Vie de Michel-Ange/Partie II, III. Solitude

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Libr. Hachette et Cie (p. 161-173).
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III

SOLITUDE


L’anima mia, che chon la morte parla[1]


Ainsi, il vivait seul avec ces humbles amis : — ses aides et ses fous, — et avec d’autres amis plus humbles encore : ses animaux familiers, ses poules et ses chats.[2]

Au fond, il était seul, et il l’était de plus en plus. « Je suis toujours seul, écrivait-il à son neveu, en 1548, et je ne parle avec personne. » — Il s’était peu à peu séparé, non seulement de la société des hommes, mais de leurs intérêts mêmes, de leurs besoins, de leurs plaisirs, de leurs pensées.

La dernière passion qui le rattachât aux hommes de son temps, — la flamme républicaine, — s’était à son tour éteinte. Encore une fois, elle avait jeté une dernière lueur d’orage, au temps des deux graves maladies de 1544 et 1546, quand Michel-Ange avait été recueilli par son ami Riccio dans la maison des Strozzi, républicains et proscrits. Michel-Ange, convalescent, fit prier Robert Strozzi, réfugié à Lyon, de rappeler au roi de France ses promesses : il ajoutait que si François Ier venait rétablir la liberté à Florence, il s’engageait à lui élever à ses frais une statue équestre en bronze sur la place de la Seigneurie.[3] — En 1546, il donna à Strozzi, en reconnaissance de l’hospitalité reçue, les deux Captifs, dont Strozzi fit présent à François Ier.

Mais ce n’était plus là qu’un accès de la fièvre politique, — le dernier. Dans quelques passages de ses Dialogues avec Giannotti, en 1545, il exprime à peu près les pensées de Tolstoy sur l’inutilité de la lutte et la non-résistance au mal :

C’est une grande présomption d’oser tuer quelqu’un, parce qu’on ne peut pas savoir sûrement si de sa mort sortira quelque bien et si de sa vie quelque bien ne fût pas sorti. Aussi je ne peux supporter ces hommes, qui croient qu’il n’est pas possible de produire le bien si on ne commence par le mal, c’est-à-dire par le meurtre. Les temps changent, de nouveaux événements surviennent, les désirs se transforment, les hommes se lassent… Et, au bout du compte, il arrive toujours ce qu’on n’avait point prévu.

Le même Michel-Ange qui avait fait l’apologie du tyrannicide s’irritait à présent contre les révolutionnaires, qui s’imaginent changer le monde avec un acte. Il savait bien qu’il avait été de ceux-là ; et c’est lui-même qu’il condamnait amèrement. Comme Hamlet, il doutait de tout maintenant, de ses pensées, de ses haines, et de tout ce qu’il avait cru. Il tournait le dos à l’action.

« Ce brave homme, écrivait-il, qui répondait à quelqu’un : « Je ne suis pas un homme d’État, je suis un honnête homme et un homme de bon sens », — celui-là disait vrai. Si seulement mes travaux de Rome me donnaient aussi peu de soucis que les affaires des États ! »[4]

La vérité, c’est qu’il ne haïssait plus. Il ne pouvait plus haïr. Il était trop tard :

Ahime, lasso chi pur tropp’ aspetta,
Ch’ i’ gionga a suoi conforti tanto tardj !
Ancor, se ben riguardj.
Un generoso, alter’ e nobil core
Perdon’ et porta a chi l’offend’ amore.[5]

Malheur à moi, fatigué d’une trop longue attente, malheur à moi, qui parviens trop tard à ce que j’avais désiré ! Et maintenant, ne le sais-tu pas ? Un généreux, fier et noble cœur pardonne, et offre à qui l’offense, amour.

