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Vie et œuvres de Descartes/Livre IV/Chapitre V

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Principes de la PinLOsopuiF. ^s^

de thèses^, comme il était d'usage alors dans les écoles. C'était un livre d'enseignement que voulait donner Descartes, un manuel, ou, comme il dit lui-même, un simple « abrégé ■.

Mais une doctrine ne peut se substituer à une autre et la remplacer, qu'à la condition de renverser celle-ci d'abord et de la ruiner de fond en comble. Telle fut bien, en effet, la pre- mière pensée de notre philosophe. 1/exposé de la doctrine nouvelle devait être suivi d'un exposé semblable de la philoso- phie communément reçue, avec des notes critiques sur cette dernière; le tout se terminerait par une comparaison des deux, ainsi mises ensemble sous les yeux du lecteur**. Descartes s en- quit donc, auprès de Mersenne, d'un ouvrage assez court, et qui résumerait l'enseignement officiel, ou plutôt orthodoxe, ce qui était tout un. Il connaissait, au moins par leurs titres, les ouvrages des Jésuites Toletus et Rubius. et surtout la collection de l'Université de Co'imbre « les Conimbres », comme on disait), dernier mot de la scolastique en ce temps-là\ Mais, c'étaient des ouvrages de longue haleine, développés en d'énormes volumes in-folio. Il ne se souciait pas de parcourir cette litté- rature d'école, sur laquelle il n'avait pas jeté les yeux « depuis » une vingtaine d'années », c'est-à-dire depuis 1620, En cher- chantbien dans ses souvenirs antérieurs à cette date, il se rap- pela un livre de grosseur raisonnable, qu'il avait lu, sans doute, au collège de La Flèche, la Philosophie du Frère Eustache de Saint-Paul, religieux Feuillant. La première édition était de 1609, et l'ouvrage avait été mainte fois réédité depuis lors. Descartes en acheta donc un exemplaire, et se mit à la relire^. D'autre part Mer.senne, informé de son dessein, lui signala un autre abrégé, de même format ou peu s'en faut, et plus récent, le Cours de Philosophie d'Abra de Raconis, en lôSy. Descartes n'eut pas besoin de l'acheter; il le trouva dans une

a. Tome III, p. 233, 1. 2-9 : du 11 nov. 1640.

b. Ibid., p. 23?, 1. 9-15, et p. 259-260 : nov. et déc. 1640.

c. Ibid., p. i83, 1. 4-18, et p. 194-196.

d. Ibid., p. 232, 1. 3-3. Voir ci-avant, p. 23, note c.

�� � 5^6 Vie de Descartes.

bibliothèque et alla 1 y feuilleter. Mais Raconis était à la fois Jésuite et docteur de Sorbonne, double raison de ne pas s'atta- quer à lui, et notre philosophe préféra le Feuillant". 11 voulut même demander à celui-ci la permission de prendre son livre comme spécimen de tous les traités semblables, et de l'examiner à ce titre. Mais Eustache de Saint-Paul mourut sur ces entrefaites, le 26 décembre 1640. Descartes d'ailleurs, réflexion faite, abandonna son projet. Un peu plus tard, les premiers mois de 1642, il eut à répondre aux objections du P. Bourdin, et le fit suivant la méthode qu'il venait d'indiquer, les reprenant une à une pour les faire suivre de notes de sa façon . Une telle besogne lui parut, sans doute, fastidieuse, et il ne fut point tenté de la recommencer. Mais son projet avait été ébruité; on savait même, à Leyde comme à Paris, le nom de la victime choisie pour être immolée à la philosophie nou- velle. Heereboord l'écrivait à Colvius, dans une lettre du 8 avril 1642 : c'était, disait-il, le moine Eustache de Saint- Paul'". Plus tard cependant Descartes fera au moins un paral- lèle de quelques pages entre les deux philosophies, l'ancienne et la nouvelle : nous verrons sous quelle forme et dans quelles circoristances.

Le temps lui manquait aussi d'éplucher, article par article, la doctrine adverse, et il avait assez à faire de rédiger la sienne propre. Il pensait d'abord que dix à douze mois suffiraient, et il s'était réservé pour cela toute l'année 1641. Mais il avait compté sans les objections à ses Méditations : de janvier 1641 jusqu'à mai et juin, et juillet même, il ne fut occupé qu'à y répondre. On retrouve d'ailleurs, dans la première partie de ses Principes, comme un écho des objections de cette année; et notre philosophe paraît en avoir fait plusieurs fois son profit. Cela le dispense même d'examiner à pa^t la philosophie scolas-

a. Tome III, p. 234, 1. 7-10, et p. 25i, l. i3-2i : lettres du 1 1 nov. €t du 3 déc. 1640.

b. Tome VII, p. 45i-56j.

c. Tome VIII ^2* partiei. p. 196.

�� � Principes de la Philosophie. )^7

tique, puisque, dans cette première partie, il en introduit quelque chose, en l'accommodant à sa doctrine personnelle.

Pendant la seconde moitié de 1641, il se trouva plus libre. Mais il fut encore interrompu dès la fin de janvier 1642 par les objections du P. Bourdin et les longues réponses qu'il se crut obligé d'y faire; puis en mars et avril, par sa Lettre au P. Dinet. S'il put revenir aux Principes, l'été de 1642, ce ne fut pas pour longtemps : la querelle avec Gisbert Voët allait éclater, et, pendant plus de si.x mois, il rédigea, presque au jour le jour, sa réponse au fur et à mesure qu'il recevait les feuilles impri- mées des deux pamphlets, Philosophia Cartesiana et Confra- ternitas Mariana. Il se plaint à un ami, Colvius, dans une lettre du 23 avril 1643% d'avoir été ainsi interrompu, et il dit même à quel endroit de son ouvrage il en était à cette date : explication des planètes, à la fin de la troisième partie des Principes, laquelle traite du « Monde visible » ou du Ciel.

Les derniers mois de 1643, l'impression était commencée chez Louis EIzevier à Amsterdam, bien que tout le manuscrit ne fût pas terminé encore. Le i" janvier 1644, Descartes raconte à un autre ami, PoUot, qu'il en est à la question de l'aimant, laquelle remplit une longue série d'articles, du numéro i33à 1 83, dans la quatrième et dernière partie, « De la » Terre ». Mais il ne se presse pas, le libraire étant lui-même en retard pour les figures. Elles étaient nombreuses dans le texte, et il semble bien que Descartes se soit déchargé du soin de les mettre au net sur celui-là même qui avait déjà dessiné celles de la Dioptrique et des Météores, pour la publication de 1637, Franz Schooten le jeunet On se demande même si ce ne fut pas pour cette édition des Principes, que Schooten dessina de sa main un portrait de Descartes, lequel n'y figura pas d'ailleurs et que notre philosophe ne laissa même pas figurer dans la traduction latine de sa Géométrie, par le même

a. Tome III, p. 646-647.

b. Tome IV, p. 72-73.

c. Voir ci-avant, p. 182, noie d.

�� � j^S Vie de Descartes.

Schooten, en 1649"; le portrait ne parut qu'après sa mort, dans la seconde édition de ce dernier ouvrage, en lôSg. Peut- être ne le jugeait-il pas assez bon; et de fait c'est une gravure médiocre '\ bien que fort intéressante par sa date de 1644 et son authenticité. Les Principes furent achevés d'imprimer le 10 juillet 1644. Comme pour les Méditations déjà, le nom de Descartes est inscrit en toutes lettres avec le titre : Renati Des Cartes Principia Philosophicu". Le nom se trouve aussi rétabli dans le privilège, publié cette fois tout au long, avec les éloges donnés à l'auteur, au lieu de l'extrait en quelques lignes, dont Descartes s'était contenté en lôSy, ne voulant pas alors être nommé .

Les Principes de la Philosophie sont en latin, comme les Méditations, et pour une raison analogue. Celles-ci étaient dédiées à la Sorbonne, et le latin était la langue de la théologie ; c'était aussi la langue de la philosophie dans les écoles, où Des- cartes souhaitait que son livre fût admis et étudié. Il le déclare franchement à Huygens, dans une lettre du 3i janvier 1642 : sa philosophie, dans le premier traité du Monde, avait parlé français; mais maintenant elle ne parlera plus que latin. Dans cette même lettre, il confie à son ami que c'est bien là, en effet, sa philosophie, autrement dit son Monde, qu'il se décide enfin à publier ^ Nous avons constaté déjà, par une étude compara- tive de ce Monde, tel qu'il était prêt à paraître en i633, et de trois parties, IL, IIP et IV% des Principes en 1644, qu'on y retrouvait exactement les mêmes matières, bien que traitées différemment ^ On se pose même, à ce sujet, une question ? Pourquoi quelqu'un a-t-il pris la peine de retraduire en français

a. Tome V, p. 338, 1. 6-9.

b. « le le trouue fort bien fait », dit-il cependant. Tel ne fut pas l'avis du grand Huygens : « Le portrait étoit bien mal fait. » (Cousin, Frag- ments philosophiques, i838, t. II, p. i55.)

c. Tome VIII, p. xvin.

d. Tome VI, p. 5i5 et p. 5i8.

e. Tome III, p. 523, 1. i3-2i.

f. Tome XI, p. 698-706. Et ci-avant, p. 146.

�� � Pi<iN(;ii>i-:s i)F. i.A Piiii.osoiMiin:. ^^9

le texte latin des Principes? N'était-il pas plus simple de donner la rédaction primitive du i\/c>m/t', qui était l'original ? Mais il y eût eu à cela quelques diflicultcs. Le Monde, pour devenir le livre dos Principes, avait subi certaines modifica- tions, pour le fond aussi bien que pour la forme, à cause du mouvement de la terre, (^'était donc un autre ouvrai^c, bien que ce fût aussi le même; et il avait besoin d'être traduit. Un ami s'en changea, l'abbé (Claude Picot, ami de fraîche date, semble- t-il, qui s'était enthousiasmé en 1G41 pour la philosophie nou- velle, avant même de connaître le philosophe '. 11 avait d'abord été plutôt un adversaire; mais subitement, la lecture des Alêdilalions le convertit, et il ne manqua pas d'apporter à la défense de la doctrine qu'il embrassait, tout le zèle d'un néo- phyte. 11 vint en Hollande, sur la fin de 1641, et Descartes lui donna l'hospitalité ainsi qu'à un ou deux amis pendant quelques semaines à Mndegeest. On paraît même s'être honnêtement diverti en si bonne compa<;nie. I/un des hôtes fut peut-être (bien que le fait reste douteux) ce Desbarreaux, que Descartes avait connu autrefois à Paris : homme de plaisir, s'il en fût, et en tout genre franc libertin'. Picot aussi était un bon vivant, à

a. '1 oiiic IIJ, |>. .<4o, I. ;<-6 : Ju i8 mars ib^i.

11. Ibid.. p. S'.<2, l.6-<j; p. 38S, I. ■i\-i^\ p. 45o, 1. i5-i6, cl p. 452, 1. S-.\ : Icuics du 4 mars, 23 juin cl 17 nov. 1Ô42. Vcjir aussi, p. 55i, I. ■J^-2^ : ilu iS mars 1(142. l'icoi ctaii parii.

c. Voir ci avaiii, p. yij, uoïc a. Revenons sur celle quesiion de Dcs- harrcaux. ICs'-il venu, oui ou non, visiter Dcscaries en Hollande l' Le seul passap.e d'une Iciirc de Descartes ijui pourrait le faire croire, demeure cnii-maiiciue, 4 mars 1O41 (i. III, p. 332, I. 6-1)) : il est bien question d'un .- Conseiller .>, mais dont Descarlcs ne dit pas le nom. Clerselicr ne le nomme pas davantage : éditeur timOrc, pcut-ctrc ne lenaii-il pas pour son ami à cette lrc-i|ucniati<>n suspecte, cl l'a-l-il omise il ilessein ? Haillci nomme Desharreaux IVic de Desc, i. II, p. ijfjj, sans ipi'on saclie s'il avai( ce nom sous les yeux dans une lettre à Mersenne, an|ourd'luii pei due, celle du jj mai i<)4i, par exemple M. III, p. 3-8 61 .<()oi. Aux didicultés .pic nous avons indiquées, p. 7<)-Ho ci-avani, s'ajoute .)ue Desbarreaiix, ijui s'éiail mis en route « pour ecumer les délices d< • Friince -, n'Hvaii rien de pareil qui latiirai en IlolUude, sinon la con veriaiioii du pliilnsoplie. Ce qui n'empéclie pas que Dc-scartes et Dcsbar-

��le

�� � j6o Vie de Descartes.

qui la métaphysique n'avait point donné un visage morose ni des habitudes austères : il préférait d'ailleurs la physique. Plus tard, il sut mourir gaîment, comme il avait vécu, et sa fin, somme toute assez philosophique, fournit à Tallemant des Réaux " une de ses bonnes historiettes. Sitôt donc les Prin- cipes publiés en latin. Picot se mit à les traduire. Descartes était alors en France; avant de retourner en Hollande, il avait déjà reçu la première et la seconde partie, mises en français *".

reaux om fort bien pu se connaître à Paris, de 1 626 à 1628. « J'ai été jeune » autrefois », avoue sans fausse honte notre pliiiosophe : Nuper enitn juvenis fyi. (Tome VIII, 2' partie, p. 22, 1. 7.) Cela rappelle le mot de Racine à La Fontaine : « J'ai été loup avec vous, et avec les autres loups

  • vos compères. » [Œuvres de Racine, édit. Hachette, i865, t. VI,

p. 416.)

a. Claude Picot était fils d'un receveur général des finances à Moulins, Jean Picot. Il avait deux frères, Antoine, conseiller à la cour dis aides de Paris, et François, auditeur des comptes. II avait aussi deux sœurs, l'une mariée à M. Hardy, maître des comptes et cousin du conseiller au Chàtelet, l'autre à M. Pinon, maître des requêtes, tous amis de Descartes. (Baillet, loc. cit., t. I, p. 147.) Balzac nomme Picot en compagnie de Desbarreaux : « les Picots et les Des Barreaux », dit-il à Chapelain. {Mélanges historiques, Impr. Nat., 187?, t. I, p. 540.) Et Tallemant des RiÎAUx ne parle de Picot que dans son Historiette sur Des Barreaux. « Il » (Des Barreaux) prêche l'athéifme partout où il fe trouve, & une fois il » fut à Saint-Cloud chez la Du Ryer paffer la femaine fainte,avec Miton, » grand joueur, Potel, le confeiller au Chàtelet, Raincys, Moreau & Picot, » pour faire, difoit-il, leur carnaval... Picot mourut à peu près comme » il avoit vécu; il tomba malade dans un village; il fit venir le curé & lui » dit qu'il nt' vouloit point qu'on le tourmentât & qu'on lui criaillât aux

  • oreilles, comme on fait à la plupart des agonifants. Le curé en ufa

» bien, & il lui donna par fon teftamCnt trois cents livres; mais comme » il vit que le curé, le croyant expédié, ou peu s'en falloit, fe mettoit à » criailler comme on a de coutume, il le tira par le bras, & lui dit : » Sache:{, galant homme, fi vous ne me tene\ ce que vous m'avez promis, » qu'il me rejie encore aj[fe\ de vie pour révoquer la donation. Cela ren- » dit le curé plus fage, & l'abbé expira assez en repos. » (Tallemant des Réauxj Historiettes, p. p. Monmerqué, 3' édit., t. V, p. 96-97.) Picot mourut le 6 nov. 1668. Son nom apparaît pour la première fois dans la correspondance de Descartes à la date du 18 mars et peut-être du 4 mars 1641. (Tome III, p. 332, 1. 7, et p. 340, 1. 3.)

b. Tome IV, p. 147, 175 et 180 : lettres du 8 nov. 1644, des 9 et 17 févr. 1645.

