Vie de Henri Brulard/Chapitre II

La bibliothèque libre.
Œuvres complètes de Stendhal
Texte établi par Henry Debraye, Librairie ancienne Honoré et Édouard Champion (Vie de Henri Brulard. Tome premierp. 15-29).




CHAPITRE II*




Je tombai avec Nap[oléon] en avril 1814. Je vins en Italie vivre comme dans la rue d’Angivillers*. En 1821, je quittai Milan, le désespoir dans l’âme à cause de Métilde, et songeant beaucoup à me brûler la cervelle. D’abord tout m’ennuya à Paris ; plus tard, j’écrivis pour me distraire ; Métilde mourut, donc inutile de retourner à Milan. J’étais devenu parfaitement heureux ; c’est trop dire, mais enfin fort passablement heureux, en 1830, quand j’écrivais le Rouge et le Noir.

Je fus ravi par les journées de juillet, je vis les balles sous les colonnes du Théâtre-Français, fort peu de danger de ma part ; je n’oublierai jamais ce beau soleil, et la première vue du drapeau tricolore, le 29 ou le 30*, vers huit heures, après avoir couché chez le commandeur Pinto, dont la nièce avait peur. Le 25 septembre, je fus nommé c[onsul] à Trieste par M. Molé*, que je n’avais jamais vu. De Trieste, je suis venu en 1831 à C[ivit]à-V[ecchia] et Rome*, où je suis encore et où je m’ennuie, faute de pouvoir faire échange d’idées. J’ai besoin de temps en temps de converser le soir avec des gens d’esprit, faute de quoi je me sens comme asphyxié.

Ainsi, voici les grandes divisions de mon conte : né en 1783, dragon en 1800, étudiant de 1803 à 1806*. En 1806, adjoint aux commissaires des Guerres, intendant à Brunswick. En 1809, relevant les blessés à Essling, ou à Wagram, remplissant des missions le long du Danube, sur ses rives couvertes de neige, à Linz et Passau, amoureux de madame la comtesse Petit, pour la revoir demandant à aller en Espagne. Le 3 août 1810 nommé par elle, à peu près, auditeur au Conseil d’Etat. Cette vie de haute faveur et de dépenses me conduit à Moscou, me fait intendant à Sagan, en Silésie, et enfin tomber en avril 1814*. Qui le croirait ! quant à moi personnellement, la chute me fit plaisir.

Après la chute, étudiant, écrivain, fou d’amour, faisant imprimer* l’Histoire de la P[einture] en Italie en 1817 ; mon père, devenu ultra, se ruine et meurt en 1819, je crois ; je reviens à Paris en juin 1821. Je suis au désespoir à cause de Métilde, elle meurt, je l’aimais mieux morte qu’infidèle, j’écris, je me console, je suis heureux. En 1830, au mois de septembre, je rentre dans la carrière administrative où je suis encore, regrettant la vie d’écrivain au troisième étage de l’hôtel de Valois, rue de Richelieu, n° 71.

J’ai été homme d’esprit depuis l’hiver 1826, auparavant je me taisais par paresse. Je passe, je crois, pour l’homme le plus gai et le plus insensible, il est vrai que je n’ai jamais dit un seul mot des femmes que j’aimais. J’ai éprouvé absolument à cet égard tous les symptômes du tempérament mélancolique décrit par Cabanis. J’ai eu très peu de succès.

Mais, l’autre jour, rêvant à la vie dans le chemin solitaire au-dessus du lac d’Albano, je trouvai que ma vie pouvait se résumer par les noms que voici, et dont j’écrivais les initiales sur la poussière, comme Zadig, avec ma canne, assis sur le petit banc derrière les stations du Calvaire des Minori Menzati bâti par le frère d’Urbain VIII, Barberini, auprès de ces deux beaux arbres enfermés par un petit mur rond* :

Virginie (Kably), Angela (Pietragrua), Adèle (Rebuffel), Mélanie (Guilbert), Mina (de Grisheim), Alexandrine (Petit), Angelina que je n’ai jamais aimée (Bereyter), Angela (Pietragrua), Métilde (Dembowski), Clémentine, Giulia. Et enfin, pendant un mois au plus, Mme Azur dont j’ai oublié le nom de baptême*, et, imprudemment, hier, Amalia (B.).

