Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 9/Des Académiciens du dessin

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Le Bronzino.
DES
ACADÉMICIENS DU DESSIN,
PEINTRES, SCULPTEURS ET ARCHITECTES

Après avoir écrit la vie des peintres, des sculpteurs et des architectes les plus célèbres que la mort a frappés depuis Cimabue jusqu’à nos jours, après avoir parlé en maintes occasions de divers maîtres vivants, il me reste quelques mots à dire sur les artistes de notre Académie de Florence, auxquels je n’ai pu consacrer encore une attention suffisante. Il est convenable de commencer par les principaux et les plus âgés d’entre eux : je m’occuperai donc d’abord d’Agnolo, surnommé le Bronzino, peintre florentin, très-habile et digne de tous les éloges imaginables.

Le Bronzino demeura plusieurs années auprès du Pontormo, et s’appropria si bien sa manière que souvent on confondit leurs ouvrages. Il est vraiment étonnant que le Bronzino ait saisi de la sorte le style du Pontormo ; car ce dernier était si sauvage et si étrange même avec ses plus chers élèves, qu’il ne leur permit jamais de voir ses peintures avant qu’elles ne fussent achevées complètement. Néanmoins la patience et le dévouement d’Agnolo forcèrent le Pontormo à l’aimer comme un fils.

Les premières productions importantes de la jeunesse du Bronzino se trouvent à la chartreuse de Florence, dans deux arcs placés l’un au dedans et l’autre au dehors d’une porte qui conduit du grand cloître au chapitre. L’arc extérieur renferme une Piété et deux anges à fresque, et l’arc intérieur un saint Laurent nu peint à l’huile sur le mur. Cet essai présagea les éminentes qualités que notre artiste devait développer plus tard.

À Santa-Felicità de Florence, dans la chapelle de Lodovico Capponi, il fit, à l’huile, deux Évangélistes dans deux médaillons circulaires et quelques personnages sur la voûte.

Dans le cloître de l’abbaye des moines noirs de Florence, il exécuta une fresque représentant saint Benoît se jetant nu sur des épines.

Dans le jardin des religieuses connues sous le nom de Poverine, il peignit à fresque un magnifique tabernacle, contenant l’Apparition du Christ à Madeleine.

À la Santa-Trinità, on voit, sur le premier pilastre que l’on rencontre en entrant à droite, un tableau à l’huile, où le Bronzino figura, avec beaucoup de soin, le Christ mort, la Vierge, saint Jean et sainte Marie-Madeleine. Tout en s’occupant de ces travaux, Agnolo conduisit à fin des portraits et d’autres tableaux qui le mirent en grande réputation.

Après le siége de Florence, le Bronzino se rendit à Pesaro, auprès de Guidobaldo, duc d’Urbin, qui l’employa à décorer un clavecin, comme nous l’avons dit ailleurs. Il fit, en outre, le portrait de ce seigneur et celui d’une fille de Matteo Sofferoni. Il peignit aussi à l’huile, dans les voussures d’une salle de la villa ducale de l’Imperiale, quelques figures à l’huile, auxquelles il en aurait ajouté d’autres, s’il n’eût point été rappelé à Florence par Jacopo Pontormo pour aider ce maître à terminer la salle de Poggio-a-Caiano.

À son arrivée à Florence, Agnolo fit, pour Messer Giovanni de Statis, une petite Madone d’une ravissante beauté, et peu de temps après, pour Monsignor Giovio, son ami, le portrait d’Andrea Doria. Il orna ensuite les lunettes d’une chambre de la maison de Bartolommeo Bettini des portraits de Dante, de Pétrarque et de Boccace. Lorsqu’il eut achevé ces tableaux, il reproduisit les traits de Bonaccorso Pinadori, d’Ugolino Martelli, de Messer Lorenzo Lenzi, aujourd’hui évêque de Fermo, de Pier-Antonio Bandini et de sa femme, et d’une foule d’autres personnages qu’il serait trop long d’énumérer. Il suffit de dire que tous ces portraits sont très-ressemblants, et d’un fini qui ne laisse rien à désirer.