�� � Principes de la Philosopihe. j6i

Le reste vint le rejoindre à Egmond. Ii!t à ce propos une ques- tion encore se pose. Il a existé de cette traduction un manus- crit, aujourd'hui perdu, manuscrit autographe qui commenaiit à l'article 41 de la troisième partie : ce manuscrit pouvait lairc croire qu'à partir de là jusqu'à la fin la traduction était de Descartes lui-même, et non de Picot; bien mieux, ce n'était plus une traduction, mais le propre texte, et un texte français, du philosophe '. De fait, nous savons que quelques parties peut- être, ne fût-ce que celle qui est relative à l'aimant, ont été au moins résumées par lui en français pour son ami l^oUot, qui ne savait pas le latin. Et nous savons aussi que la traduction française contient de nombreuses additions, lesquelles sans doute Picot n'eût point osé faire de son autorité, et qui, par conséquent, sont de Descartes. C'est même ce qui permet de résoudre le problème. Qui donc, en effet, pouvait insérer, cha- cune à sa place, toutes ces additions dans le texte déjà traduit, sinon l'auteur, et nul autre que lui ? Et il l'aura fait en recopiant le tout de sa main, travail délicat que lui seul encore pouvait faire, ce qui explique qu'il en ait pris la peine. C'est ainsi que nous avons deux textes pour les Principes de la Philosophie : le texte latin, publié d'abord en 1644, et un texte français, publié en 1G47, traduction du premier pour la plus grande part, et pour le reste addition de Descartes lui- même. 11 ne sera pas sans intérêt de noter, chemin faisant, en quel sens ont été faites les additions : quelle préoccupation ou arrière-pensée ne révèlent-elles pas çà et là?

Descartes s'intéressait trop au sort de ses ouvrages, pour ne pas préparer les voies à ses Principes, comme il avait fait à ses Méditations. Rome l'inquiétait toujours; et c'est du Saint- Oflice qu'il voulut s'assurer d'abord, à cause de la dangereuse question du mouvement de la terre. Notre philosophe se sou-

a. l'omc IX (2° partie), p. lui, noie a. Voir surtout p. x-xviii.

b. Tome IV, p. -jS, I. S-y : du i"^' janv. 1644.

c. ToiMc IX, i paitiu, p. ix-xviii.

ViB i)K Descartes. 46

�� � }62 Vie de Descartes.

vint du cardinal qui avait encouragé ses débuts, Guidi di Bagno, nonce du pape en 1628 à Paris, où on l'appelait M. de Baigne '. Celui-là au moins n'était pas hostile de parti pris aux idées nouvelles : un savant de Belgique, Godefroy Wendelin, rappelle qu'il avait soutenu devant ce prélat l'opinion de Copernic; c'était, il est vrai, avant la condamnation de Galilée. Descartes n'avait pas oublié un tel personnage : en 1637, il lui réserva un exemplaire du Discours de la Méthode et des Essais, qui dut lui être envoyé à Rome avec une lettre personnelles On ne sait si l'envoi parvint à son adresse; la chose est probable cependant, car Baigné, de son côté, n'oubliait pas non plus Descartes, et en 1640 il fit demander par son secrétaire, Naudé, des nouvelles du philosophe. Mer- senne ne manqua pas d'en informer celui-ci '^, qui put voir là un nouvel encouragement et presque une invitation à publier quelque chose. Aussi profita-t-il avec empressement de cette occasion qui s'offrait; il recommanda à Mersenne de faire savoir à Rome que, si la publication de sa philosophie tardait quelque peu, c'était à cause du mouvement de la terre : qu'on voulût bien là-dessus «sonder le cardinal "^ ». Malheureuse- ment, Baigné mourut le 25 juillet 1641'. Sans doute il n'avait pas eu le temps de répondre, et peut-être aussi n'aurait-il pas répondu. Mais le silence même pouvait passer pour un acquies- cement ; en tout cas, ce n'était point une défense ni une interdiction.

Descartes se tourna d'un autre côté. L'affaire du P. Bourdin l'avait remis en relations avec les Jésuites, et nous avons vu

a. Voir ci-avant, p. 93 et p. 2i8-2-i<).

b. T(jnie I, p. 290 : lettre âc Wondclin, i5 juin i6!^3.

c. IbU., p. 195, 1. i')-24. l'oino II, p. 464, I. i(i-i'.i, L'i p. 565, I. (1-17 : Ictircs de dcic. i638, ei du ifj juin iftv).

d- 1 'Mlle 111, p. 234-:i;i;i : du 11 no\'. 1O40.

e. /bid., p. 2?8-259 : dcc. 1640.

f. (jui Patin écrivait à M. Hclin, mcdccin a Troyes, le 22 août 1641 : ■1 Le cardinal Bagnv cit mon 'a Kcuiic; nous v perdons, car il eltoit grand » amy de \n France •■ {Lettres de Gui Paliu. l£dii. 1' Triaire, 1, 1, 1907,

p. iOD.)

�� � Piv'iNc.irivS hi': i.A Piiii.osoniii-. jh]

qu'il s'adressa à leur iMOviiuial de Paris, (]ui ?e liouvail être son ancien, préfet des études au collèjnc de I ,a Flèche, le l\ Dinel. Or la dernière paj^e de sa Lclhc à Diiicl, publiée avec la secomie édition des McJiUitioiis en mai i<i-|-î, n'est rien moins (|ue l'annonce des Principes'. 11 demande à ses anciens maîties leur assentiment, et subordonne même à cela sa publi- cation : s'ils ne veulent pas, tout est dit, il ne pui)licra rien, line fois de plus, la tactique était liabile. Comment se prononcer davance, en elVet, contre un livre (|ui nest pas encore pid)lié, et (pie par conséquent on ne connaît pas? lu pourtant on le connaît bien un peu, si Ton en ju<;c par les J:ssais <]ue le |iliiIo- sophe a donnés en ir)37, et par les Mcdilalimis de \(\\\ . \'X le jut,fcnient ne saurait être que favorable, Descartes s'élant i;ardé de rien mettre dans ces deux livres qui s'écartât de l'ortliodo.xie. Sollicité ainsi, tle donner son avis, le 1*. Dinet ne jîouvait opposer un relus à son ancien élève; et celui-ci était en droit d'escompter son approbation. I,e .lésuite, dont nous n'avons pas la réponse, demanda seulement un sommaire de louviaf^e annoncé : nous savons (jue Descai tes lui envoya les titres des chapitres, en lO.p^'". Il avait reçu, en même temps, une bonne lettre d'un autre .lésuite, celui qu'il appelait « son » second père », lÀienne Charlct, alors assistant du j^énéral à Rome. Ces hautes protections devaient le rassurer pour son livre, surtout s'il eut en outre connaissance du maj:i^ni(iquc ouvrai^c qui parut cette même année i()4'^, V Ilydrof^raphie du P. Georges Fournicr, un .lésuite encore, et qu'il avait proba- blement connu à La l' lèche'. Non seulement le nom de « M. Des Cartes, gentilhomme breton », s'y trouve cité avec honneur; mais des pages entières et presque des chapitres de la Dioptrique et des Météores y sont reproduits à la lettre, sans indication de provenance, il est vrai. Mais notre philo-

a. Tome VII, p. 599-603.

b. Tome III, p. 6oy, I. 4-14, cl p. (i3<>, I. 1-7 : Icurcs du 4 janv. ci du a3 mar.s i(i43.

c. Voir ci-avunt, p. 1H6, non.' b ; p. 20'), iioïc b\ p. 2o3. iiou: a, etc-

�� � 564 Vie de Descartes.

sophe n'eut garde de réclamer, trop heureux sans doute de cet acquiescement d'un Jésuite à ses doctrines, et d'une telle faveur venant de la Compagnie. Il était vengé des attaques du P. Bourdin. Aussi ne fera-t-il point difficulté de se réconcilier avec ce dernier à Paris, au cours de son voyage en 1644-' ; et lorsque les exemplaires des Principes lui seront envoyés de Hollande, c'est au P. Bourdin qu'il confiera le soin de les dis- tribuer, avec des lettres pleines d'un affectueux respect, aux PP. Charlet, Dinet, etc., sans oublier le P. Fournier.

Mais aussi que de précautions prises pour les désarmer ! A la fin de la première partie des Principes et à la fin de la quatrième, et maintes fois encore au cours de l'ouvrage, il proteste de son respect pour la vérité religieuse et pour la révélation; il se déclare prêt à abandonner ses opinions, pour peu qu'elles n'y soient point entièrement conformes . Se moque-t-il au fond ? Car enfin il a l'air ainsi de se désavouer lui-même et de se rétracter par avance. L'hypothèse de Copernic, celle de Tycho-Brahé% ont eu le tort de supposer le mouvement de la terre : opinion condamnée, et d'ailleurs absurde et tout à fait contraire au sens commun (surtout si l'on entend le mouvement d'une certaine façon). Descartes propose un autre système différent qui, selon lui, doit tout sauver : les droits légitimes de la science et l'autorité des livres saints*^. Il va jusqu'à dire que sa propre hypothèse, celle dont il part ensuite pour montrer comment toutes choses se sont formées, n'est pas vraie, et que même elle est certaine- ment fausse, et qu'il ne l'a proposée que comme un exemple de la manière dont on peut expliquer la formation du monde*'. Mais sans doute Dieu a créé du premier coup la terre, avec les plantes et les animaux et l'homme, comme nous les voyons

a. Tome IV, p. 139-144.

b. Tome VIII, p. 14, p. Jg et p. 32cj, p. 99-100, etc.

c. Il est question de Tyclio-Biahé, i. H, p. 559, 1. i5-iû : leiire du 19 juin 1639.

d. Tome VIII, p. 86. f. Ibid., (). 99-103.

�� � aujourd’hui ; et cela est bien plus cligne de sa perfection, que s’il avait laissé seulement la matière parvenir d’elle-même peu à peu à l’état actuel, en passant par tous les états intermédiaires. Cette formation lente et successive satisfait davantage notre esprit curieux de comprendre et de savoir ; mais elle ne remplace pas la création. Descartes l’avait déclaré déjà, par précaution en 161^7’; il le redit plus fortement encore en 1644, en affectant une sincérité qui, sans doute, n’était pas au fond de sa pensée : mais n’était-ce pas aussi la faute des circonstances, s’il se croyait forcé à de telles déclarations ? Il y gagna tout au plus de ne pas voir ses livres condamnés à Rome de son vivant : l’inévitable mise à l’index fut retardée jusqu’en i663, treize ans après sa mort.

Cependant les Principes furent attaqués en France presque au lendemain de leur publication. Un Jésuite, ce qui dut être sensible à l’auteur, le P. Honoré Fabri, s’en prit à la matière subtile, c’est-à-dire au fondement même de la physique de Descartes, dans une « Philosophie universelle », Philosophia universa, publiée en 1646. Mersenne en prévint aussitôt son ami, qui, comme d’habitude, s’émut plus que de raison. Avant même d’avoir vu le livre, il écrivit au P. Charlet, qu’il croyait toujours assistant du général à Rome, et qui était maintenant provincial à Paris. Cette lettre, du mois d’août 1046, est intéressante’. Descartes y revient à son projet de 1640 : prendre un manuel de la philosophie de l’Ecole, et de préférence cette fois le manuel d’un.lésuite, le publier avec des notes critiques, chapitre par chapitre ; d’où une réfutation en règle, et qui ne laisserait rien debout. Seulement Descartes, plutôt que d’entreprendre lui-même cette tâche, la laisserait faire à un ami,

a. Tome VI, p. 45, l. 4-22.

b. Tome IV, p. 498, 499, 554, 5^5, 58X ci () ? 64)’37 : lettres du 7 sept., 2 nov., 14 duc. 1^)46, et du 2^ avril 1647, où DLScartcs, ayant enfin reçu le livre, reconnaît que ses craintes étaicni mal loiidées.

c. Tome III, p. 269, lettre mal datée, et qui n’est pas à sa place. Il convient de la renvoyer à la seconde quinzaine d’août, comme on voit par ces passages ; t. IV, p. 498, I. y-12, p. 585, et surtout p. 587-588.

