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Vie et œuvres de Descartes/Livre III/Chapitre premier

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LIVRE III

��CHAPITRE PREMIER

DISCOURS DE LA MÉTHODE

DIOPTRIQUE MÉTÉORES GÉOMÉTRIE

(1634-1637)

��Frappé, plus qu'il n'aurait fallu, de la condamnation de Galilée, Descartes prit sur le coup une résolution extrême, celle de ne rien publier. Mais le pouvait-il, en conscience ? A Paris, on attendait depuis trop longtemps quelque chose de ce philosophe qui ne s'était retiré en Hollande que pour travailler plus à l'aise, « en parfait repos d'esprit' ». Et bientôt Mer- senne, comme pour lui forcer la main, insérera, sans le nommer encore, dans la préface de l'Harmonie universelle, en i636, un passage d'une de ses lettres de 1634, où il est question de la matière subtile : « on en verra la démonstration » physique », ajoutait le bon religieux, « lorsqu'il plaira à l'au- » teur de la donner^ ». Descartes lui-même, en quittant ses amis de France, n'avait-il pas pris des engagements, auxquels il devait faire honneur, sous peine de passer pour un de ces charlatans qui promettent des merveilles, et ne savent rien

a. Tome VI, p. 74, 1. 2d.

b. Tome X, p. 564-565, note.

�� � i82 Vie de Descartes.

tenir ^ ? Cependant, il ne voulut pas divulguer d'abord toute sa philosophie : il n'en proposera que des essais ou échantillons ; mais il les choisira de nature à intéresser vivement les lec- teurs et à leur faire désirer la publication complète.

La première émotion passée, il se remit donc assez vite au travail, et en peu de temps trois petits traités furent prêts  : l'un, sur un sujet mêlé de physique (Descartes disait : de philo- sophie) et de mathématique, la Diopirique ; le second, sur un sujet de pure physique (même remarque), les Météores ;' et le troisième sur un de mathématique toute pure, la Géomé- trie. Il rédigea ensuite une préface, intitulée Discours de la Méthode, et se prépara à publier le tout en un volume, sans nom d'auteur.

A qui s'adressera-t-il pour l'impression ? La peste sévissait à Leyde, l'année i635, une peste terrible qui fit plus de 14,000 victimes ; et d'ailleurs les Elzeviers montraient peu d'empressement. Descartes pensa un moment à un imprimeur d'Amsterdam, Willem Blaeu. Mais il finit par s'entendre avec un libraire de Leyde, Jan Maire, en i636. A Leyde, en effet, demeurait Schooten, professeur de mathématique à l'Univer- sité, et aussi le fils de Schooten, qui traça les figures de la Dioptrique, sinon des Météores; Descartes désirait sans doute surveiller lui-même et sur place ce travail . L'impression fut achevée pour la fin de i636 : le 5 janvier 1637, Huygens

a. Tome VI, p. 74,1. 3-3i.

b. Tome I, p. 370, 1. 12-16.

c. Ibid., p. 325, 1. 10-14. Le « malheur public », dont parle ici Huygens, est précisément la peste : le nombre des victimes (14,582) a été compté du 23 juin au 3i déc. i635 ; il y eut une fois juscju'à i,5oo décès en une semaine. Les Elzeviers réimprimèrent alors un petit livre de Théodore de Bèze, daté de Genève, 1579 : De Pejîis contagio & fugâ Dijfertatio, avec une lettre d'André Rivet. (A» i636, pet. in-12, 154 p) — Voir aussi t. I, p. 338, 1. 7-12.

d. Tome III, p. 45o, 1. i2-i3. Voir aussi t. I, p. 344, 1. iS-ig, et p. 395-396. Descartes, quoique fort mauvais « peintre », c'est-à-dire des- sinateur (il le dit, t. I, p. 339, 1. 8-1 1, et p. 447,1. 17-19), travailla lui- même à ses figures, t. I, p. 344, 1. 19-25.

�� � envoyait à Mersenne, de la part de Descartes, le paquet des épreuvesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Tout était-il imprimé déjà ? Il le semble bien. Le philosophe avait mis au point la Dioptrique d’abord, et rédigé la Géométrie à la hâte, pendant qu’on imprimait les Météores. Quant au Discours de la Méthode, il ne s’était résolu qu’avec peine à l’écrire, après tout le resteErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Mais ce discours faisait également partie de l’envoi de janvier 1637, puisque Mersenne écrivit aussitôt à Descartes quelques réflexions sur tel et tel passage. Le titre définitif était aussi arrêté : Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie, qui sont des essais de cette Méthode. Le philosophe avait d’abord songé à un autre titreErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu., un peu emphatique, on dut le lui dire et il le sentit : Le Projet d’une Science universelle qui puisse élever nostre nature à son plus haut degré de perfection. Plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie : où les plus curieuses Matières que l’Autheur ait pu choisir, pour rendre preuve de la Science universelle qu’il propose, sont expliquées en telle sorte, que ceux mesmes qui n’ont point estudié, les peuvent entendre. Il n’insista pas, et pencha plutôt vers l’autre excès, au gré de Mersenne : celui-ci aurait voulu qu’on mît Traité de la Méthode, et Descartes fut obligé de lui

a. Tome I, p, 345-346.

b. La première partie de la Dioptrique, au moins les deux premiers chapitres, qui regardent la réfraction, était rédigée au commencement de i632, où Descartes l’envoya à Golius (t. I, p. 235, 1. i-3, et p. 237, 1. 4-6) ; et le dernier chapitre, sur une machine de son invention, pour tailler les verres, avait fait l’objet de toute une correspondance entre lui et Ferrier, en 1629 et i63o. Le traité en entier était terminé pour le printemps de i635, et Descartes lut son manuscrit à Huygens en trois matinées à ce moment-là. (Lettres du 16 avril et du i" nov. i635, t. I, p. 3i5, 1. 7-9, et p. 329, 1. 17.) — Le traité des Météores ne fut rédigé qu’ensuite, « les » deux ou trois premiers mois de cet été », dit Descartes dans cette même lettre du i’^ nov. i635. A cette date, il n’avait plus qu’à le mettre au net, et ne savait s’y résoudre, pas plus, ajoute-t-il, qu’ « à faire une préface » qu’il y veut joindre », et qui sera le Discours de la Méthode. (Tome I, p. 329, 1. 28, à p. 33o, 1. II.)

c. Tome L p— 339, 1. 16, à p. 340, 1. 14. faire observer que ce n’était pas un Traité complet, mais un simple Avis touchant la méthode à suivre dans les sciences[1]. Le premier titre était peut-être trop pompeux ; le second parut vraiment trop modeste.

Descartes envoyait les épreuves à Paris uniquement afin d’avoir un privilège. L’imprimeur Jan Maire en avait bien un déjà, des États de Hollande, daté du 20 décembre 1636[2], mais qui ne valait que pour les Pays-Bas, et ne le protégeait pas en France contre une contrefaçon et une concurrence possible à Paris. C’était donc dans un intérêt commercial que notre philosophe demandait à Mersenne de lui faire obtenir un privilège du roi, non pas tant pour lui personnellement, que pour son libraire de Leyde[3]. Mais Mersenne l’entendit autrement. Il voulut quelque chose qui signalât le nouveau volume à l’attention publique et en assurât le succès. Les circonstances étaient favorables : le chancelier, Pierre Séguier, aimait les lettres, et de plus il avait épousé une cousine germaine du cardinal de Bérulle, ancien protecteur de Descartes. Séguier entra dans les vues de Mersenne : le privilège faisait une allusion flatteuse à ce qu’on pouvait attendre de l’auteur pour l’avancement des sciences et le progrès des arts mécaniques, et surtout il nommait cet auteur en toutes lettres : Des Cartes[4]. C’était aller contre la volonté expresse du philosophe, qui en témoigna quelque humeur à son ami trop zélé ; il ne retint que les termes essentiels du privilège, et supprima tout le DiOPTRIQUE. 18^

reste, qui ne parut qu'en 1644. Qu'avait-il besoin, par avance, de ces louanges officielles ? Elles équivalaient, lui disait-on, à des « lettres de chevalerie ». Mais sa naissance le faisait déjà gentilhomme. D'ailleurs, tant de formalités retardaient l'octroi du privilège, qui était impatiemment attendu à Leyde. Il est daté du 4 mai lôSy; Jan Maire le reçut les derniers jours du mois, et le volume fut achevé d'imprimer le 8 juin.

Singulier pouvoir des mots ! Supposons que Descartes eût intitulé Télescope le traité de la Dioptrique, et Arc-en-Ciel celui des Météores, préférant à la terminologie ancienne des appellations modernes : ces deux traités prenaient, ainsi que la Géométrie, un air de nouveauté, qui maintenant encore les recommanderait à l'attention des savants. Et peut-être le Dis- cours de la Méthode, simple préface, après tout, d'un impor- tant ouvrage, n'aurait point, par un phénomène unique dans l'histoire des lettres, fait oublier l'ouvrage lui-même, au point de se substituer à lui entièrement.

La Dioptrique, en effet, était un sujet d'actualité. Les savants l'avaient mis à l'ordre du jour, depuis l'invention des lunettes d'approche en 1608, et Descartes reconnaît que c'est bien

a. Le sens des mots Optique, Catoptrique, Dioptrique, se trouve ainsi expliqué, Mersenne, La Vérité des Sciences, 162b : « ...Or, comme il y a » 3 fortes de raions, fçauoir elt les droits, les réfléchis & les rompus : auffi » y a-i'ii 3 parties dans l'Optique. La première confidere tout ce qui fe » fait par le raion droit, tel qu'elt celuy par lequel nous voyons la lumière » & les couleurs, qui nous font oppofez, l'air qui eft entre l'oeil & l'obieifl » allant vniforme. La féconde partie contemple le raion réfléchi par toutes » fortes de miroirs, & s'appelle Catoptrique, c'eft à dire fcience des » miroirs. La troiiiefme enfeigne comment nous voyons par raions qui » font rompus, comme quand nous regardons vn bâton qui eft partie » dans l'eau, partie dans l'air, & fe nomme Dioptique, ou Me/optique, » parce qu'elle comidere la façon par laquelle les raions palVent par les » milieus diuers, comme quand ils trauerfent l'air, l'eau & le verre en » mefme inftant : on pourroit aulTi nommer cette partie Anaclajlique ou » Diaclajîique. » ^ Pages 229-230.)

b. De Uitvinding der Verrekijkers, van C. de Waard. (La Haye, 1906 in-8, p. 340.) Abrégé en français dans la Revue Ciel et Terre, 28' année (Br. in-8, p. 18, Bruxelles, Weissenbruch, 1907.)

ViB DE Descartes. 24

�� � i86 Vie de Descartes.

cette invention qui lui donna l'idée d'écrire un tel traité^. Il n'était pas le premier, certes; mais au témoignage d'un contemporain, le P. Georges Fournier, Jésuite, dans son Hydrographie en 1643, tous les ouvrages précédents en furent éclipsés, et ce fut le sien désormais qui fit autorité.

A la honte de nos sciences, déclare le philosophe, cette invention si utile et si admirable des lunettes d'approche est due au hasard; et l'auteur, Jacques Metius, d Alkmaar, n'avait jamais étudié. Descartes ignorait-il que ces lunettes avaient été inventées à Middelbourg, qui en était resté le principal centre de fabrication dans les Pays-Bas ? Lui, si cuneux de nouveautés, il n'aurait pas visité dans cette ville, en i6i8, la boutique du lunetier Lipperhey, qui dix ans auparavant, en 1608, s'en était dit l'inventeur? et pas davantage celle d'un autre lunetier, Zacharias Jansen, qui avec plus de raison, ce semble, avait élevé la même prétention? Le fils de ce Zacha- rias, Johannes Jansen, invoquera cependant plus tard le témoi- gnage de notre philosophe (après la mort de celui-ci, il est vrai), pour assurer qu'en 1618 on trouvait dans la boutique paternelle des verres disposés dans de longs tuyaux pour

a. Tome VI, p. iSp, 1. 17-22.

b. Hydrographie contenant la Théorie & la Praâique de toutes les parties de la Navigation. Compofé par le P. Georges Fournier de la Compagnie de lefus. (A Paris, chez Michel Soly, rue fainft Jacques, au Phœnix. M.DC.XLIII. Avec Privilège du Roy. Permiffion du R. P. Prouincial : Jacques Dinet, à Paris, ce 4 lanuier 1643. Privilège, 18 mai 1643. Gd in-f°, pp. 922. Acheué d'imprimer, 20 mai 1643.) — Le chapitre xix du livre X est intitulé : Des Lunettes d'approche ; « . . .le dis » que cette inuention eft incomparable, & que, puis que nous en ignorons » le vray Auteur, au moins nous deuons grandement prifer ceux lefquels » par leurs doftes efcrits ont tellement cultiué ce que le hafard a fourny » au premier Inuenteur, qu'ils l'ont conduitte en tel poinfl qu'il femble » qu'on n'y peut plus rien adioufter : tels que font Maurolicus en fes liures )> de la Lumière & de l'Vmbre : Porta en vn œuure exprès, qu'il a defcrit » des Lunettes & Miroiiers bruflants : Kepler en fon Optique, & princi- » paiement en fa Dioptrique : Aquilonius en fon Optique : Hierofme » Sirturus Milanois : le Père Schiner en fa Rofe Vrline : le fieur Tarde » Théologal de Sarlat : & fur tous nouuellement Monfieur des Cartes, » comme ie diray cy après. » (Page 5i i.)

�� � DiOPTRIQUE. 187

regarder la nuit les étoiles et la lune\ Il ajoute, il est vrai, que Metius vint lui-même examiner un de ces tuyaux, et fabriqua ensuite une lunette semblable; et il est vrai aussi que, dès 1608, Jacques Metius, comme Lipperhey et comme Jansen, avait demandé aux États de Hollande un brevet d'in- venteur. Mais Descartes tenait sans doute ses renseignements du propre frère de Jacques, Adrien Metius, qu'il connut comme professeur de mathématiques à l'Université de Franeker, et il s'en sera rapporté à lui ^

a. C. DE Waard, loc. cit., p. 140 : « Anno iSgo, is de eerfte buyfe » gemaeckt en geïnventeert binnen Middelburgh in Zeelant van Zacharias » Janfen, ende de Langfte waerr(en) doen ter tijt i5 à 16 duym ; waervan » datter 2 wech vereert werden : de eene aen den prins Maurytfyus en de » ander aen hertogh Albertus. De deftanfy van i3 à 16 duym is foo lange » gebruyckt geweeft tôt het jaer 1618; doen hebbe ick, met mijn vader » hierboven vernoumpt, de lange buyfe geïnventeert, die men gebruyckt » om by nachte te fien in de fterren en de maenne, daer veel in te fpeke- » leren is. Anno 1620 heeft Meetfyus een van onfe buyfen bekommen, » deweltke hy naergekonterfeyt heeft, voor fooveel als hij gekonnen heeft. » Defgelickx heeft oock Cornelis Dribbel gedaen. Als wy defe infter- » menten praflyfeerden, woonden wy op het kerckhof, daer nu de » venduyfy is. Waerre Reynnier Ducartes en Cornelis Dribbel en » Joannes Loof int leven, die fouden getuygen daervan konnen wefen, » dat ick de eerfte lange buyfen hebbe geïnventeert. Vorder en kan » ick, mijn Heeren, geen naeder onderricht daervan doen. — In Mid- » delburgh, den 3o Jannewary i655. Johannes Sachariassen. » Cette attestation, adressée aux magistrats de Middelbourg, soulève plus d'une difficulté. Johannes, par ex., en 1618, n'avait que sept ans; il n'a donc pu aider son père dans l'invention du perfectionnement dont il parle. D'autre part, la date de iSgo n'est point celle de l'invention : Johannes lui-même vingt ans plus tôt, en i634, en avait indiqué une autre plus vraisemblable à Beeckman, qui la rapporte dans son Journal : « Johannes Sacharias » feght, dat fijn vader den eerften verrekijcker maeckte hier te lande anno » 1604 naer eene van eenen Italiaen, daerop ftont anno i5go. » [Ibid., p. i55.) Notons cette même date de iSgo, qui apparaît.