Pour Bartolommeo Panciatichi, Agnolo exécuta deux grands tableaux de Vierges merveilleusement beaux. On lui doit encore les portraits de Bartolommeo et celui de sa femme, auxquels il ne manque que le souffle. Pour le même citoyen, il peignit un Christ en croix d’une telle perfection, qu’il est évident qu’il eut devant les yeux un cadavre crucifié.

À San-Casciano, villa qui appartient à Matteo Strozzi, le Bronzino représenta à fresque, dans un tabernacle, une Piété et plusieurs anges.

Pour Filippo d’Averardo Salviati, il fit en petit une Nativité du Christ d’une beauté sans égale, comme chacun a pu en juger par la gravure qui en a été publiée[1] ; et pour Maestro Francesco Montevarchi, savant physicien, une Madone et plusieurs petits tableaux très-gracieux. Le Bronzino aida, comme nous l’avons dit ailleurs, le Pontormo, son maître, à décorer la villa Careggi, et figura, dans les pendentifs, la Fortune, la Renommée, la Paix, la Justice, la Prudence et quelques enfants.

Lorsque le duc Cosme eut succédé au duc Alexandre, le Bronzino aida encore le Pontormo à peindre la loggia de Castello. Lors des noces de l’illustrissime doña Leonora de Tolède, il fit deux tableaux en clair-obscur dans la cour du palais Médicis, et orna le piédestal du cheval du Tribolo de divers sujets tirés de la vie du seigneur Jean de Médicis. Ces peintures dévoilèrent le talent de notre artiste au duc, qui le chargea de décorer, dans le palais ducal, une petite chapelle destinée à la noble duchesse. Sur la voûte de cette chapelle, le Bronzino représenta quelques Enfants, avec saint François, saint Jérôme, saint Michel, ange, et saint Jean ; et sur trois des parois, trois sujets empruntés à l’histoire de Moïse. Sur la paroi où se trouve la porte, on voit Moïse guérissant les Hébreux de la morsure des serpents ; sur la paroi qui est percée d’une fenêtre, les Hébreux recueillant la manne dans le désert ; et enfin, sur la troisième paroi, la submersion de Pharaon dans la mer Rouge.

Ces fresques furent exécutées avec tout le soin imaginable. Le Bronzino orna l’autel d’un Christ mort, soutenu par la Vierge ; mais le duc Cosme envoya ce tableau, comme une chose précieuse, à Granvelle, le plus grand personnage qu’il y eut alors auprès de l’empereur Charles-Quint. Le Bronzino reproduisit aussitôt le même sujet, et le mit sur l’autel, entre un ange Gabriel et une Vierge recevant l’annonce de sa mission divine. Ces deux derniers tableaux remplacèrent un saint Jean-Baptiste et un saint Cosme, que la duchesse ordonna de transporter dans sa galerie, lorsque l’on enleva le Christ mort. Le seigneur duc, ayant vu que le Bronzino avait un talent tout particulier pour peindre d’après nature, se fit représenter par lui, couvert d’une armure blanche, et la main posée sur un casque. Il lui demanda aussi le portrait de la duchesse, sa femme, et celui de son fils, don Francesco, prince de Florence. À peu de temps de là, le Bronzino exécuta un second portrait de la duchesse, qu’il représenta auprès du signor don Giovanni, son fils. Il peignit, en outre, la jeune Bia, fille naturelle du duc, et tous ses autres enfants, la belle signora donna Maria, le prince don Francesco, le signor don Giovanni, don Garzia et don Ernando. Tous ces portraits sont dans la galerie de Son Excellence, ainsi que ceux de don Francesco, de Tolède, de la mère du duc, et d’Ercole, duc de Ferrare. Le Bronzino fit encore, dans le palais, de magnifiques décorations de théâtre, deux années consécutives, pour les fêtes du carnaval. Il envoya en France un tableau d’une beauté singulière, renfermant Vénus embrassée par Cupidon, et accompagnée d’un côté par le Plaisir et les Amours, et de l’autre côté par la Fraude, la Jalousie, et diverses passions.

Le seigneur duc, après avoir fait commencer les cartons des tapisseries de la salle du conseil des Deux cents par le Pontormo et par le Salviati qui représentèrent, le premier, deux sujets et le second un seul sujet de l’histoire de Joseph, ordonna que l’entreprise fût continuée par le Bronzino. Notre artiste mena à bonne fin quatorze morceaux ; mais l’énorme perte de temps que lui causa ce travail l’engagea à confier l’exécution de la plupart des cartons à Raffaello dal Colle, auquel il se contenta de fournir des dessins.