Il habitait au Macel de’ Gorvi, sur le forum de Trajan. Il avait là une maison, avec un petit jardin. Il l’occupait avec un valet,[6] une servante, et ses animaux familiers. Il n’avait pas la main heureuse, avec ses domestiques. « Ils étaient tous négligents et malpropres », dit Vasari. Il en changeait souvent et s’en plaignait amèrement.[7] Il n’eut pas moins de démêlés avec eux que Beethoven ; et ses Ricordi (Notes), comme les Cahiers de conversation de Beethoven, gardent encore la trace de ces querelles de ménage : — « Oh ! qu’elle n’ait jamais été ici ! » écrit-il, en 1560, après avoir renvoyé une servante, Girolama.

Sa chambre était sombre comme un tombeau.[8] « Les araignées y créaient mille travaux et dévidaient leurs petits fuseaux. »[9] — Au milieu de l’escalier, il avait peint la Mort, portant sur l’épaule un cercueil.[10]

Il vivait comme un pauvre, mangeait à peine,[11] et, « ne pouvant dormir, il se relevait, la nuit, pour travailler avec le ciseau. Il s’était fabriqué un casque de carton, et il portait au milieu, sur sa tête, une chandelle allumée, qui, de cette façon, sans lui gêner les mains, éclairait son travail ».[12]

À mesure qu’il devenait plus vieux, il s’enveloppait de plus de solitude ; ce lui était un besoin, quand tout dormait dans Rome, de se réfugier dans le travail nocturne. Le silence lui était un bienfait, et la nuit une amie :

Ô nuit, ô doux temps, bien que sombre, où tout effort finit par atteindre la paix, qui t’exalte voit bien et comprend bien ; et qui t’honore a son plein jugement. Tu tranches de tes ciseaux toute pensée fatiguée, que l’ombre humide et le repos pénètrent ; et d’ici-bas souvent tu me portes en rêve là haut, où j’espère aller. Ô ombre de la mort, par qui s’arrête toute misère ennemie de l’âme et du cœur, suprême et bon remède des affligés, tu rends la santé à notre chair malade, lu sèches nos pleurs, tu nous décharges de nos fatigues, et tu laves les bons de la haine et du dégoût.[13]

Vasari fit visite, une nuit, au vieil homme, seul, dans sa maison déserte, en tête à tête avec sa tragique Pietà et ses méditations :

Quand Vasari frappa, Michel-Ange se leva et vint à la porte, un chandelier à la main. Vasari voulut contempler la sculpture ; mais Michel-Ange laissa la lumière tomber et s’éteindre, afin qu’il ne put rien voir. Et pendant qu’Urbino allait en chercher une autre, le maître se tourna vers Vasari, et dit : « Je suis si vieux que souvent la mort me tire par mes chausses, pour que je vienne avec elle. Un jour, mon corps tombera, comme ce flambeau, et, comme lui, s’éteindra la lumière de ma vie. »

L’idée de la mort l’absorbait, de jour en jour plus sombre et plus attirante.

« Aucune pensée n’est en moi, disait-il à Vasari, où la mort ne soit creusée au ciseau. »[14]

Elle lui semblait maintenant le seul bonheur de la vie :

Quand mon passé m’est présent, — et cela m’arrive à toute heure, — ô monde faux, alors je connais bien l’erreur et la faute de la race humaine. Celui qui finit par consentir à tes flatteries et à tes vaines délices prépare à son âme de douloureux chagrins. Il le sait bien, celui qui en a fait l’épreuve, combien souvent tu promets la paix et le bien que tu n’as pas et que tu n’auras jamais. Aussi le moins favorisé est celui qui demeure le plus longtemps ici-bas ; et qui moins longtemps vit, plus aisément retourne au Ciel…[15]

Conduit par beaucoup d’années à ma dernière heure, je reconnais bien tard, ô monde, tes délices. Tu promets la paix que tu n’as pas ; tu promets le repos, qui meurt avant la naissance… Je le dis et le sais par expérience : celui-là seul est élu du ciel, dont la mort suit de près la naissance.[16]

Son neveu, Lionardo, fêtant la naissance de son fils, Michel-Ange le blâma sévèrement :

Cette pompe me déplaît. Il n’est pas permis de rire, quand le monde entier pleure. C’est manquer de sens que de faire une telle fête pour quelqu’un qui vient de naître. Il faut réserver son allégresse pour le jour où meurt un homme qui a bien vécu.[17]

Et il le félicita, l’année suivante, d’avoir perdu un second fils en bas âge.