b. Sur l'inventeur du télescope, le P. Fournier {loc. cit., p. 5i i) repro- duit textuellement d'abord la version de Descartes (t. VI, p. 81, 1. 3-7, et p. 82, 1. 2-18). Il y ajoute d'ailleurs celle de Sirturus, et continue par le passage que nous avons cité, p. 186, note b. — D'autre part, Peiresc, dans une lettre à Dupuy, datée d'Aix-en-Provence, 8 nov. 1626, parle de ces lunettes de Galilée, « ou plus toft (ajoute-t-il) de Jacques Methius qui en

�� � i88 Vie de Descartes

Il imagina, précisément en cette ville, une machine propre à tailler les verres. C'est de Franeker, en effet, que sont écrites les lettres de 1629, qui donnent là-dessus des instructions à Ferrier, l'artisan qu'il avait connu à Paris. Il tenta même de le faire venir auprès de lui, pour y travailler ensemble : on vivrait, disait-il, « comme frères ». Mais Ferrier ne put se décider. Il essaiera cependant de faire quelque chose, sinon en 1629 ou i635, du moins après la publication de ib3j : le P. Nicéron raconte, en i638, que Ferrier montrait à Paris une lunette excellente, composée de deux verres taillés, suivant le conseil de Descartes, en hyperboles Plus de dix ans aupara- vant, notre philosophe avait obtenu du même Ferrier, à Paris, de semblables verres ; mais il n'avait pas encore imaginé une machine tout exprès pour les tailler ; et il avait laissé Mydorge dessiner lui-même la figure à leur donner, pour le bien con- vaincre de l'excellence de l'hyperbole . Mydorge, en effet, qui étudiait surtout les miroirs, tenait pour la figure parabo- lique ; mais il dut reconnaître que, pour les lunettes, objet de la Dioptrique, Thyperbole est préférable ; et Mersenne le reconnut également'. C'était une nouveauté, et Descartes n'en

» eft le vray inuenteur primitif ». [Lettres de Peiresc, Paris, Impr. Nat., 1888, t. I, p. 79-80.) Fromondus, en 1627, dira de même de l'inventeur : « Fratrem fuum lacobum Metium fuiffe contendit Adrianus Metius Fra- » nekerenfis Mathematicus. » (Meteorologicorum libri,p. 112.) Enfin on trouve, dans les Momenta Defultoria de Constantin Huygens une épi- gramme de i633 : In Metium TeleJ'copii Inventorem. (Page 76, f édit., 1644.) — Adrien Metius, né comme son frère à Alkmaar, en 1571, mourut à Franeker en i6?5. Un livre de lui : Arithmeticœ & Geometriœ Praâica, fut édité par les Elzeviers à trois reprises, en i6i i, 1626 et 1640.

a. Tome I, p. 1 3, 32 53 : lettres du i8 juin, 8 oct. et 1 3 nov. 1629.

b. Ibid., p. 14, 1. 12.

c. Tome II, p. 376.

d. Tome I, p. 335-337, notamment p. 336, 1. 24.

e. Mersenne, Que fiions Phyjico-Mathematiques, i634 : « Queftion XIX. » A quoy Jenient les feâions Coniques, & quel f eut ejlre leur vfage? » (Page 94.)

Mersenne considère surtout « la feélion ou la ligne hyperbolique... » encore plus admirable dans les lunettes & dans la refraflion, que dans

�� � DiOPTRIQUE. 189

était pas peu fier. Jusque-là on s'était contenté de donner aux lentilles de cristal, qui servaient pour les lunettes d'approche, la forme sphérique, sans autre raison, si ce n'est qu'elle était plus commode à tailler et qu'elle réussissait. Galilée n'en employait pas d'autre en Italie, ni Scheiner en Allemagne^ ; et en Hollande même, un professeur d'Amsterdam, qui fut en relations avec Descartes, Martinus Hortensius, préconisait toujours la figure circulaire '\ Descartes fut même un peu

» les miroirs & dans la reflexion.. . . C'eft pourquoi les Lunetticrs >i deuroient faire les verres de leurs lunettes de longue veuc en forme » d'hyperbole conuexe. . . >' (Pages 95-96.) Et il renvoie à la Vérité des Sciences, 1. IV, c. 6, et à V Impieté des Déifies, partie II, c. 6, et c. i3 de la 25 objection, « où les proprietez & la fabrique des miroirs parabo- » liques font expliquées ». Mais surtout il renvoie aux livres « des ferions » Coniques de Monfieur Mydorge (dont on attend toujours les 6 der- niers) ».

a. Galilée, Sidereus Nuntius, 1610 : « Tubum primo plumbeum mihi » paravi, in cuius extremitatibus vitrea duo Perfpicilla, ambo ex altéra « parte plana, ex altéra verô unum Jphœrice convexum, alterum verô » cavum, aptavi. » [Edi^ione Na:{ionaIe, .vol. III, parte i», Firenze, 1892, p. 61-62.) — Scheiner, Roja Urfina, i63o : « Forma lentium qualis effe » debeal : forma, quœ huip materiae inditur, eft artificialis, fuperficies » nimirum vel plana, vel fphœrica [de reliquis etiim figuris nolo hîc » inquirere), eaque vel caua, vel conuexa. » (Page 98.)

b. Tome I, p. 327, 1. 8-1 5, et p. .328 ; puis p. 33i, 1. 6-1 5 : lettres du 28 cet. et du !»'■ nov. i635.

Voir aussi le P. Fournier, Hydrographie (1643), Liv. X : Des Lunettes d'approche, chap. xix :

« ...Telle a elle la figure de toutes les Lunettes iufques à prefent » [figure fpherique) ; mais depuis que Monfieur des Cartes Gentilhomme » Breton a imprimé la Dioptrique à Leinde l'an 1637, & qu'il a mondrc » que le cercle ne peut fuflfire, pour compoferla figure d'vn verre qui » face que tous les rayons qui viennent d'vn poinfl s'alfemblent en vn » poinft exactement, & que, (i au lieu de la figure Sphérique on en donne » aux verres vne Hyperbolique, on fera des Lunettes qui feront voir les >. obiefts diftinclement, fans confufion, (.S: en telle grandeur que l'on vou- » dra ; iS: qu'il nous a faict connoiftre que la caufe pour laquelle il a paru » fi peu de Lunettes d'aproche d'cxquife honte, (.11 t]uc les ouuriers ti'ont >• iamais rencontre que lors qu'ils ont failly fi ' rrufement, que, pen- u fants rendre Spheriques les fuperficies des vcn 'Is les ont rendues 1) Hyperboliques, ou de quelque autre figure equiuaintc : piufieurs fe » font mis à y trauaillcr de nouueau, iS; maintiennent <|iie,y/ la main des

�� � ic)o Vie de Descartes.

piqué que Huygens, qu'il pensait avoir converti à son hyper- bole, prêtât encore l'oreille aux objections d'Hortensius. Huy- gens, pour satisfaire son ami, lui offrit alors de faire tailler un verre hyperbolique par un tourneur de sa connaissance à Amsterdam. Mais il y fallait la fameuse machine ; et elle était difficile à construire. Descartes, cependant, était entré dans les détails les plus précis, et en avait fait un chapitre entier de sa Dioptrique, le dernier, celui auquel tout ce qui précède achemine peu à peu le lecteur.

L'ouvrage" peut se diviser en deux parties, avec une intro- duction. La seconde partie, qui comprend les quatre derniers chapitres ou plutôt « discours », vu, viii, ix et x, étudie les questions suivantes : — moyens de perfectionner notre vision, lesquels consistent à fabriquer des organes- artificiels, autre- ment dit des lunettes ; — formes ou figures que doivent avoir les verres ou autres corps transparents qui servent aux lunettes, et Descartes, écartant le cercle ou la sphère, exa- mine comparativement deux autres sections coniques, l'ellipse et l'hyperbole, pour donner la préférence à l'hyperbole ; — comment ensuite deux verres hyperboliques, l'un convexe et l'autre concave, doivent être placés dans un tube ou tuyau pour faire une bonne lunette ; — enfin et surtout, comment doit être construite la machine propre à tailler de tels verres. Quant à la première partie, elle comprend les quatre discours

» ouuriers né nous manque-, on pourra par cette inuention voir des obieâs » auffi particuliers & auffi petits dans les AJlres, que ceux que nous » voyons communément fur terre. Toute l'Europe attend quelque bon » effeft d'vne fi rauiffaiite demonftration. » (Page 5 12.) Tous les passages en italiques sont copiés textuellement de Descartes, t. VI, p. 211, 1. i-5, et p. 206, 1. 2-6.

a. La Dioptrique, t. VI, p. 81-227, ^^ divise ainsi :

I, Lumière, p. 81-93. — II. Refraâion, p. gS-ioS.

III. Œil, p. io5-io8. — IV. Des Jens, p. 109-114. — V. Images au fond de l'œil, p. 1 14-129. — VI. Vifion, p. 130-147.

VII. Moyens de la perfeâionner, p. 147-165. — YIU. Figures à donner aux verres, p. 165-196. — IX. Lunettes, p. 196-21 1. — X. Machine à tailler les verres, p. 21 1-227.

�� � précédents, iii, iv, v et vi. Pour savoir ce qu’on peut ajouter à notre vue par artifice, il faut connaître d’abord les organes dont nous a pourvus la nature. Et Descartes examine successivement — l’œil, organe extérieur ; — puis ce qu’il appelle les organes intérieurs qui servent au sens de la vue, c’est-à-dire les nerfs et le cerveau ; — puis les images qui viennent se peindre au fond de l’œil ; — enfin la vision elle-même. Mais avant tout il avait exposé les principes, dans une sorte d’introduction : — chapitre ii, lois de la réfraction ; — chapitre i, nature de la lumière.

Descartes ne pouvait choisir un meilleur exemple, et plus démonstratif, des idées qui lui étaient chères : il montrait dans un même sujet l’union de la géométrie et de la physique, l’union aussi de la spéculation et de la pratique, de la science des philosophes et de l’industrie des artisans. Cette machine à tailler des verres en hyperbole était l’application d’une découverte scientifique ; or, dans sa pensée, toutes les découvertes doivent aboutir ainsi à des inventions utiles. Et l’on ne saurait dire laquelle de ces trois choses le satisfaisait davantage : sa machine elle-même, sa loi des réfractions, ou l’étude des sections de cône par lesquelles les réfractions s’expliquent géométriquement.

Selon ce principe, que l’art doit toujours chercher ses règles dans la nature, et que les organes naturels doivent être les modèles des organes artificiels. Descartes étudie la structure de l’œil et le mécanisme de la vision. Il avait en cela des prédécesseurs : Jean Tarde, en France, dans son Telescopium[5], et Scheiner, en Allemagne ou plutôt en 192 Vie de Descartes.

Italie, dans sa Rosa Ursina ». Descartes ne paraît pas avoir connu Jean Tarde ; mais il cite, dans ses lettres, le nom de Scheiner. Qu'avait-il besoin, d'ailleurs, de ces exemples? La méthode était tout indiquée, et un esprit bien fait ne pou- vait manquer de la suivre. Déjà, dans le Tiaité de l'Homme, qui est comme une seconde partie de son Monde, on trouve une étude semblable de Tœil et de la vision ". Ce n'était là qu'un résumé de ce qu'on retrouve, sous les mêmes titres, aux chapitres m et iv de la Dioptrique. Ici Descartes met au point ce qui était seulement esquissé dans le Monde. Mais de part et d'autre, à propos de la vision, il étudie dans le même ordre tout ce qui s'y rapporte : lumière et couleur, situation et distance, grandeur et figure des corps; les deux premières sont l'objet propre de la vue, et les quatre suivantes, de la vue aidée des autres sens : de là trop souvent des erreurs, qu'il

dont voici l'une : « ...Ou bien il V inventeur] y paruint par vne autre voye. » C'eft que. voulant faire vn œil artificiel, & confiderant que l'art imite >• la nature, il print le naturel pour modèle. & forma cette vifion artifi- » cielle fur la naturelle : car il y a en l'œil & en la viiîon cinq ou fix » chofes lefquelles font exactement imitées au Telefcope. >- Tage 108.) Suit l'énumération de ces cinq ou six choses. Le latin disait : « Vel quia » naturam ars imitatur, ex oculo exemplar eligens, modum videndi feu » rationem qua fit vilio tanquam ducem fequutus' ert. Sex enim in oculo Il deprehenduntur. quorum fimilitudinem telefcopium exprimit, & » apprime reprœfentat. » iPage 86.

a. Peiresc écrivait à Du Puy, le 22 r.ov. i633 : ■< Le P. Scheiner, dans » fa Rofa Vrftna ii63o;, femble mener le lecteur comme par la main fe » promener dans l'on œuil, pour y voir receuoir les images des objecls )i & les rayons d'icelles fe reunir par les effecls de TOptique tout de » mefmes que dans vne chambre obfcure où l'on les introduifit à trauers » vn verre conuexe (qui faicl le mefme effeil que noflre humeur cryftal- » line, pour grolTir plus ou moings les objeils, félon fa conuexité plus » ou moings grande , & y trouuer fon fecours aux courtes veùes en la » concurrance d'vn concaue, pour r'accourcir l'alfemblage des rayons » qui. ne fe pourroit faire que plus loing que ne porte le diamètre de >' noftre œuil. qui efl: la vraye raifon de l'vfage des verres concaues aux » courtes veiies : ce que perfone n'auoit jamais imaginé deuant luv que )« je fçaiche. . . » Lettres de Peiresc, Impr. Nat.. 1890, t. IL p. 646.

b. Tome I, p. 245, 25o, 282 et 33i.

c. Tome \T. p. io5-io8. et t. XI, p. i5i-i58.

�� � DiOPTRIQUE, IC)J

explique dans la Dioptriqiie beaucoup mieux que dans le Monde. Quant à l'œil, la description en est la même, à peu près, dans les deux ouvrages. Descartes l'emprunte, pour une bonne part, aux anatomistes, ainsi que la structure des nerfs, bien qu'il y ajoute aussi du sien. 11 n'oublie pas non plus, pour faire comprendre le trajet des rayons lumineux dans les diffé- rentes parties de l'œil, la comparaison de la chambre noire =•, inventée naguère par Jean-Baptiste Porta. Mais surtout il avait disséqué lui-même, à plusieurs reprises, l'œil d'un bœuf, et complété ses observations anatomiques par des expériences : il adaptait cet œil à une ouverture qui donnait d'un côté sur le plein jour, et de l'autre sur un endroit obscur, et rendait visibles ainsi, soit sur le fond de l'œil, soit sur un linge blanc, les images des objets extérieurs. Descartes disait que, dans la Dioptriqiie, il avait mêlé la géométrie et la physique ; il pou- vait ajouter encore : et l'anatomie, ou comme on disait en son temps, la médecine, « suite naturelle de la physique » ; et le

a. Tome VI, p. 1 14-1 15. Voir déjà Jean Tarde, dans son Telefcopium, 1620, ou la traduction française, 1623 : « Si vne chambre eft fi bien » fermée qu'aucune lumière n'y entre que par vn petit trou : l'image de » ce qui fera dehors ou qui s'y fera, paroiftra dans la chambre en la » muraille qui fera oppofite, pourueu qu'elle foit blanche & nette : » comme nous auons veu cent fois par expérience, qui eft plus forte & » plus concluante que toutes les demonftrations qu'on fçauroit faire. Car » les efpeces entrées dans ce trou, vont donner contre la muraille oppo- » fite qui les arrefte, & manifel^e à celuy qui eft caché en quelque coin » de cefte chambre. Tout de mefme les efpeces entrent par le trou de 1) l'vuée dans l'obfcurité de l'œil où elles font arreftées par l'humeur » cryftalin, ou [lire au ?) bout du nerf optique, comme par vne muraille » blanche, & de là le nerf optique les voit, & les prend pour en faire le » rapport au fens commun. » (Pages 70-71.) Voir aussi Kepler, Paralipomena ad Vitellionem [Francfuni, MDCIV) : « Prop. Vil. Problema. In caméra claujâ & in propofito pariete reprœ- » fentare qtiicquid extra cameram è regione vel ejl vel geritur, quod » qtiidem in oculos incurrit. Hanc autem primus, quod fciam, .1. Baptista B Porta tradidit, Magiœque Naturaiis non minimam partem fecit. Sed » experientià contentus, demonftrationem non addidit. » {Kepleki Opéra, éd. Ch. Frisch, iBSq, vol. II, p. 160.)

