Villégiature, Bains de mer et Stations thermales
Parmi les changemens qui se sont produits dans nos habitudes, depuis le commencement du siècle, l’un des plus intéressans au point de vue social comme à celui de l’hygiène, c’est le goût de la villégiature, c’est le besoin de s’éloigner des villes qui s’empare de leurs habitans lorsque arrive la belle saison.
L’émigration estivale est devenue un besoin même pour les travailleurs, j’allais dire surtout pour ceux-là. Des gens de loisir qui ne savent où traîner leur ennui, il a gagné les hommes de labeur et, la mode aidant, il s’infiltre dans les couches inférieures de la société. Les fonctionnaires les plus modestes des grandes administrations, les petits employés, et jusqu’aux concierges de ces établissemens hiérarchisés, sollicitent et obtiennent le congé classique d’un mois pour aller se refaire et se reposer à la campagne.
On ne connaissait guère autrefois de vacances que dans l’enseignement et dans la magistrature : aujourd’hui toutes les professions font relâche pendant les chaleurs de l’été. S’il en est une qui ne comporte pas le chômage, c’est assurément celle des médecins et pourtant aujourd’hui, dans les grands centres de population, il n’en est guère qui ne se permette pas des vacances. Pendant les trois mois de grande chaleur, l’exode est général. C’est en vain qu’on chercherait alors à Paris les illustrations de la médecine et de la chirurgie : le service des hôpitaux est fait par des intérimaires ; il en est de même de la clientèle civile : elle est exercée par les déshérités de la profession. Ils trouvent à ce moment l’emploi qui leur fait défaut pendant le cours de l’année et viennent à Paris faire des remplacemens.
Ce ne sont pas seulement les habitans des grandes villes qui éprouvent le besoin d’aller respirer l’air des champs ; on le ressent également dans les petites localités où pourtant on n’a qu’un pas à faire pour trouver le calme des bois et l’aspect des prairies. Dans ce cas, il est un peu factice ; il répond plutôt aux exigences de la vanité qu’à celles de la santé, mais il n’en est pas moins intéressant par les conséquences qu’il produit.
Cet exode périodique a pour cause l’intensité croissante de l’activité dans toutes les carrières ; mais il dénote aussi le goût et l’intelligence du bien-être, qui sont deux choses différentes. Les hygiénistes ont contribué à vulgariser les notions que cette intelligence suppose, en faisant connaître au public les inconvéniens et les dangers des grandes agglomérations humaines pour ceux qui séjournent trop longtemps dans ce milieu artificiel. Ils ne peuvent que s’en féliciter.
L’émigration périodique d’une partie de la population des villes a d’abord les conséquences les plus heureuses au point de vue de la santé de leurs habitans et de la salubrité publique. C’est de la décentralisation pratique, c’est une dérivation momentanée du courant si fâcheux qui entraîne les paysans vers les villes et par suite duquel la population urbaine s’accroît sans cesse aux dépens de la population rurale. Il y a cinquante ans, on comptait trois paysans pour un citadin : aujourd’hui on en compte à peine deux. Assurément, l’émigration momentanée d’une partie des habitans des grands centres n’est qu’un remède bien insuffisant à cet état de choses ; mais il a cependant ses résultats : il opère un mélange entre les divers élémens de la population du pays, il leur apprend à se connaître et à s’apprécier ; enfin il répand dans les campagnes de l’argent et des notions utiles. Ce sont toutefois les immigrans qui en retirent le plus grand bénéfice. Après ce repos bien gagné, ils rentrent chez eux satisfaits, bien portans, et prêts à reprendre, avec un nouveau courage, le fardeau de leurs occupations habituelles.
Les villes de leur côté bénéficient de cette absence. L’encombrement y diminue ; la densité de la population, en s’abaissant, permet d’assainir les quartiers déshérités, et cet effet complexe se traduit par un abaissement du chiffre de la mortalité, plus considérable que celui qui résulterait de la simple diminution de l’effectif.