La Nature, que sa fièvre de passions et son génie intellectuel avait jusque-là négligée,[18] fut, dans ses dernières années, une consolatrice pour lui. En septembre 1556, fuyant Rome menacée par les troupes espagnoles du duc d’Albe, il passa par Spolète et il y resta cinq semaines, au milieu des bois de chênes et d’oliviers, se laissant pénétrer par la splendeur sereine de l’automne. Ce ne fut qu’à regret qu’il revint à Rome, où il était rappelé, à la fin d’octobre. — « J’ai laissé là-bas plus de la moitié de moi-même, écrivait-il à Vasari ; car véritablement la paix ne se trouve que dans les bois. »

Pace non si trova senon ne boschi.[19]

Et, de retour à Rome, le vieillard de quatre-vingt-deux ans composa une belle poésie à la gloire des champs et de la vie champêtre, qu’il opposait aux mensonges des villes : ce fut sa dernière œuvre poétique, et elle a toute la fraîcheur de la jeunesse.[20]

Mais dans la Nature, comme dans l’art, comme dans l’amour, c’était Dieu qu’il cherchait, et dont il s’approchait, chaque jour, davantage. Il avait toujours été croyant. S’il n’était dupe ni des prêtres, ni des moines, ni des dévots et des dévotes, et si, à l’occasion, il les raillait rudement,[21] il n’y eut jamais, semble-t-il, le moindre doute dans sa foi. Lors des maladies ou de la mort de son père et de ses frères, le premier de ses soucis fut toujours qu’ils reçussent les sacrements.[22] Il avait une confiance sans bornes dans la prière ; « il y croyait plus qu’en toutes les médecines » ;[23] il attribuait à son intercession tout le bien qui lui était arrivé et le mal qui ne lui était pas arrivé. Il avait, dans sa solitude, des crises d’adoration mystique. Le hasard nous a conservé le souvenir de l’une d’elles : un récit contemporain nous montre le visage extatique du héros de la Sixtine, seul, priant, la nuit, dans son jardin de Rome, et implorant de ses yeux douloureux le ciel étoilé.[24]

Il n’est pas vrai, comme on a voulu le faire croire,[25] que sa foi ait été indifférente au culte des saints et de la Vierge. Ce serait une plaisante idée que de faire un protestant de l’homme qui consacra les vingt dernières années de sa vie à bâtir le temple de l’apôtre Pierre, et dont la dernière œuvre, interrompue par la mort, fut une statue de saint Pierre. On ne peut oublier qu’à diverses reprises, il voulut entreprendre de grands pèlerinages, en 1545 à Saint-Jacques de Compostelle, en 1556 à Lorette, et qu’il faisait partie de la confrérie San Giovanni Decollato (Saint-Jean-Baptiste). — Mais il est vrai que, comme tout grand chrétien, c’est en Christ qu’il vécut et qu’il mourut.[26] « Je vis pauvre avec Christ », écrivait-il à son père, dès 1512 ; et, mourant, il pria qu’on le fît souvenir des souffrances du Christ. Depuis l’amitié, — surtout depuis la mort, — de Vittoria Colonna, cette foi prit un caractère plus exalté. En même temps que son art se consacrait à peu près exclusivement à la gloire de la Passion du Christ,[27] sa poésie s’abîmait dans le mysticisme. Il reniait l’art et se réfugiait dans les grands bras ouverts du Crucifié :