Vie de Descartes. ib

�� � 194 ^lE DE Descartes.

physicien -géomètre apparaissait en lui doublé d'un habile observateur et expérimentateur.

On retrouve ce même ensemble de qualités dans l'étude qu'il fit de la réfraction. Le Monde n'en donnait qu'un résumé, d'une page à peine, et renvoyait à la Dioptrique. C'est, dans celle-ci, le second chapitre, rédigé dès la fin de i63i, puisque Descartes l'envoya à Golius en janvier 1632". Il y joignit, le 2 février, l'indication d'une expérience pour vérifier la loi de la réfraction, et rappela ce que lui-même avait expérimenté déjà avec Mydorge. à Paris, cinq ans auparavant . Golius, huit à dix mois après ces lettres de janvier et février i632, trouva dans les papiers de Snellius, son prédécesseur en la chaire de mathématiques à l'Université de Leyde, un exposé de cette même loi, avec une démonstration diff^érente ". Golius fit aus-

a. Descartes à Golius, janvier i6'32 : « ...Pour ce que vous me mandez, » & que M. H(orten(ius) me témoigne que vous defirez voir de ma Diop- » trique, ie vous en envoyé la première partie, où i'ay taché d'expliquer » la matière des refradions, fans toucher au reile de la philofophie. » (Tome I, p. 234, 1. 29, à p. 235, 1. 3.) — A Mersenne, juin i632 : « Pour » la façon de mefurer les refradions de la lumière, injlituo cotnparatio- » nem inter Jinus angulorum incidentiœ & angulorum refraâorum. Mais » ie ferois bien aife que cela ne fut point encore divulgué, pource que la » première partie de ma Dioptrique ne contiendra autre chofe que cela » feul. » [Ibid., p. 255, 1. 25-3o.) Dans la rncme lettre, Descartes avait dit : « le fuis maintenant icy à D(euentcr), d'oij ie fuis refolu de ne point » partir que la Dioptrique ne foit toute acheuée. » (Page 254, 1. 3-5.)

b. Tome I, p. 239, variantes, col. 2.

c. Pour toute la discussion qui suit, voir un*e étude de D.-J. Kor- teweg : Descartes et Snellius, d'après quelques documents nouveaux. (Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896, p. 489-501.) Et une autre, plus récente, de G. Milhaud : Descartes et la loi des sinus. (Revue générale des Sciences, 3o mars 1907, p. 223-228.) — On se rend compte combien peu la question était avancée en 1620 et 1623, en lisant ce passage de Jean Tarde, Telefcopium, dans la traduction française :

« Prop. 22 -• Les Optiques ont accoullumé de rechercher la proportion » qui eft entre ces deux angles (angles de l'incidence & de la refracHon) : » pour de cognoilTance de l'vn, venir à la cognoidance de l'autre. . . »

« Prop. 23 : L'angle de la refraâion au verre ou cryjial ejl prefque la » tierce partie de l'angle de Vincidence qui ejl fait en l'air. C'eft à dire, » il l'angle de l'incidence elt de 21 parties, les 90 faifant l'angle droit.

�� � DiOPTRIQUE. 195

sitôt part de sa trouvaille à Constantin Huyg^ns, en notant d'un trait sûr la différence, à son avis, entre la découverte du philosophe français et celle du savant hollandais, leur compa- triote : excellents mathématiciens tous deux, ils avaient suivi des procédés inverses l'un de l'autre, Snellius partant des effets observés, et Descartes des principes et des causes. Ainsi tombe l'accusation trop facilement soutenue plus tard par Leibniz, que Descartes avait appris d'Hortensius, professeur à Amsterdam et ancien élève de Snellius, la loi de la réfrac-

» l'angle de la refradion fera de 7 parties... Ce qui doit eftre entendu s auec condition que l'angle de l'incidence n'excède pas 25 ou 3o par- » lies : car s'il excedoit, on n'y trouueroit pas mefme proportion... La » feule expérience a fait cognoiftre cefte proportion par plufieurs moyens, » vn defquels. . . » (Pages 79-80.)

Citons ici intégralement, et d'après le MS., la lettre du 7 avril i632, de Huygens à Golius, dont nous n'avions pu donner qu'un fragment, p. 106 ci-avant, note a :

« Ex quo poftremùm à te abij, Vir dodifTime atque amiciffime, fecuta » me imago eft mirabilis Galli, amici, non citra inuidiam meam, tui, >i cuius in magna urbe paulùm fepultas diftat inertiic [celata écrit d'abord, » puis barré ; fepulta récrit au-dessus et encore barré ; finalement en » surcharge, de nouveau : celata] virtus. Iliam prœcipuè, quam de » Refracti radij demonftratione, tanquam de re leui ac perfpicuâ, fpem » fecit, nufquam depofui. Quasfo verô, dum per hos dies feftos tuus es, » efto hic, quod fuifti femper, quodammodo & meus quoque, & illud âge » feriô, ne ab his regionibus [en surcharge : quod minabatur] decedat » vir praeftantiflîmus, nifi hoc faltem nomine literato, quo quidem » debitor cenferi in uniuerfum nofter poteft, quôd fementis in hoc » folo fadae meCfem indigenis inuideri nulla ratio patitur. Amicitiam » viri, non tam ineptus met aeftimator fum, ut ambire geftiam. Nec vim » faflurus fum quaerenti latebras, quo pofteriiati magis illufcefcat. Sed » quando, coaetaneis ferè nobis, quod te dicere memini, parùm liquet » uter alteri fuperrtes efle poflit, iterùm te rogo curare fedulô ut velis, ne » fe totum fuo fajculo inuideat, aut hoc faelicitati noftras deeffe velit, » quod feriùs elTe non cœperimus, aut cras viuere, qui pridem nati » fumus, & ad gloriam noftram pertinere ducimus quod eodem foie » iilullramur cum nobiliffimo Planeta, qui inter nebulofa fidera latendi, » ut immérité certè, fie tandem fruftra, confilium ceperit. Vale, Goli ., clariffime, & me ama. Hag. VU Id. Apr. CIO IDC XXXII. » (Amster- dam, Acad. des Sciences, Constantini Hugenii Efijiolœ Latinœ, MS., Epift. i5C.)

�� � tion ; et le grand Huygens eut tort de croire aussi là-dessus trop facilement, de la part de Descartes, à un emprunt, sinon un plagiat. Comment Hortensius aurait-il su de Snellius une chose que le successeur de celui-ci, et qui détenait ses papiers, ignora jusqu’en novembre 1632 ? Or, Descartes était en possession de sa loi, non seulement depuis la fin de 1631, mais dès 1627, à Paris, avant de venir s’installer en Hollande. Sans doute, il était venu autrefois en ce pays, pendant quelques mois de 1618 à 1619. Mais la découverte de Snellius ne paraît pas antérieure à 1626, puisque Golius, qui le quitta cette année pour ne plus le revoir, n’en avait pas connaissance encore. Bien mieux. Descartes, lors de son premier voyage en Hollande, entrevoyait déjà la cause des réfractions, comme on peut le deviner à ses notes de 1619. Il parle, en effet, de la différence de matière entre les corps que le rayon lumineux traverse, en passant, par exemple, de l’air dans l’eau, ou dans le verre, ou dans différents liquides ou solides. Descartes n’insiste pas sur cette idée, à laquelle il revient, sans insister davantage, dans la Dioptrique[6]. Ce n’était plus là de la science, ou de la physique toute simple, mais déjà de la métaphysique ; on dépassait la région positive des faits et de leurs lois, pour pénétrer jusqu’aux principes ; et ceux-ci, notre philosophe avait résolu de ne pas les publier encore.

En effet, son premier chapitre, fondement de tous les autres, et qu’il intitule De la lumière, ne donne pas ce que semblait promettre ce titre, à savoir « la nature de la lumière » : seules les propriétés de celle-ci y sont expliquées, et encore au moyen de comparaisons[7]. Tantôt, c’est la balle du jeu de paume : suivant qu’elle est lancée contre un corps dur, ou bien mou, ou bien liquide, un mur, une toile, ou de l’eau, et qu’elle le rencontre plus ou moins obliquement, elle se réfléchit, et l’angle Météores. 197

de réflexion égale l'angle d'incidence, ou bien elle s'amortit, ou elle s'enfonce en déviant. Tantôt, c'est une cuve pleine de raisins : au travers de la masse des grains ronds, qui se trouvent foulés, le jus coule quand même en ligne droite : tout droits aussi sont les rayons lumineux qui passent entre les globules célestes. Tantôt enfin c'est l'aveugle, qui se rend compte des objets en les touchant de son bâton ; ce bâton est mû tout d'une pièce en un instant : ainsi le mouvement d'un rayon, depuis un corps lumineux jusqu'à nos yeux, est instan- tané. Chose curieuse, dans cette dernière comparaison on est « instruit à voir par un aveugle qui ne voit point' ».

Nous finissons ainsi la Dioptrique , par où Descartes l'a commencée. Nous l'avons parcourue à dessein en sens inverse, remontant des effets aux causes, tandis que le philosophe, fidèle à sa méthode, descendait des causes aux effets. Il pose d'abord ou plutôt il suppose son principe, qui est ici la nature de la lumière, sans l'expliquer autrement que par des comparaisons ; et il en déduit la propriété qui se rap- porte à son sujet, c'est-à-dire la réfraction. Puis, il avance comme par degrés dans l'étude de l'organe de la vue. Enfin, il ajoute à l'œil naturel le secours de cet œil artificiel, qui est la lunette d'approche récemment inventée ; et il s'efïorce d'ap- porter à celle-ci les perfectionnements de la science.

Les Météores étaient peut-être les phénomènes qui frap- paient le plus l'imagination populaire, soit pour l'émerveiller,

a. Paroles du P. Poisson, dans ses Commentaires ou Remarques, p. 178-179 : a . ..Il commence fa Dioptrique par l'Hypothefe & la Com- » paraifon qu'il fait d'un aveugle dont il étudie | les fentimens & les » penfées pour nous enfeigner à difcerner ce qui fe paffe en nous » lorfque la lumière frappe nos yeux. Et bien que ce (oit une chofe afl"ez » furprenante d'eftre inftruits à voir par un aveugle qui ne voit point, & » d'apprendre ce qui fe fait dans l'œil par un homme qui n'en a point » l'ufage : neantmoins, à prendre precifement cette Hypothei'e dans » fes bornes, on ne peut rien apporter qui nous falle mieux concevoir » tout le fyfteme de la veuë, & qui en explique mieux les accidens. » (Pages 178-179.)

�� � soit pour l’épouvanter. On leur attribuait volontiers des causes surnaturelles. Quelle tentation, pour un savant, de montrer que là aussi tout s’explique naturellement ; et s’il y réussissait, quel triomphe pour la science ! Il y avait deux choses dont notre philosophe voulait délivrer, et si l’on ose dire, exorciser l’esprit humain : l’étonnement, toujours mauvais, et nuisible à la science, en ce qu’il arrête toute recherche, et immobilise l’esprit dans un ébahissement stupide devant un fait réputé merveilleux ou miraculeux ; puis ce sentiment, dont l’étonnement n’est d’ailleurs qu’un excès, et dont le savant doit aussi se garder, l’admiration, qui l’incite à croire qu’un fait est plus difficile à comprendre qu’il ne l’est, et passe la portée de notre connaissance. A la première page des Météores, Descartes annonce qu’il prouvera, par des exemples, « qu’il est possible de trouver les causes de tout ce qu’il y a de plus admirable sur la terre » ; et à la dernière page, il conclut que la preuve est faite, et « qu’on ne verra rien dans les nues à l’avenir, qui donne sujet d’admiration[8] ».

Les nues comprennent, en effet, pour lui tous les Météores, et sont comme le centre d’où il convient de les examiner. Elles sont formées de vapeurs, et non pas d’exhalaisons, ce qui oblige d’abord Descartes à marquer la différence entre les unes et les autres ; puis, comme ce sont les vents qui les élèvent et les assemblent en l’air, de là une étude préalable des vents ; puis on voit les nues se dissoudre en pluie, en neige, en grêle, autant de phénomènes à étudier ; des nues aussi viennent les tempêtes, le tonnerre et les éclairs ; après ces choses « qu’on voit dans l’air en même façon qu’elles y sont », Descartes examine enfin celles « qu’on peut y voir sans qu’elles y soient[9] », l’arc-en-ciel, les couronnes autour des astres, les parhélies ou faux soleils. Les nues font donc bien l’unité de tout l’ouvrage.

Toujours habile à profiter des circonstances. Descartes Météores. 199

reprend l'étude de ce phénomène observé à Rome, le 20 mars 1629, et qui toute cette année avait intéressé les savants : les parhélies, ou apparition de quatre ou cinq faux soleils autour du véritable. A plusieurs reprises, il s'en était informé dans sa correspondance, et en i636, il en fait à dessein le chapitre final, et comme le point culminant de son traité. C'était encore un phénomène de réfraction". D'autre part, Mersenne lui avait mandé de Paris une observation, qui d'ailleurs laissa d'abord incrédule notre philosophe, jusqu'à ce qu'un heureux hasard lui permit de la constater à son tour : apparition d'une couronne autour de la flamme d'une chandelle. Descartes en fut témoin un soir dans la chambre d'un bateau qui de Frise le transportait à Amsterdam, en traversant le Zuiderzée. Il compléta par là son avant-dernier chapitre, sur les couronnes des astres. C'était toujours un phénomène de réfraction. Il se trouvait ainsi amené à expliquer l'arc-en-ciel. L'explication qu'il en donne, demeure acquise à la science, et Descartes y voyait comme une heureuse illustration de sa méthode. L'arc- en-ciel est un bel exemple de réfraction : Descartes l'étudié d'abord dans une boule de verre remplie d'eau, et dans un cristal taillé en forme de prisme ; puis de ces phénomènes qui sont à la portée de tous, il passe aux gouttes de vapeurs dont sont formées les nues, et aux couleurs, rouge, jaune, vert, bleu, qu'elles font apparaître à nos yeux'^.

a. Tome I, p. 23, 1. 1-22; p. 245, 1. 21-25, et p. 25o, 1. 7-11. — Tome VI, p. 354-366.

b. Ibid., p. 3 18, 1. 6, à p. 32o, 1. 5. — Tome VI, p. 345-354, et notam- ment p. 35i, 1. 3o et suiv.

c. Tome VI, p. 525-544. Sans doute Descartes avait vu aussi à Tivoli, près de Rome, cette curiosité si bien décrite par Montaigne :

« . . .11 y a des eftancs ou des gardoirs, aveq une marge de pierre tout » autour, aveq force piliers de pierre de taille haus, audeffus de cet » accoudoir, efloingnés de quatre pas environ l'un de l'autre. A la tefte » de ces piliers fort de l'eau aveq grand force, non pas contre-mont, » mais vers l'eltanc. Les bouches eftant einli tournées vers le dedans & » fe regardant l'une l'autre, jetent l'eau, & l'efperpjllent dans cet eftanc, » avec tele violance, que ces verges d'eau vienneni à s'entrebatre & ran-

�� � 200 Vie de Descartes.