J’en ai fait le calcul pour Paris pendant l’année qui vient de s’écouler. En 1894, on n’a enregistré que 49 079 décès, tandis que la moyenne des quatre années précédentes s’élève à 54 812. Or cette diminution n’est pas la conséquence d’une atténuation fortuite des maladies infectieuses, car nous avons eu, en 1894, deux petites épidémies, l’une de fièvre typhoïde, l’autre de variole ; et les ravages de la phtisie ont augmenté. La diminution a porté sur les maladies banales, sur les accidens, et ce qui prouve que la cause ou l’une des causes en est bien dans l’émigration estivale, c’est qu’elle s’est produite pendant les quatre mois de villégiature. Malgré l’augmentation annuelle du chiffre de la population, la mortalité diminue à Paris dans une proportion régulière pendant la belle saison, et pendant celle-là seulement.
Le mouvement d’émigration estivale ne fera que s’accentuer : d’abord parce qu’il répond à un besoin réel et ensuite parce qu’il rencontrera des facilités de plus en plus grandes. C’est l’œuvre des chemins de fer. Il y a cinquante ans, il fallait quatre jours pour venir de Brest à Paris, et la diligence y apportait chaque jour seize voyageurs. Il en était ainsi sur les autres routes nationales, et les voitures publiques ne pouvaient pas amener à Paris ni par conséquent en remmener plus de 150 à 200 personnes dans les vingt-quatre heures. Aujourd’hui les chemins de fer en enlèvent, pendant les jours de fête, et en ramènent à Paris près de 300 000. Au lieu de passer des journées entières enfermés dans des boîtes étroites et pressés les uns contre les autres, les voyageurs sont à l’aise dans des voitures confortables, et arrivent en quelques heures à leur destination.
Le réseau des voies ferrées va développant sans cesse sa circulation collatérale ; il crée de petites lignes à voie étroite, sur lesquelles s’embranchent des correspondances d’omnibus et des courriers qui se rendent dans les plus petites localités. Les stations à la mode, les plages de bains de mer vont sans cesse augmentant leurs prix et ne laissent pas que d’épouvanter les gens tranquilles, ceux qui ne quittent point Paris pour se retrouver au bord de l’Océan ou de la Manche ; mais à côté de ces rendez-vous de l’élégance et de la richesse, il s’en forme d’autres pour les fortunes et les goûts modestes, et, de cette façon, tout notre littoral finira par se peupler à l’époque des chaleurs par les émigrans des villes.
C’est ainsi que la Bretagne, jadis si peu connue et si peu hospitalière, s’est transformée depuis trente ans, et l’été ses grèves sont tout étonnées de voir circuler sur leurs sables des femmes élégantes, des hommes du monde, et des essaims de bicyclettes, qui les traversent comme des vols de goélands.
Les compagnies de chemins de fer s’y prêtent et saisissent tous les prétextes possibles pour abaisser momentanément leurs tarifs. Trains de plaisir, de bains de mer, de pardons, de pèlerinages, excursions, congrès scientifiques à prix réduit, s’offrent aux émigrans pour faciliter leur exode, et la villégiature se met peu à peu à la portée de toutes les bourses. Déjà la municipalité de Paris, avec une libéralité des plus intelligentes, en a fait profiter les enfans de ses écoles, en organisant pour eux des voyages scolaires qui se sont transformés plus tard en colonies de vacances. Il y a douze ans qu’elle eut la bonne pensée d’envoyer quelques-uns de ses enfans les plus débiles respirer un peu d’air pur hors de l’enceinte de Paris, à l’époque où les écoles sont fermées.