�� � j66 Vie de Descartes.

dit-il, qui ne demandait qu'à s'en charger. N'était-ce pas là une feinte, assez invraisemblable d'ailleurs, puisque le destinataire de la lettre est le P. Charlet, en qui Descartes paraît avoir eu toute confiance ? Et cet ami supposé n'aurait-il été qu'un prête- nom, cachant mal le véritable auteur, à savoir notre philosophe en personne ? Ou bien quelqu'un, en effet, s'était-il offert à lui rendre ce service, et n'attendait-il pour cela qu'un mot d'ordre et des instructions? On penserait volontiers à l'abbé Picot. La réponse du P. Charlet est ce qu'elle pouvait être"": « il ne » trouvera point mauvais si, sans attaquer personne en parti- » culier, on dit son sentiment, en général, de la Philosophie » qui s'enseigne communément partout ». Et de fait, comment empêcher cela ? Descartes sollicitait une permission, qui ne pouvait lui être refusée. 11 renonça cependant à ce projet, qui peut-être aussi n'était qu'une menace en l'air, pour calmer chez les Jésuites des velléités combatives ; et d'ailleurs, si l'un d'eux, le P. Fabri, l'avait attaqué, un autre, le P. Etienne Noël, venait, dans deux livres récents, de faire son éloge ; ceci contrebalançait cela, et c'était un dédommagement .

Néanmoins il voulut faire la comparaison des deux philo- sophies, l'ancienne et la nouvelle, comme en raccourci dans un même tableau, et les présenter au lecteur, qui serait juge. Déjà toute la conclusion des Principes '^^ n'est pas autre chose : Descartes examine rapidement la doctrine d'Aristote et celle de Démocrite^ et en fait la critique. Mais c'est dans la préface de la traduction française qu'il s'explique nettement, et cette préface, annoncée au P. Charlet en décembre 1646, s'adresse en 1647 au traducteur, l'abbé Picot. La forme grammaticale en est curieuse : Descartes parle au conditionnel, j'aurois voulu

a. Tome IV, p. 587, 1. 6-U). La réponse du P. Charlci est perdue; mais Descarics en reproduit les termes dans sa lettre de remerciemeni.

b. Ibid., p. 584, 1. ')-i6 : Sol flamma et Aphorijhn Pliy/ici. Lettre du 14 déc. 1646.

c. Tome VIII, p. ■323-'-i2tJ, et t. 1\ (2^ partie», p. l^iS-32o : Partie IV, art. 200-203.

d. Tome IV, p. 588, 1. 5-q

�� � Principes de i.a Piiii.osoimiik. j6j

premièrement expliquer, j'aurais ensuite /ail considérer, etc. ■'. Si l'on suppléait ce qui manque, le discours serait à peu près tel : « Si vous vouliez comparer l'ancienne et la nouvelle » philosophie, vous pourriez dire telle et telle chose, etc. » l'A ceci ressemble bien aux conseils que, disait-il dans sa lettre au P. Charlet, il donnerait à l'un de ses amis. Picot répondit d'ailleurs. La lonsi^ue épître composée l'année suivante, à la date du 6 novembre 1648, et qui sert de préface au petit Traité des Passions^, est bien une réponse à la préface des Principes en français, de 1647 ; et comme celle-ci était adressée à l'abbé Picot, l'auteur de la réponse ne peut être que ce dernier. Aussi bien y parle-t-il à peine des Passions; mais il s'étcnil avec complaisance sur les raisons que Descartes avait données de ne point achever la cinquième et la sixième partie de ses Principes, et surtout sur le caractère de la philosophie nou- velle, opposée aux Anciens ; il montre à merveille quelle en est la portée, et les conditions de son progrès. Ces deux préfaces de 1647 ^* ^^ 1648, jointes à la conclusion du livre de 1644, complètent le plan que Descartes annonçait à Mersenne dès 1640 : donner d'abord une exposition de sa philosophie, puis un abrégé de celle de l'Kcole, et terminer par une comparaison des deux. La seconde partie du plan est sans doute laissée de côté, comme moins nécessaire; mais la plus importante, qui est la troisième, bien que seulement esquissée, a reçu une sufnsante réalisation. Dès 1G47, l^icot aurait pu tenir le propos qu'on prêtera plus tard à un péripatéticien au banquet (jui suivit les funérailles de Descartes à Paris, le 24 juin 1667: « L'ennemi est dans nos murs : et voici que croule de fond » en comble notre antique cité. »

Hostis habcl muras : mit alto à culmine l'roja' .

a. Tome IX (2» partie), p. 1, 1. k<-i4 ci I. 16-17 ; P- 2, ■■ 5 , p. <, I. 6; p. 4, 1. 3i ; p. 9, I. r.<-i4 ; p. 1 i, I. 20 ; p. 1 S, I. i5, etc.

b. Tome XI, p. 301-322.

c. Baillet, i. II, p. 442. La citation""csl de Virgile, .Kn., Il, njo.

�� � CHAPITRE V

PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE

(suite)

��Le livre des Principes de la Philosophie devait tout d'abord comprendre six parties : « Principes de la connaissance. — » Principes des choses matérielles. — Le Ciel. — La Terre. » — Les plantes et les animaux. — L'homme. » Mais Des- cartes n'en acheva que quatre, les expériences, dit-il, lui fai- sant défaut pour traiter les deux dernières : « les plantes et » les animaux » et « l'homme^ ». Plus d'une fois d'ailleurs il

a. Voici, à titre de curiosité, comment était divisée la Physique dans le Cours de Philosophie du « Feuillant », Eustache de Saint-Paul : Summa Philofophice, etc., i" édit. en 1609, et 2= édit. en 161 1. Nous sui- vrons la pagination du t. II de cette seconde édition.

Physica.

Pars I. De Corpore naturali generatim. (Pages 9- 121.) Pars II. De Corpore naturali inanimato. (Pages 122-254.) Pars III. De Corpore naturali animato. (Pages 254-455.)

Voici maintenant les subdivisions de ces trois parties.

Pars L

Primus Traîlatus. De principiis rerum naturalium — generatim, — fpeciatim (de materia, forma, privatione) ; — de natura & compofito natu- rali. (Pages 9-5 1.)

Secundus Traflatus. De caujts rerum naturalium. De caufis in génère. De quatuor caufarum generibus. De caufis per accidens. (Pages 51-74.)

Tertius Tradatus. De communibus rerum naturalium proprietatibus . De

�� � Principes de la Philosophie. 369

se trouva arrêté, chemin faisant (comme dans la troisième partie, au sujet du vif-argent), faute d'expériences.

Des quatre parties publiées en 1644, la première est un abrégé de métaphysique, et les trois autres comprennent la physique, dont cette métaphysique fournissait les fondements. La première partie, comparée aux trois autres, est à peine le neuvième et même le dixième de tout l'ouvrage ' ; on ne pouvait guèr^ la réduire davantage, et c'est le minimum de métaphysique, nécessaire, semblait-il, à toute physique en ce temps-là. Non moins que cette brièveté, la place que donne Descartes à la métaphysique dans l'ensemble de sa philoso- phie, est significative. Les manuels en usage dans les collèges plaçaient la métaphysique après la physique, tout à la fin par conséquent . Descartes fait le contraire : il commence par la métaphysique, et ce renversement de l'ordre traditionnel

Quantitate, vbi de Injinito. De Loco, vbi de Vacuo. De Tempore. De Motu. (Pages 74-121.)

Pars II.

Primus Tractatus. De Mundo & Cœlo. (Pages 122-176.) Secundus. De FAementis. (Pages 177-224.)

Tertius. De Corporibus mixtis, — imperfeâis {feu Meteoris), — per- feâis. (Pages 224-254.

Pars III.

Primus Tracïatus. De Anima generatim. (Pages 255-290.) Secundus. De Anima végétante. 'Pages 290-336.) Tertius. De Anima fentiente . (Pages 336-408.) Quartus. De Anima rationali. (Pages 408-455.

a. Tome VIII, p. 5-39 {P^rs prima], p. 40-79 [secunda), p. 80-202 (tertia), et p. 2o3-329 [quartaj.

b. L'ouvrage complet, cité p. 23, note c, est ainsi intitulé : Summa Philojophiœ Qiiadripartita. De rébus Dialeâicis, Moralibus, Phyficis & Metaphyficis. Authorc Fr. Eustachio a Sancto Paulo Ex Congregatione Fulienfi, Ordinis Cillercienfis. Editio fecunda. (Parifiis, Apud Carolum Chalkllain, via lacobeâ fub ligno Conrtantiie. CID IDC XI.)

Ces quatre parties ont chacune l'importance relative que voici : Tomus I. Dialeâica. pp. 268 cum indice 12 pag.). Ethica, pp. 194 (plus 12 . Tomus II. Phyfica, pp. 455 (plus 21). Metaphyfica, pp. 126 (plus 8).

Vif de Descartes. 47

�� � n’était rien moins qu’une révolution. La philosophie ne consiste plus à s’élever des choses visibles aux choses invisibles, du monde à Dieu, la métaphysique étant comme un degré supérieur, au-dessus duquel on ne trouverait plus que la science suprême ou la théologie. La philosophie est simplement l’explication du monde au moyen de principes que la métaphysique est appelée à garantir ; celle-ci est donc comme le point de départ nécessaire, pour passer aussitôt à la physique. Sans aller jusqu’à dire que, de parti pris, elle se détourne de la théologie, ce n’est pas cependant cette haute connaissance qu’elle a surtout en vue ; elle vise presque uniquement et exclusivement la science de la nature, et son but principal est de fournir à celle-ci les principes dont elle a besoin.

Nous retrouverons donc, dans la première partie des Principes, ce qui avait déjà fait l’objet des Méditations, et Descartes l’intitule à dessein « Principes de la connaissance ». L’ordre même n’est changé que sur un point : la preuve de l’existence de Dieu par son essence n’est plus la troisième, mais la première, comme la plus intuitive. Les deux autres ne viennent qu’ensuite : preuve de Dieu par son idée dans notre esprit ; et preuve de Dieu par l’existence de notre esprit avec une telle idée en lui[1]. La comparaison prise de l’idée d’une machine artificielle, laquelle idée a besoin d’une cause qui l’explique, ne figurait que dans les Réponses aux Objections, et non point dans les Méditations : Descartes l’introduit dans les Principes[2]. Pour tout le reste, l’ordre suivi est à peu près le même. On retrouve notamment cette correspondance que nous avons signalée entre la fin et le commencement : de part et d’autre, c’est la question de l’erreur, non pas en général (la Principes de la Philosophie. jji

théorie de l'erreur est à sa place, au centre de la discussion), mais des erreurs réelles que nous commettons dans la recherche de la vérité, avec leur dénombrement au début, et à la fin leurs causes et leur eflPet, qui est de fausser la philosophie : témoin la scolastique. Toutefois Descartes marque ici, plus nettement qu'H n'avait fait, la part du libre arbitre : l'erreur s'explique par une faiblesse de la volonté, qui se laisse aller; le doute, qui est comme la libération de l'esprit, est un acte d'énergie par lequel se reprend et se ressaisit cette même volonté ". Notre philosophe insiste aussi, plus qu'il n'avait fait, sur l'idée d'in- fini, Dieu ayant été dans les Méditations considéré plutôt comme l'Être parfait. La différence est grande, cependant, et n'irait à rien moins, si on la suivait jusqu'au bout, qu'à diriger la métaphysique dans le sens de la morale plutôt que de la science. Mais Descartes n'envisage pas cette éventualité. L'idée d'infini le conduit seulement à deux applications, d'ordre scientifique l'une et l'autre : infini de grandeur, les espaces s'ajoutant aux espaces indéfiniment ; infini de peti- tesse, la matière étant divisible à l'infini. Un champ immense s'ouvre ainsi des deux côtés à l'esprit humain pour la connais- sance de l'univers. Mais prudemment Descartes a substitué à l'infini, mot dangereux, celui d'indéfini. Il ne faisait que suivre en cela d'abord la pente naturelle de son esprit : il avait le sentiment que celui-ci est fini ; toute affirmation, que les choses sont infinies, ou qu'elles ne le sont pas, l'aurait égalé à l'infinité divine : ce qui eût été le comble de la pré- somption. Et cette attitude réservée n'était pas moins conforme à la prudence de son caractère : il évite de se prononcer sur le sujet si dangereux de l'infinité du monde, et ne répond pas là-dessus aux théologiens. Il fait mieux, il prévient toute question indiscrète de leur part ; et par là-même il écarte les difficultés scientifiques, qui viendraient de la considération

a. Tome VIII, p. 17-21, et t. IX (2' partie), p. 38-43 : an. xxxi-xliv.

b. Ibiii., p. 14-15 : art. xxvi et xxvii. De nicme. p. 5i-52 : Pars II*, art. XX et XXI.

�� � J72 Vie de Descartes.

des causes finales ^ : notre esprit ne saurait, sans une imperti- nence ridicule, prétendre pénétrer les desseins de Dieu. Et il écarte aussi toute difficulté théologique, tirée de la pré- ordination divine, incompatible, ce semble, avec la liberté humaine. Gassend avait attiré là-dessus son attention ^, et Descartes, bien qu'il se fût déjà expliqué, y revient dans ses Principes. Faut-il aussi attribuer à une précaution de sa part la place relativement large qu'il fait à la scolastique dans cette première partie ? Le problème des « universaux » y est traité, et Descartes reprend ces « distinctions réelles, for- » melles, modales*^ », auxquelles il avait touché déjà, à la fin de sa réponse à Caterus. Sa philosophie satisfait à tout : loin de rejeter avec mépris les questions en honneur dans l'École, elle les traite à sa manière et montre qu'elle peut aussi les résoudre. Une philosophie nouvelle ne remplace bien celle qu'elle prétend détruire, que si elle en utilise les débris comme des matériaux pour ses propres constructions.

La seconde partie, intitulée « Principes des choses maté- » rielles », accentue encore plus, si possible, les ressem- blances et les différences de l'ancienne philosophie et de la nouvelle. Dans l'École on traitait, sous ce même titre, quatre grandes questions : « de la quantité » (et à cette occasion, de l'infini), « du lieu » (et à cette occasion, du vide), a du temps », et enfin « du mouvement  ». Les deux premières questions deviennent, pour Descartes, celles de l'étendue et de la matière, identiques Tune à l'autre : le vide est donc exclu,

a. Tome VIII, p. i5-i6 (art. xxviii), ei p. 20 (art. xl et xli).

b. Tome VII, p. 3o8 et p. 374-375. Tome VIII, p. 80-81.

c. Tome VIII, p. 24-32 (art. li à lxv inclus) : fubjlantia, attributa, modi, qualitates, univerjalia, dijlinâio realts & modalis, diJlinSio rationis.

