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Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 1/28

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don lorenzo
DON LORENZO,
CAMALDULE.
PEINTRE.

Les lettres, la musique, la peinture et les autres arts libéraux ou mécaniques doivent être, selon moi, d’une grande ressource pour les personnes qui se sont vouées à la vie religieuse. Elles ne peuvent trouver de plus doux et de plus honorables passe-temps, ni de plus sûrs moyens de se faire aimer pendant leur vie et estimer après leur mort. Grâce à ces bienfaisantes occupations, elles mèneront une vie tranquille, à l’abri des tourments dévorants de l’ambition et de l’ennui, auxquels sont si souvent en proie les lâches fainéants. Et si par hasard elles se trouvent en butte aux traits de l’envie et de la méchanceté, le temps guérira leurs blessures, et la postérité révérera leur talent et leur mémoire. Don Lorenzo, moine camaldule, comprit ces choses, et s’adonna à la peinture. Il appartenait au monastère degli Angeli, fondé l’an 1294 par Fra Guittone d’Arezzo, et occupé par les religieux connus vulgairement sous le nom de Frati Gaudenti (frères jouissants). Dès sa jeunesse, il s’appliqua avec tant d’ardeur au dessin et à la peinture, qu’il fut justement regardé comme un des plus habiles artistes de son temps. Il suivit la manière de Taddeo Gaddi, et exécuta dans son couvent ses premiers ouvrages, parmi lesquels on remarque le tableau du maître-autel, qu’il acheva l’an 1413, comme l’indique l’inscription de la bordure. On voit aujourd’hui, dans la chapelle des Alberti, du premier cloître du monastère degli Angeli, un Couronnement de la Vierge qu’il avait peint pour le couvent de San-Benedetto des Camaldules, hors de la porte Pinti, qui fut détruit l’an 1529 pendant le siége de Florence. À peu près à la même époque, il peignit à fresque, dans l’église de la Santa-Trinità, les chapelles des Bartolini et des Ardinghelli, où il introduisit dans un tableau les portraits du Dante et de Pétrarque. À San-Pietro Maggiore, il décora la chapelle des Fioravanti, et à San-Piero-Scheraggio, à Sant’-Iacopo-sopra-Arno, à la Chartreuse hors de Florence, et à San-Michele de Pise, il laissa des tableaux vraiment dignes d’éloges. À Florence, dans l’église des ermites Camaldules, dont il ne reste plus maintenant que des ruines, il fit entre autres choses un Crucifix et un saint Jean, qui furent très admirés. Don Lorenzo, après plusieurs mois de cruelles souffrances causées par un abcès, mourut âgé de cinquante-cinq ans. Ses frères lui donnèrent une sépulture honorable dans le chapitre de leur couvent.

De même qu’une souche produit souvent de nombreux rejetons, ainsi le monastère degli Angeli vit fleurir pendant de longues années, avant et après Don Lorenzo, plusieurs hommes qui se distinguèrent dans les arts du dessin. Je ne crois pas devoir passer sous silence un certain Don Jacopo, Florentin, qui précéda de beaucoup notre Don Lorenzo. Ce digne religieux fut le plus habile calligraphe, non seulement de la Toscane, mais encore de toute l’Europe, comme le prouvent les livres du chœur de son couvent, qui sont peut-être les plus beaux de l’Italie, et ceux que l’on trouve en divers endroits, et principalement à San-Michele et à San-Mattia. Don Paolo Orlandini eut donc bien raison de célébrer en vers latins la mémoire de ce bon père, dont la main droite est précieusement conservée dans un tabernacle avec celle de Don Silvestro, autre moine, qui orna de miniatures les manuscrits de son ami Don Jacopo, J’ai été vraiment étonné de rencontrer autant de perfection dans ces ouvrages qui datent de l’an 1350 environ, époque où les arts du dessin étaient à peu près perdus. Quelques vieillards racontent que le pape Léon X, durant son séjour à Florence, voulut voir ces livres qu’il avait entendu louer par son père, Laurent de Médicis, et qu’après les avoir examinés attentivement il dit : « Si ces livres étaient selon les règles de l’église romaine, et non de l’ordre des Camaldules, nous les achèterions pour Saint-Pierre de Rome. » Cette église possédait déjà, et possède peut-être encore, deux très beaux manuscrits de Don Jacopo et de Don Silvestro. Le monastère degli Angeli renferme des broderies d’un travail merveilleux, exécutées par les anciens moines, qui jusqu’en 1470 conservèrent le nom d’ermites, et ne sortirent jamais de leur couvent, comme les sœurs et religieuses cloîtrées d’aujourd’hui.

Mais retournons à Don Lorenzo. Il eut pour élèves Francesco de Florence, qui, après sa mort, fit le tabernacle de l’encoignure de Santa-Maria-Novella, au commencement de la via della Scala, et un Pisan qui peignit en détrempe, l’an 1315 1, à San-Francesco de Pise, dans la chapelle de Rutilio, fils de Ser Baccio Maggiolini, la Vierge, saint Pierre, saint Jean-Baptiste, saint François et saint Ranieri, avec trois petits sujets sur le gradin de l’autel.

Nous possédons dans notre recueil un croquis en clair-obscur de la main de Lorenzo représentant les Vertus théologales. On y remarque un bon dessin, et une belle et gracieuse manière, bien supérieure à celle de tous les autres maîtres d’alors (2).

Antonio Vite de Pistoia, artiste de talent, dont nous avons déjà parlé dans la vie de Gherardo Starnina, peignit entre autres choses, du temps de Lorenzo, l’Histoire de Francesco di Marco, dans le palais del Ceppo de Prato.

Les miniaturistes doivent être comptés, comme les mosaïstes, parmi les plus fidèles interprètes des sentiments artistiques pendant le moyen-âge. Plus tôt que les mosaïstes, ils ont vu leur art abandonné et perdu ; et cependant combien leur art n’avait-il pas en soi plus de qualités et de titres pour être maintenu en honneur ? Mais les causes qui le firent périr sont d’un ordre trop élevé pour qu’il faille donner beaucoup aux regrets. L’invention de l’imprimerie et de la gravure ont trop influé sur l’agrandissement et la diffusion de la science et de l’art, pour ne point nous consoler de l’abandon de la miniature. Néanmoins c’est un devoir assurément de constater par quels nobles talents cette voie, aujourd’hui déserte, a été autrefois parcourue, et combien cette branche tombée a porté d’admirables fruits. Cette tâche, nous la remplirons avec soin et conscience quand le Vasari, après nous avoir parlé de nouveau des miniaturistes dans la vie du bienheureux Fra-Giovanni de Fiesole, nous donnera celle de leur plus grand maître Gherardo de Florence.

NOTES.

(1) Cette date est évidemment fausse. Peut-être doit-on lire 1415, et non 1315. Un peu plus haut, Vasari a assigné la date de 1413 au tableau du maître-autel du monastère degli Angeli.

(2) Dans la première édition du Vasari, on trouve l’épitaphe suivante composée en l’honneur de Don Lorenzo :

Egregie minio novit Laurentius uti,
  Ornavit manibus qui loca plura suis.
Nunc pictura facit fama super æthera clarum
  Atque animi eumdem simplicitasque boni.