Ce bon exemple nous est venu de Suisse. Les récits humoristiques de Töpffer nous avaient depuis longtemps fait connaître les voyages d’agrément entrepris, aux frais des familles et par les soins des chefs d’institution, pour les enfans des classes riches ; mais l’application de cette excellente mesure aux écoliers pauvres est duc, d’après Uffelmann, au pasteur Bion, de Zurich. En 1876, à l’aide de fonds qu’il avait recueillis à cet effet, il envoya, dans les montagnes du voisinage, 64 enfans des deux sexes accompagnés de leurs maîtres et de leurs institutrices. Le résultat fut si remarquable que, l’année suivante, 94 écoliers furent appelés à jouir de la même faveur. L’exemple de Zurich fut suivi par les grandes villes d’Allemagne : Hambourg, Francfort, Stuttgard, Cologne, Leipzig, Dresde, Berlin organisèrent des voyages scolaires ; le succès dépassa les espérances que ces voyages avaient fait concevoir. Le docteur Varrentrap, conseiller sanitaire à Francfort, nous les a fait connaître, en 1882, au congrès de Genève, et sa communication a vraisemblablement contribué à faire naître chez nous le désir de faire de même. C’est en effet l’année suivante que M. Cottinet organisa les premiers voyages scolaires à Paris pour les enfans du IXe arrondissement. On l’imita de tous côtés, à la grande joie des familles et surtout des enfans privilégiés qu’on faisait ainsi voyager.
Mais au bout de quelque temps, on s’aperçut que les voyages fatiguaient les enfans ; que cette locomotion incessante rendait très difficiles les soins exigés par les plus petits ; et que ces pérégrinations amenaient un surmenage physique et intellectuel, par la succession trop rapide des trajets et la répétition trop fréquente des émotions et des surprises. C’est alors qu’on y substitua les colonies de vacances, qui n’ont aucun de ces inconvéniens. C’est la villégiature avec le calme, l’exercice au grand air et la vie des champs.
Chacun des arrondissemens de Paris dirige aujourd’hui ses élèves sur un point différent, tantôt chez de grands propriétaires qui leur prêtent une maison de campagne, tantôt dans des établissemens de bains de mer qui leur sont loués dans de bonnes conditions, parfois dans des pensionnats privés qui sont vides pendant les vacances. Au départ, on pèse les petits voyageurs, on mesure leur taille, leur périmètre thoracique, et au retour on constate toujours une augmentation notablement supérieure à celle que présentent les enfans demeurés dans leurs familles.
Les fonds nécessaires à ces déplacemens hygiéniques étaient, dans le principe, fournis par les Caisses des écoles dans les arrondissemens assez riches pour en faire les frais ; mais, lorsque les bons effets de cette mesure furent bien démontrés, le Conseil municipal prit le parti de la généraliser, en allouant aux différens arrondissemens des subventions proportionnelles à leurs ressources et au chiffre de leur population scolaire. L’allocation augmente tous les ans. En 1894, elle s’est élevée à 151 581 francs. La dépense totale, en y comprenant la contribution des arrondissemens riches, a atteint le chiffre de 236 459 francs et le nombre des petits colons celui de 3 500. Ce sacrifice ne semble pas exagéré lorsqu’on songe au service rendu. La dépense moyenne est de 67 fr. 56 par enfant pour une absence de trois semaines, ce qui fait 3 fr. 22 par jour et par tête.
Indépendamment de cette subvention, le Conseil municipal a consacré, l’an dernier, une somme de 10 000 francs à l’organisation d’excursions scolaires pour les élèves des écoles communales fréquentant les classes de vacances et qui par conséquent n’ont pas pu s’absenter.
Les colonies de vacances ont maintenant fait leurs preuves, et l’expérience est assez concluante pour qu’on puisse donner à la mesure tout le développement qu’elle comporte. Le nombre des enfans qui ont joui jusqu’ici de cette faveur hygiénique est bien faible à côté du chiffre de la population scolaire. Elle s’élève, rien que pour les écoles primaires, à 156 134 enfans, dont 85 256 garçons et 70 878 filles. Sur ce nombre, nous venons de dire qu’on en avait envoyé 3500 en villégiature, l’an dernier. Ce n’est guère plus de 2 pour 100. Il y en a, hélas ! bien plus que cela dont la santé réclamerait, chaque année, un peu d’air pur et de repos à la campagne.
