus d’Adrumète, parent d’Albin, il s’emporta contre les sénateurs, les accusant d’avoir voulu servir ainsi les intérêts d’Albin, et il ordonna, comme pour se venger d’eux, que l’on mit Commode au rang des dieux. Il fut aussi le premier qui donna, devant les troupes, le nom de divin à cet empereur; et il l’écrivit au sénat, en lui envoyant la relation de sa victoire. Il ordonna ensuite de mettre en pièces les cadavres des sénateurs qui avaient été tués dans cette guerre. Quand on lui apporta le corps d’Albin à peine expiré, il lui fit trancher la tête, qu’il envoya aussitôt à Rome avec des lettres. Albin fut vaincu le onze des calendes de mars. Ce qui restait de son cadavre fut exposé, puis coupé en morceaux devant la maison de Sévère. Lui-même poussa son cheval sur ces restes mutilés, et, voulant l’associer à sa rage, le força, malgré sa répugnance, à les fouler aux pieds. D’autres ajoutent qu’il fit jeter ce cadavre dans le Rhône, avec ceux de la femme et des enfants de son ennemi.
XII.
[modifier]Une quantité innombrable de personnes du parti d’Albin, parmi lesquelles on comptait plusieurs des premiers citoyens de Rome et des femmes de la plus haute naissance, furent mises à mort, et leurs biens confisqués au profit du trésor public. Un grand nombre d’Espagnols et de Gaulois, les premiers de leur pays, périrent aussi pour la même cause. Enfin Sévère porta la solde des troupes à une somme qu’elles n’avaient encore reçue d’aucun prince. Grâce à ces confiscations, il laissa plus d’argent à ses fils qu’aucun autre empereur : il avait déjà tiré, depuis son avénement au trône, des sommes immenses des Gaules, des Espagnes et de l’Italie ; et c’est à lui que remonte l’usage qu’ont adopté ses successeurs d’avoir des intendants pour leurs revenus particuliers. Il vainquit, après la mort d’Albin, ceux qui étaient restés fidèles à sa cause, et il reçut vers le même temps la nouvelle qu’une légion de l’Arabie s’était déclarée en faveur de son rival. Après s’être ainsi vengé de sa révolte par la mort d’un grand nombre de personnes et par le meurtre de toute sa famille, il revint à Rome, plein de ressentiment contre le peuple et les sénateurs. Il fit l’éloge de Commode en plein sénat et devant le peuple assemblé ; il l’appela dieu ; il dit enfin, comme pour donner toutes les marques possibles de démence, que ce prince n’avait déplu qu’à des infâmes. Il osa ensuite se vanter de sa clémence, quoiqu’il se fût montré implacable, et qu’il eût fait périr les sénateurs que je vais nommer.
XIII.
[modifier]Il fit tuer, sans procès, ceux dont les noms suivent, et qui étaient tous d’une noble origine : Mummius Secundinus, Asellius Claudien, Claudius Rufus, Vitalius Victor, Papius Faustus, Élius Celsus, Julius Rufus, Lollius Professus, Aruneulélus Cornélien, Antonin Balbus, Posthumius Sévère, Sergius Lustralis, Fabius Paulinus, Nonius Gracchus, Mustius Fabien, Caspérius Agrippinus, Céjonius Albin, Claude Sulpicien, Memmius Rufinus, Caspérius Émilien, Coccéius Vérus, Érucias Clarus, L. Stilon, Clodius Rufus, Egnatuléius Honoratus, Pétronius Junior, les Pescennius, Festus, Nératien, Aurélius, Matérien, Julien et Albin, les Cérellius, Macrin, Faustinien et Julien, Hérennius Népos, Sulpitius Canus, Valérius Catulinus, Novius Rufus, Claude Arabien, Marcus Asellion. Assassin de tant de citoyens illustres (car la plupart d’entre eux étaient des consulaires ou d’anciens préteurs, et tous des hommes du plus grand mérite), il est regardé comme un dieu par les Africains.
XIV.
