Vie et opinions de Tristram Shandy/3/38
Chez Jean-François Bastien, (Tome troisième. Tome quatrième, p. 108-110).
CHAPITRE XXXVIII.
Mon Père n’y est plus.
« C’étoit au siége de Limérick, dit le caporal en faisant une révérence. » —
« — Le pauvre diable et moi, dit mon oncle Tobie en s’adressant à mon père, pouvions à peine nous traîner hors de nos tentes quand le siége de Limerick fut levé ; et cela par la raison que vous venez de dire. » —
« Quelle idée crochue peut s’être fourrée dans ta précieuse caboche, mon pauvre frère Tobie, s’écria mon père mentalement ? Par le ciel ! ajouta-t-il, en continuant de se parler à lui-même, Œdipe seroit embarrassé à le deviner. »
« Sauf le respect de monsieur, dit le caporal, je crois que sans la quantité de brandevin que nous faisions brûler tous les soirs, et sans le vin blanc et la canelle que je ne cessois de donner à monsieur..... — Et le genièvre, Trim, ajouta mon oncle Tobie, qui nous fit plus de bien que tout le reste. — Je crois en vérité, continua le caporal, que nous aurions tous deux laissé nos os dans la tranchée. » —
« Caporal, dit mon oncle Tobie avec des yeux étincelans, pour un soldat, est-il un plus beau tombeau ? » —
« J’en aimerois autant un autre, répliqua le caporal. »
Tout cela étoit de l’arabe pour mon père, comme les rites des Troglodytes et des habitans de la Colchide l’avoient été pour mon oncle Tobie. Mon père ne sut s’il devoit sourire ou froncer le sourcil. —
Mon oncle Tobie, se retournant vers Yorick, acheva le détail du siége de Limerick plus intelligiblement qu’il ne l’avoit commencé ; ce qui soulagea infiniment mon père.