Ce ne sont pas seulement les écoliers pour lesquels ce besoin s’impose. L’anémie, qui était autrefois le fâcheux privilège des classes élevées, se répand aujourd’hui dans toutes les couches de la société. Les ateliers ne sont pas un milieu salubre ; ils achèvent d’épuiser des constitutions que la vie des écoles a enfarinées. On y rencontre une foule de jeunes filles pâles, chlorotiques, nerveuses, amaigries, qui sont à chaque instant obligées de suspendre leur travail. Elles vont frapper à la porte des hôpitaux, qui ne peuvent pas les recevoir parce qu’ils sont encombrés et n’ont pas de places pour ces demi-malades. Les asiles de convalescens ne peuvent pas les accueillir davantage, parce qu’ils sont réservés aux personnes qui sortent des hôpitaux. Ces pauvres filles restent à la maison et achèvent de s’étioler dans l’air confiné et malsain de leur logement, au milieu des privations qu’endure la famille et qu’accroît encore la disparition de leur petit salaire. L’administration de l’Assistance publique, à la charge de laquelle ces malades-là finissent toujours par tomber, leur rendrait un grand service et s’épargnerait des frais dans l’avenir, en organisant des colonies analogues à celles dont nous venons de parler. Elles ne constitueraient assurément pas une dépense comparable à celle qu’entraîne leur séjour dans les hôpitaux, lorsqu’il n’est plus temps de rien faire pour elles, lorsque la névropathie ou la tuberculose ont achevé leur besogne. Cette œuvre philanthropique s’accomplira un jour, j’en suis bien convaincu ; mais son heure n’est pas encore venue. On ne comprend pas encore assez toute la puissance hygiénique du séjour à la campagne pour la population pauvre des grandes villes.
Il serait à désirer également qu’on fît pour les élèves des lycées quelque chose d’analogue à ce qui a si bien réussi pour ceux des écoles primaires. Ce serait la façon la plus avantageuse d’utiliser ces interminables vacances, qui semblent si longues aux parens dans les villes et qui finissent par ennuyer les élèves eux-mêmes. On pourrait, dans les lycées, imiter ce qu’a fait Töpffer et organiser comme lui des voyages de vacances aux frais des familles. Ils n’auraient pas pour ces grands garçons les mêmes inconvéniens que pour les enfans des écoles primaires. Les lycéens sont plus âgés, plus robustes, et leur esprit plus cultivé est moins accessible aux impressions extérieures. Les voyages conviennent aux jeunes gens, pour qui le mouvement est un besoin, l’activité un plaisir, et qui sont à cet âge heureux où une fatigue repose de l’autre. Leur instruction y trouverait son bénéfice aussi bien que leur santé.
Pour rendre ces excursions fructueuses, il faudrait se donner la peine de les organiser. La Compagnie des chemins de fer de l’Ouest a institué des voyages scolaires, à prix réduit, sur ses lignes de Normandie et de Bretagne ; mais ce n’est pas là le genre de locomotion qui convient à des élèves en vacances : il faut qu’ils marchent, qu’ils parcourent le pays en touristes, dans les voitures publiques qu’ils rencontrent et le plus souvent à pied. Quelques lycées du midi de la France ont donné cet exemple. Le proviseur et les professeurs de Bayonne et de Grenoble conduisent souvent leurs élèves dans les montagnes. Dans le ressort de l’académie de Toulouse, on fait mieux encore. Il y a quelques années, des élevés partis de Montauban, sous la conduite d’un maître répétiteur, ont rallié successivement leurs camarades de Toulouse et de Tarbes ; ils ont fait tous ensemble, par Bagnères, l’ascension du pic du Midi ; puis la caravane est redescendue par Barèges, a visité le cirque de Gavarnie et s’est dissociée après un voyage de quatre jours. Si l’Université voulait prendre la peine d’organiser ces voyages scolaires, en leur donnant de plus larges proportions, elle pourrait assurément compter sur le concours pécuniaire et sur la reconnaissance des familles.
