Vie de Napoléon/65
CHAPITRE LXV
La défense que Napoléon entreprit autour de Paris était romanesque, et, cependant, elle fut sur le point de réussir. Les armées de la France étaient disséminées à des distances immenses, à Dantzig, à Hambourg, à Corfou, en Italie. L’Ouest et la Vendée s’agitaient. Ce feu est moins que rien, vu de près, mais, de loin, il fait peur. Le Midi s’enflammait et l’on craignait des assassinats ; Bordeaux s’était déclaré pour ce roi qui devait enfin nous donner le gouvernement constitutionnel. Le Nord délibérait avec ce calme qui l’a distingué dans tout le cours de la Révolution. L’Est, animé des plus nobles sentiments, ne demandait que des armes pour purger le sol de la France.
Napoléon, sourd à la voix de la raison qui lui conseillait de se jeter dans les bras de l’Autriche, ne paraissait occupé que de son admirable campagne contre les Alliés. Avec 70.000 hommes, il résistait à 200.000 et les battait sans cesse. L’armée se battit en désespérée et il faut lui rendre cette justice, c’était par honneur. Elle était loin de prévoir le sort qui l’attendait. On dit que les généraux ne firent pas si bien que les soldats et les simples officiers : ils étaient riches. Les armées alliées montrèrent aussi du courage. Elles étaient dix contre un. La Landwehr et le Tugendbund[1] avaient introduit dans leurs rangs l’enthousiasme de la patrie ; cependant, comme leurs généraux n’étaient pas fils de leurs œuvres, mais des princes désignés par la naissance, la fortune des combats fut variable. Napoléon, si médiocre comme monarque, retrouva souvent, comme général, le génie de ses premières années. Il passa deux mois à courir ainsi de la Seine à la Marne et de la Marne à la Seine.
Ce que la postérité admirera peut-être le plus dans la vie militaire de ce grand homme, ce sont les batailles de Champaubert, Montmirail, Vauchamp, Mormant, Montereau, Craonne, Reims, Arcis-sur-Aube et Saint-Dizier. Son génie était absorbé dans un sentiment semblable à celui d’un brave homme qui va tirer l’épée contre un maître d’armes. Du reste, il était fou : il refusa l’armée d’Italie, forte de 100.000 hommes, que le prince Eugène lui envoya offrir par M. de Tonnerre. Peu de jours après, un obus vint tomber à dix pas de son cheval ; au lieu de s’éloigner, il marcha dessus. Il éclata à quatre pieds de lui sans le toucher. Je croirais assez qu’il voulait interroger la fatalité.
Le 13 mars, aux environs de Laon, l’empereur fut joint au feu, où il était, par le médecin du prince Bernadotte. On lui offrait encore la paix. Ce fut la dernière voix qu’employa la destinée.
- ↑ Société fondée en partie par le spirituel Arndt.