Giovanni Lanchini ayant construit en face de la chapelle des Dini, à Santa-Fiore de Florence, une somptueuse chapelle où il éleva son tombeau en marbre, pria le Bronzino d’y peindre la Descente du Christ aux limbes. Le Bronzino consacra à cet ouvrage toute l’application dont est capable celui qui brûle d’acquérir de la gloire. Il représenta, dans des attitudes d’une variété et d’une beauté rares, une foule d’hommes, de femmes, d’enfants, de vieillards et de jeunes gens. Parmi les hommes il introduisit les portraits de Jacopo Pontormo, du fameux académicien Giovambattista Gello, et du peintre Bacchiacca ; et parmi les femmes, ceux de deux nobles et jeunes Florentines, dont la beauté et la vertu sont dignes de n’être jamais oubliées, Madonna Costanza da Sommaia, épouse de Giovambattista Doni, et Madonna Cammilla Tedaldi del Corno.

Peu de temps après, le Bronzino termina une grande Résurrection du Christ, qui fut placée à la Nunziata, dans la chapelle qui appartient à Jacopo et à Filippo Guadagni. C’est à cette époque qu’il acheva le tableau que l’on substitua dans la chapelle du palais à celui qui fut envoyé à Granvelle. Puis il fit pour le signor Alamanno Salviati un Satyre et une Vénus qu’il est facile de reconnaître pour la déesse de la beauté.

Bronzino fut ensuite appelé par le duc à Pise où il peignit quelques portraits pour Son Excellence et un sujet de Vierge pour Luca Martini, son intime ami. Dans ce dernier tableau il représenta Luca portant une corbeille de fruits, par allusion à la fertilité que cet honorable citoyen avait répandue autour de Pise en présidant au desséchement des eaux et des marais qui rendaient le pays stérile et insalubre. Bronzino ne partit pas de Pise sans que le fabricien Raffaello del Setaiuolo lui eût commandé un tableau pour une des chapelles de la cathédrale. Notre artiste peignit le Christ avec sa croix, entouré d’une foule de saints, parmi lesquels est un saint Barthélemi écorché d’une vérité effrayante. Cette composition est belle dans toutes ses parties. Elle fut mise dans une chapelle à la place qu’occupait un tableau de Benedetto de Pescia, élève de Jules Romain.

Agnolo représenta ensuite, par l’ordre du duc Cosme, le nain Morgante nu et en pied, sous deux aspects différents, c’est-à-dire de face sur l’un des côtés du tableau et de dos sur l’autre côté. Cette figure, à membres monstrueux, est merveilleusement peinte. Bronzino fit également le portrait de Ser Carlo Gherardi de Pistoia, son ami d’enfance, qui lui doit en outre une Madone d’un relief extraordinaire et une superbe Judith mettant dans une corbeille la tête d’Holopherne. Ce dernier tableau est accompagné d’un couvercle sur lequel on voit la Prudence se regardant dans un miroir.

Lorsque le duc fut parvenu à l’âge de quarante ans, Bronzino exécuta le portrait de Son Excellence et celui de la duchesse, qui tous deux ne pouvaient être plus ressemblants.

Giovambattista Cavalcanti, ayant construit à Santo-Spirito de Florence, en marbres précieux amenés d’outre-mer à grands frais, une chapelle où il déposa les restes mortels de son père Tommaso, y fit sculpter, par Fra Giovan’-Agnolo Montorsoli, le buste de son père, et peindre par le Bronzino l’Apparition du Christ à Marie-Madeleine. Au fond de cette composition on aperçoit les deux autres Maries, Toutes ces figures sont étudiées avec un soin incroyable.

Jacopo Pontormo ayant laissé inachevée la chapelle de San-Lorenzo, Bronzino fut chargé par le duc de la conduire à fin. Il termina d’abord une foule de figures nues qui manquaient au premier plan du Déluge, puis au bas de la Résurrection des morts, il couvrit de personnages, d’une rare beauté, un espace qui avait une brasse de hauteur, et comprenait toute la largeur de la façade ; enfin il termina entre les fenêtres un saint Laurent nu, couché sur une grille et environné d’enfants. Dans cet ouvrage, le Bronzino se montra bien supérieur au Pontormo son maître, dont il fit le portrait dans un coin de la chapelle, à droite du saint Laurent.