Le mouvement qui entraîne les populations urbaines vers les campagnes, pendant les chaleurs de l’été, se développe, mais les déplacemens se font un peu à l’aventure. Les désœuvrés, pour lesquels ce n’est qu’une affaire de mode et qui ne cherchent qu’à continuer au dehors la vie mondaine qui n’est plus possible à Paris, ceux-là se rendent dans les châteaux en renom, sur les plages ou dans les stations thermales fréquentées par leur monde et n’ont pas besoin de conseils. Mais les travailleurs, les chefs de famille qui tiennent à tirer le meilleur parti possible, pour leur bien-être et pour celui des leurs, des courtes vacances qu’ils peuvent s’accorder, ne savent pas, la plupart du temps, de quel côté se diriger. Les uns se rendent dans une localité où ils espèrent rencontrer des connaissances ; d’autres se laissent séduire par les promesses de la réclame et des affiches illustrées ; les plus avisés consultent leur médecin qui se trouve parfois bien embarrassé pour leur répondre. On s’abandonne souvent au hasard et, quand on se trompe, au lieu de revenir chez soi gai, reposé et bien portant, on y rentre souffrant, ennuyé, et promettant bien de ne plus retourner dans l’endroit maussade d’où l’on vient.
C’est que tous les déplacemens ne sont pas favorables et, comme on s’absente le plus souvent pour améliorer ou pour raffermir sa santé, il est indispensable de se conformer à quelques règles d’hygiène que nous allons exposer.
Lorsqu’on ne peut disposer que d’un mois ou deux, on a le choix entre un voyage et le séjour à la campagne ou dans les montagnes, aux bains de mer ou aux eaux minérales.
Lorsqu’on opte pour le premier parti, on choisit généralement un des itinéraires à prix réduits dont on trouve le tracé dans les indicateurs de chemins de fer. Ces pérégrinations économiques sont agréables ; elles instruisent et laissent des souvenirs ; mais elles sont fatigantes à l’excès. Elles ne conviennent qu’aux personnes douées d’une bonne santé, dont les occupations habituelles sont sédentaires et ne demandent que de l’assiduité. Tel est le cas des hommes de bureau. Ils n’aspirent qu’au mouvement ; ils ont besoin de compenser, par une activité momentanée, la monotonie de leurs fonctions et l’immobilité à laquelle elles les condamnent. Mais le voyage hâtif dont la durée est fixée, dans le cours duquel on n’a pour but que de traverser le plus de pays et le plus de villes qu’on pourra, ce voyage-là n’est pas de la villégiature. Il ne convient ni aux enfans qu’il surmène, ni aux vieillards, ni aux hommes de labeur sérieux auxquels la fatigue est nuisible. Ceux-là doivent aller planter leur tente dans un endroit qui convienne d’abord à leur tempérament et y passer le temps pendant lequel ils peuvent faire trêve à leurs occupations.
Le séjour à la campagne, — à petite distance de la ville qu’on habite et sous le même climat — est le type de la villégiature hygiénique. C’est la forme sous laquelle elle a été pratiquée de tout temps. Les grands soigneurs, et les gens riches ont toujours eu coutume de passer la belle saison dans leurs terres. Ils y trouvent, avec les agrémens du chez soi et leur confortable habituel, les occupations qui leur sont chères et leurs relations de voisinage. Les familles qui ne jouissent que d’une petite aisance sont forcées de louer, pour un mois ou deux, une maison de campagne dans laquelle elles s’installent de leur mieux. Ce campement laisse beaucoup à désirer comme agrément et comme confort ; mais l’hygiène s’en contente, pourvu qu’on n’y soit pas trop à l’étroit et qu’on ait la jouissance d’un petit jardin, ou d’un petit bois, ou d’un simple bouquet d’arbres sous lequel on puisse s’abriter pour passer les belles heures de la journée, pourvu que l’air y soit pur, qu’il n’y ait pas d’usine dans le voisinage immédiat de la maison et qu’il ne passe, sous les fenêtres, ni grande route ni chemin de fer.
