Vie du pape Pie-IX/Garibaldi

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CHAPITRE XXVI.

Garibaldi.


Au mois de décembre 1866, conformément au traité du 15 septembre 1864, l’armée d’occupation française partit de Rome. Pie IX fit des adieux touchants aux braves soldats français : « Allez, mes enfants, leur disait-il, partez avec ma bénédiction, avec mon amour. Si vous voyez l’Empereur, dites-lui que je prie chaque jour pour lui. On dit que sa santé n’est pas très-bonne : je prie pour sa santé. On dit que son âme n’est pas tranquille : je prie pour son âme. La nation française est chrétienne ; son chef doit être chrétien aussi. »

"La révolution, avait dit Pie IX en congédiant les troupes françaises, viendra ici ; il ne faut pas se faire illusion." Cette parole s’est accomplie, mais non sans un triomphe momentané pour la cause de la justice.

Après les désastres de Castelfidardo et d’Ancône, Pie IX visita le peu qui lui restait de son domaine et laissa sur son passage des marques impérissables de sa bonté et de son amour paternel pour ses sujets. Revenu à Rome, il pourvut aux besoins des pauvres, en érigeant des habitations à bon marché et en établissant une association de personnes marquantes dite « Société de Construction. » Il fit aussi à cette époque de grands travaux publics, tels qu’un pont de fer sur le Tibre, et plusieurs autres ponts de chemin de fer dans les environs de Rome. Il compléta les travaux d’embellissement du Pincia, colline célèbre, où le peuple romain va respirer un air salubre. Il fit exécuter des travaux considérables aux abords du Quirinal, palais des souverains légitimes de Rome, occupé aujourd’hui par un vil usurpateur.

Puis il songea à réorganiser sa petite armée. Les travaux de Mgr de Mérode et du général Kanzler, devenu à son tour ministre des armes, furent couronnés de succès. La fleur de la jeunesse accourut de nouveau se ranger sous le glorieux drapeau du Saint-Père. Lamoricière, mort en 1865, trouva un digne remplaçant en de Charette. Il se forma aussi une légion de volontaires français connue sous le nom de légion d’Antibes.

De son côté, Garibaldi, l’infatigable bandit, organisait ouvertement des bandes de brigands. Le gouvernement piémontais encourageait et aidait ce mouvement en secret, mais pour ménager la susceptibilité de la France, il fit arrêter Garibaldi et l’envoya dans l’île de Caprera, d’où le forban s’échappa à travers sept vaisseaux qui étaient censés le garder. Un mandat d’arrestation fut lancé contre lui, mais pendant que l’on faisait semblant de le chercher à Gênes, à Livourne et à Turin, Garibaldi haranguait les masses à Florence sous les fenêtres du palais royal. Lorsqu’on voulut l’arrêter à Florence, il avait eu le temps de partir pour la frontière romaine avec un état-major, et le télégraphe ne fut pas assez prompt pour ordonner son arrestation. Cette misérable comédie ne trompait personne, pas même Napoléon III.

Garibaldi, à la tête de plusieurs milliers de brigands, envahit le territoire romain de tous côtés. Aquapendente, Ischia, Bagnorea, Valentano, Canino et Soubiaco furent saccagées par les garibaldiens, qui pillaient les églises et les couvents, et commettaient des outrages sans nom.

Le gouvernement français se décida enfin à sommer le cabinet de Florence de respecter les conditions du traité du 15 septembre. Sous prétexte d’arrêter l’invasion, le trop fameux Cialdini fut envoyé à la tête de 45000 hommes « pour garder la frontière pontificale. » C’était en réalité pour soutenir les brigands qui passaient à leur aise entre les différents postes ; quand ils étaient battus et repoussés par les zouaves pontificaux, ils venaient se reformer derrière les rangs piémontais[1].