La plupart de ces êtres charmants ne m’ont point honoré de leurs bontés ; mais elles ont à la lettre occupé toute ma vie. A elles ont succédé mes ouvrages. Réellement je n’ai jamais été ambitieux, mais en 1811 je me croyais ambitieux.

L’état habituel de ma vie a été celui d’amant malheureux, aimant la musique et la peinture, c’est-à-dire jouir des produits de ces arts et non les pratiquer gauchement. J’ai recherché avec une sensibilité exquise la vue des beaux paysages ; c’est pour cela uniquement que j’ai voyagé. Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme, et des aspects que personne ne citait, la ligne de rochers en approchant d’Arbois, je crois, et venant de Dole par la grande route, sont pour moi une image sensible et évidente de l’âme de Métilde. Je vois que la Rêverie a été ce que j’ai préféré à tout, même à passer pour homme d’esprit. Je ne me suis donné cette peine, je n’ai pris cet état d’improviser en dialogue, au profit de la société où je me trouvais, qu’en 1826, à cause du désespoir où je passai les premiers mois de cette année fatale.

Dernièrement, j’ai appris, en le lisant dans un livre (les lettres de Victor Jacquemont, l’Indien) que quelqu’un avait pu me trouver brillant. Il y a quelques années, j’avais vu la même chose à peu près dans un livre, alors à la mode, de lady Morgan. J’avais oublié cette belle qualité qui m’a fait tant d’ennemis. (Ce n’était peut-être que l’apparence de la qualité, et les ennemis sont des êtres trop communs pour juger du brillant ; par exemple, comment un comte d’Argout peut-il juger du brillant ? Un homme dont le bonheur est de lire deux ou trois volumes de romans in-12, pour femme de chambre, par jour ! Comment M. de Lamartine jugerait-il de l’esprit ? D’abord il n’en a pas et, en second lieu, il dévore aussi deux volumes par jour des plus plats ouvrages Vu à Florence en 1824 ou 1826.)

Le grand drawback (inconvénient) d’avoir de l’esprit, c’est qu’il faut avoir l’œil fixé sur les demi-sots qui vous entourent, et se pénétrer de leur plates sensations. J’ai le défaut de m’attacher au moins impuissant d’imagination et de devenir inintelligible pour les autres qui, peut-être, n’en sont que plus contents.

Depuis que je suis à Rome, je n’ai pas d’esprit une fois la semaine et encore pendant cinq minutes, j’aime mieux rêver. Ces gens-ci ne comprennent pas assez les finesses de la langue française pour sentir les finesses de mes observations ; il leur faut du gros esprit de commis-voyageur, comme Mélodrame qui les enchante (exemple : Michel-Ange Caet[ani]) et est leur véritable pain quotidien. La vue d’un pareil succès me glace, je ne daigne plus parler aux gens qui ont applaudi Mélodrame. Je vois tout le néant de la vanité.

Il y a deux mois donc, en septembre 1835, rêvant à écrire ces mémoires, sur la rive du lac d’Albano (à deux cents pieds du niveau du lac), j’écrivais sur la poussière comme Zadig ces initiales :

V. Aa. Ad. M. Mi. Al. Aine. Apg. Mde. C. G. Ar.
1 2 3 4 5 6


(Mme Azur dont j’ai oublié le nom de baptême).

Je rêvais profondément à ces noms, et aux étonnantes bêtises et sottises qu’ils m’ont fait faire (je dis étonnantes pour moi, non pour le lecteur, et d’ailleurs je ne m’en repens pas).

Dans le fait je n’ai eu que six femmes que j’ai aimées.

La plus grande passion est à débattre entre

Mélanie, Alexandrine, Métilde et Clémentine.
2
4

Clémentine est celle qui m’a causé la plus grande douleur en me quittant. Mais cette douleur est-elle comparable à celle occasionnée par Métilde, qui ne voulait pas me dire qu’elle m’aimait ?

