Vie de Sheridan

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VIE DE SHERIDAN, PAR WILLIAM LAKE.


Auteur comique, ami de la satire,
Poète aimable, éloquent orateur,
Toujours avec même bonheur
Sur tous les tons il a monté sa lyre.

(Moore.)
Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/13 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/14 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/15 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/16 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/17 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/18 alors le principal ornement de Bath par ses attraits et son talent musical.

C’était la fille d’un professeur distingué, et son chant délicieux lui avait valu l’honneur de figurer en première ligne dans tous les concerts de cette ville. Sa beauté, ses talens la rendaient l’objet de tous les toasts, et tous les jeunes gens à la mode se faisaient gloire de s’enrôler dans la foule de ses admirateurs. Parmi ceux qui lui faisaient la cour étaient Charles Sheridan et M. Walter Long. Ce dernier était immensément riche. Sa fortune, montant à 200,000 livres sterling, a passé depuis à mistress Wellesley, femme d’un parent du duc de Wellington. Mais M. Richard Sheridan eut le bonheur de remporter le prix, et pour l’obtenir il se battit deux fois avec un capitaine Matthews qui, sous le voile de l’anonyme, avait attaqué miss Linley et qui, dans la dernière affaire, fut blessé mortellement. Cet héroïsme, joint à l’opposition des pareils de la demoiselle, la porta naturellement à éjwuser son amant, qui, pour éearter les objections qu’on avait faites sur son manque de fortune et sur l’incertitude de son avenir, déclara qu’il allait embrasser la carrière du barreau. Dans cette intention, il se fit inscrire comme étudiant en droit à Middle Temple, le 6 avril 1775, et admettre à Hilary Term l’année suivante. Le consentement de la famille Linley fut enfin péniblement arraché, et le jeune couple fut uni en vertu d’une licence, le 13 avril 4775. Richard était alors dans sa vingt-deuxième année ; Elisabeth dans sa dix-neuvième.

Avant son mariage, mistress Sheridan s’était engagée à chanter au cercle musical de Worcester ; mais ce ne fut qu’après de grandes difficultés que son mari lui permit de tenir sa promesse, et depuis ce temps, elle cessa entièrement de faire ressource de ses admirables talens et de se faire entendre en public. Plus tard, cependant, la nécessité le força d’autoriser sa femme à donner des concerts particuliers. Mais le revenu qu’ils se faisaient ainsi tant à Bath qu’à Londres, quoique fort honnête, était insuffisant pour leur genre de vie. Bien que Shéridan fût de nom membre de la société de Middle Temple, on doute qu’il ait jamais pensé sérieusement à embrasser la carrière du barreau ; il est certain qu’il n’y parut jamais. Les commentaires de Coke sur Lyttleton avaient peu de charmes pour lui, et il sacrifiait volontiers le Corpus juris civilis aux plaisirs et aux muses.

Sa comédie des Rivaux fut représentée à Covent-Garden, le 17 janvier 1775 ; mais la manière pitoyable dont le rôle du personnage irlandais (sir Lucius O’Trigger) fut rempli, et quelques longueurs dans le dialogue, nuisirent d’abord au succès de cette pièce qui fut reçue froidement ; l’auteur la retira donc pour faire quelques changemens, et à sa reprise, la satisfaction du public se manifesta par des bravos fréquens et universels. On suppose que l’intrigue de cette pièce a quelques rapports avec l’histoire du mariage de l’auteur : le caractère le mieux tracé est, sans contredit, celui de sir Lucius O’Trigger, véritable Milésien, toujours prêt à se battre avec lé premier venu, avec ou sans raison. Celui de mistress Malaprop est un peu chargé et rappelle au lecteur le personnage beaucoup plus naturel de Slip Slop dans un des romans de Fielding. Au total, cet ouvrage n’est pas indigne de la plume de Sheridan, qui, à la seconde épreuve, fut si content du jeu de M. Glinch dans le rôle du baronnet irlandais, galant et belliqueux, qu’il fit peu de temps après pour sa représentation à bénéfice une farce intitulée la Saint-Patrice, ou les Stratagèmes d’un lieutenant. Il y a de la gaieté dans cette bagatelle qui, cependant, n’ajoute pas beaucoup à la réputation de Sheridan comme auteur comique. Au commencement de la saison suivante, la Duègne fut jouée sur le même théâtre, au milieu d’applaudissemens unanimes qui allèrent toujours en croissant pendant soixante-quinze représentations[1] ; c’était dix de plus que n’en avait obtenu le fameux opéra de Gay, intitulé l’Opéra des Gueux, à sa première apparition sur le théâtre. L’idée de cette pièce est, dit-on, prise de la Femme de Campagne, comédie de Wycherley[2]. Quoiqu’il en soit, elle contient des La réputation de Sheridan, comme auteur dramatique, fut bientôt pleinement établie : le Roscius anglais, Garrick, était son ami le plus dévoué, et parmi ses conseillers et ses connaissances intimes, il comptait Burke, le docteur Barnard, Gibbon, sir Joshua Reynolds, George Colman, le docteur Thomas Franklin, et enfin le fameux lexicographe et moraliste Johnson. Ce dernier aimait singulièrement la conversation brillante de notre auteur ; et après la représentation de la Duègne, il le proposa pour membre du club littéraire. Sheridan y fat admis dans le courant de l’année. Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/21 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/22 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/23 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/24 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/25 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/26 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/27 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/28 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/29 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/30 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/31 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/32 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/33 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/34 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/35 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/36 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/37 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/38 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/39 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/40 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/41 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/42 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/43 leur discours à l’esprit exact de leurs auditeurs, de n’examiner dans toute question que le fait, l’intérêt et le droit. M. de Staël, qui a publié dernièrement un voyage en Angleterre, regrette qu’on ail laissé si peu de place à l’éloquence dans les débats du parlement M. de Staël a des raisons de famille pour prendre le parti de l’éloquence ; mais que faire devant une assemblée qui préfère une bonne loi sur les grains au plus-briliant exorde, qui met une réduction de l’accise avant toutes les périodes cicéroniennes.