L'arc-en-ciel est précédé ordinairement de tempêtes, avec tonnerre et éclairs, ou tout au moins de pluie. Le chapitre de Descartes sur les tempêtes est bien documenté : il emprunte largement aux récits des navigateurs et même à des conver- sations de marins ^, si bien que plus tard le P. Fournier ne se fera point scrupule de l'utiliser dans son grand ouvrage de 1643, de V Hydrographie ou Théorie et pratique de la navigation ^. On comprend que plus tard encore, en 1649, Descartes, au cours de la traversée de Hollande en Suède, émerveilla par ses connaissances nautiques le maître du navire. Il n'a garde d'oublier les feux Saint- Elme, ni ces constellations que les anciens appelaient astres d'Hélène, ou Castor et Pollux, et qui, d'ailleurs, depuis Aristote, figuraient dans tous les traités de météorologie. Et il en donne toujours des explications natu- relles ^ De même pour les feux follets, qu'il appelle, suivant

» contrer en l'air, <Sc produifent dans l'eftanc une pluie efpelïe & conti- » nuelle. Le fôleil tumbant là-delTus, enjandre, & au fons de cet eftanc » & en Fair, & tout autour de ce lieu, l'arc du ciel, li naturel & li appa- » rant qu'il n'y a rien à dire de celui que nous votons au Ciel. Je n'avois » pas veu ailleurs cela. » (Pages 270-271, Journal de voyage de Mon- taigne, p. p. Louis Lautrey, Paris, Hachette, 1906.)

a. Tome VI, p. 3i5, I. 18 et 1. 25-26.

b. Voir Hydrographie, p. 476 et p. 704, et notre tome VI p. 3i2,l. 14- 21 (la jolie phrase sur les hirondelles et les moucherons), et p. 3i3, 1. 14 et 1. 3o-3i (sur les (( travades » et la petite nuée blanche dite « œil du )■ bœuf «, Olho de Boy en portugais). Au livre XV. Des vents, chap. .xx : Du feu S. Telme [slc], p. 692, 692-693 et 693, on retrouve, mot pour mot, des phrases entières de Descartes, t. VI, p. 314, 1. 21, à p. 3i5, 1. 26.

c. Le P. Fournier conserve quelques scrupules de religieux: « Puifque » toutefois la caufe de telles flammes eil naturelle, & que c'eft rarement )i que les démons le niellent parmy ces feux, c'ell: foiblell'e d'efprit de le » perfuader que toutes les flammes qui paroilTent, ou les tempeftes & » tonnerres qui furviennent, foient excités par quelque ennemy qui » s'ayde de Magie, & employé les forces des Démons pour fatisfaire à fa » pafîion. Et partant ie conclus que, lors qu'on voit de ces feux repofer » fur nos Hunes, cela ne nous doit eflonner. voire pluftofl donner » quelque alVurance que le fort de la tempefte ell pall'é. « Loc. cit., p. 694.; Et le bon religieux termine ainfi : « Enfin on a de couflume » d'inuoquer S. Telme, & reciter Ion oraifon. » Et il parle des miracles de ce saint. « qui mourut à Tuy, ville de Galice >>.

�� � Météores. 201

l'usage, « des ardants ». Quant à ces escadrons de fantômes qu'on croit voir parfois la nuit combattre en l'air, il n'a jamais vu de tel spectacle, et pense que les relations qu'on en fait, sont « falsifiées par la superstition et l'ignorance ». Il fait mieux que de n'y pas croire : il donne trois ou quatre bonnes raisons, qui expliquent naturellement ces visions imaginaires^.

S'il détourne l'esprit de ces vains prodiges, c'est pour lui offrir, par contre, des réalités, qui, dit-il, « bien qu'elles » n'aient point été observées par les Anciens, ne laissent pas » d'être une des plus rares merveilles de la nature^ ». Ce sont les petites étoiles à six pointes, dont se composent les flocons de neige. Kepler en avait écrit un traité, en 161 1, que cite notre philosophe. Il s'enquiert aussi des observations sem- blables, qu'avait faites en 1629 Gassend. Mais surtout il observe lui-même curieusement la neige, l'hiver de i635; et plus tard, dans une lettre à Chanut, il rappelle en plaisantant ces expériences qui lui sont « tombées des nues*" ». Il observe

a. Tome VI, p. 323, 1. 22, à p. 324, 1. 24. — Le Mercure français, t. X, p. 285-286, année 1624, raconte encore des histoires de ce genre : « Efmerueillable prodige veu au Ciel en la Principauté d'Anhalt. » Et aussitôt après, p. 287 : « Durant les feftes de la Pentecofte au mefme » lieu, fe veirent en l'air deux caualiers fur leurs cheuaux tout en feu, » l'vn d'eux traifnant par la bride vn cheual aufTi tout en feu. Deux iours » auparauant, il fe veit à Venefchav en Bohême, deux armées dans le » Ciel combattre l'vne contre l'autre. Il y pleut auiïi vne grande quantité » de fang ou eau rouge. » Dans le même t. X, on lit encore, p. i85-i86 : « Vne relation porte qu'au commencement de l'efté (1624), il aduint auiïî » à Rome vn tremblement de terre, mais qu'il ne caufa aucune ruine ; & » que quinze iours après il parut dans le Ciel grand nombre d'efclairs & » de feux, qui durèrent toute la nuift. L'Autheur de cefte relation dit que » les Romains (lefquels font fort fuperftitieux en ces prodiges) faifoient » le lendemain courir vn bruict, qu'ils auoient veu des cheuaux, des » armées & des lances dans le Ciel ; mais pour luy, qui les confidera fort » attentiuement & fans lunettes, il n'y auoit rien veu que des cfclairs, & » quelques traifnees de feu comme des fufees, félon ce qu'il y auoit plus » ou moins de matière. » (Lire peut-être /e/on qu'il, et plus haut avec des lunettes ?)

b. Tome VI, p. 232, 1. i 5-2i, et Discours VI, p. 291-31 1. Voir aussi t. I, p. 127.

c. Tome IV, p. 377, 1. 23-27 : lettre du 6 mars 1646.

Vie de Descartes. 26

�� � 202 Vie de Descartes.

de même la grêle pendant l'été. Outre ce qu'il en dit dans ce chapitre des Météores, nous avons quelques-unes des notes prises par lui à cet effet, et rédigées en latin ^. Mais Descartes ne se contente pas de noter : il explique pourquoi la neige doit prendre telle forme et non pas telle autre; il en donne des raisons mécaniques. Elles sont fort intéressantes, et notre philosophe trouve toujours, pour les exprimer, d'ingénieuses comparaisons. « Jetez, par exemple, dit-il, confusément un » rang ou deux de perles rondes toutes défilées sur une assiette, » et les ébranlez, ou soufflez seulement un peu decontre, afin » qu'elles s'approchent les unes des autres » ; vous les verrez « s'arranger naturellement en telle sorte..., que chacune en » ait six autres qui l'environnent. »

Nous ne nous attarderons pas au chapitre « des Nues », bien que ce soit le chapitre central. Celui qui précède, le cha- pitre « des Vents », qui soulèvent et rassemblent les nues dans les airs, paraît avoir attiré davantage l'attention =. Le P. Four-

a. Tome XI, p. 623-624 et p. 626-627. ■ b. Tome VI, p. 288,1. 16-29.

c. Disc. V, Des Nues, p. 279-291, et Disc. IV, Des Vents, p. 265-278. Le P. Georges Fournier, Liv. XV, Des Vents, chap. xxii, De la caitfe des Vents, dit ceci : « ...ceux qui ont le mieux traidé des vents, outre » Ariftote au 2. de fes Météores & en fes Problèmes fect. 18 & 26, Theo- » phralîe, & autres Anciens. Nous en auons eu deux difcours excellents » depuis quelques années : Tvn de Monlleur Verulamius Anglois, où il y D a de très belles remarques, mais qui ne font gueres bien digérées; & » l'autre de Monfieur des Cartes Gentiliiomme Breton, au difcours 4 de » fes Météores : ce difcours eft prelVé, nerueux, & tel qu'il n'y a pas vn » mot qui ne foit conliderable, & plein de fuc & de lumière. » [Hydro- graphie, 1643, p. 695.)

Aux pages 695 et 696, on retrouve textuellement des phrases de Des- cartes, t. VI, p. 266, 1. 25, à p. 267, 1. 1. Comparez aussi, d'une part, p. 268, 1. 18, à p. 269, 1. 3, et de l'autre, p. 697. sur les Vapeurs et les Exhalaisons. D'une part, p. 270, 1. 14, à p. 271, 1. 28, et de l'autre, p. 698-699, chap. XXV [Vent du Nord]. D'une part, p. 27?, 1. 4, à p. 274, 1. 12, et de l'autre, p. 699, chap. xxvi (Vents de printemps). D'une part, p. 274, 1. 12-26, et de l'autre, p. 699, chap. xxvii [Ethejies). Puis, p. 274, I. 27, à p. 275. 1. 3, et p. 696. Puis, p. 275, 1. 10-12 et 1. 19-21, et p. 688. Puis, p. 275, 1. 3o, à p. 276,1. 7, et p. 690. Enfin, p. 276, 1. 19-25, et p. 697,

�� � Météores. 20J

nier le cite dans son Hydrographie, et en copie maint passage. Dès 1637, notre philosophe avait souhaité que ses Météores au moins fussent enseignés, au lieu de l'ancienne physique, dans les collèges des Jésuites". Et voici que l'un deux, cinq à six ans après, en 1643, lui donne une place d'honneur dans un ouvrage de science à l'usage des gens de mer. Non seulement la formation des vents est expliquée à l'aide d'un vieil instru- ment de cabinet de physique, l'éolipyle (cette fois encore un phénomène artificiel servait à l'explication d'un phénomène naturel)^; mais la division des principaux vents qui soufflent avec tant de régularité à la surface des mers, et qu'utilisent les navigateurs, se trouve reproduite, avec quelques remarques sur les vents particuliers à chaque région et les causes qui en rendent la prévision presque impossible. Déjà, dans un cha- pitre de son Monde", chapitre d'ailleurs perdu, Descartes avait donné une théorie des vents qui soufflent entre les tro- piques; cette partie si intéressante des Météores permet d'y suppléer.

En continuant de remonter ainsi des eflPets aux causes, nous sommes ramenés aux vapeurs d'où procèdent les vents. Mais les vapeurs, du moins celles qui s'élèvent de la surface des eaux, amènent jusqu'à cette surface le sel, qui ne va pas au delà ; et Descartes en prend occasion d'étudier, chemin faisant, ce corps '^. Il le fait, suivant sa méthode : nature et propriétés du sel, celles-ci se déduisant de celle-là; puis formation du sel ou plutôt des grains de sel avec leur figure géométrique. Là son imagination se donne quelque peu carrière ; encore

a. Tome I, p. 455, 1. 20-26. — Le P. Fournier avait-il connu Descartes personnellement ?

Fournier (Georges), Jésuite, né à Caen, 3i août iSgS, entra au noviciat de Tournay, 29 sept. 1617, revint en France en 1620, professa les mathé- matiques à la Flèche (1629-1634), à Dieppe (i634-i636), probablement à la Flèche encore (1636-1640), à Hesdin (1640-1642), fut préfet des études à Caen, et mourut à la Flèche, i3 avril i652.

b. Voir aussi t. XI, p. 637-638.

c. Tome VI, p. 44, 1. i i-i3.

d. Ibid., p. 248, 1. 17-26. Et Discours III : Du Sel, p. 249-264.

�� � 204 ^'^ ^^ Descartes.

est-elle réglée par les principes qu'il a supposés, et qui con- sistent dans la nature de l'eau et la matière subtile. Grâce à ces suppositions, tout s'explique très simplement, et notre philosophe ne cesse de répéter « vous ne vous étonnerez pas », ou « ce n'est pas merveille », si telle ou telle chose arrive. Il trouve, en effet, explication à tout : propriétés communes qui rendent le sel piquant, et augmentent le poids de l'eau de mer; phénomènes plus curieux et plus rares, comme l'étincel- lement des vagues parfois pendant la nuit, ou bien la pro- duction artificielle de la glace avec un mélange de sel commun et de glace pilée ou de neige". Descartes avait ses raisons de s'étendre ainsi sur l'explication du sel : il voulait, par un exemple typique, montrer comment sa philosophie substituait avec avantage aux prétendues /orme^ de l'Ecole, formes pure- ment verbales, et simple dédoublement abstrait de la réalité, ce qu'il appelle encore du même nom de forme, mais forme géométrique cette fois, et qui offre à l'esprit quelque chose de clair et de distinct, quelque chose aussi de fécond, puisqu'on voit naître de là toutes les qualités ou propriétés d'un corps. Enfin cette dernière raison est aussi à retenir : dans tous les traités du temps sur les Météores, il était question, sinon du sel, au moins de la salure de la mer, de salsedine maris.

C'est peut-être aussi parce qu'il suivait encore la tradition du passé, et ne voulait point rompre avec un antique usage, que Descartes commence son traité par un chapitre sur les Vapeurs et les Exhalaisons. On ne faisait pas autrement depuis Aristote, et les contemporains de notre philosophe ne man- quaient pas de diviser ensuite les Météores en quatre sortes ou espèces, d'après les quatre éléments, le feu, l'eau, l'air et la terrée Descartes ne conserve pas cette division; de plus, il

a. Tome VI, p. 255, 1. i6, à p. 256, 1. 26, ctinccllcment des vagues ; p. 252, 1. 26, à p. 253, 1. 21, glace artificielle.

il. Ibid., p. 232, j. 4-12.

c. Voici dans la Summa Philofophica d'Eustache de Saint-Paul (dit le Feuillant), i" édit., 1609, et 2» édit., i6m, le sommaire du chapitre

�� � Météores. 20^

écarte certains phénomènes que l'on rangeait parmi les Mé- téores, les comètes, par exemple, et aussi les tremblements

consacré aux Météores : De mixtis imperfeâis,feu Meteoris, p. 225-246 :

Vapor & exhalatto (p. 225-226).

De imprejffionibus ignitis (p. 226J, lucidis (p. 232), humidis (p. 236), ficcis (p. 243).

De ignitis : De Cometa, & quibufdam aliis (p. 226). De fulgure & ful- mine (p. 229). De igné fatuo, Caftore, PoUuce & Helena (p. 23i).

De lucidis : De variis coloribus apparentibus in aère, vbi de hiatu, voragine, & cohortibus armatis (p. 232). De corona, virgis, pareliis & parafelinis (p. 234). De Iride &. ladeo circule (p. 235).

De humidis : De nube, pluuia, niue & grandine (p. 236). De nubecula, granedula, glacie, rore & pruina (p. 237). De falfedine maris, ejufque fluxu & refluxu (p. 239). De fontium & fluminum origine (p. 242).

De Jiccis : De terra; motu (p. 243). De Ventis (p. 244).

Descartes étudie les mêmes objets dans un autre ordre et dans un autre esprit; en outre il exclut des Météores les comètes et les tremble- ments de terre : t. VI, p. 323, 1. 12-21.

D'autre part, Charles d'Abra de Raconis donne, à la fin du tome I de son Cours de Philosophie, édition de 1637, un Appendix intitulé : Defi- nitiones, Diuijiones, ac Regulce ex Logicâ & Phyficâ Arijîotelis. In gratiam Jiudioforum Philofophicce ittuentutis. (Pages 765-816.) Voici le passage relatif aux Météores :

« Ex Libris.Meteorologicorum.

a Definitio exhalationis & vaporis. — Exhalatio eft fpiritus calidus & B ficcus, qui è terra vel terreo corpore educitur. Vapor eit fpiritus calidus » & humidus, qui ex aquâ vel aqueo corpore educitur. »

« Definitiones Meteororum ignitorum. — 1. Flamma (fiue fax). — » 2. Torris (fiue tœda). — 3. Candela (Que lampas). — 4. Lancea (fiue » trabs ardens, iaculum ignitum, fafcis). — 5. Capra faltans. — 6. Stella » cadens, afcendens, difcurrens. — 7. Ignis perpendicularis. — 8. Ignis » fatuus. — 9. Ignis lambens. — 10. Draco volans. — 11. Caftor, PoUux, » Helena. — 12. Cometa. — i3. Fulgur. — 14. Fulmen. — i5. Tonitru. » — 16. Circulus lacleus. »

« Def. Met. aqueor'm. — i. Nubes. — 2. Pluuia. — 3. Nebula. — » 4. Nix. — 5. Grando. — 6. Glacies. — 7. Ros. — 8. Prujna. »

« Def. Met. terrestrium. — i. Terra; motus. — 2. Ventus. (Diuifio » ventorum : in cardinales & latérales, générales & prouinciales, ordi- » narios & turbulentes fiue tempeftates.) »

« Def. Met. aereorum, _/îwe phantafmatum in aëre apparentiiim .

