Vie et opinions de Tristram Shandy/3/60

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 167-168).



CHAPITRE LX.

Ne jugeons pas si vîte.


Il y a, monsieur, mille résolutions importantes, soit dans l’église, soit dans l’état, — aussi-bien, madame, que dans les choses qui nous regardent plus personnellement, — que vous jureriez avoir été prises d’une manière étourdie, légère et inconsidérée, et qui pourtant ont été pesées et repesées, examinées, discutées, disputées, revues, corrigées et considérées sous toutes leurs faces, — avec un tel sang-froid, que le dieu du sang-froid lui-même (s’il existe) n’auroit pu ni mieux désirer, ni mieux faire.

— Si nous eussions été cachés, vous ou moi, dans quelque coin du cabinet, nous serions forcés d’en convenir. —

Telle étoit la résolution que prit mon père de me mettre en culottes.

« Comment ! monsieur, cette résolution prise en un moment, avec humeur, emportement même, et qui sembloit une espèce de défi à tout le genre humain !

Eh bien ! oui, madame, cette résolution elle-même. — Apprenez qu’un mois auparavant elle avoit été raisonnée, débattue et approfondie entre mon père et ma mère, dans deux différens lits de justice, tenus exprès pour ce sujet. —

J’expliquerai la nature de ces lits de justice dans le prochain chapitre ; et dans celui d’après, je vous supplierai, madame, de vouloir bien me suivre, et vous tenir cachée dans la ruelle de ma mère. — Là, vous entendrez comment mon père et elle débattirent l’affaire de mes culottes, et vous pourrez vous former une idée de la manière dont ils débattoient les autres affaires.