Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres/9/Leucippe

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J. H. Schneider, Libraire (Tome IIp. 291-293).
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Livre IX


LEUCIPPE.



Leucippe étoit d’Elée, ou d’abdere selon quelques-uns, ou de Milet selon d’autres.

Ce disciple de Zénon croyoit que le monde est infini ; que ses parties se changent l’une dnas l’autre ; que l’Univers est vuide & rempli de corps ; que les mondes se forment par les corps qui tombent dans le vuide & s’accrochent l’un à l’autre ; que le mouvement, qui résulte de l’accroissement de ces corps, produit les astres ; que le soleil parcourt le plus grand cercle autour de la lune ; que la terre est portée comme dans un chariot, qu’elle tourne autour du centre, & que sa figjure est pareille à celle d’un tambour. Ce Philosophe est le premier qui ait établi les atômes pour principes. Tels sont ses sentimens en général, les voici plus en détail.

Il croyoit, comme on vient de dire, que l’Univers est infini ; que par rapport à quelques-unes de ses parties il est vuide, & plein par rapport à quelques autres. Il admettoit des élemens, qui servent à produire des mondes à l’infini, & dans lesquels ils se dissoivent. Les mondes, suivant ce Philosophe, se font de cette maniere : un grand nombre de corpuscules, détachés de l’infini & différens en toutes sortes de figures, voltigent dans le vuide immense, jusqu’à ce qu’ils se rassemblent & forment un tourbillon, qui se meut en rond de toutes les manieres possibles, mais de telle sorte que les parties, qui sont semblables, se séparent pour s’unir les unes aux autres. Celles, qui sont agitées par un mouvement équivalent, ne pouvant être également transportées circulairement à cause de leurs trop grand nombre, il arrive de là que les moindres passent nécessairement dans le vuide extérieur, pendant que les autres restent, & que jointes ensemble, elles forment un premier assemblage de corpuscules qui est sphérique. De cet amas conjoint se fait une espece de membrane, qui contient en elle-même touts sortes de corps, lesquels étant agités en tourbillon à cause de la résistance qui vient du centre, il se fait encore une petite membrane, suivant le cours du tourbillon, par le moyen des corpuscules qui s’assemblent continuellement. Ainsi se forme la terre, lorsque les corps, qui avoient été poussés dans le milieu, demeurent unis les uns aux autres. Réciproquement l’air, comme une membrane, augmente selon l’accroissement des corps qui viennent de dehors, & étant agité en tourbillon, il s’approprie tout ce qu’il touche. Quelques-uns de ces corpuscules, desséchés & entrainés par le tourbillonqui agite le tout, forment par leur entrelassement un assemblage, lequel, d’abord humide & bourbeux, s’enflamme ensuite & se transforme en autant d’astres différens. Le cercle du soleil est le plus éloigné, celui de la lune le plus voisin de la terre, ceux des autres astres tiennent le milieu entre ceux-là. Les astres s’enflamment par la rapidité de leur mouvement. Le soleil tirre son feu des astres, la lune n’en reçoit que très peu. Tous les deux s’éclipsent, parce que la terre est entrainée par son mouvement vers le Midi ; ce qui fait que les pays septentrionaux sont pleins de neige, de brouillards & de galce. Le soleil s’éclipse rarement ; mais la lune est continuellement sujette à ce phénomene, à cause de l’inégalité de leurs orbes. Au reste, de même que la géneration du monde, de même aussi ses accroissemens, ses diminutions & ses dissolutions dépendent d’une certaine nécessité, dont le Philosophe ne rend point raison.