Avec toutes celles-là et avec plusieurs autres, j’ai toujours été un enfant ; aussi ai-je eu très peu de succès. Mais, en revanche, elles m’ont occupé beaucoup et passionnément, et laissé des souvenirs qui me charment, quelques-uns après vingt-quatre ans, comme le souvenir de la Madone del Monte à Varèse, en 1811. Je n’ai point été galant, pas assez, je n’étais occupé que de la femme que j’aimais, et quand je n’aimais pas, je rêvais au spectacle des choses humaines, ou je lisais avec délices Montesquieu ou Walter Scott. Par ainsi, comme disent les enfants, je suis si loin d’être blasé sur leurs ruses et petites grâces qu’à mon âge, cinquante-deux [ans]*, et en écrivant ceci, je suis encore tout charmé d’une longue chiacchierata qu’Amalia a eue hier soir avec moi au Th[éâtre] Valle.

Pour les considérer le plus philosophiquement possible et tâcher ainsi de les dépouiller de l’auréole qui me fait aller les yeux, qui m’éblouit et m’ôte la faculté de voir distinctement, j’ordonnerai ces dames (langage mathématique) selon leurs diverses qualités. Je dirai donc, pour commencer par leur passion habituelle : la vanité, que deux d’entre elles étaient comtesses et une, baronne.

La plus riche fut Alexandrine Petit, son mari et elle surtout dépensaient bien 80.000 francs par an. La plus pauvre fut Mina de Grisheim, fille cadette d’un général sans nulle fortune et favori d’un prince tombé, dont les app[ointement]s faisaient vivre, la famille, ou Mlle Bereyter, actrice de l’Opera-Buffa.

Je cherche à distraire le charme, le dazzling des événements, en les considérant ainsi militairement. C’est ma seule ressource pour arriver au vrai dans un sujet sur lequel je ne puis converser avec personne. Par pudeur de tempérament mélancolique (Cabanis), j’ai toujours été, à cet égard, d’une discrétion incroyable, folle. Quant à l’esprit, Clémentine l’a emporté sur toutes les autres. Métilde l’a emporté par les sentiments nobles, espagnols ; Giulia, ce me semble, par la force du caractère, tandis que, au premier moment, elle semblait la plus faible ; Angela P. a été catin sublime à l’italienne, à la Lucrèce Borgia, et Mme Azur, catin non sublime, à la Du Barry.

L’argent ne m’a jamais fait la guerre que deux fois, à la fin de 1805 et en 1806 jusqu’en août, que mon père ne m’envoyait plus d’argent, et sans m’en prévenir, là était le mal ; [il] fut une fois cinq mois sans payer ma pension de cent cinquante francs. Alors nos grandes misères avec le vicomte*, lui recevait exactement sa pension, mais la jouait régulièrement toute, le jour qu’il la recevait.

En 1829 et 30, j’ai été embarrassé plutôt par manque de soin et insouciance que par l’absence véritablement de moyen, puisque de 1821 à 1830 j’ai fait trois ou quatre voyages en Italie, en Angleterre, à Barcelone, et qu’à la fin de cette période je ne devais que quatre cents francs.

Mon plus grand manque d’argent m’a conduit à la démarche désagréable d’emprunter cent francs ou, quelquefois, deux cents à M. Beau. Je rendais après un mois ou deux ; et enfin, en septembre 1830, je devais quatre cents francs à mon tailleur Michel. Ceux qui connaissent la vie des jeunes gens de mon époque trouveront cela bien modéré. De 1800 à 1830, je n’avais jamais dû un sou à mon tailleur Léger, ni à son successeur Michel (22, rue Vivienne).

Mes amis d’alors, 1830, MM. de Mareste, Colomb, étaient des amis d’une singulière espèce, ils auraient fait sans doute des démarches actives pour me tirer d’un grand danger, mais lorsque je sortais avec un habit neuf ils auraient donné vingt francs, le premier surtout, pour qu’on me jetât un verre d’eau sale. (Excepté le vicomte de Barral et Bigillion (de Saint-Ismier), je n’ai guère eu, en toute ma vie, que des amis de cette espèce.)

