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Vie du pape Pie-IX/Les assassins de Rossi

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CHAPITRE IX

Les assassins de Rossi.


Rossi ne se chargea pas sans hésitation de la lourde mais glorieuse tâche que lui imposait le Pape. Mais se soumettant enfin à la volonté de Dieu, il accepta la présidence du conseil le 16 septembre 1848. Ayant pris pour collègues les cardinaux Soglia et Wizzardelli, le duc de Rignano, l’avocat Cicognani, le professeur Montanari, le comte Guarini et M. Riglietti, il fit preuve d’une grande activité et de grands talents administratifs. Il mit ordre aux finances, réorganisa les États romains et entama des négociations à Naples, à Turin et à Florence pour mettre à exécution un projet patriotique, dont tout le mérite, il l’avouait lui-même, revenait à Pie IX. Ce que Rossi proposait, c’était une confédération italienne, dont le Pape serait le chef et qui, tout en établissant l’unité de la Péninsule sur des bases solides, laisserait à chaque État toute son autonomie. C’était une confédération défensive et non une ligue aggressive qu’on se proposait de fonder. Mais le Piémont, qui rêvait déjà sans doute une autre unité italienne, une unité fruit de la conquête, empêcha la réalisation du projet en posant la condition arbitraire que le royaume de Naples, le plus important des États de l’Italie, serait exclu de la confédération.

Rossi ne se contenta pas de faire de la haute politique à l’étranger, il fit aussi de la bonne police à Rome. Il mit un frein aux révolutionnaires et permit aux honnêtes gens de respirer. Voyant qu’ils avaient trouvé en lui leur maître, les sociétés secrètes le condamnèrent à mort et décrétèrent que le 15 de novembre 1848, jour de l’ouverture des chambres, l’arrêt serait mis à exécution.

Durant la nuit du 14 au 15 novembre, douze affidés de la Jeune Italie s’étaient réunis dans un petit théâtre ou ils tirèrent au sort l’honneur de porter le coup fatal. Le nommé Sante Constantini est désigné comme celui qui doit frapper le premier ministre de Pie IX. Constamini s’exerce la main sur un cadavre de la taille de Rossi qu’on avait apporté au rendez-vous. L’expérience réussit ; du premier coup de poignard, le futur meurtrier tranche l’artère carotide ; ses compagnons crient : “Bravo, ” et lui pressent la main.

Averti par plusieurs personnes du sort qui l’attend, le brave Rossi, après avoir reçu la bénédiction du Pape, se rend aux chambres. Aux remontrances qu’on lui fait il répond : “La cause du Pape est la cause de Dieu.”

Dans la cour de la Chancellerie, où les députés sont déjà réunis, des hommes à figures sinistres l’attendent et l’entourent au pied de l’escalier. L’un d’eux le frappe de sa canne sur l’épaule gauche ; Rossi tourne vivement la tête et expose la veine jugulaire à Constantini qui se tient à sa droite. Celui-ci enfonce son poignard dans le cou du comte, qui, jetant à tous ces lâches le mot assassins ! tombe dans une mare de sang, tandis que Constantini reçoit les félicitations de ses amis.

On relève le blessé et on le transporte au premier étage : de la Chancellerie où un prêtre accourt lui donner l’absolution. Puis Rossi rend son âme à Dieu, sans avoir prononcé une parole.

Informé aussitôt du crime, qui venait de se commettre, Pie IX tomba à genoux et demeura longtemps en prière. Se levant enfin, il dit à ceux qui l’entouraient : “Le comte Rossi est mort martyr ; Dieu recevra son âme en paix.”

ÀA la chambre, une séance révoltante s’était passée. La nouvelle de l’assassinat du premier ministre apportée à l’assemblée par l’un de ses collègues, M. Montanari, causa parmi certains députés une émotion que les autres ne partageaient pas. Le président de la chambre, M. Sturbinetli, dit froidement : “Messieurs passons à l’ordre du jour.” Les membres du corps diplomatique indignés se retirèrent.

La conduite du peuple romain, en cette circonstance, ne fut pas moins infâme que celle de ses députés. Personne n’osa protester contre ce forfait au nom de la justice, pas même au nom de la constitution que le poignard de Constantini venait d’abattre. Au contraire, on se livra aux plus dégoûtants excès. On promena par la ville, orné de fleurs, le poignard qui avait tué Rossi, on le porta jusque sous les fenêtres de la maison où se trouvait la veuve de la victime, on chanta un refrain improvisé : “Béni soit le poignard, le poignard sacré qui a frappé le traître" ; on fit l’apothéose de l’assassin. Et la garde civique, que Pie IX avait armée, fraternisait avec la populace homicide.