à. EusTACHius A S'o Paulo, ou « le Feuillant », Summa Philofopht<r, &c. (édit. i6ii). Phyfica. Pars I", trailatus 3"^ : De Qiiantitate, vbi de Infi- nito (p. 75-86). De Loco, vbi de Vacuo (p. 86-93). De Tempore (p. 93-98). De Motu (p. 98-121).

�� � Principes de la Philosophie. ^7^

et il combat avec vigueur les préjugés à cet égards II parle à peine du temps ; et l'essentiel de cette seconde partie est, pour lui, le mouvement. Il en définit la nature, et en établit les lois, au nombre de trois, qu'il fait suivre de sept règles, conséquence ou explication de la troisième loi . Sa définition du mouvement n'est plus seulement celle qu'il avait proposée d'abord dans le traité du Monde : à savoir « l'action par » laquelle un corps passe d'un lieu en un autre '= ». Il reprend sans doute cette formule, pour bien montrer qu'il n'admet qu'un seul mouvement, le mouvement « local » ; c'est par un abus de langage que la scolastique donne le même nom de mouvement à toute sorte de changement. Mais il ajoute une définition nouvelle, à laquelle il se tiendra désormais ; et celle-ci semble n'être là que pour justifier par avance ce qu'il dira du mouvement prétendu de la terre. Qu'est-ce donc que le mouvement ? « Le transport d'une partie de la matière, ou » d'un corps, du voisinage de ceux qui le touchent immédia- » tement et que nous considérons comme en repos, dans le » voisinage de quelques autres '. » Cette définition lui per- mettra de soutenir ces deux paradoxes : dans le système de Tycho-Brahé, qui croyait laisser la terre immobile, elle se meut ; et dans son propre système, qui. paraît lui donner du mouvement, elle ne se meut pas. Le tout est de s'entendre.

a. Tome VIII, p. 71-73 : art. xvi à xix.

b. Ibid.p. 53-6o : art. xxiv à xxxiv inclus.

c. Tome XI, p. 40, 1. 2-5, et i. VIII, p. 53, 1. lo-ii, ou t. IX (2< par- tie), p. 75.

d. Voir ci-avant, p. i5o. Voir aussi a le Feuillant », loc. cit. : « Motus j> optimè definitur ab Ariftotele Aâus entis in potentià quatenus in » potentià. . . Ex. gr., acquifitio caloris eft motus, quia eft aflus feu per- » fec^io aqux quae calefit, quxque eft in potentià ad nouam aliquam » partem caloris quatenus continué ad eam pergit. » (Édit. i6n, t. II, p. 66-67.)

e. Tome VIII, p. 53, 1. 26-29; ^* *• I^ (2' partie), p. 76. Descartes ne cesse de renvoyer ensuite à cette définition : t. VIII, p. 77, 1. 9-10; p. 85, 1. 29-30; p. 90, 1. i2-i3 et 1. 15-17, etc. . .; et t. IX (2' partie), p. 100. 109, II 3, etc.

�� � 374 Vie de Descartes.

Descartes a pressenti le reproche qu'on pouvait lui faire; et plus tard il se défendra : il est prêt à jurer devant Dieu, dira-t-il, qu'il ne pensait guère aux conséquences, lorsqu'il proposait ses hypothèses; ce n'est qu'ensuite et après coup que, par celles-ci, tout se trouvait expliqué^. Croyons-le donc, puisqu'il le dit, pour ses hypothèses cosmogoniques ; nous avons peine à le croire pour sa définition du mouvement.

Les lois du mouvement sont au nombre de trois"". Selon la première, « chaque chose demeure en l'état où elle est, tant » que rien ne la change » : en repos donc, si cet état est le repos ; en mouvement, si cet état est le mouvement. Ainsi l'exige l'immutabilité divine. Dans la philosophie de l'École, tout mouvement n'avait d'autre but que le repos, qui était sa fin naturelle : singulière philosophie, où une chose n'atteint sa perfection qu'en cessant d'être elle-même, pour devenir son contraire ". Et Descartes de se moquer en passant.

Selon la seconde loi, qui dans son traité du Monde était la troisième, « tout corps qui se meut, tend à continuer son » mouvement en ligne droite ». L'Ecole soutenait, depuis

a. Tome V, p. 170: du 16 avril 1648. Au commencement de l'alinéa, lire plutôt : haud videtur Jatis Jimplex (au lieu de paulo videtur. . .); à quoi Desrartes répond, en insistant : EJi certè fatis Jimplex . . . Valde ejl Jimplex. Voir aussi t. VIII, p. 99, 1. 4-6.

b. Tome VIII, p. 6i-63 (art. xxxvi à xxxviii), p. 63-65 (art. xxxix), et p. 65-67 (art. XL à XLii). Ou bien t. IX (2» partie), p. 83-85, p. 85-86. p. 86-89. Voir aussi t. XI, p. 38-40, p. 43, et p. 41-43. Enfin ci-avant, p. i5o.

c. EusTACHius A S'° Paulo, Summa Philofophiœ. Pars III» : Phyfica : « Quod fpeclat ad quietem, fciendum eft illam dupliciter vfurpari : » vno modo pro folà cuiufuis motûs priuatione, quo modo non eft » vera rerum naturalium propriétés ; altero modo pro exiflentià mobilis » in luo debito & naturali ftatu, fiue quoad locum, lîue quoad quantita- » tem aut qualitatcm, fed prœfertim quoad locum, quatenus in eo quali » naturali & patrià fede fefe melius tuetur, ac totius vniuerfi ordinem & 1) pulchritudinem feruat. Et quidem (1 iuxta hune pofteriorein fenfum M quies accipiatur, fané elt finis iplius motûs naturalis, ac proinde pro- » prietas rei naturalis perfetlior ipfo motu; quare natura non tantùm » motûs, fed etiam quietis principium definitur. » (Edit. 161 1, t. Il, p. loi.) Voir t. VIII, p. 53, 1. 2-4.

�� � Principes de i.a Philosophie. ^7^

Aristote, que le mouvement circulaire est le mouvement par- fait, dont nou5 avons constamment sous nos yeux le plus bel exemple dans le mouvement du ciel. C'était un préjugé à ren- verser, et Descartes invoque une seconde fois l'immutabilité divine : le mouvement circulaire suppose à chaque moment un changement de direction, et ne fait donc lui-même que changer. Mais Descartes en appelle aussi à l'expérience : la pierre s'échappe de la fronde en ligne droite, et lorsque nous la faisons tourner, nous la sentons bien qui tend à s'échapper ainsi. Au fond, le mathématicien impose ici, sans doute, ses conceptions au physicien. En géométrie, on étudie d'abord les lignes droites, et les figures limitées par des lignes droites ; puis on transporte aux lignes courbes, et aux figures limitées par des courbes, les propriétés ainsi étudiées d'abord.

Quant à la troisième loi, elle vise la rencontre ou le choc de deux corps : celui qui se meut, perd de son mouvement, juste autant qu'il en donne à l'autre; ou s'il n'en perd rien, sa direction au moins, qui est la détermination de son mouve- ment, chanoe. Loi contestée d'ailleurs, et abandonnée dès le xvii' siècle après les travaux de Huygens ^. On sait la place que la réflexion et la réfraction, mouvements particuliers de la lumière, tenaient dans l'œuvre de Descartes ; sans doute son esprit en a été influencé, et il aura imaginé cette troi- sième loi en vue des commodités qu'elle lui donnait pour ses explications.

Les sept règles qui suivent '^j se rapportent à cette troisième loi. Aucune d'elles ne se trouvait dans le traité du Monde". Mais, en 1644, la première édition des Principes les énonce, assez brièvement d'ailleurs, et presque sans commentaire. Descartes dut les reprendre et les remanier. Clerselier lui- même, en effet (et il n'était pas le seul), ne les comprenait pas bien. Le 17 février 1645, Descartes promit de les expliquer; un

a. Tome IX 2' partie, p. %6, note c de Paul Tannery.

b. Tome VII I, p. 67-70, et i. IX 1^ partiel, p. S0-9? : art. xliv à lui.

c. Voir ci-avant, p. i5o. Tumc XI, p. 47. 1. 4.

�� � 3/6 Vie de Descartes.

an après, le 20 avril 1646, il ne l'avait pas fait encore^; les expli- cations ne parurent que dans la traduction française de 1647. Plusieurs y trouvèrent toujours à redire : le P. Fabri, entre autres, jugeait ces règles fausses, et aussi un de ses disciples, Pierre Mosnier, docteur en médecine. Un religieux du même ordre que Mersenne, le minime Thibaut, écrit aussi que ces règles du choc des corps ne répondaient pas à la réalité : il en avait fait l'expérience en jouant au billard ou bien au jeu des grandes dames sur les tables du réfectoire, disait-il, avec les moines de son couvent . Mais Descartes lui-même était-il satisfait de ses propres explications ? Plus tard, dans une lettre à Chanut, il donne le conseil à la reine Christine de Suède, si elle veut lire sa philosophie, de passer précisément ces sept règles; et il indique l'endroit, dans la seconde partie, depuis l'article 46-. Sans doute il voulait épargner à une princesse régnante, qui avait autre chose à faire, une peine superflue. Mais nous avons encore un autre renseignement de même ordre. Schooten racontera plus tard à Christian Huygens le jeune, que Descartes hésitait d'abord à insérer dans son livre les règles du mouvement : donc il ne les jugeait pas nécessaires à l'intelligence de sa physique. Un des premiers admirateurs du philosophe en Hollande, Jean de Raey, reconnaissait, en effet, que, sauf une, elles ne pouvaient servir à rien; et Huy- gens sera tout à fait de cet avis'^.

a. Tome IV, p. 187, 1. 12-17, ^^ P- ^9^' 1- 5-i5.

b. Tome V, p. 70 : lettre du i" .avril 1647. ^o'"" aussi t. IV, p. 144 : lettre du P. Jean François à Mersenne, 28 sept. 1647.

c. Tome V, p. 291, 1. 22-27 • lettre du 26 févr. 1649. « Elles ne font » pas neceffaires (ces règles) pour l'intelligence du refte. »

d. Schooten à Christian Huygens, 23 déc. 1654 : « Quod autem plura B de motu malè à Cartefio atîerri cenfes, eaque refutare ftudeas, vellem » meliorem fanioremque de ipfius ingenij perfpicacitate opinionem » habeas, aliterque judices, ne ingratus erga tantum Virum tamque prae- » clarè merentem videaris. Ipfum enim Domino Heidano dixiffe fcio, fe » demonftrationem fuarum de motu regularum ex Algebras penetralibus ') petijll'e, diuque deliberaOe, utrùm illas Principijs fuis interfereret, an 1) verô eafdem praetermitteret. Cum quo refpondet etiam Domini de Raeij

�� � Principes de la Philosophie. )']']

Mais (et c'est là sans doute ce qui est à noter), Descartes s'acheminait ainsi à une discussion qui remplit toute la fin de cette seconde partie (articles 54 à 63), sur les corps durs et sur les corps liquides ou fluides \ Il ne s'agissait pas seulement de critiquer deux « qualités réelles », au sens scolastique du mot, la dureté et la liquidité ou fluidité : il s'agit du mouvement d'un corps dur dans un autre corps liquide ou fluide, ou bien avec cet autre corps ; disons-le franchement, il s'agit du mou- vement de la Terre avec la matière qui l'environne. Descartes préparait le lecteur à accepter son système, qui ne sera pas celui de Copernic ni celui de Tycho. Un des derniers articles, qui conclut toute la discussion, est singulièrement révélateur : « lorsqu'un corps dur, dit notre philosophe, est emporté de la » façon que je viens de dire par un corps fluide, on ne peut pas » dire proprement qu'il se meut ». Et il rappelle textuelle- ment, dans ce même article, la définition du mouvement qu'il a donnée plus haut. La Terre, sans doute, n'est point nommée en cet endroit, ni le Soleil, ni les Planètes, ni les Étoiles ; mais c'est bien à la Terre qu'il pense, et à son mouvement autour du Soleil, qu'il voudrait rendre acceptable, en montrant qu'elle se meut à la fois et pourtant ne se meut pas. a Elle est empor- » tée par le cours du ciel (le petit ciel dont elle est le centre),

» fententia, dicentis, parum nos, quantum ad earum veritatem aut » fahîtatem, referre; feque non nili unam rem in totâ ipfius Phyficâ » invenilTe, ad quam una folummodô diiSarum regularum utcunque )> videatur referenda. Cuius rei caufa vei hœc elte poteli, ut motus, ad » quos ha: regulœ funt adhibendœ, ita abftra£lae {legè abftradi) exiftant, » ut nunquam talcs in rerum naturâ reperiantur. » {Corresp. de Chris-; tiaan Huygens, t. I, 1888, p. 3i2-3i3.)

Huygens répond, 27 déc. 1654 : « Quôd ex Algebrâ petitas régulas fuas » Cartefius ipfe profeffus eft, fane non ignoras folam in his Aigebram B nihil determinare poffe, fed principia ante ex motùs penetralibus accer- » fenda, quorum equidem plurima rectè à Cartefio conftituta fateor, » neque tamen omnia. Eafdem régulas ad reliquam ejus Philofophiam » haud magnopere pertinere neque multum referre ut pro veris habeantur, » meritô exiftimare videtur Dominus de Raeij. » [Ibid., t. I, p. Si/.)

a. Tome VIII, p. 70-78, ou t. IX (2« partie), p. 94-101.

b. Art. Lxii. Tome VIII, p. 77-78, ou t. IX (2« partie), p. 100.

Vie de Dcscartes. 4^

�� � }jS Vie de Descartes.