[modifier]Il accusa Cincius Sévère d’avoir voulu l’empoisonner, et il le fit périr pour ce prétendu crime. Il exposa aux lions Narcisse, qui avait étranglé Commode. Il donna la mort à un nombre infini d’hommes obscurs, sans compter ceux qui la reçurent dans les combats. Voulant gagner ensuite l’affection des citoyens, il fit passer des particuliers au fisc le soin de fournir les voitures publiques. Il fit donner par le sénat le nom d’Antonin à son fils Bassien, qu’il avait déjà fait César, et il lui décerna les ornements impériaux. Le bruit d’une guerre contre les Parthes s’étant dissipé, il érigea, de sa seule autorité[12], des statues à son père, à sa mère, à son aïeul et à sa première femme. Il conçut contre Plautien, son plus intime ami, une telle haine quand il
apprit sa conduite, qu’il le déclara ennemi publie, et lui ft le cruel outrage d’abattre ses statues dans tout l’empire. Il lui en voulait surtout d’avoir placé la sienne parmi celles des parents et des alliés de Sévère, Il fit grâce aux habitants de la Palestine du châtiment qu’ils avaient encouru pour leur attachement à Niger. Il se réconcilia ensuite avec Plautien, qui rentra dans Rome comme en triomphe, et qui l’accompagna au Capitole ; ce qui ne l’empêcha pas d’être immolé plus tard à ses vengeances. Sévère donna la toge virile à Géta, le plus jeune de ses fils, et il maria l’aîné à la fille de Plautien. Ceux qui avaient traité ce dernier d’ennemi public furent exilés : telles sont les vicissitudes ordinaires à toutes les choses humaines[13]. Il désigna ensuite ses fils consuls, et il perdit son frère Géta. Avant de partir pour la guerre des Parthes, il donna au peuple un congiaire, et le spectacle d’un combat de gladiateurs. Cependant il fit périr, pour des crimes véritables ou supposés, un grand nombre de citoyens. La plupart furent condamnés pour de simples plaisanteries, quelques-uns pour leur silence, d’autres pour quelques jeux de mots, pour avoir dit, par exemple, « que l’empereur portait bien ses noms, et qu’il était vraiment Sévère, vraiment Pertinax[14]. »
XV.
[modifier]C’était un bruit généralement répandu que ce prince voulait faire la guerre aux Parthes sans aucune nécessité, dans le seul : but d’acquérir de la gloire. Il embarque son armée à Brindes ; puis, ayant pris la voie de terre, il arriva en Syrie, et vit les Parthes se retirer devant lui, Il rentra ensuite en Syrie, et y continua ses préparatifs de guerre contre les Parthes. Cependant il poursuivait toujours, à l’instigation de Plautien, les restes du parti de Pescennius Niger, et avec un tel acharnement qu’il punit comme de secrets ennemis plusieurs de ses propres amis. Il en fit aussi périr un grand nombre, sous le prétexte qu’ils avaient consulté sur sa vie des Chaldéens ou des devins. Quiconque pouvait aspirer au trône lui paraissait suspect, parce que ses fils étaient encore des enfants, et c’était la raison dont lui semblaient se prévaloir ceux qui espéraient l’empire. Quand il avait commis quelques meurtres, il s’excusait sur son ignorance, et niait les avoir ordonnés. C’est re qu’il fit, par exemple, après la mort de Létus, comme nous l’apprend Marius Maximus. Sa sœur Lépitana, qui parlait à peine le latin, et dont il eut souvent occasion de rougir, étant venue le trouver, il donna le laticlave à son fils, la combla de présents, et la renvoya dans sa patrie avec ce jeune homme, qui mourut peu de temps après.
XVI.
[modifier]Sévère entra, sur la fin de l’été, dans le pays des Parthes, s’avança jusqu’à Ctésiphon, en chassa le roi, et s’empara de cette ville au commencement de l’hiver, qui est, dans ces contrées, la saison la plus favorable pour la guerre. Mais ses soldats, obligés de vivre d’herbes et de racines, contractèrent de graves maladies; et la résistance qu’opposèrent les Parthes, jointe à la dyssenterie que le manque d’aliments avait mise dans l’armée, ne lui permit pas d’aller plus loin. Il s’obstina toutefois, s’empara de la capitale, mit le roi en fuite, tua un grand nombre d’ennemis, et mérita ainsi le nom de Parthique. Ce fut aussi à l’occasion de ces succès que les soldats lui associèrent, comme empereur, son fils Bassien Antonin, déjà nommé César, et qui n’avait que treize ans. Ils donnèrent ce même titre de César à Géta, son plus jeune fils, qu’ils appelèrent aussi Antonin, selon le témoignage de plusieurs écrivains. Sévère paya tous ces titres par un magnifique donatif aux soldats, et par l’abandon, vivement réclamé, de tout le butin fait dans la capitale des Parthes. De là, il revint en vainqueur dans la Syrie. Les sénateurs lui décernèrent le triomphe ; il le refusa, la goutte l’empêchant de se tenir assis dans un char. Mais il permit à son fils de triompher des Juifs; honneur que le sénat avait aussi décerné à ce jeune prince, à cause des succès de son père en Syrie. Sévère, en passant à Antioche, fit prendre à son fils aîné la toge virile, et le désigna son collègue dans le consulat, dont ils prirent aussitôt possession en Syrie. Il augmenta ensuite la paye des soldats, et se rendit à Alexandrie,
XVII.