Le duc lui commanda ensuite une Déposition de croix qu’il envoya à Porto-Ferraio dans l’île d’Elbe, au couvent des Récollets, et une Nativité du Christ pour l’église des chevaliers de Santo-Stefano, récemment bâtie, ainsi que le palais et l’hôpital du même ordre, d’après les plans de Vasari. Ces deux tableaux se distinguent par la correction du dessin, la richesse de l’invention, le charme du coloris et le fini de l’exécution qui ne pourrait être poussé plus loin.

Le Bronzino a peint sur des plaques d’étain de dimension uniforme tous les grands personnages des deux branches de la famille Médicis, depuis Giovanni di Ricci et Cosme l’Ancien, jusqu’à la reine de France, et depuis Laurent, frère de Cosme l’Ancien, jusqu’au duc Cosme. Tous ces portraits sont rangés derrière la porte d’un cabinet que Vasari a construit dans les nouveaux appartements du palais ducal, et qui renferme une foule de statues antiques en marbre et en bronze, de petites peintures modernes, de miniatures précieuses et de médailles d’or, d’argent et de bronze. Les portraits dont nous venons de parler sont tous d’une ressemblance extrême ; aussi est-ce une chose vraiment digne de remarque que le Bronzino, au lieu de perdre son talent en vieillissant, comme la plupart des artistes, le voit au contraire s’augmenter à mesure qu’il avance en âge.

Tout récemment encore, Agnolo a fait, pour son intime ami don Silvano Razzi, religieux camaldule du monastère degli Angeli, de Florence, une sainte Catherine qui n’est inférieure à aucun de ses autres ouvrages, et à laquelle il ne manque, pour ainsi dire, que le souffle, et cette parole dont elle se servit, jusqu’à son dernier soupir, pour confesser le Christ, son époux divin. C’est donc à bon droit que don Silvano estime ce tableau plus que tous ceux qu’il possède.

Agnolo a exécuté, en outre, un portrait du cardinal Jean de Médicis, qui fut envoyé à la cour de l’empereur à la reine Jeanne, puis celui du seigneur don François, prince de Florence, dont la ressemblance et le fini sont extraordinaires.

Lors du mariage de la reine Jeanne d’Autriche, le Bronzino peignit, sur trois grandes toiles, qui furent placées sur le pont alla Carraia, divers sujets des noces d’Hyménée. Ces tableaux étaient d’une telle beauté, qu’ils méritaient d’être conservés éternellement, au lieu d’être employés comme une décoration temporaire.

Il y a peu de mois, Bronzino a terminé, pour le prince, un petit tableau qui n’a pas son pareil, et que l’on serait vraiment tenté de prendre pour une miniature.

Aujourd’hui, malgré ses soixante-cinq ans, Agnolo est encore tellement passionné pour l’art, qu’il a commencé, suivant le désir du duc, deux fresques dans l’église de San-Lorenzo, près de l’orgue.

Agnolo a cultivé et cultive encore avec succès la poésie. Il a composé un grand nombre de capitoli[2] et de sonnets, dont une partie a été publiée ; mais il s’est surtout distingué dans le berniesque, car maintenant il n’y a personne qui l’égale dans ce genre, ainsi qu’on le verra un jour, si, comme on l’espère, on imprime ses œuvres complètes[3].

Le Bronzino a un caractère plein de douceur et d’affabilité. Il s’est montré dévoué à ses amis, honorable dans toutes ses actions, et généreux autant qu’un noble artiste comme lui doit l’être. Jamais il n’a fait de tort à personne, et il a toujours témoigné beaucoup d’amitié aux artistes de talent : c’est ce que je puis affirmer, moi, qui suis étroitement lié avec lui depuis quarante-trois ans, c’est-à-dire depuis l’an 1524 jusqu’à ce jour. J’ai commencé à le connaître et à l’aimer quand il travaillait à la chartreuse avec le Pontormo, duquel j’étais alors occupé à dessiner les ouvrages[4].