» et suit son mouvement sans pourtant se mouvoir •' » ; de même qu'un vaisseau, ajoute-t-il, que ni les vents ni les rames ne poussent, peut demeurer, par un calme plat, immobile au milieu de la mer, bien que celle-ci l'emporte dans son mouvement, — Descartes précise et corrige dans la traduction : par son mou- vement de flux et de reflux, dit-il, ne voulant pas qu'on pense à un autre mouvement, celui de toute la masse terrestre. Il s'explique par une comparaison plus familière encore, ajoutée sans doute à Calais, pendant un séjour forcé en attendant le bateau de Hollande : on peut passer de Calais à Douvres, Sans faire un mouvement ; il suffit qu'on soit couché et qu'on dorme dans le bateau, qui se meut et vous emporte avec soi. Ces comparaisons se trouvent dans la troisième partie des Prin- cipes, où Descartes exposera son système de la Terre et du Soleil; mais dès la seconde partie, il donne à plusieurs reprises des exemples semblables de mouvement relatif: le pilote, assis à la poupe d'un vaisseau, ne bouge point par rapport au vaisseau lui-même ; il n'est en mouvement que par rapport au rivage devant lequel passe le vaisseau emporté par les flots. Et la montre dans la poche du capitaine qui marche sur le pont de ce vaisseau, que de mouvements n'y distingue- 1- on pas ? mou- vement des petites roues, tant qu'elle n'est pas arrêtée, mouvement de son possesseur qui la porte sur soi, mouvement du navire, et de la mer, et de la terre elle-même'^,. . . est-ce tout ? Descartes va jusqu'à dire qu' « on ne saurait rencontrer » en tout l'univers aucun point qui soit véritablement immo- » bile*' ». On verra que cela est probable, avait- il dit en 1644 ; il corrige dans la traduction de 1647 : « cela peut être démontré ».

a. Pars Ilh, art. xxvi. Tome VIII, p. 89-90, ou t. IX (2" partie), p. 1 13.

b. Tome VIII, p. 91-92, ou t. IX (2« partie), p. ii3 : art. xxix. Voir t. IV, p. 147 : lettre du 8 nov. 1644.

c. Pars //% art. xxiv. Tome VIII, p. 33, ou t. IX (2» partie), p. 76.

d. Tome VIII, p. 67, ou t. IX (2» partie), p. 80 : art. xxxi.

e. Fin de l'art, xiii. Tome VIII, p. 47, 1. 24-28 ; ou t. IX {2= partie), p. 70.

�� � A ceux qui ne voulaient point du mouvement de la terre, il s’efforcera de prouver qu’elle ne se meut point, au sens où l’on entend l’expression « se mouvoir », Mais, d’autre part, comment serait-elle immobile, lorsque rien en ce monde ne l’est absolument ? Par de telles considérations il pense habituer peu à peu les esprits à admettre un système, qui, ainsi présenté, peut faire illusion, et ôter tout scrupule aux théologiens.

La troisième partie des Principes est intitulée « Du Monde visible » ; elle traite, en réalité, de ce qui se voit dans le Ciel. Descartes commence par une brève description ou, comme il dit, une « histoire » des phénomènes, c’est-à-dire des apparences célestes ; il résume à ce sujet les observations des astronomes, et y joint leurs hypothèses pour rendre compte des mouvements des planètes[3]. Puis il explique, au moyen de suppositions qui lui sont propres, la formation du Monde, c’est-à-dire en particulier du Soleil et des Étoiles fixes, des Comètes et des Planètes.

Les apparences célestes n’ont rien d’absolu. Nous en jugeons comme habitants de la Terre, en considérant de là le Soleil et les Étoiles, et tout le Firmament. Mais que l’observateur se transporte par la pensée dans la Planète la plus lointaine, Jupiter ou même Saturne[4] : quelles apparences auront alors à ses yeux le Soleil, et la Terre, et l’ensemble des Cieux ? Le Soleil ne sera plus qu’une Étoile fixe ; et la Terre, à peine visible, une petite Planète. La Terre et le Soleil ont été jusqu’ici comme les deux personnages principaux, et qui accaparaient toute l’attention, les deux protagonistes dans cette grande épopée de la création du monde. Descartes les fait, si l’on ose dire, rentrer dans le rang : le Soleil n’est plus qu’une unité dans l’armée innombrable des Étoiles, et de même la Terre dans la petite troupe des Planètes ^ : semblable aux cinq autres, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, elle tourne également autour du Soleil. Car non seulement le Soleil et la Terre se trouvent déchus de leur apparente grandeur, mais leurs rapports réciproques sont changés du tout au tout, et leurs rôles pour ainsi dire renversés : la Terre venait la première en dignité, et le Soleil n’existait que pour l’éclairer et la réchauffer ; elle se réchauffe encore et s’éclaire aux rayons de cet astre, mais c’est lui qui se trouve au centre du cercle qu’elle décrit et des autres cercles encore que décrivent les autres Planètes en tournant comme la Terre autour du Soleil. Descartes n’examine même pas l’hypothèse contraire de Ptolémée : elle est, dit-il, maintenant rejetée (c’est le mot du texte latin, la traduction adoucit un peu), « improuvée, dit a. Daniel Huet, plus tard, rapprochera Descartes et Giordano Bruno : « quem Cartefianae doftrinae antefignanum jure dicas ;…nam & Univerfi » infinitatem & Mundorum innumerabilitatem tuetur, & duo elTe vult » Aftrorum gênera, Soles & Tellures, hoc eft Stellas fixas & Planetas..-. » Qui iegerit hune librum [De immenjo & innumerabilibus), feret operae » pretium, & quàm pulchre ei cum Cartefio conveniat, cognofcet. » [Cenfura Philofophiœ Carte/tance, p. 21 5, Paris, 1689.)

La doctrine de Descartes avait déjà scandalisé un religieux comme le Frère Gabriel Thibaut ; et Mersenne lui-même, Thibaut le lui rappelle, semblait l’avoir réfutée d’avance. (Tome V, p. 69-70.) Voir ci-avant, p. iSg, note b. Mais plus tard Mersenne s’y rallia. En définitive, avec cette théorie de l’infinité de l’Univers, non seulement la Terre n’était plus le centre du monde, mais le Soleil ne l’était pas davantage. En réalité il n’y avait plus de centre absolument, et il n’y avait plus de sphère. Ou du moins le Monde devenait « cette sphère infinie dont le centre est partout, » la circonférence nulle part ». [Pensées de Pascal, édit. Brunschvicg, t. I, 1904, p. 74.) Giordano Bruno l’avait dit déjà avant Pascal, ou plutôt redit, car la formule remonte à la plus haute antiquité. Que cette conception fût dangereuse pour la théologie, telle que la scolastique l’avait faite, on ne manqua pas de s’en apercevoir. Mersenne écrivait à Jean Rey, le I" sept. i63i : « Giordano Brun, qui combat avec plufieurs pour l’infinité » du monde, vous rauit le centre, qui n’eft point dans l’infini… » Réponse de Rey, i<= janv. i632 : « Pour Giordano Brun, qui combat pour » l’infinité du monde, & par confequent lui ravit le centre, qui n’eft pas » dans l’infini : ie refponds comme à Copernic, & confefle ne recognoiftre » autre infini que Dieu, bénit éternellement ; fi n’eft qu’il m’efchapaft de elle, de tous les philosophes[5] » ; seuls les théologiens, par une obstination déraisonnable, y restent encore fidèles. Descartes fait même grâce au lecteur des multiples observations qui la condamnent : il n’en rapporte qu’une, la plus visible de toutes et la plus frappante, les phases de Vénus, récemment découvertes au moyen du télescope ; ce sont elles aussi qu’avait alléguées, dans un livre d’astronomie, un auteur anonyme, que Descartes connaissait, Ismaël Boulliaud. Notre philosophe n’examine pas davantage l’hypothèse si singulière de Tycho-Brahé : toutes les Planètes tournent autour du Soleil, toutes sauf une, la Terre, qui reste immobile, et autour de laquelle le Soleil tourne avec son cortège des autres Planètes. Tycho n’a pas connu, dit Descartes, la vraie nature du

» dire l’erreur de ceux-là eftre infinie, qui difent le monde eftre infini. » Et Mersenne répliquait à Rey, le i" avril i632 : « Quant à Giordano, encore » qu’il fe férue de mauuais fondemens, neantmoins il eft affés probable » que le monde eft infini, s’il le peut eftre. Car pourquoy voulés-vous » qu’vne caufe infinie n’ait pas vn effet infini ? J’ay autresfois eu d’autres >• demonftrations contre ceci, mais la folution en eftaifée… » {Effays de lean Rey, 2 « édi »., 1777, p. 108-109, P—’22 et p. 142.)

Giordano Bruno avait été brûle vif à Rome, au Campo di Fiore, le 17 février 1600. Une lettre, datée Je ce jour, fut écrite par Gaspard Schopp à son ami Ritterhausen pour le lui annoncer, lettre publiée seulement en 1621 dans un livre anonyme, imprimé h Saragosse (en réalité, en Allemagne) : Macchiavellifatio qua unitorum animas dijfociare nitentibus refpondetur. Le P. Mersenne lui-même semble n’avoir appris le supplice de P.runo que tardivement et par cette voie : en 1623, dans ses Qucejliones in Genefim, il cite Vanini, brûlé à Toulouse, et un autre hérétique, Fontainier, brûlé à Paris ; il ne cite Bruno que l’année suivante, dans son livre sur l’Impiété des Deijies, en 1624. Cependant Kepler en avait été informé beaucoup plus tôt, par un conseiller de l’empereur Rodolphe, Wackhcr. Le 3o novembre 1607, dans une lettre à Brengger, doyen de la Faculté de Médecine de Kaufbeuren, il lui parle de Bruno : « Infelix ille Brunus, pruinis toftus Romx. » Et Brengger, qui ne savait pas, s’informe, le 7 mars 1608 : « Jordanum Brunum pruinis toftum » fcribis, quod intelligo illum crematum elfe ; quafo an certum hoc (it ; » & quando aut quare ci id acciderit, fac ut fciam. » (Joannis Kepleri Opéra Omnia, 1859-1873, t. II, p. 591, 592.) On ne parlera de Bruno que plus tard ; pour le moment, on parlait surtout de Vanini. mouvement[6] : faute de cette connaissance, il ne s’est pas douté, qu’il attribuait à la Terre encore plus de mouvement que ne faisait Copernic, qu’il prétendait cependant corriger. Nous avons indiqué déjà l’hypothèse de notre philosophe : la Terre n’est pas isolée ; une matière fluide dont elle est le centre, l’environne comme un tourbillon, et c’est ce tourbillon qui se meut lui-même autour du Soleil, tandis que la Terre demeure immobile au centre. Entendez par là qu’elle ne quitte point le voisinage des corps qui la touchent immédiatement, pour se transporter dans le voisinage d’autres corps semblables ; car c’est en cela, nous l’avons vu, que consiste tout le mouvement. Certes, la Terre ne se meut pas, si l’on veut, par rapport aux corps tout proches dont le tourbillon est composé, pas plus que par rapport aux corps infiniment éloignés, comme les Étoiles fixes, auprès desquelles non seulement elle-même, mais le cercle qu’elle décrit, n’est qu’un point[7] : cependant son tourbillon se meut, et l’emporte avec elle ; et alors, ne la fait-il pas ainsi changer de position dans l’espace par rapport au Soleil ? C’est bien là, ce semble, la question à laquelle, en définitive. Descartes n’échappe pas. Peu importait d’ailleurs : il pouvait soutenir que, le mouvement étant tel qu’il l’a défini, on ne saurait dire que la Terre se meut. Si les théologiens ne sont pas satisfaits, qu’ils proposent une autre définition : qu’ils disent, s’ils le peuvent, qu’est-ce donc en réalité que le mouvement ?

Après cette hypothèse astronomique, qui ne se rapporte qu’au système particulier du Soleil et des Planètes, Descartes expose son hypothèse physique, qui doit expliquer tout l’Univers[8]. Mais que les théologiens ne prennent point l’alarme : cette hypothèse est fausse. Notre philosophe le déclare bien haut, et ce semble, avec un peu trop d’insistance. Car enfin, que veut-il dire par là ? Une chose bien simple au fond. A l’origine, Dieu a créé la matière et le mouvement ; comment était cette matière, et quels étaient ces mouvements, on n’en sait rien, et il est même impossible de le savoir. Mais, entre ce point de départ, qui se perd à l’origine des temps, et l’état actuel, qui est comme un point d’arrivée, matière et mouvement ont dû passer successivement par une infinité d’états intermédiaires, et c’est un de ces états auquel Descartes s’arrête : celui, n’importe lequel, dont il pourra commodément déduire l’état actuel des choses. Il aurait pu en choisir un autre ; il sait bien que cet état n’est pas l’état primitif, et que beaucoup l’ont précédé ; et c’est en cela, mais en cela seulement, que son hypothèse est fausse. Toutefois ne soyons point dupes des mots : elle est vraie en ce sens que c’est bien un des états par lesquels matière et mouvement ont nécessairement passé, et dans lequel ils se sont donc trouvés réellement ; en ce sens aussi surtout, que, déduites de là, les choses s’expliquent à merveille pour notre esprit. Avec son hypothèse physique. Descartes, une fois de plus, procède en mathématicien. Entre tant de possibilités, dont la succession est nécessaire, on peut toujours en choisir une, arbitrairement, et commencer par elle la chaîne des déductions. C’est ce que fait Descartes : ses principes se trouvent trop simples ; ils sont trop éloignés par là même de la complexité des choses : comment rejoindre celles-ci ? Notre philosophe ne remonte pas à leur lointaine origine ; il se transporte par la pensée à un effet plus rapproché de nous, à un état de la matière lorsqu’elle a déjà pris forme et figure. Peu importe que ce soit celui-ci ou celui-là : l’essentiel est qu’ensuite la déduction réussisse et rejoigne enfin la réalité.

