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Vie et opinions de Tristram Shandy/3/33

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 98-101).



CHAPITRE XXXIII.

Cathéchisme de Trim.


« Quant au catéchisme, dit mon oncle Tobie, Trim le sait sur le bout de son doigt. — Eh ! que diantre cela me fait-il, dit mon père ? — Il le sait sur ma parole, reprit mon oncle Tobie. Monsieur Yorick, vous n’avez qu’à l’interroger.

» Eh bien ! Trim, dit Yorick, d’un air de bonté et d’un ton de voix radouci, le cinquième commandement » ?

Le caporal ne répondit rien. « Ce n’est pas-là le ton, répondit mon oncle Tobie, élevant la voix et parlant bref, comme s’il eût commandé l’exercice. — Le cinquième ? cria mon oncle Tobie. — Avec la permission de monsieur, dit le caporal, il faudrait commencer par le premier ».

— Yorick ne put s’empêcher de sourire. —

« Monsieur le pasteur ne considère pas, dit le caporal, en portant sa canne à l’épaule, en guise de mousqueton, et s’allant camper au milieu de l’appartement pour être mieux vu, — il ne considère pas que le catéchisme est précisément comme le maniement des armes. —

» — Portez la main droite au fusil, cria le caporal, prenant le ton de commandement, et exécutant le mouvement….

» — Reposez-vous sur le fusil, cria le caporal, faisant à-la-fois l’office d’aide-major et de soldat.....

» — Posez le fusil à terre. — Avec la permission de monsieur le pasteur, un mouvement, comme il peut voir, en amène un autre. — Si monsieur avoit voulu commencer par le premier !… ».

« — Le premier ? cria mon oncle Tobie, posant sa main gauche sur sa hanche…

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Le second ? cria mon oncle Tobie, brandissant sa pipe, comme il auroit fait son épée à la tête d’un régiment..... ». Le caporal satisfit à tout avec précision ; et ayant dit qu’il falloit honorer son père et sa mère, il s’inclina profondément, et fut reprendre sa place au fond de la chambre — ».

« On se tire de tout, dit mon père, avec un bon mot. Il y a de l’esprit en cela, et même de l’instruction, si nous pouvons l’y découvrir.

» Mais ce que nous venons de voir n’est proprement que l’échaffaud de la science, c’est-à-dire, son plus haut point de folie, si l’édifice ne s’élève pas en même-temps.

» C’est le miroir où peuvent se voir dans leur vrai jour et au naturel les pédagogues, précepteurs, gouverneurs et grammairiens.

» Oh ! il y a une coquille en écaille, Yorick, qui croit avec l’étude, et que tous ces gens-là ne savent comment détacher. —

» Ils deviennent savant par routine ; mais ce n’est pas ainsi que s’apprend la sagesse ».

— Yorick écoutait avec admiration. —

« Oui, dit mon père, je m’engage dès à présent à employer en œuvres pies le legs entier de ma tante Dinah, — (et l’on saura que mon père n’avoit pas grande opinion des œuvres pies) si le caporal attache une seule idée déterminée à aucun des mots qu’il vient de prononcer. — Et je te prie, Trim, continua mon père en se retournant vers lui, qu’entends-tu par honorer ton père et ta mère » ?

« J’entends, dit le caporal, leur donner trois sous par jour sur ma paie quand ils sont vieux. — Et cela, Trim, dit Yorick, l’as-tu fait ? — Oui, en vérité, répliqua mon oncle Tobie. — Eh bien, Trim, dit Yorick, en s’élançant de sa chaise et prenant le caporal par la main, — tu es le meilleur commentateur de cet endroit du Décalogue ; et je t’honore davantage pour une telle action, que si tu avois composé le Talmud ». —