Les disciples du Bronzino sont nombreux ; mais le premier de tous (pour parler à présent de nos académiciens) est Alessandro Allori, qu’il traita constamment comme son propre enfant, et non comme son élève. Un bon père et son fils ne vivraient point autrement que le Bronzino et Alessandro ont vécu et vivent ensemble.

Alessandro Allori n’est encore âgé que de trente ans, et déjà il a prouvé, dans quantité de tableaux et de portraits, qu’il est un digne élève de son maître, et qu’il n’épargne aucun effort pour arriver à la perfection que l’on attend d’un génie supérieur. Dans la chapelle des Montaguti, à la Nunziata, il a peint à l’huile, avec un soin extrême, le tableau de l’autel, et à fresque les parois et la voûte. Le tableau représente la Vierge à côté du Christ, lequel juge les bons et les méchants au jour suprême. Ces figures sont tirées du Jugement dernier de Michel-Ange. À chaque angle du tableau est un Prophète ou un Évangéliste ; sur la voûte sont des Sibylles et des Prophètes, où l’on reconnaît qu’Alessandro a cherché à imiter les nus de Michel-Ange. Sur la paroi que l’on rencontre à gauche, en marchant vers l’autel on voit le Christ enfant discutant dans le temple avec les docteurs. L’attitude du Christ montre qu’il répond à une question. Ses paroles sont attentivement écoutées par les docteurs et par d’autres personnages, parmi lesquels Alessandro introduisit les portraits de plusieurs de ses amis. Sur l’autre paroi il représenta avec talent Jésus chassant les vendeurs du temple. Au-dessus de ces deux fresques sont divers sujets empruntés à l’histoire de la Vierge. Les figures de la voûte ne sont pas très-grandes, mais infiniment gracieuses. Les édifices et les paysages qu’Alessandro a joints à ces compositions révèlent son application et son amour de l’art. En face du tableau de l’autel, Allori représenta la seconde vision d’Ezéchiel. Il choisit le moment où le prophète aperçoit une multitude d’ossements qui se couvrent de chair et de muscles. Ce sujet lui permit de montrer combien il s’attachait à étudier l’anatomie du corps humain. Ce vaste travail et les ouvrages qu’il exécuta lors des noces de Son Altesse ont fait concevoir de lui de hautes espérances, qu’ont encore fortifiées différentes productions moins importantes, et, entre autres, un charmant petit tableau dans le genre de la miniature, qu’il a terminé dernièrement pour don François, prince de Florence.

Le jeune Giovanmaria Butteri, autre élève du Bronzino, a aussi déployé beaucoup d’habileté dans les tableaux dont il fut chargé à l’occasion des obsèques de Michel-Ange, et de l’entrée de la sérénissime reine Jeanne à Florence.

Cristofano dell’ Altissimo a d’abord été élève du Pontormo, puis du Bronzino. Après avoir fait, dans sa jeunesse, maints tableaux à l’huile et quelques portraits, il fut envoyé à Como, par le seigneur duc Cosme, pour copier, dans le précieux musée de monsignor Giovio, une foule de portraits de personnages illustres. Cristofano s’est consacré tout entier à l’accomplissement de cette tâche. Les portraits de papes, d’empereurs, de rois, de princes, de capitaines, de littérateurs, et, en un mot, d’hommes célèbres de tout genre dont il a enrichi la galerie du duc, sont aujourd’hui au nombre de plus de deux cent quatre-vingts. Le Giovio et le duc ont véritablement rendu un éminent service en formant ces collections ; car maintenant, non-seulement les princes, mais encore les particuliers peuvent orner leurs appartements des images des grands hommes qui leur sont chers, soit à cause de leur patrie ou de leur famille, soit à tout autre titre. Cristofano s’est presque exclusivement renfermé dans cette spécialité, qui suffit largement à lui procurer honneur et profit.

Le Bronzino compte aussi, parmi ses élèves, Stefano Pieri et Lorenzo dello Sciorina qui, par les travaux qu’ils ont exécutés pour les obsèques de Michel-Ange et les noces de Son Altesse, ont bien mérité d’être académiciens.

