Vieux haut-allemand murg, murgi

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Texte établi par (Charles Bally ; Léopold Gautier), Payot/Droz (p. 406-407).


VIEUX HAUT-ALLEMAND MURG, MURGI.
(Mémoires de la Société de Linguistique, V, p. 449. — 1884.)

Sô múrga uuîla uuérenta, Notker, Boethius 85,13 éd. Piper, est le seul passage où apparaisse, à l’état de mot indépendant, l’adjectif vieux haut-allemand murg ou murgi. Nous ne retrouvons plus ce mot que dans le composé murg-fāri, múrg-fâre, lui aussi presque exclusivement prapre à Notker. Murgfāri «caduc, temporaire, sans durée» a pour pendant lancfāri «longaevus» dans le glossaire Hrabanien, Steinmeyer-Sievers, I, 204, 12. Quelle que soit l’explication du second membre de ces composés, il est visible que murg-, l’opposé de lang, doit signifier court, et ce sens convient tout à fait aux mots múrga uuíla uuérenta rendant le latin mutabilem.

Aussi doit-on s’étonner de l’interprétation divergente et indécise de Grimm[1]: «mur-c (putris marcidus?), existe seulement[2] dans murg-fare (decolor[3] ?) » , interprétation dictée par la présence d’un adjectif moyen haut-allemand murc «putridus, paludinosus», parent de l’allemand moderne morsch «carié, friable».

Nous pensons que le mot notkérien ne doit point être confondu avec le mire du moyen haut-allemand. Ce dernier, d’ailleurs, avait sans doute pour génitif non pas murgen, mais murkes, étant sûrement congénère du vieil islandais morkinn «pourri, décrépit». Grimm, il est vrai, entreprend de faire entrer murg(-fari) lui aussi dans la famille de morkinn, en rappelant que g dans Notker remplace quelquefois ch (l. c., note). On voit que le sens et la forme du mot murg lui semblaient également problématiques.

Cependant, à la connaisse de tous, il existe un verbe gotique gamaúrgjan, qui serait dans Notker *ge-murgen, et qui veut dire «abréger, raccourcir». Dans Graff, ce rapprochement évident est du moins proposé, mais parmi d’autres hypothèses et avec point dubitatif. C’est que pour Graff ga-maúrgjan veut dire trancher abschneiden). Or s’il est vrai que les verbes grecs traduits par gamaúrgjan sont κολοβοῦν et συντέμνειν (Mc. XIII, 20; Rom. IX, 28), il est facile aussi de s’assurer qu’ils sont pris au sens de breviare (c’est l’expression dont se sert la Vulgate aux passages indiqués).

L’adjectif vieux haut-allemand ayant u et non o à la syllabe radicale doit être un thème en -i ou en -u. La forme dite non fléchie était sans doute murgi plutôt que murg. Cependant, en admettant le thème en -u, on pouvait avoir à la fois murg et murgi, comme hart et herti en regard de hardus (hardja-). La forme gotique doit avoir été *maúrgus, — sinon maúrgs, sur hrains.

A ga-maúrgjan on avait autrefois supposé une parenté avec le grec βραχύς. Cette comparaison, du fait de l’adjectif murgi, *maúrgus, acquiert une force et une précision inattendues. L’équivalence phonétique de *maúrgus avec βραχύς est irréprochable, dès que ce dernier est ramené à *mṛghús. C’est une possibilité qui mérite d’être mise en balance avec l’équation habituelle βραχύς = brevis (*brṇghús), si digne d’attention que soit le parallèle ἐλαχύς = levis (*lṇghús).


Notes
  1. Deutsche Grammatik, II, 289
  2. C’est une erreur. Grimm oublie le passage reproduit ci-dessus.
  3. «Decolor?» parce que Grimm lit murgfăre, malgré le circonflexe de Notker et malgré l’absence d' Umlaut.