Le cours de ma vie est arrivé, sur la mer orageuse, par une fragile barque, au port commun où l’on débarque pour rendre compte et raison de toute œuvre pie et impie. Aussi, l’illusion passionnée qui me fit de l’art une idole et un monarque, je connais aujourd’hui combien elle était chargée d’erreurs ; et je vois clairement ce que tout homme désire pour son mal. Les pensées amoureuses, les pensées vaines et joyeuses, que sont-elles à présent que je m’approche de deux morts ? De l’une je suis certain, et l’autre me menace. Ni peinture ni sculpture ne sont plus capables d’apaiser l’âme, tournée vers cet amour divin, qui ouvre, pour nous prendre, ses bras sur la croix.[28]

Mais la fleur la plus pure que la foi et la souffrance firent pousser dans ce vieux cœur malheureux fut la divine charité.

Cet homme, que ses ennemis, accusaient d’avarice,[29] ne cessa, toute sa vie, de combler de ses libéralités les malheureux, connus et inconnus. Non seulement il témoigna toujours la plus touchante affection pour ses vieux serviteurs et pour ceux de son père, — pour une certaine Mona Margherita, qu’il recueillit après la mort du vieux Buonarroti, et dont la mort lui causa « plus de peine que si c’était une sœur »,[30] — pour un humble menuisier, qui avait travaillé à l’échafaudage de la Chapelle Sixtine, et dont il dota la fille…[31] Mais il donnait constamment aux pauvres, surtout aux pauvres honteux. Il aimait à associer à ces aumônes son neveu et sa nièce, à leur en inspirer le goût, à les faire accomplir par eux, sans le nommer lui-même : car il voulait que sa charité demeurât secrète.[32] « Il aimait mieux faire le bien, que paraître le faire. »[33] — Par un trait d’exquise délicatesse, il pensait surtout aux jeunes filles pauvres : il cherchait à leur faire remettre en cachette de petites dots, pour leur permettre de se marier, ou d’entrer au couvent.

« Tâche donc de connaître un bourgeois dans le besoin, qui ait une fille à marier ou à mettre au couvent, écrit-il à son neveu. (Je parle, — ajoute-t-il, — de ceux qui, dans le besoin, ont honte d’aller mendier.) Donne-lui l’argent que je t’envoie, mais en secret ; et fais en sorte de ne pas te laisser tromper… »[34]

Et ailleurs :

« Informe-moi si tu connais encore quelque autre noble bourgeois dans un très grand besoin, surtout s’il a des filles à la maison ; il me serait agréable de lui faire quelque bien, pour le salut de mon âme. »[35]

  1. Poésies, CX.
  2. « Les poules et messer le coq triomphent, — lui écrit Angiolini, en 1553, pendant une de ses absences ; — mais les chats se désolent de ne plus vous voir, bien qu’ils ne manquent pas de pâture. »
  3. Lettre de Riccio à Ruberto di Filippo Strozzi. (21 juillet 1544)
  4. Lettre à Lionardo, son neveu (1547).
  5. Poésies, CIX, 64.

    Michel-Ange suppose ici un dialogue du poète avec un banni florentin. — Il est possible qu’il ait écrit cette poésie après l’assassinat d’Alexandre de Médicis par Lorenzino, en 1536. — Elle parut pour la première fois, en 1543, avec la musique de Giacomo Archadelt.

  6. Parmi ses domestiques, je note, à titre de curiosité, un Français, Richard, Riccardo franzese. (18 juin 1552. — Ricordi, page 606
  7. « Je voudrais, écrit-il à Lionardo, une servante qui fût bonne et propre ; mais c’est bien difficile ; elles sont toutes sales et débauchées. (Son tutte puttane e porche)… Je donne dix jules par mois. Je vis pauvrement ; mais je paie bien. » (Lettres, 16 août 1550)
  8. La mia scura tomba… (Poésies, LXXXI)
  9. Dov’ è Aragn’ e mill’ opre et lavoranti
    Et fan di lor filando fusaiuolo. (Ibid.)