C’étaient de braves gens fort prudents qui avaient réuni 12 ou 15.000 [francs] d’appointements ou de rente par un travail ou une adresse assidue, et qui ne pouvaient souffrir de me voir allègre, insouciant, heureux avec un cahier de papier blanc et une plume, et vivant avec non plus de 4 ou 5.000 francs. Ils m’auraient aimé cent fois mieux s’ils m’eussent vu attristé et malheureux de n’avoir que la moitié ou le tiers de leur revenu, moi qui jadis les avais peut-être un peu choqués quand j’avais un cocher, deux chevaux, une calèche et un cabriolet, car jusqu’à cette hauteur s’était élevé mon luxe, du temps de l’Empereur. Alors j’étais ou me croyais ambitieux ; ce qui me gênait dans cette supposition*, c’est que je ne savais quoi désirer. J’avais honte d’être amoureux de la comtesse Al. Petit, j’avais comme maîtresse entretenue Mlle A. Bereyter actrice de l’Opera-Buffa, je déjeunais au café Hardy, j’étais d’une activité incroyable. Je revenais de Saint-Cloud à Paris exprès pour assister à un acte du Matrimonio segreto à l’Odéon (Madame Barilli, Barilli, Tachinardi, Mme Festa, Mlle Bereyter). Mon cabriolet attendait à la porte du café Hardy, voilà ce que mon beau-frère* ne m’a jamais pardonné.

Tout cela pouvait passer pour de la fatuité et pourtant n’en était pas. Je cherchais à jouir et à agir, mais je ne cherchais nullement à faire paraître plus de jouissances ou d’action qu’il n’y en avait réellement. M. Prunelle, médecin, homme d’esprit, dont la raison me plaisait fort, horriblement laid et depuis célèbre comme député vendu et maire de Lyon vers 1833, qui était de ma connaissance en ce temps-là, dit de moi : C’est an fier fat. Ce jugement retentit parmi mes connaissances. Peut-être au reste avaient-ils raison.

Mon excellent et vrai bourgeois de beau-frère, M. Périer-Lagrange (ancien négociant qui se ruinait, sans le savoir, en faisant de l’agriculture près de la Tour-du-Pin), déjeunant avec moi au café Hardy et me voyant commander ferme aux garçons, car avec tous mes devoirs à remplir j’étais souvent pressé, fut ravi parce que ces garçons firent entre eux quelque plaisanterie qui impliquait que j’étais un fat, ce qui ne me fâcha nullement. J’ai toujours et comme par instinct (si bien vérifié depuis par les Chambres), profondément méprisé les bourgeois.

Toutefois, j’entrevoyais aussi que parmi les bourgeois seulement se trouvaient les hommes énergiques tels que mon cousin Rebuffel* (négociant rue Saint-Denis), le père Ducros, bibliothécaire de la ville de Grenoble, l’incomparable Gros (de la rue St-Laurent), géomètre de la haute volée et mon maître, à l’insu de mes parents mâles, car il était jacobin et toute ma famille bigotement ultra. Ces trois hommes ont possédé toute mon estime et tout mon cœur, autant que le respect et la différence d’âge pouvaient admettre ces communications qui font qu’on aime. Même, je fus avec eux comme je fus plus tard avec les êtres que j’ai trop aimés, muet, immobile, stupide, peu aimable et quelquefois offensant à force de dévouement et d’absence du moi. Mon amour-propre, mon intérêt, mon moi avaient disparu en présence de la personne aimée, j’étais transformé en elle. Qu’était-ce quand cette personne était une coquine comme madame Piétragrua ? Mais j’anticipe toujours. Aurai-je le courage d’écrire ces Confessions d’une façon intelligible ? Il faut narrer, et j’écris des considérations sur des événements bien petits mais qui, précisément à cause de leur taille microscopique, ont besoin d’être contés très distinctement. Quelle patience il vous faudra, ô mon lecteur !

Donc, suivant moi, l’énergie ne se trouvait, même à mes yeux (en 1811), que dans la classe qui est en lutte avec les vrais besoins.

Mes amis nobles, MM. Raymond de Bérenger (tué à Lutzen), de Saint-Ferréol, de Sinard (dévot mort jeune), Gabriel Du B....... (sorte de filou ou d’emprunteur peu délicat, aujourd’hui pair de France et ultra par l’âme), MM. de Monval, m’avaient paru comme ayant toujours quelque chose de singulier, un respect effroyable pour les convenances (par exemple, Sinard). Ils cherchaient toujours à être de bon ton ou comme il faut, ainsi qu’on disait à Grenoble en 1793. Mais cette idée-là, j’étais loin de l’avoir clairement. Il n’y a pas un an que mon idée sur la noblesse est enfin arrivée à être complète. Par instinct, ma vie morale s’est passée à considérer attentivement cinq ou six idées principales, et à tâcher de voir la vérité sur elles.

