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Vie et opinions de Tristram Shandy/4/81

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 215-216).



CHAPITRE LXXXI.

On ouvre.


Brigitte avoit, comme nous l’avons dit, le premier doigt et le pouce sur le loquet ; et le caporal ne fut pas obligé de frapper aussi long-temps que votre tailleur, milord, que vous faites peut-être souvent attendre. — Mais je pouvois ne pas aller chercher ma comparaison si loin ; car, je soussigné, reconnois devoir à mon tailleur au moins une guinée ; et je m’étonne souvent de la patience du maraud. — Ceci au reste n’intéresse personne. Mais il faut convenir que c’est une cruelle chose que d’être endetté. Il semble que ce soit une fatalité pour le trésor de quelques pauvres diables, au moins de ceux de notre famille. L’économie ne parvient point à relier leurs coffres avec ses cercles de fer.

Quant à moi, je suis sûr qu’il n’y a aucun prince, prélat, pape, ni potentat, petit ou grand, qui désire plus que moi dans son cœur de remplir fidélement ses engagemens, ou qui prenne plus de moyens pour y parvenir. — Je ne donne jamais plus d’une demi-guinée ; — je ne me promène point en bottes, de crainte de les user : — je n’achète pas un cure-dent ; — et je ne dépense pas un schelling par an en tabatières ; — et quant au six mois que je passe à la campagne, j’y mène un si petit train, que Jean-Jacques, avec toute sa modération, ne sauroit atteindre à ma parcimonie ; — car je n’ai chez moi ni homme, ni garçon, ni cheval, ni vache, ni chien, ni chat, ni rien qui mange ou qui boive. Je ne me permets qu’une pauvre et chétive vestale, seulement pour entretenir mon feu ; et la pauvre fille est en vérité aussi sobre que je puisse le desirer.

Mais si, d’après cela, vous me croyez philosophe, — je ne donnerois pas, mes bonnes gens, une obole de votre jugement.

La vraie philosophie, messieurs… Mais ce n’est pas ici le moment d’en raisonner. Voilà mon oncle Tobie qui finit de siffler son lilla-burello ; — souffrez que j’entre avec lui chez Mistriss Wadman.