[modifier]Chemin faisant, il donna aux habitants de la Palestine un grand nombre de lois ; il défendit, sous des peines sévères, de se faire juif; il fit la même défense à l’égard des chrétiens. Le droit d’avoir un sénat fut accordé aux habitants d’Alexandrie, qui, sans conseil public, vivaient comme sous des rois, et se contentaient d’un seul juge nommé par les empereurs. Il fit aussi beaucoup de changements à leurs lois. Sévère témoigna toujours, dans la suite, que les cérémonies du cuite de Sérapis, et la nouveauté des lieux et des animaux, lui avaient rendu ce voyage très agréable. Il visita en effet, avec beaucoup d’attention, et Memphis, et la statue de Memnon, et les pyramides, et le labyrinthe, Pour éviter lu longueur des détails, disons que ce qu’il fit de plus remarquable, après avoir vaincu et tué Julien, ce fut de licencier les cohortes prétoriennes; de mettre Pertinax au rang des dieux, malgré les soldats, et d’ordonner l’abolition des décrets de Julien ; ce qu’il n’obtint pourtant pas. Il dut le surnom de Pertinax moins, à ce qu’il semble, à son propre choix qu’à son inflexible sévérité : le nombre infini de ceux qu’il fit périr doit même le faire appeler cruel. Un ennemi, étant venu se jeter à ses pieds sur le champ de bataille, lui dit d’une voix suppliante : « Qu’ordonnez-vous de moi?» Sévère, sans se laisser désarmer par cette humble demande, ordonna de le tuer. Il mit beaucoup d’acharnement à détruire les factions, et il sortit vainqueur de presque tous les combats.
XVIII.
[modifier]Il soumit le roi des Perses Abgare. Il réduisit les Arabes et rendit les Adiabènes tributaires. Il fortifia la Bretagne (et c’est la plus grande gloire de son règne) d’un mur qui, traversant cette Île, s’étendait d’une mer à l’autre. Cette construction lui fit même donner le nom de Britannique. Il rendit la sécurité à Tripoli, d’où il était originaire, par l’entière défaite de quelques nations belliqueuses, et il assura pour toujours au peuple romain, de l’huile gratuite et d’abondantes provisions de blé. Inexorable pour les fautes, il savait choisir avec une sagacité singulière les hommes les plus propres à ce qu’il voulait. Il avait assez de connaissances en philosophie et de talent pour la parole, mais trop de goût pour l’érudition. Il fut l’ennemi implacable des voleurs. Il écrivit avec fidélité l’histoire de sa vie publique et privée, ne cherchant qu’à excuser son penchant à la cruauté. Le sénat porta sur lui ce jugement, qu’il n’aurait pas dû naître ou n’aurait pas dû mourir[15], parce qu’il fut à la fois trop cruel et trop nécessaire à la république. Toutefois il se montra peu soucieux de l’honneur de sa maison, et il garda chez lui sa femme Julie, déshonorée par ses adultères et complice d’une conjuration. La goutte entravant parfois son activité pendant la guerre, les soldats, honteux de cette inaction, nommèrent Auguste son fils Bassien, qui était avec lui. Sévère se fit alors porter sur son tribunal, fit comparaître devant lui les tribuns, les centurions, les généraux, les cohortes qui avaient fait ce nouvel empereur, et jusqu’à son fils, qui avait accepté leur offre ; et là, il ordonna de punir, excepté Bassien, tous les auteurs de cette élection. Ceux-ci implorèrent à genoux son indulgence. Portant alors la main à sa tête : « Vous sentez donc enfin, dit-il, que c’est la tête qui commande, et non les pieds. » Comme ses services militaires et son savoir l’avaient élevé, avec l’aide de la fortune, des derniers grades jusqu’à l’empire, il disait souvent : « J’ai été tout ce que l’on peut être, et cela ne me sert de rien. »
XIX.
