Vie et opinions de Tristram Shandy/4/31

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 83-84).



CHAPITRE XXXI.

Ma méthode en écrivant.


Il en est de l’amour comme du cocuage…

— Mais quoi ! — je vais commencer un nouveau livre, tandis que j’ai depuis si longtemps une chose à communiquer au lecteur ! une chose, qui, si elle ne lui est pas communiquée en ce moment, ne le sera peut-être de ma vie, au lieu que ma comparaison de l’amour lui sera expliquée à quelque heure du jour. — Il faut que je me débarrasse de cette chose, après quoi je commencerai tout de bon.

Or, voici cette chose.

C’est que de toutes les manières de commencer un livre, qui sont maintenant pratiquées dans tout le monde connu, je suis persuadé que la mienne est la meilleure ; — je suis sûr du moins qu’elle est la plus religieuse ; — car j’écris d’abord la première phrase, et je m’abandonne à la Providence pour la seconde.

C’est ce qui devroit guérir pour jamais tout critique du soin et de la folie d’ouvrir sa porte, et d’appeller à son aide ses voisins, ses amis, ses parens, et le diable et son train, pour examiner avec lui comment une de mes phrases en suit une autre, et comment le tout se lie ensemble. —

Je voudrois que vous me vissiez cramponné sur le bras de mon fauteuil, et à moitié soulevé, — les yeux au plancher, — l’air confiant, — attrapant une pensée, souvent lorsqu’elle n’est encore qu’à moitié chemin pour venir à moi. —

Je crois, en conscience, que j’en ai intercepté plus d’une, que le ciel destinoit à quelque autre.