Raymond de Bérenger était excellent et un véritable exemple de la maxime : noblesse oblige, tandis que Monval (mort colonel et généralement méprisé vers 1829, à Grenoble) était l’idéal d’un député du centre. Tout cela se voyait déjà fort bien quand ces Messieurs avaient quinze ans, vers 1798.

Je ne vois la vérité nettement sur la plupart de ces choses qu’en les écrivant, en 1835, tant elles ont été enveloppées jusqu’ici de l’auréole de la jeunesse, provenant de l’extrême vivacité des sensations.

A force d’employer des méthodes philosophiques, par exemple à force de classer mes amis de jeunesse par genres, comme M. Adrien de Jussieu fait pour ses plantes (en botanique), je cherche à atteindre cette vérité qui me fuit. Je m’aperçois que ce que je prenais pour de hautes montagnes, en 1800, n’étaient la plupart que des taupinières ; mais c’est une découverte que je n’ai faite que bien tard.

Je vois que j’étais comme un cheval ombrageux, et c’est à un mot que me dit M. de Tracy (l’illustre comte Destutt de Tracy, pair de France, membre de l’Académie française et, bien mieux, auteur de la loi du 3 prairial* sur les Ecoles centrales), c’est à un mot que me dit M. de Tracy que je dois cette découverte.

Il me faut un exemple. Pour un rien, par exemple une porte à demi ouverte, la nuit, je me figurais deux hommes armés m’attendant pour m’empêcher d’arriver à une fenêtre donnant sur une galerie où je voyais ma maîtresse. C’était une illusion, qu’un homme sage comme Abraham Constantin*, mon ami, n’aurait point eue. Mais au bout de peu de secondes (quatre ou cinq tout au plus) le sacrifice de ma vie était fait et parfait, et je me précipitais comme un héros au devant des deux ennemis, qui se changeaient en une porte à demi fermée.

Il n’y a pas deux mois qu’une chose de ce genre, au moral toutefois, m’est encore arrivée. Le sacrifice était fait et tout le courage nécessaire était présent, quand après vingt heures je me suis aperçu, en relisant une lettre mal lue (de M. Herrard), que c’était une illusion. Je lis toujours fort vite ce qui me fait de la peine.

Donc, en classant ma vie comme une collection de plantes, je trouvai :

Enfance et première éducation, de 1786 à 1800 
 15 ans.
Service militaire de 1800 à 1803 
 3 —
Seconde éducation, amours ridicules avec Mlle Adèle Clozel et avec sa mère, qui se donna l’amoureux de sa fille. Vie rue Angivillier. Enfin beau séjour à Marseille avec Mélanie, de 1803 à 1805 
 2 —
Retour à Paris, fin de l’éducation 
 1 —
Service sous Napoléon, de 1806 à la fin de 1814 (d’octobre 1806 à l’abdication en 1814) 
 7 1/2
Mon adhésion, dans le même numéro du Moniteur où se trouva l’abdication de Napoléon. Voyages, grandes et terribles amours, consolations en écrivant des livres, de 1814 à 1830 
 15 1/2
Second service, allant du 15 septembre 1830 au présent quart d’heure 
 5 —


J’ai débuté dans le monde par le salon de Mme de Vaulserre, dévote à la figure singulière, sans menton, fille de M. le baron des Adrets et amie de ma mère. C’était probablement vers 1794. J’avais un tempérament de feu et la timidité décrite par Cabanis. Je fus excessivement touché de la beauté du bras de Mlle Bonne de Saint-Vallier, je pense, je vois la figure et les beaux bras, mais le nom est incertain, peut-être était-ce Mlle de Lavalette. M. de Saint-Ferréol, dont depuis je n’ai jamais ouï parler, était mon ennemi et mon rival, M. de Sinard, ami commun, nous calmait. Tout cela se passait dans un magnifique rez-de-chaussée donnant sur le jardin de l’hôtel des Adrets, maintenant détruit et changé en maison bourgeoise, rue Neuve, à Grenoble. A la même époque commença mon admiration passionnée pour le Père Ducros (moine cordelier sécularisé, homme du premier mérite, du moins il me semble). J’avais pour ami intime mon grand-père, M. Henri Gagnon, docteur en médecine.

Après tant de considérations générales je vais naître.