[modifier]Il mourut à York en Bretagne, après avoir soumis des peuples toujours prêts à envahir ce pays : il mourut dans on âge avancé, d’une maladie aiguë, la dix-huitième année de son règne. El laissa deux fils, Antonin Bassien et Géta, auquel il fit prendre aussi le nom d’Antonin, en mémoire de Mare-Aurèle. Il fut porté dans le tombeau de ce prince, pour lequel il avait une telle préférence, une telle vénération, qu’il mit jusqu’à son fils Commode au rang des dieux, et qu’il voulut faire du nom d’Antonin, au lieu de celui d’Auguste, le titre de tous les futurs empereurs. Le sénat, ses parents et ses fils lui firent des obsèques magnifiques, et on lui accorda les honneurs de l’apothéose. Ses principaux ouvrages sont le Septizone[16], les thermes de Sévère, et enfin, dans le quartier qui est au delà du Tibre, des galeries voisines de la porte appelée aussi de son nom[17] ; galeries dont la construction, fort bien entendue, contribue si heureusement à l’utilité publique. Tout le monde, après sa mort, en porta un jugement très-avantageux, surtout parce que ses fils ne firent aucun bien à l’Etat, qui, exposé ensuite aux tentatives d’une foule d’ambitieux, devint une proie qu’ils se disputèrent. Sévère était si simple dans ses vêtements, que l’on voyait à peine de la pourpre sur sa tunique, et qu’il se couvrait les épaules d’une chlamyde grossière. Il avait un ordinaire fort simple, une sorte de passion pour les légumes de son pays, quelque goût pour le vin, une certaine répugnance pour la viande. Il était beau, il était grand ; il avait une longue barbe, la tête blanche et les cheveux crépus, le visage imposant, la voix claire; mais il conserva jusque dans sa vieillesse l’accent particulier aux Africains. Il fut fort aimé après sa mort, soit que l’envie fût éteinte ou la peur dissipée.
XX.
[modifier]Je me souviens d’avoir lu dans Élius Maurus, affranchi de Phlégon Trallien, que Septime Sévère témoigna, en mourant, une grande joie de
ce qu’il laissait l’empire, avec le même pouvoir, à deux Antonins, comme Antonin le Pieux l’avait laissé à Vérus et à Marc-Antonin, ses fils adoptifs, et surtout de ce qu’il avait sur lui l’avantage de donner pour empereurs au peuple romain, non des fils par adoption, mais ses propres fils : savoir, Antonin Bassien, qu’il avait eu de sa première femme, et Géta, né de Julie. Toutefois ses espérances furent bien trompées ; car l’un fut enlevé à la république par un fratricide, l’autre par ses excès ; et ce nom révéré ne fut dignement porté par aucun d’eux. Et certes, en interrogeant l’histoire, Auguste Dioclétien, on peut se convaincre qu’à fort peu d’exceptions près, aucun grand homme ne laissa un fils qui se soit rendu estimable et utile. Ou ces hommes célèbres sont morts sans postérité, ou la plupart d’entre eux ont eu des enfants qui, pour le bien du monde, n’auraient pas dû voir le jour.
XXI.
