Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 2/Vellano de Padoue

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VELLANO DE PADOUE,
SCULPTEUR.

On peut pousser si loin l’imitation des œuvres d’un artiste, que souvent il faut avoir, pour ainsi dire, plus que de bons yeux pour découvrir quelque différence entre les productions du maître et celles de l’élève. Et il est bien rare qu’un élève studieux n’arrive pas à prendre au moins, en grande partie, la manière de son maître.

Vellano de Padoue s’appliqua avec tant de zèle à imiter le style et le faire de Donatello en sculpture et principalement dans les bronzes, qu’il hérita vraiment du talent de cet artiste, comme le prouvent ses ouvrages dans le Santo. En effet, tous ceux auxquels on n’a pas appris à l’avance qu’ils sont de Vellano ne manquent jamais de les attribuer à Donatello.

Vellano, enflammé par les louanges qu’il entendait prodiguer à Donatello, qui travaillait alors à Padoue, alla étudier la sculpture auprès de ce célèbre Florentin. Ses progrès furent si rapides et il fit concevoir de telles espérances à son maître, que celui-ci, avant de quitter Padoue, lui laissa tous ses ustensiles, ainsi que les dessins et les modèles des bas-reliefs en bronze qui étaient destinés au Santo de cette ville. Cela fut cause qu’aussitôt après le départ de Donatello, Vellano fut chargé de l’exécution de ces travaux. Il fit donc tous les bas-reliefs qui ornent un des côtés du chœur du Santo. On admire surtout le Samson renversant les colonnes du temple des Philistins. On conserve encore dans le Santo les cires et les modèles de ces bas-reliefs, et plusieurs candélabres en bronze qui montrent le génie inventif de notre artiste. On voit qu’il avait un extrême désir d’égaler Donatello, mais la tâche était au-dessus de ses forces.

Vellano s’appliqua également à l’architecture et se distingua dans cet art. Étant allé à Rome l’an 1464, il fut employé par le pape Paul, de Venise  (1), qui se servait alors de Giuliano da Maiano pour diriger les constructions du Vatican. Vellano y sculpta, entre autres choses, les armoiries de ce pontife, au bas desquelles on lit son nom. On lui doit aussi une grande partie des ornements du palais de San-Marco, où il plaça le buste de Paul II au haut de l’escalier. Il dessina ensuite une cour et des escaliers d’une beauté extraordinaire pour ce palais, mais la mort du pape en arrêta l’exécution. Pendant son séjour à Rome, il fit, pour sa Sainteté et d’autres personnages, une foule de petits ouvrages en marbre et en bronze dont je n’ai pu trouver aucune trace.

À Pérouse, il laissa la statue de Paul II plus grande que nature, et il y grava son nom et la date de l’époque où elle fut achevée. Cette statue est hors de la porte de San-Lorenzo, dans une niche formée de plusieurs sortes de pierres sculptées avec beaucoup de soin. Vellano exécuta encore bon nombre de médailles parmi lesquelles on remarque celles de Paul II et de ses deux secrétaires, Antonio Rosello d’Arezzo et Battista Platina.

Après avoir terminé ces travaux, Vellano revint à Padoue précédé d’une excellente réputation. Il était alors en crédit, non-seulement dans sa patrie, mais encore dans toute la Lombardie et la Marche Trévisane, tant parce qu’il était très-habile dans l’art de fondre les métaux, que parce qu’il n’existait pas alors dans ces pays d’artistes du premier ordre.

Vellano était déjà vieux, lorsque la seigneurie de Venise résolut d’élever une statue équestre en l’honneur de Bartolommeo de Bergame. Elle alloua l’exécution du cheval à Andrea del Verrocchio, de Florence, et celle de la figure à Vellano. Andrea, qui se croyait avec raison un tout autre maître que Vellano, comptait obtenir l’ouvrage en entier ; aussi, en voyant son espoir déçu, il entra dans une telle fureur qu’il brisa le modèle du cheval qu’il avait déjà achevé. Il se retira aussitôt à Florence, mais la seigneurie le rappela et lui confia toute l’entreprise. Vellano, à son tour, se trouva si vivement blessé, qu’il quitta Venise sans dire mot  (3). Il retourna à Padoue où, sans songer à se livrer à de nouveaux travaux, il vécut honorablement, aimé et estimé de ses concitoyens.