» I. Vorago. — 2. Halo (fiue Corona). — 3. Virgas (fme bacilli).

» 4. Parelius. — 5. Iris. » 'Pages 806-809.}

�� � 2o6 Vie de Descartes.

de terre. Son étude d'ensemble y gagne en unité ; et tous les chapitres s'enchaînent dans un ordre rigoureux. Il modernise en outre le sujet, en y insérant, pour les expliquer, les observations et découvertes les plus récentes. Les vapeurs et les exhalaisons elles-mêmes sont étudiées à un point de vue tout nouveau, et c'est là, dès le début, que Descartes introduit, à titre de simples suppositions, quelques-uns des principes de sa philosophie. Vapeurs et exhalaisons appartiennent à la région des corps terrestres, c'est-à-dire à ce petit monde qu'est la Terre, par opposition aux grands Cieux et aux Étoiles fixes. Les exhalaisons se composent de plusieurs parties : les plus subtiles, qui sont les esprits ou eaux-de-vie; et les plus gros- sières, qui sont les terres; entre les deux, se trouvent les sels volatiles et les huiles. Mais Descartes ne s'en sert point pour expliquer les Météores ' : il se contente des vapeurs, et à ce

a. Le P. Fournier, dans son Hydrographie {1643), 1. XV, c. xxiii, suit l'opinion de Descartes : « Que il vous me demandez (dit-il) pourquoy, » contre l'auis de pluileurs : le me 1ers plurtoft des vapeurs- que des exha- » laifons, le vous diray que c'eft principalement par ce que les exhalai- » fons ne Je tirent & ne fe détachent des corps terrejlres qu'auec vne » grande chaleur, & ne fe condenfent derechef que fort peu, quelque » froideur qu'il y ayt : là oii une chaleur médiocre fait que l'eau tant » foit peu tiede/e dilate en vapeur : & fort peu de froideur la fait pareil- » lement retourner en eau. De plus, à peine pouuez vous iamais dilater » les exhalaifons ny pas mefme l'air, en forte qu'elles tiennent deux ou » trois fois plus d'efpace que deuant, au lieu que les vapeurs en occupent » plus de cinquante mille fois d'auanlage, comme il le connoill euidem- » ment par vn grain d'encens qui fe refoud en vapeur. . . « (Page 697.) Les passages en italiques sont empruntés textuellement à Descartes, t. VL P- 268, 1. 18, à p. 269, 1. 3. A noter à la tin : « cinquante mille » fois ». Descartes disait seulement : « deux ou trois mille fois ».

Jean Tarde, Borbonia Sidéra {1620], ou bien Aflres de Borbon {1623), rapporte que, poar expliquer les taches du soleil, récemment découvertes, on avait pensé aux exhalaisons, p. 10 : « Quelques-vns fe » perluaderent que c'el^oient des nuées cachées dans l'air, lelquelles à » caufe de leur fubtilité ne pouuoient eftr'e apperceuës que lors qu'elles » fe trouuent entre le Soleil & nous. » Jean Tarde combat d'ailleurs cette opinion par sept arguments, et il ajoute : « Le défaut de parallaxe a » efté caufe que quelques-vns ont voulu eftablir ces nuées tout contre le » Soleil, mais auec vn erreur plus grand que le premier. Car il n'y a

�� � Météores. 207

propos, il étudie la composition des corps durs et des corps liquides. Ceux-ci (ainsi s'explique leur liquidité ou fluidité) sont analogues à de petites anguilles, qu'on vient de pêcher, et qui déposées en tas au fond d'un bateau, glissent les unes sur les autres, « et se joignent même et s'entrelacent, mais sans se » nouer ni s'accrocher jamais, de sorte qu'elles peuvent tou- » jours être aisément séparées" ». Au contraire, les parties dont se composent les corps durs (ainsi s'explique leur dureté), sont entrelacées, et accrochées, et liées les unes aux autres, « comme les diverses branches des arbrisseaux qui croissent » ensemble dans une haie ». Et ces suppositions en supposent elles-mêmes une autre, celle-ci primordiale : la matière subtile, qui remplit tout l'espace, le vide n'existant point dans l'univers.

Ainsi Descartes donne une première idée de ses principes, à l'aide de comparaisons familières, selon sa coutume, et pré- tend expliquer ensuite, de proche en proche et comme par degrés, jusqu'aux phénomènes les plus merveilleux. Il prétend même en produire de nouveaux, sans avoir besoin d'un pouvoir magique pour cela ; c'est la science qui est appelée à devenir désormais la grande magicienne. Jean-Baptiste Porta n'avait- il pas déjà réuni dans un même titre ces deux termes qui

» point d'apparence que des fumées, des exhalailons terreftres, des » vapeurs aqueufes puiffent pénétrer les orbes des trois planettes infe- » rieurs, pour paruenir iufques au Soleil : la doftrine des Météores » répugne à cela : il n'y a pas vn feul météore, foit-il terreftre, aqueux » ou igné, qui paffe au delTus de la fupreme région de l'air. Il y a plu- » fieurs montagnes au monde, le fommet defquelles monte fi haut, qu'il » n'y a nuées, vents, pluyes, grefle, foudres, ny autres météores qui y » puifl'ent attaindre. Ouide, au premier de la Metamorphofe, tefmoigne » cela du mont Parnalfe :

» Mons ibi verticibus petit arduus aftra duobus, » Nomine ParnaJJus, Juperatque cacumine nubes. »

Le même souvenir classique est évoqué par Descartes, t. VI, p. 23i, 1. 10-14. a. Tome VI, p. 233, 1. 19-31.

�� � naguère, rapprochés, auraient fait scandale. Magie naturelle^ ? Notre philosophe, et cette alliance de mots n’est pas moins audacieuse, parle aussi, sans le moindre embarras, d’une Science des miracles^.

Descartes le déclare lui-même : la Géométrie n’a été composée, et même en partie inventée, que pendant qu’on imprimait les Météores^. N’exagérons rien cependant : l’invention ne portait sans doute que sur des détails, soit quelques problèmes qui servaient d’exemples à telle ou telle règle ; mais les grandes lignes étaient arrêtées depuis longtemps dans son esprit. On ne s’expliquerait pas autrement, malgré sa merveilleuse facilité de travail, qu’il eût rédigé un tel ouvrage en si peu de temps et pour ainsi dire à la dernière heure. Lui-même raconte en 1638 que, pour les tangentes des lignes courbes, point culminant de son œuvre, il était en possession de sa règle depuis plus de vingt ans’* : ce qui nous reporte à 1617 environ. Il n’était alors qu’un tout jeune homme, de vingt et un ans ; mais les grands mathématiciens sont tels à un âge où il serait matériellement impossible d’être, par exemple, un grand physicien ou un grand naturaliste ; une étonnante précocité, loin d’être l’exception, est comme la règle du génie dans les mathématiques.

D’autre part, Descartes avait résolu dès 1628, et sans doute beaucoup plus tôt, un problème que les géomètres se transmettaient d’âge en âge depuis l’antiquité, et qui demeurait

a. Tome X, p. 347, note c.

b. Tome VI, p. 343-344, et t. I, p. 21, l. 8-22. Voici encore un curieux passage : « …Oſtendere decreui hæc abſque dcemonis ope à vero mago » id eft lapiente fieri polTe… Meteora enim arte parari polTunt, pof » femque hîc pluuias arte paratas, &c. ex Paracelfi arcanis modum recen » fere ; polTem fulmineos lapides lubilo generatos arte ex CarteliJ inuento » etiam referre. Sed hœc cum multis aliis ad Magiam meam remitto » naturalem. » (Page 265, Pétri Borelli, Hijloriarum & Obferuationum Medicophyficarum Centuriœ IV, Parifiis, 1 656.1

c. Tome I, p. 458, 1. 5-8.

d. Tome II, p. 178, 1. 8-10 : lettre du 29 juin t638. parmi eux comme à l’ordre du jour : la duplication du cube ou la question de deux moyennes proportionnellesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Il y joignait un second problème, qu’on ne séparait guère du premier, et qui exerçait au même titre la sagacité des savants : la trisection de l’angle. L’un et l’autre se trouvent traités et résolus au troisième livre de la Géométrie, avec celui de plusieurs moyennes proportionnelles[10]. Déjà pour la Dioptrique et pour les Météores, Descartes avait choisi des questions d’actualité, qui ne pouvaient manquer d’intéresser les curieux : la récente invention des lunettes d’approche, et l’observation plus récente encore des parhélies. Maintenant, il choisit de même deux problèmes classiques, qui, de l’aveu de tous, attendaient encore leur solution. Il ajoute même un troisième problème, celui de Pappus, que son ami Golius, le professeur de Leyde, lui avait indiqué. Descartes lui en envoya aussitôt la solution, en janvier 1632, avec des demi-confidences qui prouvent qu’à cette date l’essentiel de ses trois livres de Géométrie était déjà présent à sa pensée[11]. Ce problème de Pappus devait, comme les deux précédents, attirer la curiosité, d’autant plus qu’il est mis en vedette, même au détriment de l’ordre, qui eût exigé, Descartes l’avoue[12], qu’il ne vînt qu’après d’autres logiquement. Il le fait suivre encore d’autres questions d’actualité : les ovales ou ellipses, annoncées dans sa Dioptrique, et qui devaient servir pour les miroirs brûlants et surtout pour les lunettes d’approche. Avec le problème de Pappus, notre philosophe payait pour ainsi dire son tribut aux Anciens : ses contemporains

a. Tome X, p. 342-344. Voir aussi p. 651-659. Et sur la vogue de ce problème, ibid., p. 519 et p. 591-592. Viète n’avait eu garde de l’oublier. Francisci Vietæ Opera Mathematica (Lugduni Batavorum, Ex Officinà Bonaventuræ & Abrahami Elzeviriorum, cIↃ.Idxlvii, in-f°), p. 347-35o : Variorum de rébus mathematicis refponjorum Liber VIII. — « Cap. i : p Problema de duabus mediis, âXoyov. — Cap. 11 : Hiftoria duplicationis » cubi. » 2 10 Vie DE Descartes.

s'efforçaient de restituer, à grand renfort de conjectures, quelques ouvrages perdus des géomètres d'autrefois, ce qu'ils appelaient ressusciter un auteur*; mais n'étant point philo- logue encore s"excuse-t-il de ne pas énoncer ce problème dans le texte original, c'est-à-dire en grec^ et d'emprunter pour la commodité des lecteurs la traduction latine), il laisse là ce vain labeur, et s'attaque à une question que personne n'avait encore su résoudre, ni parmi les Anciens, ni parmi les Modernes; et il la résout. Rien ne pouvait mieux montrer l'excellence de sa méthode : elle triomphait là où jusqu'ici l'on avait échoué. Les trois livres de la Géométrie comprennent chacun deux parties bien distinctes : les règles et les exemples de ces règles ; la théorie pure, et les applications de la théorie à des problèmes.

a. Vitfte lui-même, loc. cit.. p. .135-347 • Apollonius Gallus,feu exfiif- citala Apollunii Pergœi -ly. i-x-^w'i Geometria. — Viète commence ainsi : ■< Problema .\poiIonii de defcribendo circulo quem très dati con-- » lingant, Geometricà ratione conftruendum propoful ■^■Ioo.vl'iî'.':: , non •■ Mechanicà. Dum itaquc circulum per hyperbolas tangis, rem acu non » tangis. Neque enim hyperbolœ defcribunturin Geometricis /.ar' s-ictty,- « aov.xiv Ào-'cv. Duplicavit cubum per parabolas Menechmus, per con- 11 choïdas Nicomedes : an igitur duplicatus eft Geometrice cubusr... M Id verô nemo pronunciabit Geometra. Reclamaret Euclides, & tota » Euclideorum iciiola... Problema quod propofui planum eft, tu ceu >■ folidum explicalli. » (Page 325., A la page précédente, tin d'un autre opuscule à Adrianus Romanus, on lit : « Porro ad exercendum, non » cruciandiim. ftudioforum ingénia, Problema hujufmodi conftruendum >i lubjicio : Datis tribus circuliSj quartum circulum eos contingentem ■> de/criberc. Propol'uit enim Apollonius in libris -=.-A ÎTry.o.ôv, fed illi » periere injuria temporis... Non dubito quin Algebriftie idipfum in » formulam oîîoasvo-.. conceptum abfolvent, ut pote : Datis J'emidiametris .» fingulis trium quorumlibet circulorum, iina cum centrorum dijîantia, » femidiameter quarti circuli eos contitigentis, ac fui centri à reliquis « centris dijiantia erit data. Sed quœ Problemata Algebrice abfolvit 1) Regiomontanus, is le non polie aliquando Geometrice conftruere » fatetur. An non ideo quia .A.lgebra fuit haclenus traflata impure ? » (Page 324.1 — Nous retrouverons encore , ce problème classique dans Descartes, qyi le donnera à résoudre à la princesse Elisabeth : t. IV, p. 38-42 et p. 45-5o, lettres de nov. 1642. — Sur ce que Viète dit de Regiomontanus. voir notre tome V, p, 532.

b. Tome VI, p. S;;, en marge.

�� � GltOMKTRIE. 2 1 I

Théorie et règles sont ce qui doit ici le plus nous arpêter. Le premier livre est de beaucoup le plus court : il n'a même pas la moitié de chacun des deux autres". Oescartes y traite un sujet qui lui est tellement familier, qu'il se comprend lui-même à demi-mots, et ne se doute pas des endroits où d'autres que lui pourraient trouver des difficultés. Il indique la notation nou- velle, dont nous avons déjà parlé : d'une part, toutes les quan- tités, connues ou inconnues, sont exprimées, les unes par les premières lettres de l'alphabet, a, b, c... et les autres par les dernières, x, y, i, au lieu des signes ou caractères jusqu'alors en usage ; d'autre part, les chiffres ou plutôt les nombres ont deux rôles bien définis, suivant la place qu'ils occupent : avant les lettres, ce sont des coefficients; après, ce sont des exposants, qui expriment les puissances, carré, cube, carré de carré, etc.. Avant Descartes, Viète avait bien opéré une réforme analogue, moins nette cependant, et qui surtout n'avait point prévalu^: emploi des chiffres romains pour les

a. rome VI, p. 369-38; (Livre I), p. 388-441 (L. Il), et p. 442-485 (L. III). Soit 19, 54 et 44 pages.

b. Ibid., p. 371, 1. 4-1 5. Notons encore ici le sens du mot « chiffres » pour « lettres » ; de même, p. 474-475. Voir ci-avant, p. 52, note b. Dans un curieux passage du t. il, p. 5o3, 1. 1 1 et i5, Descartes a reproduit une équation telle qu'on la lui avait envoyée : iG — 9Q -|- i3N eg. 1/288 — i5. il la traduit ainsi en son langage : y^ — 9yy + ^^y — 121/2 -f- '5 :« o.

c. Paul TANrreRv, La correspondance de Descartes dans tes Inédits du fonds Libri (Paris, Gauthier-Villars, 1893, br. in-8, pp. 94), p. 42. Voir

notre tome V, p. 418, 1. 1-3. Viète distinguait nettement deux sortes de calcul, l'un au moyen des nombres, l'autre au moven dt caractères ou d'espèces. Voir ses Opéra Mathemalica, cdit. 1646, p. 4. C'est le cl-.ap. iv du premier opuscule,/;/ Arlem Analyticam Ifagoge: « Logiftice numerofa » eft qujc per numéros, Speciofa quœ per fpecies feu rerum formas exhi- » beiur, ut pote per Alphabeîica clementa. » On lit déjà, dans le chap. i, après la définition de l'Analyse et de la Synthèse, celle de la Zététique qui les complète : « ...Zctetice, quà invenitur cequalitas proportiove » magnitudinis, de quà qua-ritur, cum iis qux data funt... Forma autem » Zetelin incundi ex arte propriâ ell, non jam in numeris fuam Logicam » cxercente, quae fuit ofcitantia vcterum Analyftarum ; fed per Logiflicen » fub fpecie noviter inducendam, feliciorem multô & potiorem numerofa

�� � exposants, ii, iii, iv, v, etc., ce qui ne facilitait pas encore assez les additions et les soustractions ; usage des consonnes, b, d, c… pour les quantités connues, et des voyelles pour les inconnues, a, e… Tout cela ne valait pas ce que Descartes appelle[13] son a, b, c.

