Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 9/De divers artistes italiens

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DE

DIVERS ARTISTES ITALIENS.



Aujourd’hui vit à Rome l’habile Girolamo Siciolante de Sermoneta. Nous avons déjà parlé de cet artiste dans la biographie de Perino del Vaga, dont il fut élève (1), et qu’il aida particulièrement dans les travaux du château de Sant’-Agnolo ; mais son mérite éminent exige que nous entretenions encore de lui nos lecteurs.

Parmi ses premiers ouvrages, on remarque un tableau à l’huile, haut de douze palmes, qu’il exécuta à l’âge de vingt ans, et qui appartient maintenant à l’abbaye de Santo-Stefano, située près de Sermoneta. Ce tableau représente saint Pierre, saint Étienne, saint Jean-Baptiste et quelques enfants. Girolamo fit ensuite, à l’huile, dans l’église de Sant’-Apostolo de Rome, le Christ mort, entouré de la Vierge, de saint Jean, de la Madeleine et de plusieurs autres personnages. Peu de temps après, il enrichit la voûte de la chapelle de marbre, bâtie à la Pace, par le cardinal Cesis, de quatre compartiments en stuc, renfermant la Naissance du Christ, l’Adoration des Mages, la Fuite en Égypte et le

girolamo sciolante.
Massacre des Innocents. Ces sujets se distinguent par

leur fini, par la richesse de l’invention et l’entente de la composition. Pour le maître-autel de la même église de la Pace, Girolamo peignit sur un panneau de quinze brasses de hauteur une belle Nativité du Christ, et pour la sacristie de Santo-Spirito de Rome, une Descente du Saint-Esprit sur les apôtres.

À Santa-Maria-de-Anima, la chapelle des Fuccheri, dont l’autel est orné d’un tableau de Jules Romain, doit à Girolamo de grandes fresques, où sont retracés divers épisodes de la vie de la Vierge.

À San-Jacopo-degli-Spagnuoli, il laissa, sur le maître-autel, entre un saint Jacques apôtre et un saint Alphonse évêque, l’un et l’autre hauts de neuf palmes, un magnifique Crucifix accompagné de plusieurs anges, de la Vierge et de saint Jean.

À San-Tommaso, sur la place Giudea, il figura à fresque, dans une chapelle qui donne sur la cour de la maison Cenci, la Nativité de la Vierge, l’Annonciation et la Naissance du Sauveur.

Dans un superbe salon du palais du cardinal Capodiferro, il représenta différents traits de l’histoire des anciens Romains.

À Bologne, il fit, pour l’autel de San-Martino, un tableau qui fut très-admiré.

Pour le signor Pier-Luigi Farnese, duc de Parme et de Plaisance, au service duquel il resta quelque temps, il conduisit à fin, entre autres choses, un tableau destiné à une chapelle et contenant la Vierge, saint Joseph, saint Michel, saint Jean-Baptiste et un ange. À son retour de Lombardie, Girolamo exécuta deux Crucifix, l’un pour le vestibule de la sacristie de la Minerva, l’autre pour l’intérieur de la même église. Il peignit ensuite à l’huile une sainte Catherine et une sainte Agathe ; puis il fit une fresque à San-Luigi, en concurrence du Bolonais Pellegrino Pellegrini et du Florentin Jacopo del Conte.

Il y a peu de temps, Girolamo représenta la Vierge, saint Jacques apôtre, saint Alò et saint Martin évêques, dans un tableau de seize palmes de hauteur, destiné à l’église de Sant’-Alò, située en face de la Misericordia.

À San-Lorenzo-in-Lucina, dans la chapelle de la comtesse di Carpi, on trouve de lui un saint François recevant les stigmates.

Dans la salle des Rois, au-dessus de la porte de la chapelle du pape Sixte, il fit du temps de Pie IV, comme nous l’avons dit ailleurs, une admirable fresque où l’on voit Pépin, roi des Francs, donnant Ravenne à l’Église, et emmenant prisonnier Astolphe, roi des Lombards. Nous conservons dans notre collection le dessin de cette composition et plusieurs autres études de la main de Girolamo.

Enfin, cet artiste est aujourd’hui occupé à décorer la chapelle du cardinal Cesis, à Santa-Maria-Maggiore. Déjà même il y a achevé le Martyre de sainte Catherine, magnifique morceau qui ne le cède en rien à ses autres productions.