Après avoir ainsi marqué le caractère de cette hypothèse, nous ne l’examinerons point en détail. Descartes suppose que la matière subtile a formé de petites boules, extrêmement agitées, )84 Vie de Descartes.

entre lesquelles circule une matière plus agitée et plus subtile encore, et qu'il y a çà et là comme des noyaux ou des centres autour desquels se meuvent des tourbillons. Ce mot dont il s'est déjà servi, à titre de comparaison , est introduit ici définitivement dans la physique de notre philosophe ; il y prend place comme l'expression de la réalité. Descartes avait omis d'en avertir le lecteur dans la première édition des Principes en «644; cette omission est réparée dans la tra- duction française, en 1647^. Dans cette traduction encore, il indique à la fin, ce qu'il n'avait pas fait en 1644, l'endroit essentiel où se trouve son hypothèse, article 46 de la troisième partie ^. Seuls quelques lecteurs avisés s'en étaient aperçus, sans avoir besoin d'indication : Le Conte, dans ses objections de 1645, et plus tard, en 1648, le jeune Burman ^ Descartes insiste d'ailleurs : le fond de son hypothèse elle-même, dit-il, « peut être réduit à cela seul que les deux (et il entend par là » tous les espaces célestes) sont fluides^ ».

Parmi les philosophes, les uns croyaient ces espaces vides, ce qui est absurde selon Descartes : le vide absolu serait le néant ; ce qui a des dimensions comme l'espace est une réalité. Les autres les déclaraient pleins, sans dire de quoi, le plein étant peut-être à lui seul une qualité réelle ; de plus ils y distinguaient des sphères solides, auxquelles étaient attachées les Etoiles. Descartes brise ces sphères, et les pulvérise ; il

a. Tome VIII, p. loi, 1. 23-24, ^^ t. IX (2» partie), p. i25 : fin de l'art. xLvi.

b. Tome IX (2^ partie), p. 324-325. c.'Tome IV, p. 456, et t. V, p. 170.

d. Tome IX (2= partie), p. 325. Voir aussi, p. 112, et t. VIII, p. 89 : art. XXIV. La traduction française dit : Que les deux font liquides, et dans le texte ne reprend que le même mot liquide. Le texte latin porte : Cœlos ejfe fluidos,.. . cœli materiam fluidam ejfe five liquidam. Et déjà, t. II, p. 225, 1. 27-28 : lettre du i3 juillet i638. — Le texte latin de l'art, xxiv, Pars ///^, disait que, si les cieux n'étaient fluides, on ne pourrait expliquer les phénomènes des Planètes, phœnomena Planetarum. La traduction française dit plus généralement « les phainomènes », c'est- à-dire toutes les apparences célestes.

�� � remplit tout l’espace de matière, et de matière fluide, conformément, dit-il, à l’opinion des nouveaux astronomes. C’est donc à la faveur de l’astronomie, que cette idée recevait droit d’entrée dans la physique ou la philosophie naturelle. Les astronomes ne savaient comment expliquer sans cela les phénomènes des Planètes, ni surtout ces distances qui défient toute imagination et que le calcul leur faisait découvrir maintenant dans les Cieux. Mais de quelles précautions ne s’entouraient-ils pas ? L’un d’eux, Jésuite il est vrai, mais avant la condamnation de Galilée, le P. Scheiner, dans sa Rosa Ursina, en i63o, adopte l’opinion des Cieux liquides ou fluides ; toutefois il commence par s’assurer que rien ne s’y oppose dans la Sainte Ecriture ; puis il allègue les expériences favorables à cette thèse, et il termine en établissant, à grand renfort de textes, que parmi les philosophes anciens eux-mêmes beaucoup n’y étaient point hostiles*. Ainsi des textes, tout d’abord, philosophiques et théologiques, sont invoqués ; grâce à cette double autorité, et comme dans l’entre-deux, se glisse et réussit à se faire admettre l’expérience, qui est pourtant maîtresse de la vérité scientifique. Descartes n’a tout de même point de ces précautions excessives : c’est comme philosophe simplement, et au nom de la raison, c’est-à-dire des idées claires et distinctes, qu’il propose son hypothèse, et sans se mettre en peine, cette fois, d’aucune objection théologique.

Nous ne pouvons le suivre pas à pas dans toutes ses déductions. Contentons-nous d’indiquer les grandes questions qu’il

a. On lit au commencement de la Roja Vrfina, sous ce titre, Totius operis notatu digniora :

« Cœlum, Solem & Stellas ; ex naturâ fuâ corruptibiles elie, ex mente » Ecclefiat & fandorum Patrum coniicitur. Pag. 660. »

« Cœlum liquidum ex facrà Scripturâ & fantî^is Pairibus. Pa} ?. 699. « 

a Cœlum aut liquidum aut igneum multi Ncoierici Thcologi, Philo » fophi, & Phyfiologi défendant. Pag. 731. »

« Cœlum liquidum antiqui philofophi tenebant. Pag. 747. »

« Cœlum liquidum elfe tam antiqui quàm recentiores Aftronomi » volucrunt. Pag. 755. »

« Obiecliones pro cœlo duro diiuuntur. Pag. 771. » 386

��Vie de Descartes.

��traite, et d'abord celle du Soleil et de sa formation en suite de l'hypothèse proposée; puis, à propos du Soleil, la question de la Lumière , principal objet du traité du Monde, dont c'était même le titre particulier. On observait beaucoup le Soleil depuis 1610 et 1612; la nouvelle invention des lunettes d'ap- proche avait permis d'y découvrir des taches, au grand scandale des péripatéticiens : rien, suivant eux, ne devait ternir l'éclat de cet a œil du monde ». Galilée avait le premier observé ces taches à Rome, et presque en même temps le Jésuite Scheiner à Ingolstadt; puis, en France Jean Tarde, théologal de Sarlat, qui, refusant d'y voir des taches, imagina que c'étaient de petites Planètes ou des satellites autour du Soleil, comme ceux qu'on venait aussi de découvrir autour de Jupiter, et comme la Lune autour de la Terre . Enfin des

a. Tome VIII, p. 108-1 16, ou t. IX (2« partie), p. i3o-i36 : art. lv à Lxiv inclus.

b. Nous avons vu, p. 191-192 ci-avant, que Descartes n'a probable- ment pas connu l'ouvrage de Tarde, Borbonia Sidéra {1620), ni la tra- duction française qu'en donna l'auteur lui-même, Les AJlres de Borbon & Apologie du Soleil (/62J), « Monftrani & vérifiant que les apparences » qui fe voyent dans la face du Soleil font des Planettes, & non des » taches, comme quelques Italiens & Allemans, obferuateurs d'icelles, luy » ont impofé. » Citons, à titre de curiosité, ces deux passages de Tarde :

Pages lo-ii : « Galileus Galilei, grand Philofophe, & Mathématicien » du Grand Duc de Tofcane, en trois Epiftres qu'il efcrit à Marcus Vel- » férus Magirtrat en la ville d'Aufbourg, tient que ce font des nuées & » fumées qui font engendrées en la furfacc du Soleil, & là mefme font » refoutes & anéanties. . . De cela il conclud, contre Ariftote, que le ciel » eft fubied à corruption. Les Péripatéticiens, voyans que par ce moyen » on fait iniure au ciel, & que la philofophie d'Ariftote, quoy qu'inno- » cente & exempte de coulpe, eiloit outrageufement offenfée, ont nié ces » apparences, & ont dit que c'ertoient efbloùifl'emens de la veue, & illu- » fions, ou déceptions prouenant des verres. Quant à moy, ne doutant » en rien des apparences, ie fuis appelant de la fentence de Galileus » deuant luy-mefme... » Voir le même passage en latin, p. 9-10, texte de j62o.

Page i3 : « 11 y en a auflt qui penfent que ce lont des taches fixes, & « inhérentes au Soleil, comme font celles de la Lune ; mais c'eft vne » erreur plus grande que les autres, & qui s'approche de l'impiété. Car » pourroit-on imaginer vnp opinion plus erronée, que celle qui impofe

�� � Principes de la Philosophie. 387

observations semblables avaient été faites à Arras par un autre Jésuite, Malapert. Descartes avait eu entre les mains le gros ouvrage publié à ce sujet sous le titre de Rosa Ursina par le P. Scheiner en 1 63o *. Il y avait lu avec intérêt, non seulement ce qui se rapporte aux taches du Soleil, mais bien d'autres obser- vations, qui lui semblaient confirmer le mouvement de la Terre, en dépit de l'hostilité personnelle de l'auteur contre Galilée. Il ne l'oublia pas, une dizaine d'années plus tard, et Scheiner est même un des rares noms qu'il cite dans son ouvrage : peut-être espérait-il par là se mettre à couvert vis à vis de Rome? La question des taches du Soleil le retient donC"^, et il s'efforce d'expliquer comment elles se forment, puis se main- tiennent quelque temps à la surface, puis disparaissent quel- quefois, absorbées dans la masse : semblables, dit-il, à cette écume qui sort ordinairement des liqueurs qu'on fait bouillir sur le feu ^.

Parfois aussi ces taches s'accumulent autour d'un astre, se rejoignent, et forment une croûte épaisse sous laquelle la masse liquide disparaît complètement. C'est ainsi que des Etoiles fixes, de même nature à l'origine que le Soleil, deviennent opaques, cessent d'être le centre d'un tourbillon, quittent même leur tourbillon propre, pour passer dans le tourbillon voisin, puis dans un autre encore : et ce sont les Comètes^.

» de l'ordure à l'œil du monde ? lequel Dieu a eftably pour eftre le flam- » beau de l'Vniuers, & le difpenfateur de la lumière ; lequel Dieu tres- » bon & très-grand a efleu pour eftre fon Louure, & comme l'habitation » de fa Royale Maiefté : In Sole pofuit tabernaculum fuum. C'eft impieté » de fouiller, corrompre & honnir ainfi le lieu que Dieu a efleu pour » fon domicile. Neantmoins ils infiftent... » Voir aussi p. lo du texte latin, 1620.

a. Tome I, p. 282, 1. 1-8 : lettre de févr. 1634. Voir aussi p. 282-283, p. 1 1 2-1 1 3 et 114- II 5, p. 248-249.

b. Tome VIII, p. gS, 1. 1-4 ; ou t. IX (2'= partie), p. 118.

c. Art. xciv à cxvm inclus. Tome VIII, p. 147-168; ou t. IX (2« partie), p. 156-172.

d. Tome VIII, p. 148, 1. 2-8 ; ou i. IX (2* partie), p. iS;.

e. Art. cxix à cxxxviii. Tome VIII, p. 168-191 ; ou t. IX [2' partie), p. 173-190.

�� � j88 Vie de Descartes.

Notre philosophe utilise ainsi, à sa façon, pour les expliquer, la récente découverte des taches solaires. Il n'y pensait point encore dans son traité du Monde, et c'est une innovation des Principes. Mais déjà, en i63i et i632, il s'était étendu avec complaisance sur les Comètes, étudiant leur formation, et leur trajet dans le Ciel, et leur chevelure et leur queue. Il s'était enquis, auprès de Mersenne, d'un livre qui lui fournirait des renseignements^. Un tel livre existait, en effet, œuvre du P, Grassi, Jésuite et adversaire de Galilée. Serait-ce pour cette double raison que Descartes le cite encore dans ses Principes, comme il avait fait déjà pour le P. Scheiner ? Non pas qu'il fût lui-même ennemi de Galilée ; toujours est-il qu'il ne le nomme pas, sans doute par prudence, et qu'il nomme au contraire, peut-être par habileté, deux Jésuites qui l'ont combattu. Il corrige d'ailleurs, au moins sur un point, le P. Grassi qui avait emprunté à deux auteurs deux descriptions de la Comète de 1475, sans s'apercevoir que c'était la même : Descartes le reconnut sans peine, et fut bien aise que l'année suivante une description plus complète qu'il reçut de cette Comète, vînt confirmer ce qu'il avait écrit. Mais l'essentiel peut-être, dans la théorie de Descartes sur les Comètes, est l'étendue de l'espace qu'il livre a à leurs grandes excursions de tous côtés dans les » Cieux ». Il se montre, en cela, beaucoup plus hardi que Tycho lui-même. Celui-ci s'était contenté de démontrer que ce ne pouvait être des phénomènes sublunaires, c'est-à-dire qui se produisent entre la lune et nous ; mais il ne les plaçait pas plus loin que la sphère de Vénus ou de Mercure. Il n'a pas osé, dit Descartes, leur attribuer toute la hauteur qu'il découvrait par ses calculs. Car il pouvait aussi bien, et notre philosophe n'hésite pas à le faire, aller jusqu'à Saturne, la plus haute des PlanèteSj et même bien au delà dans la vaste étendue qui

a. Tome I, p. 25 s, 1. 2-1 1 : lettre du 10 mai i632. Voir aussi p. 283.

b. Tome IV, p. 1 5o-i 5i : lettre du 5 janv. 1645. Tome VIII, p. 178-179 et p. 186, 1. 4-7 ; ou t. IX {2«partie), p. 179-180 et p. i85-i86.

�� � Principes de la Philosophie. ^89

règne entre Saturne et les Etoiles fixes : nouvelle raison d'ad- mettre la fluidité des Cieux*.