  10. Sur le cercueil était cette épitaphe :

    Io dico a coi, ch’ al mondo avete dato
    L’anima e ’l corpo e lo spirto ’nsieme :
    In questa cassa oscura è ’l vostro lato.

    (Ibid., CXXXVII)

    « Je vous le dis, à vous qui avez donné au monde l’âme, le corps et l’esprit à la fois : dans cette caisse obscure vous tenez tout entiers. »

  11. « Il était très sobre. Quand il était jeune, il se contentait d’un peu de pain et de vin, pour pouvoir se consacrer tout entier au travail. Dans sa vieillesse, depuis le temps où il fit le Jugement Dernier, il s’habitua à boire un peu, mais seulement le soir, quand le travail du jour était terminé, et de la façon la plus modérée. Bien qu’il fût riche, il vivait comme un pauvre. Jamais, ou rarement, un ami mangeait avec lui : il ne voulait non plus accepter des présents de personne ; car il se regardait ainsi pour toujours comme l’obligé du donateur. Sa sobriété fut cause qu’il fut toujours très éveillé, et qu’il avait besoin de très peu de sommeil. » (Vasari)
  12. Vasari, remarquant qu’il n’employait pas de la cire, mais des chandelles en suif de chèvre, lui en envoya quarante livres. Le serviteur de Michel-Ange les lui apporta ; mais Michel-Ange refusa de les accepter. Le serviteur dit : « Maître, j’ai les bras rompus de les avoir portées, et je n’ai pas envie de les reporter. Si vous n’en voulez pas, je vais les planter dans le bourbier de boue sèche, qui est devant la maison, et je les allumerai toutes. » Alors Michel-Ange répliqua : « Mets-les donc là ; car je ne veux pas que tu fasses des folies devant ma porte. » (Vasari)
  13. Voir aux Annexes, XXIII. (Poésies, LXXVIII)

    Frey date cette poésie d’environ 1546, au temps du Jugement Dernier et de la Chapelle Pauline. — Grimm la reporte un peu plus tard, vers 1554.

    Un autre sonnet sur la nuit, — (Poésies, LXXVII) — est de la plus grande beauté poétique, mais plus littéraire, et un peu précieux.

  14. « Non nasce in me pensiero che non vi sia dentro sculpita la morte. » (Lettres, 22 juin 1555)
  15. Voir aux Annexes, XXIV. (Poésies, CIX, 32)
  16. Annexes, XXV. (Poésies, CIX, 34)
  17. Lettre à Vasari, datée : « Je ne sais quel jour d’avril 1554 ». (A di non so quanti d’aprile 1554.)
  18. Il avait toujours prêté assez peu d’attention à la nature, malgré les années qu’il passa hors des villes, à Carrare, ou à Seravezza. Le paysage tient une place intime dans son œuvre ; il se réduit à quelques indications abrégées, presque schématiques, dans les fresques de la Sixtine. En cela, Michel-Ange est à part de ses contemporains : de Raphaël, de Titien, de Pérugin, de Francia, de Léonard. Il méprisait les paysages des artistes flamands, alors fort à la mode : « des chiffons, disait-il, des masures, des champs très verts ombragés d’arbres, des rivières et des ponts, — ce qu’on appelle paysages, — et beaucoup de figures par ci, par là ». (Dialogues de François de Hollande)
  19. Lettres, 28 décembre 1556.
  20. Je veux parler de la très longue poésie, inachevée, de cent quinze vers, qui débute ainsi :

    Nuovo piacere e di magiore stima
    Veder l’ardite capre sopr’ un sasso
    Montar, pasciendo or questa or quella cima…

    (Poésies, CLXIII, pages 249–253 de Frey)

    « C’est un nouveau plaisir et toujours plus goûté, de voir les chèvres hardies monter sur un rocher, paissant tantôt sur l’une, tantôt sur l’autre pointe… »

    Je suis ici l’interprétation de Frey, qui date la poésie d’octobre à décembre 1556. Thode est d’un autre avis, et l’attribue à la jeunesse de Michel-Ange ; mais il n’en donne pas, à mon sens, de raison suffisante.