[modifier]Pour commencer par Romulus, il ne laissa point d’enfants. Numa Pompilius n’en eut aucun dont la république pût s’honorer. Et Camille en eut-il qui lui ressemblèrent ? et Scipion ? et les Catons, qui furent si grands? Que dirai-je d’Homère, de Démosthène, de Virgile, de Salluste, de Térence, de Plaute, et d’une foule d’autres ? Parlerai-je de César ? de Cicéron, à qui il n’a manqué que de mourir sans postérité ? d’Auguste, qui ne put même pas avoir un bon fils adoptif, lui qui pouvait choisir entre tous ? Trajan lui-même ne se trompa-t-il pas en fixant son choix sur un de ses compatriotes et sur son petit-fils ? Mais laissons les fils adoptifs, de peur qu’on ne nous objecte Antonin le Pieux et Marc-Aurèle, ces bienfaiteurs de la république, et passons aux fils véritables. Que pouvait-il y avoir de plus heureux pour Marc-Aurèle, que de n’être pas le père de Commode ? pour Septime Sévère, que de n’avoir pas donné le jour à Bassien, à ce monstre qui, dans sa rage fratricide, osa, sous le prétexte que son frère conspirait contre lui, le faire assassiner ; qui épousa sa belle-mère où plutôt sa propre mère, dans les bras de laquelle il avait tué Géta, son fils ; qui fit mourir, pour n’avoir pu le contraindre à justifier son fratricide, l’illustre Papinien, cet asile du droit, ce trésor des doctrines de la jurisprudence ; Papinien qui était aussi son préfet, et qui, déjà si grand par lui-même et par sa science, l’était encore par ses dignités ? Enfin, pour abréger, je pense que les vices de Bassien contribuèrent à faire regarder Sévère, qui d’ailleurs était dur et même cruel, comme un prince estimable et digne d’avoir des autels. On dit qu’étant malade, il envoya à Bassien l’admirable discours qui se trouve dans Salluste, et par lequel Micipsa exhorte ses fils à la concorde ; mais ce fut sans succès... Antonin fut pour tous un objet de haine, et ce nom si longtemps vénéré, il le rendit enfin moins cher, quoiqu’il eût donné des vêtements au peuple (libéralité qui lui valut le nom de Caracallus), et qu’il eût fait construire des thermes d’une grande magnificence. On voit aussi à Rome un monument appelé le portique de Sévère, dont on attribue généralement la construction à son fils, et où sont rapportées les actions de ce prince.
XXII.
[modifier]Voici quels furent les présages de la mort de Sévère. Il rêva qu’il était enlevé au ciel dans un char étincelant de pierreries, tiré par quatre aigles et devant lequel volait je ne sais quel corps immense ayant la forme humaine. Pendant cette ascension, il compta jusqu’au nombre quatre-vingt-neuf[18], que sa vie ne dépassa pas même d’un an, car il parvint déjà vieux à l’empire. Il fut déposé ensuite au milieu d’un large cercle d’airain, où il resta longtemps seul et comme abandonné. Tandis qu’il craignait de tomber de ces hauteurs, il vit Jupiter l’appeler près de lui, et le conduire parmi les Antonins. Trois Victoires en plâtre et ornées de palmes ayant été, selon la coutume, placées dans le Cirque, un jour qu’on y donnait des jeux, celle du milieu, qui tenait un globe où le nom de Sévère était écrit au milieu des palmes, tomba, poussée par le vent, de dessus le balcon, mais sur ses pieds, et resta debout ; celle qui portait le nom de Géta tomba aussi, et se brisa tout entière; la troisième, consacrée à Bassien, perdit sa palme, et put à peine résister au vent. Après avoir élevé, en Bretagne, le mur ou le retranchement dont nous avons parlé, comme il regagnait, non-seulement vainqueur, mais assuré d’une paix éternelle, La plus prochaine halte impériale, en pensant à ce qu’il pourrait prendre en route pour un augure, un certain Éthiopien, qui était de son armée, et fameux parmi les bouffons pour ses plaisanteries toujours applaudies, s’offrit à lui avec une couronne de cyprès. Troublé par le présage attaché à la couleur de cet homme et à sa couronne, Sévère ordonna de l’écarter, et l’on assure que celui-ci lui dit, pour plaisanter : « Tu as été tout, tu as tout soumis; illustre vainqueur, sois désormais un dieu[19]. » Arrivé dans la ville et voulant y faire un sacrifice, il fut d’abord conduit dans le temple de Bellone, par l’erreur d’un aruspice de campagne ; et ensuite on lui amena des victimes noires. Il s’en retourna mécontent au palais, et ces mêmes victimes le suivirent jusqu’au seuil de la demeure impériale, grâce à la négligence des prêtres.
XXIII.
