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Vies des grands capitaines/Des Rois

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Hachette et Cie (p. 386-394).

DES ROIS

I. Ce sont à peu près là les capitaines grecs qui nous ont paru dignes de mémoire, à l’exception des rois : car nous n’avons pas voulu toucher à leur histoire, parce qu’il n’en est point dont la vie n’ait été racontée séparément. Ils ne sont cependant pas fort nombreux. Le Lacédémonien Agésilas fut roi de nom et n’eut pas le pouvoir, ainsi que tous les autres rois spartiates. De ceux qui régnèrent par l’autorité, les plus distingués furent, à notre avis, chez les Perses, Cyrus[1] et Darius fils d’Hystaspe. L’un et l’autre, d’abord simples particuliers, acquirent la royauté par leur mérite. Le premier fut tué dans une bataille chez les Massagètes : Darius mourut de vieillesse. Il y a eu encore trois autres célèbres rois de la même nation : Xerxès et les deux Artaxerxès, Longue-Main [Macrochir] et Mnémon. L’action la plus illustre de Xerxès, c’est d’avoir porté la guerre dans la Grèce, par terre et par mer, avec les armées les plus nombreuses qu’on eût vues de mémoire d’homme. La principale gloire de Longue-Main fut sa majestueuse et belle prestance, qu’il releva par une valeur guerrière incroyable : car aucun Persan ne fut plus brave que lui. Il brilla aussi par sa réputation de justice. Ayant, en effet, perdu son épouse par le crime de sa mère, il se livra bien à sa douleur, mais de manière qu’il la fit céder à la piété filiale[2]. De ces rois, les deux[3] du même nom payèrent le tribut à la nature, en mourant de maladie ; le troisième[4] fut égorgé par Artaban, son lieutenant.

II. De la nation des Macédoniens, deux rois ont précédé de beaucoup tous les autres par la gloire de leurs exploits : Philippe, fils d’Amyntas, et Alexandre le Grand. L’un d’eux mourut de maladie à Babylone ; Philippe fut tué à Égée[5] par Pausanias, comme il allait assister aux jeux. Le seul roi célèbre d’Épire fut Pyrrhus[6], qui fit la guerre avec les Romains. Pendant qu’il assiégeait la ville d’Argos, dans le Péloponnèse, il périt, frappé d’un coup de pierre. Il y en eut de même un seul de Sicile, le premier Denys. Il fut, en effet, brave, savant dans la guerre ; et, ce qui ne se trouve pas facilement dans un tyran, point débauché, point présomptueux, point avare. Enfin il ne connut point de passion, hors celle de gouverner seul et toujours ; et, pour cette raison, il fut cruel. Car, en s’appliquant à affermir sa domination, il n’épargna la vie d’aucun de ceux qu’il soupçonnait de lui dresser des embûches. Ce prince, après s’être acquis la tyrannie par son courage, la retint avec un grand bonheur, et mourut âgé de plus de soixante ans, au sein d’un royaume florissant. Dans un espace de tant d’années, il ne vit la mort d’aucune personne de sa race, quoiqu’il eût eu des enfants de trois femmes, et qu’il lui fût né beaucoup de petit-fils.

III. Il y eut aussi de grands rois parmi les amis d’Alexandre, qui, après sa mort, s’emparèrent de ses États. Du nombre furent Antigone et son fils Démétrius[7], Lysimaque, Séleucus et Ptolémée. Antigone, combattant contre Séleucus et Lysimaque, fut tué dans la bataille, Lysimaque reçut de Séleucus le même genre de mort ; car, leur alliance dissoute, ils se firent la guerre entre eux. Démétrius avait donné sa fille en mariage à Séleucus ; leur amitié n’en fut pas pour cela plus durable, et le beau-père, pris dans un combat, mourut de maladie dans la prison du gendre[8]. Peu de temps après, Séleucus fut tué en trahison par Ptolémée Céranne, qu’il avait recueilli lorsqu’il eut été chassé d’Alexandrie par son père et qu’il eut besoin des secours d’autrui. Pour Ptolémée lui-même, après avoir remis de son vivant le royaume à son fils, il fut, dit-on, privé de la vie par ce même fils. Comme nous pensons en avoir assez dit sur ces rois, on nous saura gré peut-être de ne point passer sous silence Hamilcar et Hannibal, qui ont assurément éclipsé en grandeur d’âme et en habileté tous les capitaines nés en Afrique.

  1. Le grand Cyrus, fils de Mandane fille d'Astyage, roi des Mèdes, et du Persan Cambyse.
  2. Il fit mettre à mort une servante qui avait été complice du crime, et relégua sa mère à Babylone.
  3. Les deux Artaxerxès.
  4. Xerxès.
  5. Ville de Macédoine, à l'ouest de Pella. Des villes en Grèce portaient le même nom. Philippe avait refusé de venger Pausanias d'un outrage qu'il avait reçu d'Attale, lieutenant du roi de Macédoine en Asie.
  6. Il descendait d'Achille par sa mère, d'Héraclès par son père.
  7. Surnommé Poliorcète, c'est-à-dire preneur de villes.
  8. Dans la Chersonèse de Syrie où Séleucus le fit transporter. Il y mourut d'oisiveté, de mollesse et d'indigestion.