Le séjour à la campagne convient à tout le monde et c’est le seul mode de villégiature qui soit dans ce cas. Les personnes très nerveuses, très impressionnables ne peuvent pas en supporter d’autre. Je connais nombre de femmes pour lesquelles le vent âpre et violent des plages maritimes, l’air très vif des montagnes, le bruit et le mouvement des stations thermales sont absolument intolérables. Les organismes épuisés par les inquiétudes et les chagrins, par la succession des impressions trop vives, ne trouvent le calme, le repos, le sommeil, ne renaissent à la vie que dans le silence et la solitude des bois. La tranquillité ne suffit même pas à ces personnes : il faut qu’elles puisent, dans un isolement complet, la certitude que rien ne pourra la troubler, qu’aucune émotion ne viendra les réveiller de la torpeur morale et physique dans laquelle elles sentent le besoin de s’endormir, ne pourra les arracher à la vie végétative qui leur est devenue nécessaire. Pour ces raisons, le séjour à la campagne, dans l’intérieur des terres, est le seul qui convienne dans l’insomnie rebelle ainsi que dans certaines formes de l’hystérie.
Ajoutons comme indications que toutes les résidences champêtres ne conviennent pas à ces natures de sensitive, arrivées à la limite qui sépare le malaise habituel de la maladie déclarée. Les départemens du Midi sont trop chauds, ceux de l’Est trop secs, ceux du Centre trop orageux. La Normandie et la Bretagne, le Finistère et le Morbihan surtout, sont préférables pour ces organisations maladives, à la condition d’éviter le bord de la mer. Dans ces départemens, la température n’est jamais élevée ; les orages sont rares ; l’atmosphère est tiède et humide ; le ciel habituellement couvert n’a pas l’éclat de celui du Midi ; il y pleut souvent et les nuits sont fraîches ; mais c’est le climat sédatif par excellence, celui qui endort le mieux la douleur. Il suffit pour le constater de traverser, en chemin de fer, ces petits vallons verdoyans qu’estompe une brume légère. Tout semble y sommeiller, les animaux comme les hommes.
Le séjour des montagnes répond à d’autres indications. Le climat des altitudes est caractérisé par l’extrême pureté de l’air et par son peu de densité. Les poussières qui souillent l’atmosphère et sont une des principales causes de l’insalubrité des villes diminuent de quantité à mesure qu’on s’élève. Il en est de même des organismes qu’elles renferment. Ainsi, tandis qu’on trouve 55 000 microbes dans un mètre cube d’air pris rue de Rivoli, qu’on en compte encore 7 600 dans la même quantité d’air au parc de Montsouris, il n’y en a plus que 600 dans les maisons qui bordent le lac de Thoune, que 25 à la surface de ses eaux, que 8 à 200 mètres au-dessus ; enfin on n’en trouve plus du tout entre 2 000 et 4 000 mètres. L’air pris au sommet du Mont-Blanc en est absolument privé. Il est inutile de rappeler que ces microbes sont les germes de toutes les maladies infectieuses et qu’ils sont particulièrement redoutables pour les jeunes sujets.