Il utilise de même, pour l'explication des PI .nètes, les décou- vertes faites depuis une trentaine d'années à l'aide des lunettes d'approche : non plus seulement, comme nous avons vu, les phases de Vénus et les taches du Soleil, mais l'observation de Mercure sous le Soleil, et surtout les quatre satellites de Jupi- ter et lesdeux (qu'on croyaitêtreaussi des satellites) de Saturne. Il paraît même avoir eu un moment d'embarras au sujet de Jupiter. Justement lorsqu'il était en train de décrire les Planètes, un de ses amis de Hollande, Colvius, lui apprit que le Capucin Antoine de Rheita venait de découvrir cinq nouveaux satellites, lesquels ajoutés aux quatre que l'on connaissait déjà, en auraient fait neuf autour de Jupiter "=. Gassend soutint presque aussitôt, dans un écrit public, que Rheita s'était trompé. Mais Descartes n'osa pas, en 1644, donner le nombre des petites planètes de Jupiter ; prudemment il le passe sous silence ; et ce

a. Tome VIII, p. 86 et p. 98; ou t. IX (2» partie), p. iio et p. 121-122: art. XX et xli. Cette théorie de Descartes est signalée justement par Lipstorp, dans son Copernicus redivivus :

«... Cometas non verfari in fupremâ aéris regione, ut nitnis rudis » antiquïtas opinabatur, neque juxta Tychonem, Peireskium, Keplcrum, » Schickardum, Gaffendum, & alios Aftronomiae cultores, qui diligenter » corum parallaxes inveftigarunt, non tantùm fupra Lunam effe, fed » vajlijjfimum ijlud fpatium inter fphœram Saturni & fixas requirere, ad » omnes fuas excurjiones abfolvendas (tant varias profeélô, & immanes, • ut abj'que eo ad nulles Naturce leges revocari pojjint), adeoque à fuperis » cœli tentoriis ad média ire, & retrocedere, folidiflimè, & Geometricis, » Opticis, & Mechanicis fundamentis, incomparabili aufu demonftravit B Nobiliff. Cartefius in fine 3 partis Princip. Philof. »

« Orbes reaies, Primum Mobile omnes alias inferiores fphaeras vio- » lenter fecum circumraptans, Intelligentias motrices, fplendidiffima anti- » quorum nugamenta elTe. omnium ingenuorum Philofophorum concor- » dantibus confiât fuffragiis. Summa fummarum, Aftronomia hodierna » infinitis parafangis veterem poft fe relinquit. » (Lipstorpii Copernicus redivivus, i653, p. 5.)

b. Tome VIII, p. 191-202 ; ou t. IX (2* partie), p. 190-200 : an. cxxxix à cLvi.

c. Tome III, p. 646 : lettre du 23 avril 1643.

�� � J90 Vie de Desgartes.

n'est que dans la traduction française, trois ans après, lors- qu'on eut bien reconnu l'erreur du Capucin, qu'il rétablit le chiffre primitif de quatre ^. Ainsi notre philosophe se tenait toujours comme à l'affût des nouveautés, et ne manquait pas de les faire aussitôt servir à ses démonstrations.

C'est amsi que le système du Monde, c'est-à-dire le Soleil avec les Planètes, comprend, tout compte fait, quatorze tour- billons : celui du Soleil lui-même, le plus grand de tous, et dans lequel les autres sont contenus ; ceux des cinq planètes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, ou plutôt des six, en comptant aussi la Terre ; ajoutons les tourbillons particu- liers, celui de la Lune, ceux des quatre satellites de Jupiter, et des deux enfin de Saturne. Et Descartes explique comment toutes les grandes Planètes se meuvent autour du Soleil, d'autant plus vite qu'elles en sont plus éloignées : ainsi, ajoute la traduction française, « en une roue, lorsqu'elle tourne, les » parties proches de son centre vont beaucoup moins vite que » celles qui sont en sa circonférence». Notre philosophe excelle à trouver de ces exemples familiers ; et toujours aussi revient cette conclusion, dont il ne se lasse point, que dans les phénomènes célestes, expliqués de la sorte, il n'y a vraiment point lieu, comme s'imagine le vulgaire et avec lui le commun des philosophes, de s'étonner tant ni de tant admirer^.

La quatrième partie des Principes traite enfin de la Terre. Celle-ci devait être, à l'origine, un Soleil ou une Etoile fixe, et

a. Tome VIII, p. 200, 1. 14, art. cliv : « . . .qui funt juxta Jovem ». Et t. IX (2' partie), p. 198 : « ...les quatre qui font autour de Jupiter. » — Pourtant, on a découvert récemment, le 27 janvier 1908, à l'Observa- toire de Greenwich, un huitième satellite de Jupiter.

b. Art. cxLviii. Tome IX (2* partie), p. 196. Voir t. VIII, p. 197.

c. Tome VIII, p. 196, 1. 7-8 [nec mirabimur) ; I. i5 {nec iterum mira- bimur); p. 198, 1. i5 {nec mirabimur) ; 1. 24 [nec etiam mirabimur) ; p. 199, 1. 10 [neque magis mirabimur) ; p. 200, 1. 12 {neque mirabimur) ; p. 201, 1. 7 {prœterea non mirabimur) \^. 202, 1. i3 {denique non mira- bimur). Et encore p. 216, 1. 19-20 : « quas malè philofophantibus mira » videntur, perfacile ait explicare ».

�� � Principes de la Philosophie. ^91

le noyau central, ou la première région, en a conservé la nature"; puis une croûte s'est formée par-dessus, comme pour les Comètes, croûte persistante, qui constitue une région intermé- diaire, tout hypothétique, car les investigations de l'homme ne vont pas jusque-là ; elle-même est recouverte d'une superficie ou surface, qui compose par-dessus encore la troisième région. Descartes montre comment la matière subtile s'y répartit en quatre corps principaux. Mais, avant de les expliquer, il passe en revue les trois ou quatre actions qui les produisent ^. L'une d'elles est la Lumière, précédemment étudiée, et une autre la Chaleur'. C'est aussi la Pesanteur, dont notre philosophe avait déjà communiqué confidentiellement à quelques amis l'expli- cation ** : la pesanteur, à la façon dont croyaient l'entendre les scolastiques, lui paraissait le. type des qualités occultes, qu'il avait tant de fois proscrites; nous n'en avons que plus d'intérêt à voir ce qu'il prétend mettre à la placer Quant aux corps

a. Mersenne reçut d'un correspondant de Bergerac, le médecin Des- champs, la lettre suivante, datée du i" nov. 1645 : « . .. le fieur Brun, » defpuis le printemps paffé, a receu le liure de M Gaffendi contre les » Méditations de M' des Cartes, & les Principes de fa phyfique, que i'ay » leusattentiuement. Et pour vous en dire mon aduis, quoy quelesraifons » de M' des Cartes foyent fort fubtiles, ie me range du parti de Monf"' » Gafifendi. Pour le liure des Principes, i'euffe defiré que M des Cartes » eut monté des expériences aux principes, pluftoft que de defcendre » d'iceux à explicquer les etfefts de nature. Et ie trouue eftrange, entre » autres chofes, ce qu'il affeure que les planettes ayent efté des Eftoiles » fixes, qui foyent efté couuertes & eftaintes par des taches fuligineufes » qui s'encroûtent autour. Car le feu des Eftoiles fixes auroit fait creuer » cete croûte, plus aifement que les grenades ou bombes ne font creuer le » métal d'ond elles font faiftes, lequel eft beaucoup plus dur que cete » croûte ne fauroit eftre, & le feu des aftres plus fort que celuy de la » poudre à canon d'ond font remplies lefdites bombes. » (Paris, Bibl. Nat., MS. fr. n. a., 6206, f° 233.)

b. Tome VIII, p. 208-218; ou t. IX (2* partie), p. 207-216 : art. xv à XXXI inclus.

c. Tome VIII, p. 217-218 ; ou t. IX (2« partie), p. 2i5 et 216 : art. xxviii {Lumière); art. xxix à xxxi inclus (Chaleur).

d. En particulier à Debeaune : t. II, p. 644, lettre du 3o avril 1639. Ibid., p. 559, 1. 10-16. Tome VIII, p. 212-217; o" ^- ^^ (2* partie), p. 210-214 : art. xx à xxvii inclus.

e. Voir ci-avant, p. 1 5 3- 154.

�� � principaux, produits sous cette triple ou quadruple action, ils sont au nombre de quatre : l’Air, l’Eau, la Terre et le Feu. Le feu[9] est expliqué avec force détails, presque tous empruntés à l’expérience la plus commune ; Descartes y joint, comme il le disait en 1637, un des plus curieux effets du feu, à savoir la production du verre. L’eau lui fournit une occasion d’expliquer le flux et le reflux de la mer[10] : chose qu’il avait aussi déjà communiquée à des amis. Quant à la terre, il y distingue deux parties, supérieure et inférieure[11] : dans l’une, on trouve l’origine des sources ou fontaines, et par suite des rivières et des fleuves ; et dans l’autre, les mines. Aussi, lorsque Huygens, l’été de 1645, lui demandera un abrégé de chimie, suivant ses principes[12], Descartes n’aura qu’à renvoyer à cette quatrième partie, où il a dit, en effet, tout ce qu’il pouvait dire, étant donné le petit nombre d’expériences dont il disposait. Elles lui suffisaient cependant pour des constatations importantes : c’est ainsi qu’il signale, en passant, la ressemblance de certains genres de corps, qu’il vient d’expliquer, vif-argent, sucs volatiles, et huiles, avec les trois principes prétendus des chimistes, le Mercure, le Sel et le Soufre[13] ; ce ne sont, en réalité, des principes que de nom, et notre philosophe les fait déchoir de cette dignité, et montre à quelle distance ils se trouvent des Principes de la Philosophie. 39}

principes véritables dans la formation des choses. Il en est de même pour l'Air, l'Eau, la Terre et le Feu, qui étaient les quatre Éléments selon les philosophes*, c'est-à-dire les prin- cipes des choses ; mais pour Descartes, ce ne sont plus que des composés ou des dérivés, assez éloignés eux aussi des principes véritables. Chemin faisant, il recueille de la sorte et utilise les parties principales des anciennes doctrines, pour en faire de simples chapitres de la philosophie nouvelle.

Un cinquième corps pouvait prétendre au rang de principe, l'aimant , à peine connu dans l'antiquité, et qui depuis un demi-siècle venait d'être, sinon découvert, au moins étudié avec ses propriétés merveilleuses. La science de la navigation était intéressée à cette étude nouvelle, à cause de la boussole, si nécessaire pour les voyages au long cours, entrepris à l'envi par toutes les nations maritimes. Aussi la curiosité était en éveil, et plusieurs demandaient à Descartes ce qu'il pensait : Huygens, par exemple, qui lui envoyait même, en janvier 1642, un ouvrage récent du Jésuite Kircher%ou bien son ami Pollof. Descartes se tenait au courant : il avait lu autrefois le livre déjà classique du savant anglais Gilbert, et sans doute aussi celui du P. Cabei, Jésuite italien ^; en outre Mersenne l'informe des variations observées dans la déclinaison en Angleterre, aux environs de 1640, puis des observations et expériences faites à La Flèche par le recteur du collège, le P. Grandamy. Descartes lui-même observe et expérimente à Amsterdam, dès i63o, et

a. Tome VIII, p. 273, 1. i5-i7 ; ou t. IX (2« partie), p. 271.

b. Art. cxxxiii à clxxxui inclus : t. VIII, p. 275-3 n ; ou t. IX (2« partie), p. 271-305.

c. Tome III, p. 521-522 et p. 524 : lettre du 3i janv. 1642. Voir aussi t. V, p. 548 (note a, lire« magneticâ ») ; et surtout t. XI, p. 635-639.

d. Tome IV, p. 72-73 : lettre du i" janv. 1644.

e. Tome I, p. 180, 1. i5-i7 : du 25 nov. i63o. Le P. Fournier disait, dans son Hydrographie {1643), p. 532, à propos de 1' « Aymant » : « Ceux qui ont trauaiilé le plus heureufement à la découuerte de fes » merueilles, font Gilbert Anglois, & les Pères Cabée Italien & Kircher » Aleman, de noftre Compagnie : chacun d'eux en a efcrit vn excellent » Volume. >>

Vie de Descartes. 5o

�� � déclare, à cette date, qu’il peut rendre raison de l’aimant avec les principes de son Monde[14]. Il n’en fit rien cependant, ce semble, et attendit jusque vers 1640. Au moins sut-il résister à l’engouement de plusieurs : il ne tomba point dans l’extravagance (c’est son mot) de ceux qui expliquaient tout par l’aimant[15]. Pour lui, l’aimant lui-même s’explique, comme tout le reste, par ses suppositions : ce qui contribuait encore à les confirmer. Il avait imaginé, à cet effet, une forme spéciale de la matière subtile, les parties striées : leur propriété est d’être dissymétriques. Formées, en effet, dans les intervalles des petites boules ou parties rondes, elles ont la forme de vis, tournées tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre, si bien que les unes ne peuvent passer que par un pôle de la terre, et les autres par le pôle opposé. On n’oserait jurer que Descartes, en imaginant une telle cause, ne pensait point par avance aux effets qu’elle devait expliquer. Toujours est-il, qu’il les déduit avec complaisance : sans en omettre une seule, il énumère jusqu’à trente-quatre propriétés de l’aimant. C’est là comme un air de bravoure, ou comme le bouquet d’un feu d’artifice, par lequel il termine et couronne la quatrième et dernière partie de ses Principes.

Le reste, sur les sens extérieurs et les sentiments intérieurs[16], n’est qu’un aperçu des effets de l’union de l’âme et du corps, que Descartes donne à la place du traité de l’Homme, annoncé dès le début. Il reproduit, en partie, ce qu’il avait dit déjà à ce sujet dans son Monde, en 1632. Enfin huit à neuf articles, en manière de conclusion[17], résument les avantages de la philoPrincipes de la Philosophie. jç^

Sophie nouvelle, comparée à toutes les autres qui l'ont pré- cédée. Ce thème sera repris et développé, comme nous avons dit, dans la Lettre à l'abbé Picot, qui sert de Préface à la tra- duction française des Principes, en 1647*.

L'histoire de la philosophie, au xvii' siècle, était loin d'être une science, et l'idée qu'on se faisait des doctrines de l'anti- quité, était des plus simples, sinon exacte et juste. Descartes divise les philosophes anciens en deux sectes : ceux qui dou- tent, et ce ne sont pas les moins sages, et ceux qui, indûment, prétendent à la certitude . C'était, par avance, la division de Pascal entre sceptiques et dogmatiques . Parmi les premiers. Descartes range, non seulement les Académiciens, mais leurs ancêtres jusqu'à Platon et Socrate lui-même ; il les loue d'avoir confessé « ingénuement », qu'ils ne savaient rien de certain, et de ne donner que comme vraisemblable, ce qui n'était, en effet, que cela. N'oublions pas la part qu'il fait à cette doctrine dans sa philosophie : c'est par elle qu'il commence. Il donne d'abord aux sceptiques cause gagnée, en apparence, mais pour se reprendre aussitôt et rompre avec eux définitivement. Les autres philosophes, au dire de Descartes, ont moins de fran- chise : ils se déclarent en possession de la vérité, et donnent comme vrais des principes, qui ne sont rien moins que tels. Ici Aristote n'est pas seul visé, avec ses modernes sectateurs, mais aussi Démocrite, à qui l'on accusait parfois Descartes de res- sembler. Il fait une part également à cette seconde philoso- phie : les principes qu'il adopte, étendue, figure et mouvement, se trouvent, en eflFet, déjà et chez Démocrite et chez Aristote lui-même, mélangés toutefois à d'autres suppositions qui en compromettent la vérité. Descartes les dégage de cette pro- miscuité fâcheuse, rend manifeste l'évidence qui leur appar- tient, et les érige en principes véritables. Ainsi la partie

a. Tome IX (2* partie), p. 1-20.

b. Ibid., p. 5, \. 18, à p. 6, 1. 20.

c. Entretien de Pascal et de M. de Sacy.

d. Tome VIII, p. 325; ou t. IX (2« partie), p. 32o : art. ccii.