Mais cette notation, qui devait être de si grande conséquence, ne réformait encore que le langage des mathématiciens. Aussi Descartes proposait, dès les premières pages, Géométrie. 21?

une autre innovation, qui portait sur le fond même de la science : et c'était, à la faveur de l'Algèbre, l'introduction du calcul de l'Arithmétique dans toutes les opérations de la Géo- métrie; d'un côté, comme de l'autre, tout ne sera plus qu'addition ou soustraction, multiplication ou division, ou extraction de racines, ces trois dernières opérations d'ailleurs étant elles-mêmes expliquées parla règle des proportions". Ici, notre philosophe a parfaitement conscience d'innover à la fois contre les Anciens et contre la plupart des Modernes : il note, en passant, que a les Anciens se faisaient scrupule d'user » des termes de l'Arithmétique en la Géométrie», pour n'avoir pas vu assez clairement leur rapport; de là beaucoup d'em- barras et d'obscurité "^ Plus tard, il déclarera n'avoir rien à dire à ceux qui concevaient toujours ces deux sciences « comme » toutes diverses » ; mais ceux, dit-il, qui savent «la conjonction » qui est entre la Géométrie et l'Arithmétique, ne peuvent » douter que tout ce qui se fait par l'Arithmétique, ne se face » aussy par Géométrie" ». Qu'on ne vienne donc pas lui opposer Viète : celui-ci maintenait la séparation des deux sciences ; l'Arithmétique, même avec l'extension que lui donnait l'Algèbre, continuait d'être traitée à part, et la Géométrie également à part. Les partisans les plus déterminés de Viète étaient bien forcés de le reconnaître : l'un d'eux, Beaugrand, cite même à cet égard un texte décisif. Viète ne méconnaît pas (et c'est là déjà un progrès), que « ce qui sert aux nombres, se puisse, le » plus souvent, appliquer aux grandeurs » ; mais tandis qu'il veut enseigner dans un ouvrage particulier ce qui facilite l'ana- lyse des équations, « il traitera ailleurs de ce qui peut rendre » les constructions géométriques plus aisées », Viète voit bien,

a. Tome VI, p. 369-371.

b. Ibid., p. 378, l. 23-28.

c. Tome II, p. 504, 1. 1-6 : lettre du 9 févr. 1639.

d. Tome V, p. 509. Lettre de Beaugrand à Mersenne. Le texte même de Viète est cité : « Ferc autem qua; profunt Geometrx ad eù|Avi/avtav, » profunt & Arithmctico, vel etiam è contra. At ctiam de effeîiionibus » (Jeomctricis dicetur fpecialius fuo ioco. Nunc autem circa numerofam

�� � pour ainsi dire, les deux rives, et passe successivement de l’une à l'autre : Descartes jette résolument un pont entre les deux. La portée de cette innovation ne passa pas inaperçue : un professeur de mathématiques de Louvain trouvait même que le titre de Géométrie disait trop peu, pour un tel ouvrage : il aurait fallu l’intituler Mathématiques. A quoi Descartes répond que cette fois le titre aurait dit trop : les Mathématiques comprenant encore la Mécanique, par exemple, qu’il n’avait pas voulu traiter ". Mais il revendiquait hautement l’union des deux sciences, Arithmétique et Géométrie, en une seule, comme son œuvre propre, et dont il avait le droit d’être fier. Le point de soudure, en quelque sorte, est bien marqué par lui en quelques mots : les lignes de la Géométrie (les lignes droites, s’entend), trouvant leur expression dans les lettres, ou comme il dit dans « le chiffre » dont se servira désormais l’Algèbre.

La seconde partie du livre I est remplie ensuite par le problème de Pappus : énoncé du problème en latin, solution simplement esquissée, mise en équations, avec indication du genre des lignes courbes dont on aura besoin selon les cas. Mais il faut d’abord pour cela dire « quelque chose » de la nature des courbes ; et ce sera l’objet du livre II.

Toutefois, Descartes conseille à ses lecteurs, même à des savants comme Mydorge, de passer du livre I au livre III, pour

)) Analylin magis elfe intcnium, noUri cil iiidiiiiii. >> Ces lignes se trou- vcni loui au commencemcm de la seconde partie du traité de Viètc, De emendatione a’quatiomim, p. 127, loc. cit. Remarquons que le commentaire de Beauf^rand, dont nous reproduifons les termes, eli jilus explicite encore sur la séparation des deux sciences.

a. Le P. Ciermans, Jésuite, que nous retrouverons au chapitre suivant. Voir i. II, p. 5(), 1. 9-12, et p. 70-71 : letirf.s de mars i63>^.

h. Tome VI, p. 371, 1. 16-20.

c. Jbid., p. 377-380 (énoncé du problème), p. 38o-382 (indication de la solution), p. 382-385 (mise en équaiionsi, et p. 385-387 (indication des gf-nrps selon les cas). Voir les notes de Piiul Tannery : t. I, p. 235 : t. IV, p. 3^4- -îGô; et t. VI, p. 721-725.

d. Tom.- i, p. 457, I. 21-24. ’i P- 5o2, I. 1-3; t. 11, p. 22, 1. 25- 27, etc.

�� � Géométrie. 21^

revenir ensuite au livre II, qui est, en effet, le plus difficile, mais aussi le plus important. Suivons donc ce conseil, et pas- sons au livre III. Descartes y traite d'abord de la nature des équations, et donne, dit-il lui-même, les règles de son algèbre '. C'est là que ses ennemis pensèrent le prendre en faute. Viète, avant lui, en avait dit tout autant sur les équations, et même l'avait dit mieux, sans commettre certaines erreurs qu'on repro- chait à Descartes. Mais on se trompe, répond notre philosophe: loin de redire les mêmes choses que Viète, il commence au contraire par où Viète avait précisément fini. C'est ce qu'il a vérifié lui-même, en « feuilletant » un Viète qui se trouvait, dit-il, « par hasard entre les mains d'un de ses amis». Ces der- niers mots surprennent d'ailleurs ; car il venait aussi de dire, quelques lignes plus haut, qu'il avait tâché de ne mettre, dans sa Géométrie, que ce qu'il croyait « n'avoir point été sceu ni » par Viète, ni par aucun autre" ». Il était donc au courant de ce que savait Viète ; et il avait dû le lire auparavant. D'autre part, le défenseur attitré de Viète en France, Beaugrand, qui avait édité un de ses opuscules en i63i, crut retrouver dans le livre III de la Géométrie plusieurs lègles déjà données par Viète, et imprimées en 161 5; et il ne craignit pas de lancer contre notre philosophe*, une accusation de larcin. Qui des deux se trompe, où essaie de tromperie lecteur ?

Constatons d'abord un point : c'est que Descartes connais- sait de Viète au moins l'opuscule édité en i63i (puisque Mersenne le lui envoya, et qu'il en accusa réception, mettant même l'éditeur au défi de résoudre le problème de Pappus"^^).

a. Tome I, p, 479^ 1. 28, à p. 480, I. 2. — Beaugrand iroiivcra ci- lan- gage de Descartes « insolent » : t. V, p. 5 12, fin.

b. Ibid., p. 479, 1. 15-17.

c. Tome V, p. 5o3-5i2 : lettre de Beaugrand à Mersenne.

d. Tome 1, p. 479, 1. 20-2 f.

e. Ibid., p. 243, 1. 7-20. Descaries s'autorise, pour cnvo\er à Beau- grand ce défi, des dernières lignes de l'opuscule de Vicie. In Artem Analyticen Ifagoge : ■< Denique falluol'um probleiua prolilcniaium ars •■ Analvtice... jure (ibi adrogat, quod ell Nillu.m non Phoiii.i;ma sol- » vi;ri:. » {Opern Mathematica, i(i4<i, p. iz.j Plus tard i'édiicur de Vicie,

�� � Mais il n’avait rien d’autre de ce mathématicien dans sa bibliothèque, pas plus qu’il n’avait rien d’Euclide, ni d’Archimède =’, et il dut emprunter le Viète d’un ami. Descartes avait peu de livres, et ne prenait guère la peine de les lire, ou les lisait mal. Nous en avons ici un exemple de plus : au lieu de lire d’un bout à l’autre le livre de Viète, il regarde d’abord à la fin, selon son habitude, et n’y relève qu’une chose, d’après les titres des derniers chapitres, c’est que l’auteur finit son ouvrage par où, « sans y penser », lui-même commençait. Mais s’il avait parcouru les chapitres antérieurs, surtout ceux du premier traité (l’ouvrage de Viète a deux traités), il y aurait remarqué sans doute les mêmes ressemblances avec ses propres règles, qu’avait notées la malignité de Beaugrand : celui-ci signalait, en effet, les chapitres vii, ix, x à xiv, et les suivants, du premier traité,

en 1646, Franciscus à Schooien, reprend, h l’honneur de Descaries, im conimentaire que Beaugrand avait fait de ces paroles: « Onde demum » concludit ("peciolam ilhim Analytin... rpecioluni i|uoc]iie folumniodû » libi vindicare Problema : Omne, in quo de quantitatum a\]ualitatc vel » proportione inquiritur , Problema utctinque fotvere. In qiio (i tollas " vocem utcunque, quam nelcio quâ ratione mouis appofuerii, non video » qiiid univerfalius Problema exquiras : cùm univerla Matiielis non nilr « dodrina quantitatis (it dicenda : adeô ui onine id qiiicquid ibidem lol- » vendum proponitur, non ni(i in quaniiiaium wqualiiaie vel proportione aliquâ expljcandâ conliltat. Quod etiam liimmi ingenij Vir Renatus des Cartes, in Dijfertatione de Metliodo reâe regendœ latinnis, fcribit le circa Mathematicas Scientias in génère animadvertille, nimirum, etiamii 111* circa diverla objeâa verl’enlur, in hoc tanien convenire omnes, quôd nihil aliud examinent quàm relationes five proportiones quafdam, qu* in iis reperiuniiir. " [Ibid., p. 54S-546.)

a. Tome 1, p. 4()7 et 52i (Aristote). Tome II, p. 472, I. 20 (Euclide). Tome in,p. f66, I. 4-6 (Archimède). Poini davantage de Pappiis : t. 1, p. 27S, I. 21-24. Les livres de Viète étaient d’ailleurs devenus très rares. Vaulezard, dans la dédicace de son Introduction en l’Art analytic de François Viete traduit en nostre langue, disait déjà, à la date de 1630 : « A peine cognoist-on auiourd’huy de Viete que le nom ; le temps en a derobé la plus-part des liures, & les plus grandes Biblioieques en seroient tout à fait dégarnies, si les Anges tutelaires des sciences n’en auoient heureusement consérué quelques-uns. »

b. Tome V, p. 505. L’ouvrage de Viète, De AEquationum recognitione & emendatione, comprend deux traités. Le premier, Tractatus primus, Géométrie. 217

et les chapitfes i, iv, vi, viii, du second % et ne parlait pas des derniers. Beaugrand n'avait donc pas tout à fait tort. Mais Descartes n'en eût pas moins maintenu son jugement. Beau- grand reconnaît, en effet, lui-même que Viète (avec raison, selon lui) n'étend pas ses règles à toutes les équations, mais en borne l'usage à une certaine catégorie seulement. Or, que dit Descartes ? Ceci simplement, et pas autre chose : « qu'il » détermine gétiéralement en toutes les équations » ce dont Viète n'a donné que quelques exemples particuliers ;\\ s'étonne même que telle ait été la conclusion de l'auteur; cela montre bien, répète-t-il, « qu'il ne pouvait déterminer (ce qu'il avait écrit) en » général" ». Ces exemples étaient nécessaires sans doute pour bien établir les règles, c'est-à-dire pour commencer; et Des- cartes a pu se servir d'un tel commencement. Mais comme il le dépasse aussitôt, grâce à la généralisation qu'il ne craint pas, lui, de proposer, il le perd de vue, et va de l'avant. Et c'est précisément cette généralisation qui lui permet des applica- tions heureuses, lesquelles sont bien siennes également, à

p. 84-125 des Opéra Mathematica {1646), comprend lui-même vingt et un chapitres.

a. Tome V, p. 5o6, 5o8, Sog et 5 10. Ce second traité, Traâatus Jecundus, comprend quatorze chapitres, Opéra Mathematica, ç. i26-i58.

b. Voir le « Troisième Factum (de Beaugrand) contre la Géométrie de » Descartes », publié par Paul Tannery, La Correspondance de Descartes, etc. [i8g3) : •<■ Après tout, s'il y a une infinité d'équations qui fe produi- » fent par la multiplication d'autres équations, il y en a auiïi une infinité » d'autres qui ne peuvent eflre produites fuivant cet ordre... Et c'elt ce » qui a retenu ce grand efprit de Viete, à qui toute la pofterité fera » obligée pour les œuvres excellentes dont il a favorifé le public, de rien » écrire de général fur ce fujet. . . » (Page 54.)

c. Tome I, p. 479, 1. 22-27. Beaugrand lui-même, dans son « Troi- >• sième Factum », parle du •< recueil d'équations qui elt fur la fin du » fufdit Livre de Viete ». (Loc. cit., p. 5i.) En effet, dans ce livre De Emendatione /Equationum, les quatre derniers chapitres du second traité sont intitulés ainsi, cap. xi, xii, xiii et xiv : « Singularium aliquot conlli- » tutionum, ad œqualita s multipliciter adfedas pertincntium, colleclio. » — Earundem colleftio altéra. — Earundem colleclio tertia. — CoUeftio » quarta. » (Opéra Mathematica, 1646, p. i56-i58.)

VlK DE DeSCARTKS. 28

�� � des problèmes que, somme toute, ni Viète ni aucun de ses disciples n’avaient encore résolus.

Nous ne pouvons pas ici examiner, et encore moins discuter, une à une, toutes les règles que donne Descartes pour les équations : combien de racines en chacune de celles-ci ; distinction des vraies et des fausses racines ; changement des fausses en vraies, et réciproquement ; moyens d’augmenter ou de diminuer la valeur des racines ; moyens de les rendre toutes vraies ; comment on supprime le second terme d’une équation, et comment on supplée aux termes manquants ; distinction des racines réelles et imaginaires, etc.[14]. Notre philosophe donne une théorie complète « de la nature des équations », laquelle, dit-il (et ceci paraît encore une réponse aux critiques qu’on lui avait adressées en alléguant Viète), « laquelle n’a jamais été, que je sache, assez expliquée ailleurs[15] ». Si en effet, dans le détail, telle ou telle règle peut paraître empruntée à Viète (bien que Descartes y mette aussi sa marque personnelle), il se montre bien lui-même, et là n’est véritablement que lui, dans l’ensemble, dans sa façon originale de réunir les différentes parties en un seul et même tout, en un système. Ce mérite qu’on ne saurait lui contester, il s’en rendait compte parfaitement. Plus tard, il l’opposera tacitement à celui de Viète, dont la doctrine, dit-il, a besoin que quelque savant homme la mette « par ordre » ; car les écrits de ce « très excellent mathématicien » ne sont que « des pièces détachées, qui ne composent point un corps parfait[16] ». Aussi, plus tard encore, en 1646, lorsque Mersenne lui offrit un exemplaire, et même plusieurs, s’il voulait, de la nouvelle édition de Viète, qui venait de paraître, grâce à lui, à Leyde, chez les Elzeviers, notre philosophe remercia, c’est-à-dire refusa, en ces termes : « S’il vous plaît », dit-il à son ami, « d’obliger quelque autre en lui donnant le livre que vous m’offrez, je m’en pourrai fort bien passer », Gf:ometrie. 219

et/ il ajoute dédaigneusement : « n'ayant rien à y apprendre, » et n'étant pas curieux d'en orner simplement ma biblio- » thèque " ".