La faible densité de l’air est une condition de même importance. Chacun sait qu’au bord de la mer le poids de l’atmosphère fait équilibre à une colonne de mercure de 760 millimètres de hauteur. Cette pression diminue environ d’un centimètre par 105 mètres d’élévation ; elle n’est donc plus que de 712 environ à 500 mètres, de 665 à 1 000 mètres, de 570 à 2000. Une dépression aussi considérable ne peut pas être indifférente à la santé. La diminution de pression atmosphérique a pour effet d’activer la circulation de la peau au détriment de la tension pulmonaire. C’est un fait qui a été signalé par Poiseuille, par Volkmann et sur lequel le docteur Lauth a surtout insisté dans son étude sur la station climatérique de Leysin parue en 1893. D’un autre côté, en respirant un air raréfié, on introduit dans sa poitrine moins d’oxygène sous un même volume : il faut donc multiplier les inspirations et leur donner plus d’ampleur pour arriver au même résultat ; la respiration devenant plus large et plus profonde met en jeu les régions paresseuses des poumons, celles qui ne fonctionnent pas en temps ordinaire, et ce sont les sommets, c’est-à-dire les parties que leur peu d’activité fonctionnelle expose plus particulièrement à l’invasion des bacilles et de la phtisie. La gymnastique respiratoire que nécessite la diminution de la pression atmosphérique et la pureté de l’air rendent donc le séjour des altitudes éminemment favorable aux jeunes sujets prédisposés à la tuberculose. Si l’on joint à ces heureuses conditions le calme habituel de l’atmosphère, si l’on tient compte de la durée plus grande de l’insolation sur les hauteurs, on ne sera pas surpris que le séjour des altitudes ait été conseillé aux sujets débiles et surtout à ceux qui ont la poitrine délicate.
Il est toutefois un danger contre lequel ils doivent se prémunir : c’est l’abaissement de la température. Elle décroît, comme on le sait, à mesure qu’on s’élève ; mais sa marche est plus irrégulière sur les hauteurs que dans les plaines. Les variations diurnes sont très prononcées dans les climats alpestres, et cela s’explique par le voisinage des glaciers et des neiges, dont l’influence se fait sentir d’autant plus fortement que la chaleur a été plus élevée pendant le jour. A Saint-Moritz, dans les Grisons, par une altitude de 1726 mètres, il faut être toujours vêtu comme en hiver, et le matin on voit souvent les prairies et les toits couverts de neige, même en été. Aussi doit-on bien se garder de rester dehors après le coucher du soleil.
L’humidité de l’air et l’électricité varient avec l’exposition, mais aussi avec l’altitude. Il existe, d’après Lombard, de Genève, une zone intermédiaire où elles sont à leur maximum. Dans les Alpes, cette zone se rencontre entre 600 et 1 200 mètres. Là, la pluie et les orages sont plus fréquens que dans la plaine et que sur les hauts sommets.
La vogue des stations alpestres ne remonte pas à plus de trente ans. Le docteur Bonington, praticien du Warwickshire, avait bien, au commencement du siècle, recommandé l’air sec et froid dans la consomption pulmonaire ; mais ce conseil, en opposition absolue avec les idées du temps, n’avait eu aucun retentissement, lorsque, en 1864, le docteur Hermann Weber, rompant avec les traditions, émit l’avis formel d’envoyer les phtisiques dans les altitudes froides et de les y laisser passer l’hiver. Le docteur Amireux, en France, donna le même conseil, et bientôt la Suisse devint à la mode. Les stations de Saint-Moritz, de Davos, de Dorfli, de Wiesen, se fondèrent au centre du plateau des Grisons, des hôtels somptueux s’y ouvrirent pour les touristes. La Haute Engadine elle-même attira les voyageurs, et aujourd’hui sept belles routes y conduisent. Les personnes qui vont chercher la santé ou des distractions dans les hautes régions établissent leur quartier général à la Maloja, à Pontresina ou à Samaden. Elles rayonnent de là vers les cimes environnantes : elles gravissent les pentes des glaciers du Roseg et de la Morteratsch ; elles montent à l’hospice de la Bernina. De ces hauts sommets la vue est splendide. Elle s’étend sur trente kilomètres de glaciers, de forêts, de lacs et de prairies. Ces promenades dans l’air vif des grandes altitudes, ces ascensions fatigantes, cet exercice soutenu, conviennent à merveille aux santés vigoureuses ; mais les candidats à la phtisie qu’on expédie dans les montagnes ne sauraient s’accommoder d’un pareil entraînement. Ceux-là ne vont pas dans la Haute Engadine ; ils s’arrêtent à Davos, à Saint-Moritz-les-Bains, à Dorfli, où l’altitude est moins élevée et le climat plus doux ; ils se promènent en bateau sur le lac de Saint-Moritz, et, quand il fait mauvais, quand la tempête mugit, ils se réunissent dans les grands salons bien chauffés des hôtels et regardent l’orage se déchaîner au dehors.