Au temps où Sheridan parut, les affaires ne jouaient pas un rôle si important : elles étaient moins un but qu’une occasion de parler, et la ne était devenue l’arène où les beaux espris de l’Angleterre, se dispulaient le noble prix de bien dire. Fox, Burke, Sheridan, Pitt, s’occupaient avant tout de charmer leurs auditeurs. Ce dernier laissait à la trésorerie le soin de les convaincre. Entre ces quatre grands orateurs, il serait difficile d’assigner les rangs ; mais il est une partie de l’éloquence où, d’un consentement unanime, Sheridan les surpassa tous : c’est l’ironie. Jamais on ne sut manier avec plus de grâce et de force cette arme terrible, cette arme poignante, qui, comme le dit Byron, ne laisse pas même à ceux qu’elle blesse la triste consolation de se plaindre.

La plaisanterie anglaise, si j’ose m’exprimer ainsi, est longue ; les meilleurs écrivains de ce pays, Swift lui-même, lorsqu’ils rencontrent un trait comique, ne savent pas s’arrêter à ce point juste où ce qui était plaisant va cesser de l’être. Sheridan, soit qu’il eût reçu du ciel l’heureux don de la bonne plaisanterie, soit que l’habitude du dialogue théâtral lui eût appris à resserrer son style, ne tombe pas dans ce défaut. Ses traits rapides et acérés atteignent le but sans jamais le dépasser ; aussi manquèrent-ils rarement leur effet. Quelques exemples qu’on me permettra de citer, prouveront, je l’espère, combien il avait d’esprit dans toute l’acception que nous donnons à ce mot. On a fait beaucoup de phrasés sur la compagnie des Indes, cette association singulière de marchands et de soldats ; mais personne peut-être ne l’a caractérisée d’une manière plus piquante que Sheridan. « Je me souviens, dit-il dans un de ses plaidoyers contre Hastings ; je me souviens d’avoir entendu un honorable membre faire remarquer qu’il y avait dans l’organisation primitive de la compagnie des Indes, quelque chose qui étendait les principes sordides de son origine sur toutes ses opérations, et qui associait à sa politique et même à ses plus audacieux exploits la pitoyable mesquinerie du brocanteur et la cruelle rapacité du pirate. Ainsi dans sa carrière politico-militaire, nous voyons des ambassadeurs mettre à l’enchère y des générauxPage:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/45 Page:Sheridan - Theatre complet de Sheridan vol 1 (Bonnet).djvu/46 l’insurrection de la flotte alarma la vieille Angleterre. Mais les vertus et les talens du grand homme ne trouvèrent pas grâce pour les faiblesses de l’homme aimable. Un homme d’esprit, faisant allusion aux derniers momens de Sheridan, qui furent si affreux, et à ses funérailles qui furent si pompeuses, a dit qu’il fallait vivre en France et mourir en Angleterre. Hélas ! il faut vivre et mourir riche dans la patrie de Corneille et de Gilbert comme dans celle de Milton et de Sheridan.



  1. Cet soixante-quinze représentations furent données sans autre interruption que les fêtes de Noël et les vendredis, parce que Leoni, qui remplissait le rôle de Carlos, étant juif, ne pouvait jouer ces jours-là. Pour balancer ce succès d’un théâtre rival, Garrick jugea nécessaire de reparaître dans tous ses meilleurs rôles. Il eut même recours à l’expédient d’opposer la mère au fils, en faisant reprendre la Découverte, comédie de mistress Frances Sheridan et en se chargeant du principal rôle. Par allusion aux fatigues que cette lutte contre la Duègne causa à Garrick, qui entrait dans sa soixantième année, un de ses confrères disait plaisamment : « La vieille femme tuera le vieil bomme. » (Mémoires sur Sheridan par Th. Moore.)
  2. Auteur de l’Homme franc ; il était contemporain de Molière.