Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/6/Hipparchia

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J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 67-68).
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Livre VI
HIPPARCHIE.


HIpparchie, sœur de Métroclès, l’une & autre de Maronée, se laissa aussi éblouir par les discours du Philosophe Cratès. Elle en aimait tant les propos & la vie, qu’aucun de ceux, qui la recherchoient en mariage, ne put la faire changer. Richesse, noblesse, beauté, rien ne la touchait ; Cratès lui tenait lieu de tout. Elle menaça même ses parents de se défaire elle-même, si on ne la mariait avec lui. Ils s’adressèrent à Cratès, qu’ils prièrent de la détourner de son dessein ; il fit tout ce qu’ils voulurent. Enfin voyant qu’il ne pouvait rien gagner sur elle, il se leva, lui montra la peu qu’il possédait, & lui dit : Voilà l’époux que vous souhaitez, voilà tous ses biens. Consultez-vous là-dessus ; vous ne pouvez m’épouser, à moins que vous ne preniez la résolution de vous associer à mes études. Elle accepta le parti, s’habilla comme le Philosophe, & le suivit partout, lui permettant d’en agir publiquement avec elle comme mari, & allant avec lui mendier des repas. Quelque jour Lysimaque en donnait un, elle s’y trouva, & y disputa contre Théodore, surnommé l’athée, en lui opposant le Sophisme suivant : Tout ce que Théodore peut faire sans s’attirer de reproche, Hipparchie le peut aussi, sans mériter qu’on la blâme. Or si Théodore se frappe lui-même, il ne fera injustice à personne ; ainsi, si Hipparchie frappe Théodore, elle n’en commettra envers qui que ce soit. Théodore ne répondit rien à ce raisonnement, il se contenta de tirer Hipparchie par la jupe, Cette action ne l’émut, ni ne la déconcerta ; & sur ce qu’il lui adressa ensuite ces paroles,,, Qui est cette femme qui a laissé sa navette auprès de sa toile[1] ? '', elle répondit, C’est moi, Théodore ; mais trouvez-vous que j’aie pris un mauvais parti d’employer à m’instruire le temps que j’aurais perdu à faire de la toile ? On conte d’elle plusieurs autres traits de cette nature.

Il y a un livre de Cratès, qui porte le titre de Lettres, & qui contient une excellente Philosophie, dont le style approche beaucoup de celui de Platon. IL composa aussi des Tragédies, qui renferment des traits de la plus sublime Philosophie, tels que ceux-ci : Je n’ai dans ma patrie, ni tour, ni toit qui m’appartienne ; mais toutes les villes & les maisons de la terre sont les lieux où je puis habiter[2].

Il mourut fort vieux, & fut enterré en Béotie.



  1. Vers d’Euripide.
  2. Ménage conjecture que tout ce passage sur Cratès se pourrait expliquer d’Hipparchie