Les troupes pontificales luttaient héroïquement contre des brigands supérieurs par le nombre et soutenus par une puissante armée régulière. Mais quoique repoussés souvent, les garibaldiens s’avançaient toujours vers Rome, où l’approche de ces libérateurs causait la plus grande frayeur. Et on ne s’alarmait pas sans raison. Les révolutionnaires avaient introduit dans la ville des bombes, et l’on parlait ouvertement de faire sauter les édifices publics. On commença, en effet, par la caserne Serristori. On ne réussit qu’à ensevelir les musiciens du corps des zouaves ; les autres soldats du Pape étaient heureusement absents de la caserne au moment de l’explosion. Profitant de la confusion, les garibaldiens tentèrent de s’emparer de la ville, mais ils échouèrent misérablement. Et l’armée de Cialdini, qui devait arrêter l’invasion, laissait faire.

Contraint par l’indignation trop juste de la France catholique, Napoléon envoya une armée française au secours du Saint-Père. Cette armée débarqua à Civita-Vecchia, le 29 octobre 1867. La veille, la petite ville de Monte-Rontondo, après une résistance héroïque, avait été emportée d’assaut et livrée au pillage.

Garibaldi se porta sur Rome. Le général Kanzler, à la tête de 3,000 zouaves pontificaux, alla à sa rencontre, suivi de 2,000 Français. « Venez, avait-il dit à quelques étrangers présents à Rome, venez : vous verrez une belle bataille. »

La petite armée pontificale rencontra les garibaldiens au nombre de dix mille, le 3 novembre, près de Mentana, sur la voie Nomentane. Les zouaves engagèrent le feu, les Français restant simples spectateurs pour le moment. « En avant ! zouaves, s’écrie Charette, ou je me fais tuer sans vous. » Les soldats s’élançant à la suite de leur brave officier, emportent les premières positions de l’ennemi à la baïonnette, enfoncent les lignes garibaldiennes et repoussent Garibaldi jusque dans le château de Mentana. Puis les troupes françaises viennent à la rescousse et complètent la victoire. La nuit met fin au combat. Profitant des ténèbres, Garibaldi et ses deux fils, abandonnent leurs compagnons d’armes et regagnent la frontière. Le lendemain matin, se voyant trahis par leur chef, les brigands se rendent sans conditions.

Le Saint-Père accorda une amnistie complète à ces forbans, pris les armes à la main. Contraste frappant avec la conduite de Victor-Emmanuel, qui, quelque temps auparavant, avait fait mettre à mort le général espagnol Borgès et ses frères d’armes pour avoir tenté de rétablir sur son trône le roi légitime de Naples.

De tous les garibaldiens, seuls Monti et Tognetti furent châtiés. Ces deux misérables, auteurs de l’explosion de la caserne Serristori, furent suppliciés après un procès impartial. Du reste, avant de mourir, ils s’étaient avoués coupables et avaient demandé pardon à Dieu et aux hommes. Le parlement italien et le roi usurpateur osèrent protester contre cet acte de justice et ouvrir une souscription pour les veuves des assassins.

Pie IX alla visiter les garibaldiens blessés. “Me voici, mes amis, leur dit-il ; vous voyez devant vous celui que votre général appelle le vampire de l’Italie, vous avez tous pris les armes contre moi, et vous ne trouverez ici qu’un pauvre vieillard ! Vous manquez de souliers, de vêtements, de linge. Eh bien ! le Pape, à qui vous faisiez la guerre, va vous en faire donner. Puis il vous renverra dans vos familles ; seulement, avant de partir, vous ferez un peu de retraite spirituelle pour l’amour de moi.” À la vue de tant de bonté, plusieurs de ces brigands ne purent retenir leurs larmes.


  1. Villefranche, Pie IX, sa vie, son histoire et son siècle. Un journal prétendu catholique, le National, de Montréal, a osé affirmer qu’en cette circonstance, Victor-Emmanuel avait empêché les garibaldiens d’envahir le territoire romain. Est-ce ignorance, est-ce mauvaise foi ?