[modifier]Il existe dans beaucoup de villes de remarquables ouvrages de ce prince. Ce qui lui fait aussi beaucoup d’honneur, c’est d’avoir réparé, dans Rome, tous les édifices que le temps commençait à détruire, et conservé partout les noms des premiers fondateurs, sans mettre le sien presque nulle part. Il laissa, en mourant, un approvisionnement de blé pour sept années, en sorte que l’on pouvait en distribuer soixante quinze mille boisseaux par jour. La quantité d’huile qu’il laissa aussi devait suffire pendant cinq ans à la consommation de Rome et même de toute l’Italie, qui en manquait. Ses dernières paroles furent, dit-on, celles-ci : « J’ai reçu la république troublée partout ; je la laisse en paix, même avec la Bretagne. Vieux et infirme, je remets à mes Antonins un empire solide, s’ils se conduisent bien; chancelant, s’ils se conduisent mal. » Il fit ensuite donner pour mot d’ordre au tribun de service le mot Travaillons, parce que Pertinax, en montant sur le trône, avait donné Combattons. Il voulait commander à un statuaire une seconde image de la Fortune de l’empire, que l’on plaçait dans la chambre du prince et qui le suivait partout, afin de laisser à chacun de ses fils le symbole du souverain pouvoir. Mais se sentant pressé par l’heure de la mort, il ordonna, dit-on, que celle qui existait fût portée alternativement, de deux jours l’un, dans la chambre des deux empereurs ; ordre dont Bassien ne tint aucun compte, même avant son fratricide.
XXIV.
[modifier]Le corps de Sévère fut reçu dans toutes les provinces, depuis la Bretagne jusqu’à Rome, avec de grandes marques de vénération. Quelques auteurs prétendent que ce fut seulement sa cendre, renfermée dans une petite urne d’or, que l’on déposa dans le tombeau des Antonins, parce que son corps fut brûlé dans l’endroit même où il mourut. Il ne pensa, en construisant le Septizone, qu’à offrir cet édifice le premier à la vue de ceux qui viendraient de l’Afrique. Il aurait même, dit-on, placé de ce côté l’entrée de la demeure impériale ou le vestibule du palais, si, pendant son absence, sa statue n’avait pas été mise au milieu par le préfet de Rome[20]. Alexandre voulut reprendre après lui ce projet ; mais on assure que les aruspices l’en détournèrent, parce que les augures n’ y furent pas favorables.
PESCENNIUS NIGER,
PAR ÉLIUS SPARTIEN.
A UL’EMPEREUR DIOCLÉTIEN.
SOMMAIRE.
. Origine de Niger. Ses grades militaires. Commode lui donae le commandement des armées de Syrie. — IT. Il est élu empereur par ces armées. Julien tente de le faire tuer. — IIL. Le peuple fait des vœux pour lui. Sa conduite dans les Gaules Iui mérite l’amitié de Sévére, qui le recommande à Commode. Il rétablit Ja discipline
— Militaire. — IV. Marc-Auréle et Commode rendent de
lui un bon témoignage. Son consulal.— V. J] est vaincu
diebus apud filios imperatores in cubiculis Fortuna poneretur. Quod Bassianus prius conlempsit quam faceret parricidium. | :
XXIV. Corpus ejus a Britannia Romam usque cum magna provincialium reverentia susceptum est : quamvis aliqui urnulam auream tantum fuisse dicant, Severi reliquias conlinentem, eandemque Antoninorum sepulcro illatam, quum Septimius Pertinax Severus illic ubi vita functus , esset incensus. Quum Septizonium faceret , nihil aliud cogitavit quam ut ex Africa venientibus suum opus occurreret : et nisi absente eo per praefectum urbis medium simulacrum ejus esset locatum, aditum palatinis dibus, id est regium atrium, ab ea parte facere voluisse perhibetur : quod etiam post Alexander quum vellet facere, ab aruspicibus dicitur esse probibitns, quum sciscitatus non lilasset. :
ÆLIL SPARTIANI PESCENNIUS NIGER AD DIOCLETIANUM AUG. | ! Rarum atque difficile est ut quos tyrannos aliorum vic-
et tué par Sévèr :: à mort. Son port à sages conseilsà Mzre-Asiole c£ Ceooncdo. bus reglements. Sa sévérilé covers les soldats. — VIII. L’oracle de Delphes fait connaitre l’issue de la guerre soutenue par Sévère contre Niger et Albin. — IX. Des devins prédisent. la mort de Niger. — X. Ses efforts pour le rétablissement de la discipline. — XI. 11 remplit lui-même tous les devoirs du soldat. Ses modèles. — XII. Ses préférences parmi les empereurs. Sa slatue.