�� � ^9^ Vie de Descartes.

dogmatique des doctrines anciennes, comme la partie scep- tique, est utilisée par notre philosophe et introduite dans son propre système, où toutes deux prennent d'ailleurs un caractère nouveau : les raisons de douter, justifiées cette fois et portées à leur comble, finissent par se détruire elles-mêmes; et par contre, les raisons d'affirmer acquièrent une force qu'elles n'avaient jamais eue auparavant. La philosophie de Descartes répond ainsi à la définition qu'il en avait donnée d'abord, et qui posait deux conditions nécessaires et suffisantes : clarté parfaite ou évidence des principes, et possibilité d'en déduire tous les eflFets qui existent dans la nature ^ ; autrement dit, une heureuse et efficace combinaison de la Physique et de la Mathématique.

Là, en effet, est la grande réforme ou même la révolution opérée par notre philosophe, et il ne cesse de le redire dans ses Principes, à la fin des quatre parties, et à chaque instant dans le cours de l'ouvrage. Quelqu'un au moins l'a compris, et a nettement indiqué toute la portée de l'œuvre : c'est l'abbé Picot. Il rappelle avec raison (la nouveauté n'apparaît bien que par contraste), que jusqu'en ces derniers temps la phy- sique était toute ia science de la nature (et quelle physique !),

a. Tome IX (2* partie), p. 9, 1. 18-22.

b. Tome XI, p. 3 12, 1. 22, à p. 3 18, 1. 25 : Préface des Passions. Notamment p. 3 14, 1. 3i, à p. 3i5, 1. 5. On lit dans ia Summa Philo- fophice du Feuillant, Eustache de Saint-Paul :

« Quod fpeftat ad fcientias theoreticas, Phyficam, Matkematicam, & » Metaphyjîcam, ordine naturae Metaphyftca antecedit, fequitur Phyftca, » tandem Mathematicce : eo quôd obieftum Metaphyjtcœ naturâ eft » omnium primum, vtpote vniuerfalifTimum ; obieftum verô Phyjicce » naturâ etiam prius eft obiefto Mathematicarum, quia eft communius : » adde Mathematicas effe inferiores, & fubalternas Phyficas, vtpote à quâ » fua principia vt plurimum defumunt. Item ordine dignitatis Metapky-

  • Jica praeit, quia res naturâ praeftantiffimas, nempe fpirituales fubftantias,

» & communia rerum omnium principia contemplatur; fequitur Phy- » Jica, quœ antecellit Mathematicas, tùm ratione fubieiti (illa enim fub- » ftantias, haec vero tantùm accidentia contemplatur), tùm rerum quas > confiderat varietate ; ficque vltimum locum tenent Mathematicce... » (Tome I, 2» édit., 161 1, p. 241.)

�� � la mathématique n’en étant qu’une partie, parmi plusieurs autres. Descartes a renversé cet ordre : avec lui, la mathématique va devenir le tout, dont la physique ne sera plus qu’une partie. Les objets étudiés par la mathématique comprennent une infinité de possibles ; le monde réel est seulement l’un d’eux, assujetti aux mêmes règles et aux mêmes lois que tous les autres ; donc, pour le bien entendre, on doit d’abord connaître ces lois. La mathématique est ainsi rétablie dans ses droits et ses prérogatives; et c’est grâce à elle que la physique, consentant à devenir sa sujette, peut prétendre désormais à la dignité d’une science véritable. Déjà Galilée avait dit que la mathématique est comme la langue universelle, qui seule permet de lire les caractères dans lesquels est écrit l’univers. Descartes se sert d’une comparaison du même genre : ce monde est comme une énigme, et la mathématique nous en donne la clé ; ou bien il est écrit dans une écriture chiffrée, et c’est la mathématique qui nous fournit le chiffre". Est-ce

a. Tome VIII, p. 327-3 ^8; ou t. IX (2* partie), p. 323-327 : art. ccv. On trouve dans un petit volume du xvii» siècle, et sous la plume d’un auteur auquel on ne s’attendait g-j^r; (l’abbé Cotin, connu surtout aujour- d’hui par les railleries de Molit rc- ;: de Boileau), des idées très nettes sur la connaissance absolue qu’a-Tibiticnnent les philosophes, et la connaissance relative dont nous devons .sous contenter. Galanterie fur la Comète apparve en Décembre 1664 & en lanuier i665, conclusion : « . . .11 faut » aduoûer fincerement, que la nature a plus de voyes pour faire les » choies, que nous n’en auons pour les connoiftre, & que ce que nous » croyons des veritez infaillibles, n’eft fouuent que des foupçons & des » coniedures. La prefomption feroit infupportable, de penfer feulement » que nortre efprit fût dvne égale eftenduë à la puiffance de cette maistresse du monde. . . Elle a des myfteres où nous ne fommes pas encore, » & où peut-eftre nous ne ferons iamais initiez : nous croyons eftre » entrez dans le fancluaire, & nous ne fommes pas feulement à l’entrée » du temple. . . » [Œuures Galantes de Monjieur Cotin. Seconde partie. A Paris, chez Eftienne Loyfon, M.DC.LXV. Pet. in-8.) Voir p. 383. Quelques pages plus haut, l’auteur disait, dans la même pièce («c’étaient bien là les exigences auxquelles Descartes prétendait aussi satisfaire) : « Ceux qui demandent aux Philofophes des prennes de leurs fyfthemes, » & non pas des fuppofitions, voudroient réduire les principes de leur » Phyfique iufqu’aux premiers principes de connoiffance, iufqu’à ces

�� � jçS Vie de Descartes.

bien toutefois le vrai chiffre, pourrait-on dire, le chiffre réel ? Peu importe, après tout, si par lui nous arrivons à traduire les choses et à les interpréter. Voilà bien encore de ces raisons de douter, raisons en l'air, et sans fondement solide! Sans doute il n'est pas impossible, à la rigueur, que deux montres, par exemple, tout à fait semblables extérieurement et qui marquent l'heure Tune comme l'autre, diffèrent par leur mécanisme : de même les effets que nous observons en ce monde, peuvent se réaliser par d'autres moyens que ceux que nous supposons. Mais ceux-ci sont intelligibles pour nous et nous réussissent ; ils sont donc pour nous les vrais moyens, et nous tiennent lieu des moyens réels, s'il en est, que nous ne connaissons pas. Et même, parviendrions-nous un jour à connaître ces derniers,

» propofitions certaines & éuidentes par elles-mefmes, dont tous les » hommes font d'accord. On demande à des Mathématiciens principa- » lement des demonftrations, & non pas des conje£lures; on veut eftre » conuaincu, & non pas perfuadé... » {Ibid., p. 375.) Et plus haut encore, l'allusion à Descartes est transparente : « ...La Nature elle-mefme, » dont ces nouueaux Phyficiens fe vantent d'auoir pris le chiffre... » (Page 364.) Et enlin : « D'abord on ne fongeoit qu'à fe diuertir vn peu » philofophiquement, quand on laiiVoit faire à la matière fubtile de » rVniuers plus de tours de pa(Te-palT^ d'vn pôle à l'autre, & plus de » fauts périlleux, que n'en fit iamoi; Scaramouche dans le Medico » volante. On lifoit cette nouuelle Phylique comme le Roman d'vne » Philofophie faite à plaifir. . . » (Page 364.) « . . .Sur la foy de Rober- » ual, on iureroit que cette nouuelle Philofophie n'eit que le jeu d'efprit » d'vn galant homme laffé de la pédanterie de l'Echoie ; ou, fi vous » voulez, vn beau fonge fait en veillant par vn Mathématicien fort de » loifir, qui aimoit à réuer auec méthode & félon les règles de l'art. » (Page 365.)

Plus tard, Bossuet dira : « Vous voilà à difputer fur la nature des » corps, à examiner jufqu'à quel point Dieu a voulu que nous connuf- » lions le fecret de fon ouvrage, & s'il ne voit pas, dans la nature des » corps comme dans celle des efprits, quelque chofe de plus caché & de » plus foncier, pour ainfi dire, que ce qu'il en a defcouvert à noftre » foible raifon. » {Sixième Avertissement à M. Jurieu, 3« partie, t. XXII, p. 209-210, Œuvres de Bossuet, Versailles, 1816.)

C'est l'éternelle objection des sceptiques et des mystiques, laquelle ne nous laisse le choix qu'entre un savoir simplement relatif (si elle est admise), ou (si on veut en finir avec elle) l'idéalisme absolu. On paraît revenu, de nos jours, d'une telle prétention.

�� � Principes de la Philosophie. ^99

si tant est qu'ils existent et ne soient pas un mythe : nous n'y gagnerions rien, ni pour la théorie, puisque nous avons déjà sans eux une connaissance claire et distincte des choses, ni pour la pratique, puisque cette connaissance nous permet d'agir sur la nature". Ce serait comme un double de ce que nous possédons déjà. Qu'est-ce donc alors qu'une prétendue réalité, à la fois impossible et inutile à connaître, et en quoi diflPère-t-elle du néant? La réalité vraie est tout entière pour nous dans l'idée claire et distincte, essence et substance même de la vérité. Le dernier mot de cette physique, comme tout à l'heure de la métaphysique de Descartes *", serait l'idéalisme. Notre philosophe veut la certitude complète et absolue ; il raisonne en conséquence, et finalement, comme en désespoir de cause, par un recours suprême, il en appelle à l'Etre parfait. « Ce serait, dit-il, le rendre coupable de nous avoir » créés imparfaits, si nous étions sujets à nous méprendre, » lors même que nous usons bien de la raison qu'il nous a » donnée. » Et Descartes insiste : douter de notre raison ou de notre pensée, ce serait, selon lui, « faire injure à Dieu^ »

a. Tome VIII, p. 327 ; ou t. IX (2« partie), p. 322-323 : art. cciv.

b. Voir ci-avant, p. 323-325.

c. Tome VIII. p. 99. 1. 11-14; et t. IX (2» partie), p. i23 : art. xun.

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  1. Tome VIII, p. 10-13 : art. xiv, xv et xvi (première preuve) ; art. xvii, xviii et xix (deuxième) : art. xx et xxi (troisième). Tome IX (2e partie), p. 31-34.
  2. Tome VIII, p. 11, et t. IX (2e partiel). p. 32 : art. xvii. Voir t. VII, p. 1033, l. 19, à p. 104, l. 16 : et t. IX (1re partie), p. 84. Déjà Descartes avait indiqué cette comparaison dans la Synopſis de ses Méditations : t. VII, p. 14, l. 26. à p. 15. l. 2.
  3. Cette première partie, sorte d’introduction, va de l’art. iv à l’art. xli inclus. Tome VIII, p. 81-98 ; ou t. IX (2e partie), p. 104-122.
  4. Tome VIII, p. 82-83 ; ou t. IX (2e partie), p. 106 : art. viii.
  5. Art. xvi. Tome VIII, p. 85, l. 14-18 ; ou t. IX (2e partie), p. 108-109.
  6. Art. xviii et xxxviii. Tome VIII, p. 85-86 et p. 96. En particulier, p. 85, l. 29-30, et p. 96, l. 13-14. Voir aussi t. IX (2e partie), p. 109 et p. 119-120.
  7. Art. xl. Tome VIII, p. 97 (en particulier, l. 26-28) à p. 98. Tome IX (2e partie), p. 121.
  8. Art. xlvi, lequel est capital. Tome VIII, p. 100-101 ; ou t. IX (2e partie), p. 124-125.
  9. Tome VIII, p. 249-275 ; ou t. IX (2e partie), p. 243-271 : art. lxxx à cxxiii et art. cxxiv à cxxxii inclus.
  10. Tome VIII, p. 232-238 ; ou t. IX (2e partie), p. 227-231 : art. xlviii à lvi inclus. Voir lettre à Mersenne, 6 août 1640 : t. III, p. 144-146. Et ci-avant, p. 154. Voir aussi t. XI, p. 701.
  11. Tome VIII, p. 238-248 ; ou t. IX (2e partie), p. 232-242 : art. lvii à lxxvi inclus.
  12. Tome IV, p. 243, l. 22, à p. 244, l. 6 : lettre du 7 juillet 1645. Réponse de Descartes, 4 août : ibid., p. 260-261. — On a retrouvé, dans les papiers de Descartes, des notes de chimie (particularité curieuse) avec les caractères anciens, employés sans doute par lui comme signes abréviatifs : t. XI, p. 645. Voir aussi des notes de pharmacie : ibid., p. 641-644.
  13. Tome VIII, p. 242 ; ou t. IX (2e partie), p. 235-236 : art. lxiii. Voir aussi t. III, p. 130-131, et t. IV, p. 569-570 : lettres du 30 juillet 1640, et du 23 nov. 1646.
  14. Tome I, p. 176, l. 15-19 : lettre du 4 nov. 1630. Voir ibid., p. 191, l. 5-12 : du 2 déc. 1630. Et t. VIII, p. 302-303.
  15. Tome III, p. 8, l. 7-12 : lettre du 19 janv. 1640.
  16. Tome VIII, p. 315-323 ; ou t. IX (2e partie), p. 309-317 : art. clxxxviii à cxcviii. Voir au début, d’une part, p. 41, l. 20-23, et de l’autre, p. 64, note c.
  17. Tome VIII, p. 323-339 ; ou t. IX (2e partie), p. 317-325 : art. cxcix à ccvi.