Nous passerons sous silence les portraits et les autres ouvrages peu importants de Girolamo ; car, sans compter qu’ils sont extrêmement nombreux, ceux que nous avons mentionnés suffisent pour donner une idée de son précieux talent.

Nous avons dit succinctement, dans la vie de Perino del Vaga, que Marcello de Mantoue demeura plusieurs années auprès de ce maître et qu’il exécuta, sous sa direction, des travaux qui lui valurent une grande renommée. Maintenant, nous fournirons des détails plus circonstanciés sur ce Marcello  (2).

À Santo-Spirito, il fit toutes les peintures de la chapelle de San-Giovanni-Evangelista, et il y introduisit un portrait très ressemblant d’un commandeur de l’ordre du Santo-Spirito, qui avait bâti l’église. Le tableau que Marcello laissa sur l’autel est d’une rare beauté.

Le style adopté par notre artiste plut à un certain Frate del Piombo, qui le chargea de peindre à fresque, au-dessus de la porte de la Pace qui conduit au couvent, un Christ disputant dans le temple avec les docteurs. Marcello s’acquitta de cette tâche avec succès. Mais il se dégoûta de la grande peinture, et il se tourna vers un genre moins élevé. Parmi les nombreux portraits qu’on lui doit, on en remarque plusieurs du pape Paul III, qui sont rendus avec une fidélité extraordinaire. Il a également traité, en petite dimension, une infinité de sujets inventés par lui-même ou copiés d’après Michel-Ange : ainsi, il a reproduit avec une remarquable exactitude toute la façade du Jugement dernier. Enfin, Messer Tommaso de’ Cavalieri lui a fait peindre, pour San-Giovanni-Laterano, une Annonciation d’après un dessin de Michel-Ange, que Lionardo Buonarroti a donné, avec différentes études de fortifications et d’architecture, au seigneur duc Cosme. Mais en voilà assez sur Marcello. Contentons-nous d’ajouter que tous ses petits ouvrages dénotent chez lui une patience vraiment incroyable  (3).

Comme Girolamo Siciolante et Marcello, le Florentin Jacopo del Conte, habite Rome. Nous consignerons ici quelques particularités qui compléteront ce que nous avons à dire de cet artiste, qui déjà, plusieurs fois, a attiré notre attention (4).

Dès sa jeunesse, Jacopo del Conte montra beaucoup de dispositions pour le portrait : aussi cultivat-il ce genre de préférence à tout autre, bien qu’à l’occasion il ait fait quantité de tableaux et de fresques, à Rome et ailleurs.

L’énumération de tous les portraits exécutés par Jacopo nous mènerait trop loin. Nous nous bornerons donc à dire qu’il a peint tous les papes qui ont existé depuis Paul III jusqu’à présent, ainsi que tous les seigneurs et les ambassadeurs qui ont paru à la cour pontificale, et tous les capitaines et hommes notables des maisons Colonna, Orsini et Strozzi, sans compter une foule d’évêques, de cardinaux, de prélats, d’écrivains et de gentilshommes. Ces travaux ont été pour Jacopo une source de gloire et de fortune, et l’ont mis à même de vivre à Rome avec sa famille, fort à l’aise et de la manière la plus honorable.

Jacopo, dès son enfance, dessinait si bien, que l’on s’attendait à le voir un jour atteindre à la perfection, et il y serait sans aucun doute parvenu, si, comme nous l’avons dit, il n’eût point obéi à un goût particulier. Quoi qu’il en soit, ses ouvrages ne méritent que des éloges.

Il y a de lui, dans l’église del Popolo, un Christ mort, et dans la chapelle de San-Dionigi, à San-Luigi, un saint Denis avec plusieurs sujets tirés de la vie de ce bienheureux. Mais les chefs-d’œuvre de Jacopo sont, sans contredit, les deux fresques et la Déposition de croix qu’il a laissées dans l’oratoire de la Misericordia des Florentins.