Battista Naldini, dont nous avons déjà parlé ailleurs, a appartenu à l’école du Pontormo et à celle du Bronzino. Après la mort du Pontormo, il passa quelque temps à Rome où, grâce à son ardeur pour l’étude, il acquit une rare habileté, comme le témoignent les nombreux ouvrages qu’il a faits pour le très-révérend don Vincenzio Borghini, par lequel il fut puissamment protégé, ainsi que Francesco da Poppi, jeune académicien de grande espérance qui s’est brillamment distingué lors des noces de Son Altesse. Battista a été employé pendant plus de deux ans par Vasari à décorer le palais ducal de Florence où les nombreux rivaux qu’il y a rencontrés n’ont pas été sans exercer une heureuse influence sur son talent : aussi n’est-il aujourd’hui inférieur à aucun de nos jeunes académiciens. Battista a le travail prompt et facile ; précieuse qualité que l’on ne saurait trop apprécier. Il a laissé dans une chapelle de l’abbaye des Moines noirs de Florence un Portement de croix où l’on remarque une foule de bonnes figures. Il est actuellement occupé à d’autres ouvrages qui lui vaudront une éclatante réputation.

De tous les artistes que nous venons de passer en revue, aucun ne l’emporte en génie, en talent et en mérite, sur Maso Manzuoli, dit Maso da San-Friano, jeune peintre âgé de trente ou de trente-deux ans environ. Maso eut pour maître l’académicien Pierfrancesco, fils de Jacopo di Sandro, dont nous avons parlé ailleurs. Il a montré ce qu’il sait et ce que l’on doit attendre de lui dans maintes peintures, et tout dernièrement encore dans deux tableaux qui se distinguent par la richesse de l’invention, la correction du dessin et l’harmonie du coloris. L’un de ces tableaux orne l’église de Santo-Apostolo de Florence et renferme la Nativité du Christ ; l’autre, qui est aussi beau que s’il eût été l’œuvre d’un maître vieilli sous le harnais, est dans l’église de San-Piero-Maggiore, et représente la Vierge visitant sainte Élisabeth. Ce sujet ne saurait être traité avec plus de goût et de bonheur ; les têtes, les draperies, les attitudes des personnages, les accessoires d’architecture et les moindres détails ont une élégance et une grâce inexprimables. Maso fit aussi, en qualité d’académicien, à l’occasion des obsèques de Michel-Ange et des noces de la reine Jeanne, plusieurs tableaux d’une beauté remarquable.

Bien que Michele et Carlo da Loro soient académiciens, je ne parlerai point d’eux ici ; car je leur ai déjà consacré une suffisante attention dans la biographie de Ridolfo Ghirlandaio et en divers endroits de ce livre.

Le Ghirlandaio compte plusieurs élèves parmi nos académiciens, tels qu’Andrea del Minga, Girolamo di Francesco Crocifissaio, et Mirabello de Salincorno dont les tableaux à l’huile, les fresques et les portraits présagent le plus bel avenir. Francesco et Mirabello ont exécuté de compagnie, il y a quelques années, des fresques estimables dans l’église des Capucins, hors de Florence. Mirabello a peint une foule de portraits que l’on trouve chez les gentilshommes de Florence et entre autres celui de l’illustrissime prince qu’il a reproduit plus d’une fois. Le Flamand Frédéric (Zustris), fils de Lambert d’Amsterdam, et gendre du padouan Cartaro, est un de ceux qui ont fait le plus d’honneur à notre académie lors des obsèques de Michel-Ange et des noces de Son Altesse. On remarque dans ses tableaux à l’huile, grands et petits, l’élévation du style, la correction du dessin et l’entente de la composition. Si déjà il a su acquérir de la gloire, il n’est pas douteux qu’il en acquerra encore davantage ; car il travaille avec une rare assiduité à Florence, sa patrie d’élection, où les jeunes gens ne manquent jamais de rivaux qui stimulent activement leur ardeur.