if. Son 6
L. Il est rareet difficile d’avoir unehistoire bien faite de ceux dont la victoire des autres princes a rendu le pouvoir illégitime. Aussi ne trouve-t-on, nidansles monuments ni dans]esaunales, presque rien de ce qui lesconcerne. Les éerivains s’attachent, pour les faire détester, à déprécier leurs plus belles actions, ou bien ils en suppriment plusieurs ; enfin ils apportent fort peu de soin dans leurs recherches sur l’origine et sur la vie de ces princes, et ils se contentent de parler de leur audace , des batailles où ils furent vaincus, et de leur supplice. Pescennius NicEr était, selon les uns, d’une condition médiocre, et, selon d’autres, d’une noble extraction. Son père se nommait Annus Fusceus ; sa mère, Lampridia. Son aieul était eurateur d’Aquinum (1), d’où cette famille tirait son origine ; ce que pourtant l’on tient encore pour douteux. Niger, médiocrement lettré, d’un caractère farouche, sans fortune, dépensant peu, mais plein du désir ambitieux de parvenir à tout , fut longtemps centurion, et s’éleva, de grade en grade, jusqu’au commandement des armées de Syrie ; commandement quelui donna Commode, sur la recommandation de l’athléte (2) qui depuis étrangia ce prince ; car c’est ainsi que tout se faisait alors.
(1) 4quino, dansle royaume de Naples. — (2) Narcisse.
toria fecerit, bene mittantur in literas : atque ideo vix omnia de his plene in monumentis atque annalibus habentur. Primum enim qua magpa sunt, in eorum honorem ab scriptoribus depravanlur, deinde alia supprimuntur : postremo non magna diligentia in eorum genere ac vita requiritur, quum satis sit audaciam eorum et bellum in quo victi fuerint , ac poenam , proferre. PESCENNIUS ergo NiGER , uL alii tradunt , modicis parentibus ; ut alii , nobilibus fuisse dicitur, patre Anno Fusco, matre Lampridia , avo curatore Aquini, ex qua familia originem ducebat : quod quidem dubium etiam nunc habetur. Hic eruditus mediocribus literis, moribus ferox, divitiis etiam modieus, vita parcus , libidinis effrenatee ad omne genus. cupiditatum , ordines diu duxit, multisque ducatibus pervenit ut exercitus Syriaeos jussu Commodi regeret , suffragio maxime athietæ qui Commodum strangulavit, ut omnia tunc fiebant.
Ii. Js posteaquam comperit occisum Commodum, Julianum imperatorem appellatum , eumdemque jussu Severi et senatus occisum, Albinumetiam in Gallia sumpsisse nomen imperatoris , ab exercitibus Syriacis , quos regebat , appellatus est imperator, ut quidam dicunt , magis in Juliani odium quam in aemulationem Severi. Huic ob detes- Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/422 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/423 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/424 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/425 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/426 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/427 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/428 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/429 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/430 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/431 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/432 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/433 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/434 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/435 Page:Suétone - Les écrivains de l’Histoire Auguste, 1845.djvu/436 Page:Suétone - 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- ↑ 4,843 fr. 75
- ↑ 5,812 fr. 50
- ↑ L’auteur n’entend sans doute ici, par ce mot, qu’une petite partie du peuple; car lui-même et Capitolin, dans la vie précédente, ont dit, et souvent, que le peuple aimait Pertinax et haïssait Commode.
- ↑ Lébida, à quelque distance de Tripoli.
- ↑ Cette concession fut faite par Antonin le Pieux.
- ↑ Ce temple avait déjà été restauré par Adrien.
- ↑ 9,687 fr. 50, Notre texte porte quingena, cinq cents, ou 97 fr
- ↑ Terni, dans l’Ombrie.
- ↑ 1,936 fr. 50.
- ↑ La Grotta Rossa, à deux Tenes de Rome.
- ↑ Géta espérait le titre de César ou de collègue de l’empereur. Voy. le Ch. 10.
- ↑ Ce droit appartenait au sénat.
- ↑ Réflexion textuellement empruntée à Térence.
- ↑ C’est-à-dire opiniâtre. Voy. Pertinax, ch. i, et plus haut, ch. 7.
- ↑ Ce mot avait déjà été dit de plusieurs princes.
- ↑ Près de la porte Capène.
- ↑ La porte Septimiane.
- ↑ Sévère ayant vécu 65 ans, Casaubon propose de lire lei seraginta quinque.
- ↑ Le présage était sinistre, en ce que l’on ne déifiait d’ordinaire que les empereurs morts.
- ↑ La religion des Romains leur interdisait de retirer une statue d’un endroit où elle avait été consacrée.