  21. En 1548, dissuadant son neveu, Lionardo, de faire un pèlerinage à Lorette, il lui conseille de dépenser plutôt l’argent en aumônes. « Car si on apporte de l’argent aux prêtres, Dieu sait ce qu’ils en font ! » (7 avril 1548)

    Sébastien del Piombo ayant à peindre un moine à San Pietro in Montorio, Michel-Ange pense que ce moine gâtera tout : — « Les moines ont perdu le monde qui est si grand ; il ne serait donc pas surprenant qu’ils perdissent une petite chapelle. »

    À l’époque où Michel-Ange cherchait à marier son neveu, une dévote vint le trouver : elle lui fit un sermon, l’exhorta à la piété, et lui offrit pour Lionardo une fille pieuse, qui était dans les bons principes. « Je lui ai répondu, écrit Michel-Ange, qu’elle ferait mieux de s’occuper à tisser et à filer, que de tourner ainsi autour des gens, et de faire des marchandages avec les choses saintes. » (Lettres, 19 juillet 1549)

    Il écrivit d’âpres poésies, d’un sentiment savonaroliste, contre les sacrilèges et les simonies de Rome. Ainsi, le sonnet :

    Qua si fa elmj di chalicj e spade,
    E ’l sangue di Christo si vend’ a giumelle…

    « Là, avec les calices, on se fait des épées et des heaulmes ; et le sang du Christ se vend à deux mains… » (Poésies, X, vers 1520)

  22. Lettre à Buonarroto, au sujet d’une maladie de son père. (23 novembre 1516) — Lettre à Lionardo, au sujet de la mort de Giovan Simone. (Janvier 1548) : — « Il me serait agréable de savoir s’il s’est confessé et s’il a bien reçu les sacrements. Si je savais qu’il en était ainsi, je souffrirais moins… »
  23. « Più credo agli orazioni che alle medicine. » (Lettre à Lionardo, 25 avril 1549)
  24. « … En l’an du Seigneur 1513, la première année du pontificat de Léon X, Michel-Ange, qui se trouvait alors à Rome, — et je crois, si je ne me trompe, que c’était en automne, — une nuit, en plein air, dans un jardin de sa maison, priait et levait les yeux au ciel. Soudain, il vit un météore merveilleux, un signe triangulaire, avec trois rayons : — l’un, qui s’en allait vers l’Est, brillant et lisse, comme une lame d’épée polie ; et à la fin, il se recourbait eu crochet ; — l’autre, couleur de rubis, bleu rouge, qui s’étendait sur Rome ; — et l’autre, couleur de feu, fourchu, et de telle longueur qu’il atteignait jusqu’à Florence… Quand Michel-Ange eut vu ce signe divin, il alla dans sa maison chercher une feuille, une plume et de la couleur ; il dessina l’apparition ; et, quand il eut fini, le signe disparut… »

    (Fra Benedetto : Vulnera diligentis, troisième partie. Mss. Riccardianus 2985. — Cité par Thode, d’après Villari)

  25. Henry Thode.
  26. Quand Leone Leoni, en 1560, grava une médaille à l’effigie de Michel-Ange, celui-ci lui fit tracer sur le revers un aveugle, conduit par un chien, avec l’inscription : Docebo iniquos vias tuas et impii ad te convertentur. (Vasari)
  27. Crucifix, Ensevelissement du Christ, Déposition de croix, Pietà.
  28. Annexes, XXVI. (Poésies, CXLVII)

    Ce sonnet, que Frey juge, non sans raison, le plus beau de tous ceux de Michel-Ange, date de 1555–1556.