Jacopo a fait à Rome plusieurs tableaux et quantité de beaux portraits nus et costumés qui luttent de vérité avec la nature. Il a peint, en buste, une foule de dames et de princesses qui ont été à Rome, et entre autres la signora Livia Colonna, femme d’une naissance illustre, d’une vertu sans tâche et d’une beauté incomparable. Je pourrais mentionner bon nombre d’autres artistes italiens, mais je les passe sous silence ; ceux-ci, parce que la vieillesse les a réduits à l’inaction ; ceux-là, parce que, étant à la fleur de l’âge, leurs travaux les recommanderont mieux que ne sauraient le faire mes écrits. Cependant j’appellerai l’attention sur Adone Doni, d’Assise, que j’ai déjà cité dans la biographie de Cristofano Gherardi, et dont les tableaux se rencontrent à Pérouse, dans toute l’Ombrie, et principalement à Foligno. Ses meilleures productions sont à Santa-Maria-degli-Angeli, d’Assise, dans la petite chapelle oû mourut saint François. Il y peignit à l’huile et sur muraille différents épisodes de la vie de saint François, qui sont très-admirés. Adone a aussi exécuté à fresque la Passion du Christ, au bout du réfectoire du couvent de Santa-Maria-degli-Angeli. Enfin, Adone ne se distingue pas moins par son affabilité et sa courtoisie que par son talent.

Deux jeunes gens, l’un peintre et l’autre sculpteur, le premier nommé Cesare del Nebbia (5) et le second. … (6) travaillent aujourd’hui à Orvieto, et sont en si bon chemin, que leur patrie n’aura plus besoin d’avoir recours, comme jadis, à des maîtres étrangers.

En ce moment le jeune Niccolo dalle Pomarance déploie son talent à Santa-Maria, cathédrale de la ville d’Orvieto. On lui doit une Résurrection de Lazare et des fresques qui lui vaudront une glorieuse renommée (7).

Pour en finir avec les maîtres italiens vivants, nous dirons que nous avons entendu parler avec éloge d’un certain Lodovico, sculpteur florentin, qui a travaillé en Angleterre et à Bari ; mais comme nous n’avons ni vu ses ouvrages, ni trouvé de renseignements sur ses parents, ni découvert son nom de famille, nous ne pouvons, à notre grand regret, en faire plus ample mention.



À l’exception de Girolamo Siciolante, de Sermoneta, dont les œuvres rappellent celles des meilleurs élèves de Raphaël, les différents maîtres que Vasari vient de passer en revue peuvent, sans injustice, être rangés dans cette classe d’artistes, ou, pour mieux dire, de praticiens dont la production fut immense, mais veule et insignifiante. Trop timides, trop faibles ou trop égoïstes pour lutter contre les entraînements déplorables qui devaient pousser la peinture à une décadence honteuse et bientôt au néant, ils se montrèrent sans respect pour le passé, sans préoccupation de l’avenir. Uniquement guidés par leur intérêt personnel, ils ne communièrent point avec l’humanité : aussi ne faut-il pas s’étonner si, malgré les recommandations dont notre auteur a entouré ces hommes, leurs noms sont aujourd’hui plongés dans la plus profonde obscurité.



NOTES.

(1) Siciolante eut pour premier maître Lionardo, dit le Pistoia, disciple duFattore.

(2) Marcello Venusti de Mantoue mourut sous le pontificat de Grégoire XIII.

(3) Marcello représenta, sur le maître-autel de San-Lorenzo-in-Miranda, un saint Laurent. Ce tableau fut remplacé par une peinture de Pietro de Cortona.

(4) Jacopo del Conte, disciple d’Andrea del Sarto, vécut quatrevingt-huit ans, et mourut en 1598.

(5) Cesare Nebbia fut élève du Muziano. Il exécuta de nombreux ouvrages sous les pontificats de Grégoire XIII et de Sixte V. Dans sa vieillesse il se retira à Orvieto, où il mourut âgé de soixante-douze ans, sous le pontificat de Paul V.

(6) On présume que le sculpteur dont Vasari omet le nom est le Scalza.

(7) Niccolo dalle Pomarance , dont le véritable nom de famille est Circignani , signait ainsi ses tableaux : Nicolaus Circignanus Volterranus. Suivant Baglioni, il aurait cessé de vivre en 1588 ; mais c’est une erreur, car il travaillait encore en 1591 , date que l’on trouve sur plusieurs de ses tableaux.