Sa propre théorie des équations ne lui avait-elle pas permis, en effet, non plus seulement de construire mécaniquement, avec des compas de son invention , mais de résoudre géométrique- ment les deux problèmes qui avaient tant tourmenté les géo- mètres : duplication du cube et trisection de l'angle'? Et il est si bien maître de son sujet, il le domine de si haut, que ce sont là pour lui comme deux problèmes-types, qui peuvent servir de modèles pour en résoudre autant qu'on voudra de semblables. Il suffira de savoir se servir d'une des sections coniques, la para- bole. La méthode en avait été indiquée par notre philosophe à Beeckman, *dès 1628, dans toute sa généralité; et sans doute il la pratiquait depuis longtemps déjà^ Il compare sa propre règ'e et celle de Cardan, et établit la supériorité de la sienne' Enfin, comme pour ôter aux incrédules l'ombre d'un doute, il montre qu'on peut, par elle, trouver non plus seulement, comme tout à l'heure, deux moyennes proportionnelles, mais quatre, mais six, et même davantage^; et qu'on peut aussi, par elle, diviser l'angle non plus seulement en trois, mais en cinq parties égales, inscrire dans un cercle une figure de onze ou

a. Tome IV, p. 554, 1. 12-19 : lettre du 2 nov. 1646. Voir aussi, ibid.,

p. 23l-232.

b. Tome Vl, p. 391-392 et p. 443. Voir aussi t. X, p. 232-2?5.

c. Ibid., p. 469-470 et p 470-471. Voir ci-avant, p. 90. — Etienne Pascal, le père, avait étudié une variété de conchoïde, appelée par Roberval le Limaçon de M. Paschal. Le mathématicien Du Verdus attribuait à Roberval lui-même le trace de la tangente, la quadrature, et la propriété de la courbe comme podaire d'un cercle. Il attribuait à Etienne Pascal l'applicatinn de cette courbe à la trisection de langle. qui avait été probablement, dit Paul Tannery, l'occasion de son inven- tion. Intermédiaire des Mathématiciens, t. VII, 1900, p. 106-107.

d. Ibid., p. 471, 1. 1-17, et p. 4-5, 1. 2i-?o.

e. Tome X, p. 342-346. Tome VI, p. 464, 1. 17-24, et p. 476, 1. i3-i8. Et encore t. X. p. 637-638.

f. Tome VI, p. 471-475 ; notamment p. 474. 1. 6-10.

g. Ibid. p 476-483, et surtout p. 483-484.

�� � treize côtés égaux, et une infinité d’autres exemples de cette même règle[17]. Il termine par là sa Géométrie : les bornes qui arrêtaient les mathématiciens sont franchies ; il les laisse même bien loin derrière lui. Mais surtout la carrière est ouverte ; et Descartes y prévoit les progrès que « nos neveux », dit-il, ne manqueront pas d’y faire ; c’est à lui qu’ils en seront redevables à jamais[18].

Pourtant, la partie principale et pour ainsi dire le cœur de son ouvrage est le livre II. Notre philosophe y traite « de la » nature des lignes courbes ». Il indique la manière de décrire ces lignes, en les construisant par points. Ses déclarations à ce sujet sont d’une netteté parfaite : tous les points d’une ligne courbe ont nécessairement quelque rapport à tous les points d’une ligne droite ; et ce rapport peut être exprimé par une équation <=. Comme on peut trouver pour chaque courbe une infinité de points par où elle passe, on a ainsi le moyen de la décrire, à condition que ce soient des points qui lui soient réellement propres, et qui n’appartiennent véritablement qu’à elle. De là, des conséquences à l’infini, que Descartes annonce sans donner d’explications : de cela seul qu’on connaît le rapport de tous les points d’une courbe à tous ceux d’une droite, il devient aisé (le mot n’est-il pas ironique ?) de connaître les diamètres, les essieux, les centres et autres lignes ou points, avec qui chaque courbe aura quelque rapport ; et même on pourra aussi, par cela seul, trouver quasi tout ce qui peut être déterminé touchant la grandeur de l’espace qu’elle comprend. Et combien encore d’autres propriétés’?

Parmi celles-ci, une seule est traitée par lui avec détails, comme « le problème le plus utile et le plus général, qu’il ait » jamais désiré de savoir », et c’est le problème des tangentes^ Il

a.

b.

c. Ibid., p. 392, 1. 20-25.

d. Ibid. f p. 4.11, 1. 12-17, 611.27-29.

e. Ibid., p. 412, 1. 25, à p. 413, 1. 8.

{. Ibid., p. 41 3, 1. 23-26 ; t. I, p. 492, 1. 17-23.

�� � donne, à ce sujet, dans sa Géométrie, une première méthode. Chaque point d’une courbe appartient aussi à une droite qui touche la courbe en ce point, et que Descartes appelle, selon l’usage du temps, contingente : nous disons aujourd’hui tangente. D’autre part, une tangente peut toujours être coupée par une ligne droite qui lui est perpendiculaire, en son point de contact avec la courbe : et c’est ce que nous appelons aujourd’hui la normale. Descartes arrive aux tangentes, d’abord en partant des normales ; il tourne ainsi la question et la prend à revers[19]. D’un point quelconque du diamètre de la courbe (laquelle sera, par exemple, une parabole), il trace un cercle qui coupe cette courbe en deux points ; et de chacun de ces deux points, il tire une ligne appliquée par ordre, comme on disait, soit une perpendiculaire au diamètre (c’est l’ordonnée), qui détermine sur celui-ci un segment : le rapport entre segments et ordonnées, permet d’établir une équation entre ces deux grandeurs variables ; les propriétés spécifiques de la courbe (ici une parabole) permettent d’en établir une autre pour les mêmes grandeurs : de là, pour les deux inconnues, un système complet d’équations. Mais les deux points où le cercle coupe la courbe, vont se rapprochant l’un de l’autre, à mesure que le rayon du cercle diminue, jusqu’au moment où ils se réunissent, le cercle ne coupant plus la courbe, mais ne faisant que la toucher ; et son rayon devient alors, au point de contact, précisément la normale de la tangente cherchée, et la ligne tirée de ce point perpendiculairement sur le diamètre, détermine le point de la droite qui répond au point de la courbe[20]. C’est là, pour Descartes, un procédé général dont il use pour tous ses problèmes, et il n’use que de celui-là : coupant, dit-il, d’un cercle une ligne droite pour les problèmes plans ; coupant d’un cercle encore une parabole pour les problèmes solides ; et enfin, ajoutait-il, pour ceux qui sont d’un degré plus composés, coupant toujours d’un cercle une ligne plus composée elle-même que la parabole : ainsi de suite à l’infini[21].

Toutefois, il fut amené, dans sa Correspondance, à une seconde méthode, un peu différente en apparence, bien que la même au fond ; et il y fut amené par sa polémique avec Fermat. Celui-ci avait traité le problème des tangentes, en reprenant les termes où l’avait posé Apollonius : des plus grandes et des plus petites quantités, de Maximis et Minimis[22]. Sa solution présentait une lacune, que Descartes n’eut point de peine à combler, par un emprunt à sa propre méthode : si bien qu’il put dire, que le fondement de sa méthode était également celui sur lequel devait s’appuyer la méthode de Fermât, pour être bonne. Fermat considérait aussi deux lignes appliquées par ordre (deux ordonnées) de la courbe au diamètre de celle-ci ; puis, sans dire comment ni pourquoi, il les identifiait en une. Descartes reprend la question ainsi présentée : il considère ce qui doit devenir la tangente de la ligne courbe, comme une sécante d’abord ; ce n’est plus, comme tout à l’heure, un cercle qui coupe la courbe en deux points (et avec le cercle disparaît la considération de la normale], c’est une droite menée d’un point du diamètre, pris en dehors de la courbe, et qui la coupe aussi deux fois. Mais cette droite peut tourner de son point fixe d’origine en se rapprochant de la courbe ; les deux points où elle coupe celle-ci, se rapprochent par suite l’un de l’autre, et finissent par se réunir : la sécante est devenue tangente. En même temps, comme tout à l’heure, les équations établies d’abord à l’aide des ordonnées de ces deux points et des segments qu’ils déterminent sur le diamètre, subissent des variations en conséquence, et aboutissent finalement à une seule racine, qui permet de trouver, en corrélation, le point de la tangente à la courbe, c’est-à-dire un point de la courbe elle-même, et le point où l’ordonnée de celle-ci rencontrera le diamètre, c’est-à-dire un point de la droite correspondante[23]. La méthode est donc bien la même, avec cette différence que la ligne courbe est coupée par une ligne droite, plus proche de la tangente, au lieu de l’être par un cercle. On peut dire que Descartes est redevable à Fermat de cette modification, qui a prévalu ; mais Fermât est encore plus redevable à Descartes de la correction apportée à sa méthode ; celle-ci étant d’abord vraiment défectueuse[24].

Nous venons de voir l’essentiel du second livre de la Géométrie. Tout le reste n’est là que pour servir d’exemple. C’est d’abord le problème de Pappus, auquel Descartes revient[25] pour le traiter avec autrement d’ampleur que dans le premier livre. Encore se garde-t-il d’en donner un exposé complet. Il donne d’abord la construction, mais, dit-il, comme font les architectes pour les bâtiments : ils prescrivent seulement ce qu’il faut faire, et laissent le travail des mains aux charpentiers et aux maçons. Il donne aussi la démonstration, mais avec sa notation propre, « son a, b, » comme il dit, laquelle est sans doute beaucoup plus claire et plus facile, non pas encore toutefois pour ceux qui n’en ont point l’habitude. Enfin, il ne donne qu’une partie de l’analyse, omettant l’autre à dessein, pour que « les esprits malins » ne puissent s’en prévaloir[26]. Non content de cet exemple du problème de Pappus, il ajoute une autre question non moins intéressante en ce temps-là : la question des ovales, qu’il avait annoncée dans sa Dioptrique : c’est-à-dire l’étude théorique des moyens de rendre les lentilles autant concaves ou convexes qu’il est requis pour le perfectionnement des lunettesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu.. Il avait déjà étudié autrefois cette question. Mais ici encore, il se garde de tout expliquer, et laisse bien des points à éclaircir aux mathématiciens. La Géométrie présente ainsi successivement de merveilleuses clartés, mais aussi trop d’obscurités vouluesErreur de référence : Balise <ref> incorrecte : les références sans nom doivent avoir un contenu..

En cela Descartes est difficilement excusable. Que dans la Dioptrique et les Météores, il n’ait pas voulu divulguer entièrement ses principes, et n’en ait laissé entrevoir qu’une partie, à titre de simples suppositions, on comprend et on excuse cette prudence, bien qu’excessive peut-être : le philosophe craignait pour son livre une condamnation semblable à celle de Galilée. Mais qu’avait-il à craindre pour sa Géométrie ? Plus complète et plus claire, elle eût été plus vite entendue, et d’un plus grand nombre. C’est précisément ce que ne voulait pas Descartes : méfiant et ombrageux à l’excès, il craignait qu’on ne méconnût l’originalité de son œuvre, si elle était trop aisée à entendre, ou qu’on ne s’appropriât ses inventions. Crainte puérile, et qui n’est pas à sa louange. Ou plutôt, il se plaisait, du fond de sa retraite, à voir ses rivaux de France, tout Conseillers, et Présidents, et grands Géomètres qu’ils fussent, aux prises avec des difficultés dont ils ne pouvaient venir à bout : il avait fait en sorte, dit-il familièrement, qu’ils « n’y pussent mordre[27] ». Singulier plaisir, et qui révèle une fois de plus le mystificateur qu’était un peu Descartes. Il eut d’ailleurs plutôt à regretter, semble-t-il, ce calcul machiavélique. D’abord, il lui fallut presqu’aussitôt autoriser un gentilhomme de ses amis à écrire une Introduction à sa Géométrie, pour en faciliter l’intelligence aux géomètres eux-mêmes. Cette pièce, retrouvée depuis peu, sous

a. Tome VI, p. 424, I. 9, à p. 440, I. 6. Voir aussi, p. i83, I. 1O-17, et p. 238. Et enfin, i. X, p. 281, 310-H24CI 32J-328.

b. Ibid., p. 485, I. 5-7 ; i. I, p. 411, 1. 1 2-20 ; i. Jl, p. i5 2, I. 18-22 ; t. III, p. 86 ; i. V, p. 142-143, etc.

c.

�� � Géométrie. 22^

le titre de « Calcul de Monsieur Descartes " », s'adressait à des esprits de la valeur de Desargues, par exemple. Descartes recommanda de l'envoyer aussi à La Flèche : il était curieux d'avoir le jugement des professeurs de mathématiques". Mais il ne reçut rien de ce côté -là. Rien non plus de Louvain, bien qu'il eût indiqué à Plempius deux mathématiciens des Pays-Bas espagnols, dont il eût aimé aussi recevoir les remarques, Wendelin et Van der Waegen^ En Hollande, d'autre part, son fidèle Reneri, qu'il avait cependant initié lui- même aux mathématiques, se donnait beaucoup de mal pour le comprendre, à l'Université d'Utrecht. Somme toute, il n'était guère compris que d'un gentilhomme, aux environs de cette ville, Godefroid de Haestrecht% l'auteur probable de l'Intro- duction, et à Leyde, ville universitaire s'il en fût, par deux professeurs : non pas même Golius ', qui lui avait indiqué le problème de Pappus et qui s'inspirait de lui pour son ensei- gnement, mais deux jeunes gens, formés par lui, Gillot, autre- fois son domestique, et maintenant professeur à l'École des ingénieurs p, et Schooten, fils d'un professeur, et plus tard, en 1646, professeur lui-même à l'Université. Plus tard encore, en 1649, ce sont les notes de Schooten qui contribueront le plus à éclaircir la Géométrie de Descartes, jointes à celles du seul mathématicien de France qui soit entré pleinement dans sa pensée, et qui ait adopté et développé lui-même, comme nous verrons, ses théories : Florimond Debeaune.

a. Tome X, p. 659-680. Voir, pour Desargues, t. II, 88-89; P- '^2, 1. 10-18.

b. Tome II, p. 276, 1. 4-7 : lettre du 27 juillet i638.

c. Tome I, p. 41 1 , 1. 20-23 : lettre du 3 oct. 1637.

d. Tome II, p. 101-102. Voir aussi, p. 334-335. c. Ibid., p. 101 , p. 577 et p. 58o-58i.

f. Ibid., p. 3o, 1. 25-26 : lettre du i" mars i638. Voir aussi t. X. p. 637-639.

g. Tome II, p. 3o. I. 22-25, et p. 89, 1. 14-16 : lettre du 3 i mars i638. Voir t. III, p. 32, et t. IV, p. 339-340 : du 27 dôc. 1645.

Vie de Descartes. ay

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Le Discours de la Méthode réalisait, en 1637, une promesse faite depuis longtemps, puisque Balzac, en 1628, pressait Descartes de la tenir, en donnant une « Histoire de son esprit[28] ». Le philosophe y ajouta ce qui s’était passé depuis lors ; et c’est ainsi que le Discours a été notre guide, non seulement pour ses premières études, au collège de La Flèche, pour ses préceptes de méthode et ses maximes de morale en 1619, pour l’emploi des années 1620 à 1628, mais aussi pour la phase décisive qu’il traversa en 1629, et pour son Monde de 1630 à 1633. Le Discours contient en effet, jusqu’à cette date, une autobiographie du philosophe ; il raconte, comme il dit, « en quelle sorte il a tâché de conduire sa raison », sans prétendre pour cela enseigner comment chacun doit conduire la sienne[29]. « Ce sont ici mes humeurs et opinions », avait déjà dit Montaigne ; « je les donne pour ce qui est en ma créance, non pour ce qui est à croire[30]. » Seulement, Montaigne donne les « Essais » de ses facultés dans toute leur libre allure qui n’était que fantaisie et caprice, sans règle ni joug d’aucune sorte : Descartes donne des essais de son esprit réglé et discipliné, assujetti à une méthode : somme toute, les essais de cette méthode elle-même.