Bernardo Timante Buontalenti a aussi donné des preuves d’un beau génie et d’une fécondité extraordinaire. Il étudia, dans sa jeunesse, les éléments de la peinture sous la direction du Vasari. Ses progrès ont été si rapides, que déjà depuis maintes années il est employé au service de l’illustrissime seigneur don François de Médicis, prince de Florence. Il a fait pour Son Excellence une foule de portraits et de petits sujets en miniature dans le genre de don Giulio Clovio. Pour le même prince, il a construit un cabinet décoré de compartiments d’ébène et de colonnes de lapis, d’héliotrope et de jaspe d’Orient, enrichies de bases et de chapiteaux d’argent ciselés. Des joyaux, des ornements d’argent, des figurines et des miniatures précieuses ajoutent à la beauté de ce cabinet. Entre des Termes accouplés sont des statuettes d’or et d’argent séparées par des compartiments d’agate, de jaspe, d’héliotrope, de sardoine, de cornaline et de diverses pierres fines dont l’énumération serait trop longue. Il suffit de dire que Bernardo a déployé dans ce travail, qui ne tardera pas à être achevé, le talent le plus souple et le plus varié. Il a exécuté pour le prince différents instruments de mécanique fort ingénieux, et il a trouvé le moyen de fondre facilement le cristal de montagne, de le purifier et d’en former des vases de plusieurs couleurs. Bientôt Bernardo montrera qu’il n’est étranger à rien ; car il aura terminé dans peu des vases de porcelaine aussi parfaits que ceux de l’antiquité. Giulio d’Urbin, aujourd’hui au service d’Alphonse II, duc de Ferrare, est un maître consommé en cet art. Il fait des vases en terre de plusieurs sortes et en porcelaine, vraiment étonnants et d’un galbe merveilleux. De plus il compose avec la même matière des carreaux durs et polis, à quatre pans, octogones et circulaires, imitant le marbre à s’y tromper. Tous ces procédés sont connus de notre prince. — Son Excellence a fait commencer un petit tableau en pierres fines richement encadré, destiné à servir de pendant à une mosaïque du duc Cosme son père. Il y a peu de temps, on a achevé, d’après un dessin de Vasari, un précieux petit tableau fixé sur un albâtre oriental et formé de grands morceaux de jaspe, d’héliotrope, de cornaline, de lapis, d’agate et d’autres pierres précieuses d’une valeur de vingt mille écus. Ce travail a été mené à fin par l’habile Bernardino Porfirio de Leccio, lequel a également exécuté d’après un dessin de Vasari, pour Messer Bindo Altoviti, un petit tableau octogone en jaspe encastré dans de l’ébène et de l’ivoire. Ce Bernardino est maintenant au service de Leurs Excellences. Mais revenons à Bernardo Timante. La vaste toile qu’il peignit pour les obsèques de Michel-Ange a désabusé bien des gens qui le croyaient à tort incapable de faire les grandes figures aussi bien que les petites. Bernardo s’est pareillement distingué lors des noces de notre prince, dans quelques mascarades, dans le Triomphe des songes et dans les intermèdes de la comédie qui fut représentée dans le palais. Si, dans sa jeunesse (bien qu’il n’ait pas encore trente ans), il eût consacré à la peinture tout le temps qu’il dépensa à étudier l’art des fortifications, il posséderait aujourd’hui un talent surprenant. Toutefois, tel est son mérite, que l’on espère le voir arriver, quoique un peu tard, au but qu’il aurait dû déjà atteindre ; et cela lui sera d’autant plus facile, que le duc ne cesse point de lui confier d’honorables et importantes entreprises.

Parmi nos académiciens n’oublions pas le Flamand Giovanni della Strada (Jean Straet), qui joint à la correction du dessin la richesse de l’invention et un bon coloris. Grâce aux progrès qu’il a faits pendant les dix années qu’il a passées à peindre en détrempe, à fresque et à l’huile, dans le palais, sous la direction et d’après les dessins de Giorgio Vasari, il peut aller de pair avec le plus habile des artistes qui sont au service du seigneur duc. Aujourd’hui Giovanni est principalement occupé à exécuter des cartons pour des tapisseries qui doivent s’harmoniser avec les sujets que Vasari a peints dans les appartements du palais. Pour les salles de Saturne, d’Opis, de Cérés, de Jupiter et d’Hercule, Giovanni a fait environ trente cartons d’une beauté ravissante. Nous en dirons autant des cartons des tapisseries destinées aux quatre chambres habitées par la princesse. Ces chambres sont dédiées aux vertus des femmes et sont ornées de sujets empruntés aux histoires romaine, juive, grecque et toscane. On doit encore à Giovanni les cartons du salon, où est peinte la Vie de l’homme, et ceux des cinq chambres habitées par le prince, et dédiées à David, à Salomon, à Cyrus et à d’autres personnages. Pour vingt salles du palais de Poggio-a-Caiano, il a représenté, de la manière la plus originale et la plus heureuse, tous les genres de chasse et de pèche. Ses animaux, ses oiseaux, ses poissons, ses paysages, ses chasseurs à pied et à cheval, ses pécheurs nus, et ses oiseliers diversement costumés, révèlent un rare talent. On voit que Giovanni s’est approprié le style italien avec la pensée de vivre et de mourir à Florence, au service de ses illustrissimes seigneurs et en compagnie de Vasari et des autres académiciens.