Il mourut à l’âge de quatre-vingt-douze ans, et fut enterré dans le Santo avec tous les honneurs qui étaient dus à son mérite.

Son portrait me fut envoyé de Padoue par quelques-uns de mes amis auxquels il fut donné par le docte et révérend cardinal Bembo, un des amateurs les plus éclairés des beaux-arts.

Dans ce volume, nous avons vu la sculpture délivrée, par les efforts du Ghiberti et du Donatello, de l’espèce de torpeur qui s’était emparée d’elle après la forte secousse que lui avait imprimée Niccola de Pise. Le Donatello et le Ghiberti chassèrent la timidité qui avait arrêté l’essor des disciples immédiats du Pisan. Tout en se laissant guider par la nature, ils puisèrent dans l’étude approfondie de l’antique une hardiesse inconnue à leurs devanciers. Néanmoins, ils furent assez prudents pour ne jamais permettre à leur imagination de se livrer à une liberté, à une licence, dont le Buonarroti seul était appelé à se jouer sans danger. À la vérité, pour élever leur vol au-dessus de celui de leurs rivaux, ils n’eurent pas besoin d’avoir recours à des moyens extrêmes, de se lancer hors de toutes limites. Ils cherchèrent donc à inspirer de douces et tranquilles émotions, plus qu’à exciter la surprise et l’effroi. Ils tendirent à mettre leur art en honneur, plus qu’à faire un étalage superflu de leur science. Aussi, en présence de leurs œuvres et de celles de leurs élèves, où la force se trouve harmonieusement mariée à la modestie et à la naïveté des siècles précédents, aurons-nous à regretter plus d’une fois que les successeurs de Buonarroti n’aient pas imité leur modération, au lieu de s’épuiser en ambitieuses et folles tentatives pour étouffer sous la science l’art et la nature.

Mais, avant de terminer, disons un mot de Vellano. Nous n’aurions pas manqué de nous inscrire contre les éloges un peu ampoulés qui ouvrent sa biographie, si, quelques lignes plus bas, Vasari, dans sa naïve étourderie, ne nous eût épargné la peine de les réfuter. Qu’une critique hargneuse, armée de paroles sonores, grossisse sa voix pour lui reprocher vertement cette flagrante contradiction : nous lui ferons la part belle et facile. Vasari a eu le tort grave de transcrire légèrement un exorde pompeux qui lui aura été envoyé par ses amis de Padoue en même temps que le portrait de Vellano. Après leur avoir laissé dire qu’à moins d’être bien averti, on ne manquait jamais d’attribuer au Donatello les ouvrages de Vellano, il ajoute de son chef : « Vellano avait un extrême désir d’égaler Donatello ; mais la tâche était au-dessus de ses forces. » Scandaleuse et impudente contradiction, que nos savants académiciens ont signalée et stigmatisée avec une rare et vertueuse énergie. Heureux nous serions, si, pour apaiser leur courroux, il nous suffisait de reconnaître avec eux que l’artiste auquel Donatello offrit ses dessins et ses modèles, en gage de son estime, que l’artiste jugé digne de continuer les travaux du Donatello, que l’artiste dont le crédit s’étendait dans toute la Lombardie et la Marche Trévisane, n’était qu’un grossier et ignorant manœuvre !

NOTES.

(1) C’est-à-dire le pape Paul II.

(2) Jacopo Roselli, fils du cav. Giovanni, possédait une belle médaille d’Antonio Roselli. Voyez l’oraison funèbre de ce célèbre jurisconsulte, prononcée l’an 1467 par Pietro Barocci, et publiée à Padoue l’an 1719 par le Comino. Voyez aussi les Notizie istoriche insérées dans le Magazzino di Livorno de l’an 1758.

(3) Vasari raconte le même fait d’une manière plus détaillée dans la vie d’Andrea Verrocchio.

FIN DU TOME DEUXIÈME.