    Un grand nombre d’autres poésies expriment, avec une moindre beauté de forme, mais non moins d’émotion et de foi, un sentiment analogue. Voir aux Annexes, XXVII.

  29. Ces bruits étaient mis en circulation par l’Arétin et par Bandinelli. L’ambassadeur du duc d’Urbin racontait à qui voulait l’entendre, en 1542, que Michel-Ange était devenu immensément riche, en prêtant à usure l’argent qu’il avait reçu de Jules II, pour le monument qu’il n’avait pas exécuté. — Michel-Ange avait donné prétexte, dans une certaine mesure, à ces accusations, par la dureté qu’il montra parfois en affaires, — [par exemple, avec le vieux Signorelli, qu’il poursuivit en 1518, pour un emprunt fait en 1513], — et par une rapacité instinctive de paysan thésauriseur, qui s’alliait en lui à sa générosité naturelle. Il amassait de l’argent et des biens ; mais c’était, pour ainsi dire, d’un geste machinal et héréditaire. En réalité, il était d’une extrême négligence en affaires ; il ne tenait aucun compte ; il ne savait pas ce qu’il avait, et il donnait à pleines mains. Sa famille ne cessa de puiser dans son capital. Il faisait des présents royaux à ses amis, à ses serviteurs. La plupart de ses œuvres ont été données, non vendues ; il travailla gratuitement à Saint-Pierre. Personne ne condamna plus sévèrement que lui l’amour de l’argent : — « L’avidité au gain est un très grand péché », écrit-il à son frère Buonarroto. — Vasari proteste avec indignation contre les calomnies des ennemis de Michel-Ange. Il rappelle tout ce que son maître a donné : — à Tommaso dei Cavalieri, à Bindo Altoviti, à Sebastiano del Piombo, à Gherardo Perini, des dessins sans prix ; à Antonio Mini, la Léda, avec tous les cartons et tous les modèles ; à Bartolommeo Bettini, une admirable Vénus avec Cupidon qui la baise ; au marquis del Vasto, un Noli me tangere ; à Roberto Strozzi, les deux Esclaves ; à son serviteur Antonio, la Déposition de Croix, etc. — « Je ne sais pas, conclut-il, comment on peut traiter d’avare cet homme qui faisait largesse de telles œuvres, valant des milliers d’écus. »
  30. Lettres à Giovan Simone (1533), — à Lionardo Buonarroti. (Novembre 1540)
  31. Vasari.
  32. « Il me semble que tu négliges trop l’aumône », écrit-il à Lionardo (1547).

    « Tu m’écris que tu veux donner à cette femme quatre écus d’or, pour l’amour de Dieu : cela me plaît. » (Août 1547)

    « Fais attention à donner là où il y a un vrai besoin, et à ne pas donner par amitié, mais par amour de Dieu… Ne dis pas d’où vient l’argent. » (29 mars 1549)

    « Vous n’avez à faire aucune mention de moi. » (Septembre 1547)

    « Il me serait plus agréable que tu consacres l’argent que tu dépenses en cadeaux pour moi, à des aumônes, pour l’amour de Dieu ; car je crois qu’il y a bien de la misère parmi vous. » (1558)

    « Vieux comme je suis, je voudrais faire un peu de bien en aumônes. Car je ne puis et ne sais pas faire de bien d’une autre façon. » (18 juillet 1561)

  33. Condivi.
  34. Lettre à Lionardo. (Août 1547)
  35. Ibid. (20 décembre 1550)

    Ailleurs, il s’informe d’un des Cerretani, qui a une fille à mettre au couvent. (29 mars 1549) — Sa nièce Cecca intercède auprès de lui pour une pauvre fille, qui entre au couvent ; et il lui envoie, tout heureux, la somme qu’elle demande. (À Lionardo, 31 mai 1556)

    « Épouser une jeune fille pauvre, dit-il quelque part, est aussi une façon de faire l’aumône. »