Jacopo, fils de maestro Piero Zucca, jeune académicien, âgé de vingt-cinq ou vingt-six ans, a été, comme Giovanni, élève de Vasari, qu’il a aidé à exécuter la plupart des peintures du palais, et entre autres, celles du plafond de la grande salle. Grâce à son travail assidu, il est devenu si bon dessinateur et si habile coloriste, qu’il peut aujourd’hui être compté parmi les jeunes peintres les plus distingués de notre Académie. Les ouvrages pleins de sentiment, de hardiesse, d’élégance et de bon goût qu’il a faits pour les obsèques de Michel-Ange, les noces de Son Altesse, et pour divers de ses amis, lui ont valu une réputation qu’il saura certainement augmenter par des productions dont sa patrie pourra s’enorgueillir autant que de celles de tout autre peintre.

Santi di Tito est un des jeunes peintres les plus habiles de l’Académie. Après avoir étudié plusieurs années à Rome, il est venu se fixer à Florence, qu’il regarde comme sa patrie, bien que sa famille soit de Borgo-San-Sepolcro. Lors des obsèques du Buonarroti et des noces de la sérénissime princesse, Santi di Tito exécuta plusieurs belles peintures ; mais il déploya, sans contredit, plus de talent, lorsqu’il représenta, en clair-obscur, avec un soin incroyable, sur d’immenses toiles, des sujets tirés de l’histoire des hommes célèbres de la maison Orsina. Ces grisailles étaient destinées à orner le théâtre que l’illustrissime signor Paolo Giordano Orsino, duc de Bracciano, fit construire, à l’occasion des mêmes noces, sur la place de San-Lorenzo. On se rendra encore mieux compte du mérite de Santi di Tito, en voyant les deux tableaux qu’il a laissés, l’un à Ognissanti, et l’autre dans la chapelle des Guardi, à San-Giuseppo, derrière Santa-Groce. Le premier renferme la Vierge, saint Jérôme et d’autres saints, et le second, la Nativité du Christ. Dans cette dernière composition, on remarque plusieurs portraits d’après nature. Santi di Tito a, en outre, exécuté une foule de Madones et de portraits, à Rome et à Florence. On voit aussi quelques peintures de sa main au Vatican, comme nous l’avons noté ailleurs.

  1. Cette gravure a été exécutée par Giorgio de Mantoue.
  2. Capitolo, pièce de poésie italienne du style badin ou satirique, composée de tercets.
  3. Bronzino occupa un rang distingué parmi les poètes de son temps. Ses poésies furent imprimées, et on lit dans le recueil du Bottari quelques-unes de ses lettres sur la peinture. Il y examine si la sculpture est plus noble que la peinture, question alors vivement débattue. Il donne la préférence à son art. On trouve dans le même volume d’autres lettres écrites en faveur de l’opinion contraire. Le Buonarroti, interrogé par le Varchi, ne voulut pas se prononcer. Après la mort du Buonarroti, de nouvelles discussions s’élevèrent entre les peintres et les sculpteurs, et l’on vit paraître des compositions en prose et en vers sur ce sujet. Le Lasca écrivit en faveur de la peinture ; le Cellini prit la défense de la sculpture.
  4. Agnolo Bronzino mourut à l’âge de soixante-neuf ans, et fut inhumé à San-Cristofano. Allessandro Allori, son élève, prononça une oraison funèbre en son honneur dans la salle de l’Académie du dessin. — Le musée du Louvre possède un tableau du Bronzino qui représente le Christ apparaissant à Marie-Madeleine.