Le Discours fut peu critiqué. Les quatre préceptes qu’il formule parurent seulement un peu courts pour une méthode complète ; aussi Descartes n’avait voulu donner qu’une partie de sa méthode[31], et celle-ci se retrouve avec plus de détails dans les Regulæ. Mais surtout les preuves de l’existence de Dieu parurent à quelques-uns trop brèves, et non exemptes d’obscurité[32]. Là-dessus, notre philosophe s’excuse. Il sait bien qu’il ne les a pas suffisamment développées ; mais d’abord il n’a ajouté ces quelques pages qu’au dernier moment, pressé par le libraire, et lorsque le volume était presque achevé d’imDiscours de la Méthode. 227

primer =■. Ainsi nous avons failli ne pas avoir même cette esquisse que l'on a regardée comme l'essentiel de la philosophie de Des- cartes. Déjà le Monde se passait presque entièrement de méta- physique, ou du moins le philosophe gardait par devers lui ce fondement pourtant nécessaire de sa physique. S'il en parle davantage en 1637, c'est par précaution, semble-t-il, afin de se concilier les théologiens. Mais surtout, ce qui rendait peu claires les preuves de Dieu, c'est qu'il n'avait pas osé, il l'avoue, développer comme il l'aurait voulu ses raisons de dou- ter des choses sensibles ' : autre précaution peut-être, afin de ne point paraître donner trop dans le scepticisme, ce qui eût indis- posé ses anciens maîtres contre lui. Et pourtant il s'agissait de la grande erreur, qui avait faussé jusque-là, selon Descartes, toutes les spéculations scientifiques ou philosophiques: l'erreur qui consiste à considérer le monde sensible comme exactement tel que les sens nous le représentent, erreur dont il faut à toute force délivrer l'esprit humain, si l'on veut qu'il puisse trouver la vérité dans les sciences.

Car c'est toujours de la découverte scientifique principalement qu'il s'agit, et on ne saurait trop relire, à ce propos, la sixième et dernière partie du Discours'^. On y voit quelle idée notre phi- losophe se faisait de la science ; et c'est bien l'idée moderne,

a. Tome I, p. 56o, 1. 7-1 3. Voir aussi pourtant, même t. I, p. 339, 1. 26- 27. — Rappelons que le Discours fut rédigé seulement après la Dioptrique et après les Météores. A la date du i" nov. i63-, où ces deux traités étaient achevés fsauf toutefois, pour le second, la mise au net), le Dis- cours qui devait servir de préface n'était pas commencé, et Descartes ne pouvait se résoudre à s'y mettre. (Tome I, p. 329, 1. 28, à p. 33o, 1. 11.) Détail caractéristique : dans l'édition princeps de 1637, les trois traités ont été imprimés d'abord, avec une pagination qui se suit : Dioptrique, p. 1-1 53; Météores, y- 155-294; Géométrie, p. 295-413. Le Discours, bien qu'il figure en tète, a été imprimé après coup, avec une pagination spéciale, p. 1-78. La table des matières, qui suit immédiatement les trois traités, ne renvoie qu'aux chapitres que contiennent ceux-ci; le Discours n'y est pas mentionné.

b. Tome XI, p. 1 1, 1. 16-17 ^' '• 23-25.

c. Tome l, p. 349, 1. 29, à p. 35i, 1. 2 ; et p. 56o, 1. 13-27.

d. Tome VI, p. 60-78.

�� � opposée à celle des Anciens comme à celle du moyen âge, ou plutôt les réconciliant toutes deux. L’antiquité avait trop cru sur la foi d’Aristote, que la science, et c’était là sa noblesse et sa dignité, ne devait être qu’une activité de l’esprit, en lui-même et pour lui-même, la plus haute de toutes d’ailleurs, pure contemplation, sans effet pratique au dehors : la métaphysique n’était-elle point la première de toutes les sciences, parce que la plus inutile ? Le moyen âge, au contraire, avait surtout cru à l’art, au « grand art » : art secret d’ailleurs, et pour lequel on ne craignait pas d’évoquer les puissances surnaturelles ; le but était d’agir sur la nature, de transformer des corps, peut-être d’en créer : l’alchimie ne rêvait rien moins que la transmutation des métaux, la production artificielle de l’or, et qui sait ? peut-être la création de la vie elle-même. Mais ce but, elle s’imaginait l’atteindre par tâtonnements ; elle cherchait au hasard et sans méthode. Et il en était ainsi de tous les arts particuliers : chacun avait ses procédés et ses tours de main, et réussissait parfois à faire des chefs-d’œuvre, mais par des moyens tout empiriques ; il fallait pour cela le génie d’un artiste, ou tout au moins l’habileté d’un artisan. On ne pensait pas que la science pût prescrire des règles au travail humain, le rendre à la fois plus simple et plus fécond, et le mettre, avec un peu d’étude, à la portée de tous. L’idéal de Descartes sera d’unir la conception de la Science comme dans l’antiquité, et celle de l’Art comme au moyen âge, étroitement et définitivement ; c’est là, en effet, la double condition du progrès.

A cet égard, son ambition n’a point de bornes, et rien vraiment ne lui paraît impossible. Ne parle-t-il pas d’abord d’un Projet de Science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection[33] ? Ce titre primitif du Discours de la Méthode ne fut pas maintenu, il est vrai. Mais notre philosophe ne renonce pas cependant à un tel rêve : il l’affirme tranquillement, audacieusement, avec une absolue confiance[34]. Il ne veut plus de philosophie spéculative, ou de science purement théorique, sans application et sans utilité ; il lui faut une philosophie pratique, une science qui donne à l’industrie humaine des règles et en assure désormais le progrès. Ce n’est pas seulement le feu, l’eau, l’air, la terre, que nous pourrons, les connaissant mieux, faire servir à nos besoins. Descartes, dans les campagnes de Hollande, n’avait qu’à regarder autour de lui, pour voir, en effet, une contrée qui apparaissait déjà, presque tout entière, comme l’œuvre de l’homme : où la terre, conquise sur l’eau, n’était que pâturage, et culture, et jardins ; où l’eau elle-même, distribuée en de nombreux canaux, facilitait le transport des habitants ou des marchandises ; où l’air, agité par le vent, faisait tourner les ailes de ces grands moulins, qui remplaçaient les bras de tant d’hommes de peine. En outre, Descartes ajoute que les produits du sol eux-mêmes pourront être améliorés par la science. Enfin, son imagination subissant encore la hantise du merveilleux d’autrefois, il se promet de la connaissance scientifique des astres et des cieux, ou tout au moins de la médecine, les moyens d’agir sur les esprits, les tempéraments et les humeurs, et de rendre par là les hommes « plus habiles et plus sages[35] ».

Plus tard, en 1647, il reprendra la comparaison biblique de l’arbre de la Science. Et ce ne sera pas seulement pour dire que la Métaphysique est la racine de cet arbre, et que la Physique en est le tronc ; mais les branches et surtout les fruits représentent à ses yeux, les trois applications principales de la Physique, c’est-à-dire la Mécanique, la Médecine et la Morale[36]. La Mécanique, lorsque la science aura réussi à en calculer et diriger les effets, nous rendra « comme maîtres et possesseurs de la nature[37] ». La Médecine, lorsqu’elle ne se contentera plus d’être un art plus ou moins empirique, mais qu’elle sera devenue aussi une science, fondée sur l’anatomie : que ne pourra-t-elle pas ? Nous préserver de l’affaiblissement de la vieillesse, et retarder peut-être de deux ou trois siècles l’heure de la mort[38]. C’est le rêve du vieux Faust, au milieu de ses fourneaux d’alchimiste, repris par un philosophe moderne, et dont la science ferait une réalité. La Morale enfin, ou la troisième de ces applications de la Physique, lorsqu’elle sera aussi traitée scientifiquement, — et ceci complète bien le rêve d’une sorte de paradis en ce monde, — nous donnera sur nos passions, c’est-à-dire au dedans de nous aussi bien qu’au dehors, un pouvoir presque absolu[39].

Voilà pourquoi Descartes publie son Discours de la Méthode avec des Essais de cette Méthode. Il voudrait associer le public à sa réforme et à son œuvre, convier ceux qui le peuvent à entreprendre les expériences nécessaires, et faire entrevoir l’avenir qui attend l’humanité, si elle s’engage résolument dans les voies de la science. Ce philosophe, qui affecte de ne s’étonner de rien et de ne rien admirer, est au fond un enthousiaste ; la crise passagère de mysticisme, en cette nuit du 9 novembre 1619, dont il nous a conservé le souvenir, n’est rien en comparaison de cet enthousiasme pour la science, qu’il laisse voir ingénument à la fin du Discours, et qui demeure le principal ressort de son activité scientifique. L’enthousiasme d’ailleurs ne se retrouve-t-il pas ainsi dans l’âme de tous les héros ?

    ad comparandum inter ſe magnitudines… » (Ibid., p. 1.) En 1630, un mathématicien, « I. L. Sieur de Vau-Lezard », donna une traduction française de cet opuscule : Introduction en l’Art analytic, ou Nouuelle Algebre de François Viete (Paris, chez Iulian Iacquin, M.DC.XXX, petit in-8, pp. 79). Il traduit ainsi le chap. iv : « Le Logiſtique Numerique eſt celuy qui eſt exhibé & traité par les nombres, le Spzcifique par eſpeces ou formes des choſes : comme par les lettres de l’Alphabet. » (Page 33.) Quant à l’autre passage, p. 1, le traducteur le commente ainsi : « L’vtilité qu’on tire de cete nouuelle Algebre eſt admirable, au reſpect de la confuſion de laquelle ſont ſarries les Algebres des Anciens, tant pour-ce qu’ils confondoient les genres des grandeurs, adjouſrant les lignes auec les plans, le quarré auec ſon coſté &c., qu’à cauſe qu’ils exerçoient & faiſoient les operations de leurs Algebres par les nombres ; c’eſt pourquoy de ces Algebres ne peut eſtre tiré nul Theoreme ny ſolution generale pour toute propoſition ſemblable à celle dont elle doit eſtre tirée, comme il ſe ſait en celle-cy nouuellement inſtituée, de laquelle les ratiocinations & operations ſe font ſoubs des eſpeces. » (Pages 13-14.) Aussi Schooten, éditeur de Viète en 1646, écrit-il dans sa Dédicace à Golius : « … Vir inſignis Franciſcus Vieta Fontenæenſis, Analyſeos Specioſæ autor primus. » Et Schooten était aussi le disciple et l’ami de Descartes. — Quant aux exposants exprimés en chiffres romains, voir notre tome V, p. 504-512.

    François Viète, sieur de la Bigottière, né à Fontenay-le-Comte en 1540, était mort à Paris en février 1603. Avocat dans sa ville natale, dès 1559, puis au service de la maison de Soubise, de 1563 à 1570 (secrétaire de Jean Larchevéque de Parthenay, et précepteur de la célèbre protestante Catherine de Parthenay), conseiller au Parlement de Bretagne (pourvu le 24 octobre 1573, et reçu le 6 avril 1574, souvent excusé d’ailleurs pour ses absences) ; nomme maître des requêtes par Henri III et reçu le 28 mars 1580, il résigne son office de conseiller en 1582. De 1588 à 1594, il est employé officiellement à Tours pour déchiffrer les lettres secrètes des Italiens, Espagnols et autres ennemis de la France. Entre temps, il composait et publiait, depuis 1570, ses ouvrages de mathématiques.

  1. Tome I, p. 349, l. 14-20.
  2. Tome VI, p. 515.
  3. Tome I, p. 365, l. 4-6. Voici un précédent. Saumaise écrivait de Leyde à M. Du Puy, à Paris, le 2 déc. 1632 : « … Le Sr Maire, imprimeur de cette ville, que vous cognoiſſés, a fait imprimer les Annales de ce pais tournés de Flamand en Latin par le fils de Monſr Voſſius. Il m’a prié de vous eſcrire, s’il y auroit moyen de lui faire auoir vn priuilege de France ; il apprehende que les imprimeurs de France ne prenent enuie de le faire après lui, ce qui lui tourneroit à vn grand preiudice… » (Paris, Bibl Nat., MS. fr., Collection Du Puy, 713, fol. 16.)
  4. Comparer t. VIII, p. 1, note a, et t. VI, p. 518. Voir aussi t. I, p. 363-364, Voir enfin ci-avant, p. 13-14, note a.
  5. Teleſcopium. ſeu Demonſtrationes Opticæ, quibus docetur qua ratione perſpicilla nuper inuenta ſpecies viſibilium admoueant & augeant, oculoſque iuuent ad remota diſtinctè videnda. (Seconde partie de l’ouvrage intitulé : Borbonia Sidera. Parisiis, apud Ioannem Gesselin, M.DC.XX. Privilège : 8 juin 1620.) L’auteur, Jean Tarde, traduisit lui-même en français son ouvrage. La traduction parut en 1623. A la fin, Tarde se demande comment on est parvenu à l’invention du télescope ; il refuse de croire qu’elle soit due au hasard et propose deux explications,
  6. Tome X, p. 242, l. 9, à p. 243, l. 2, et p. 293, l. 22-24. Voir aussi t. VI, p. 103, l. 7-30.
  7. Tome VI, p. 83, l. 14-19. Les trois comparaisons qui suivent, se trouvent p. 83-86, p. 86-88 et p. 88-93.
  8. Tome VI, p. 231, l. 15-21, et p. 366, l. 23-28.
  9. Ibid., p. 324, l. 24-29.
  10. Tome VI, p. 442-444, p. 469-470, p. 476, p. 483-484.
  11. Tome I, p. 232-235 ; p. 244, l. 5-6 ; et p. 245, l. 20.
  12. Tome II, p. 510-511 : lettre du 20 févr. 1639. Il pensa même à remanier tout ce second livre : p. 638, l. 23-25, du 25 déc. 1639.
  13. Tome II, p. 83, l. 15 ; p. 474, l. 19 ; et p. 475, l. 3-12.
  14. Tome VI, p. 444-454.
  15. Tome I, p. 490, l. 8-11.
  16. Tome IV, p. 228, l. 10-19 : lettre de juin 1645.
  17. Tome VI, p. 484, l. 21-24.
  18. Ibid., p. 485, l. 18-26. Voir aussi t. I, p. 480, l. 7-13 ; p. 493, l. 10-14, etc.
  19. Tome VI, p. 413, l. 8-23.
  20. Ibid., p. 413, l. 27, à p. 419, l. 4 ; surtout p. 417, l. 12, à p. 418, l. 25.
  21. Tome VI, p. 485, l. 12-20.
  22. Tome I, 493-495 : Methodus ad dijquirendam maximam & minimam. — De tangentibus linearum curvarum.
  23. Tome II, p. 127, l. 1, à p. 131, l. 17, et surtout p. 132-134 : lettre du 3 mai 1638. Voir déjà auparavant, p. 21-22 : du 1er mars. Et après, p. 140, 155, 170-173 (très important aussi), 175-178, 272-273 et 281-282. Lettres de juin, et du 29 juin, du 27 juillet 1638, etc.
  24. Voir cependant, dans la suite, une note de Paul Tannery, t. III, p. 88-89. Roberval ne voulait pas en convenir, et prétendait qu’au contraire c’était Fermat qui avait perfectionné l’invention de Descartes.
  25. Tome VI, p. 396, l. 20, à p. 411, l. 17. Voir ci-avant, p. 214. note c.
  26. Tome II, p. 83, l. 5-26 : lettre du 3 mars 1638.
  27. Tome II, p. 28, l. 6-11, et p. 30, l. 22. Il s’agit, comme nous verrons au chapitre suivant, de Fermat (Conseiller au Parlement de Toulouse), Étienne Pascal (Président à la Cour des Aides de Montferrand), et Roberval (Professeur au Collège de France).
  28. Tome I, p. 570, l. 22, à p. 571, l. 23.
  29. Tome VI, p. 4, l. 7-10 et l. 14.
  30. Essais de Montaigne, édit. Strowski, t. I, p. 191, l. 21.
  31. Tome I, p. 339, l. 25-26 ; et p. 559, l. 14-15.
  32. Ibid., p. 390, l. 4-6.
  33. Tome 1, p. 339, l. 18-25. Voir ci-avant, p. 183.
  34. Tome VI, p. 63-64.
  35. Ibid., p. 62, et t. I, p. 250-251.
  36. Tome IX, 2e partie, p. 14, l. 23-31.
  37. Tome VI, p. 62. l. 7-8.
  38. Tome VI, p. 62, l. 28-29.
  39. Tome XI, p. 368-370.