Malgré les précautions et les soins dont les malades sont entourés dans ces établissemens, il en est mort un assez grand nombre pour faire perdre leur vogue aux stations de l’Engadine. Les gens à santé délicate n’ont pas abandonné la Suisse pour cela ; mais ils ne remontent plus aussi haut. Ils s’arrêtent à Montroux, qui doit la douceur de son climat à sa situation au fond du lac de Genève et aux montagnes à pic qui l’abritent contre les vents du nord et de l’est. D’autres vont faire une cure de petit-lait dans l’Appenzell, à Heiden, à Gonten ou à Weisbad. Enfin les phtisiques sont dirigés de préférence aujourd’hui vers les sanatoria qu’on a créés pour eux depuis quelques années, et dans lesquels ils sont soumis à une véritable cure par l’air froid. Il existe déjà six de ces établissemens : Falkenstein, dans le Taunus ; Aussée, en Styrie ; Reiboldsgrün, en Saxe ; Honnef, sur les bords du Rhin ; le Canigou, dans les Pyrénées-Orientales, et enfin Leysin, dans les Alpes vaudoises, à 1 450 mètres d’altitude. C’est le seul qui soit dans les montagnes.
En laissant de côté les malades aux déplacemens desquels le terme de villégiature ne saurait s’appliquer, le séjour des altitudes convient aux touristes agiles et bien portans qui ne craignent ni le froid ni la fatigue. A la condition de s’entourer de quelques précautions, il peut être utile aux personnes affaiblies par une existence trop sédentaire, par des excès de travail ou de plaisir, par des chagrins prolongés, aux femmes épuisées par les hémorrhagies, aux convalescens d’affections chroniques des voies digestives ou de fièvre intermittente. Il est dangereux pour les asthmatiques, pour les gens sujets aux congestions pulmonaires et surtout pour ceux qui sont atteints de maladies du cœur.
L’habitation des lieux élevés a, comme nous venons de le voir, son utilité et ses charmes sous nos latitudes ; elle n’y représente toutefois qu’un mode de villégiature exceptionnel et dont on pourrait à la rigueur se passer. Il n’en est pas de même dans les pays chauds, où elle constitue l’unique moyen de réagir contre la chaleur énervante du climat. Dans les régions intertropicales, — même quand elles sont salubres, et a fortiori quand elles ne le sont pas, — l’action continue d’une température élevée, les sueurs profuses, la perte d’appétit, l’insomnie qu’elle occasionne, débilitent promptement l’économie et amènent à la longue un état d’anémie particulier qui ne se lie à aucune lésion organique, mais qui s’aggrave avec le temps, et met les Européens dans la nécessité de revenir dans leur pays, ou d’aller vivre pendant quelques mois dans les montagnes dont le climat se rapproche sensiblement de celui qui les a vus naître.
Les Anglais ont donné l’exemple de ces migrations dans leurs possessions de l’Inde. Il est peu de pays où la chaleur soit aussi accablante. A Calcutta, elle devient insupportable à partir de la fin d’avril. J’y ai séjourné au mois de mai, et je ne me souviens pas d’avoir autant souffert de la température sur aucun autre point du globe. Malgré le confortable de leurs demeures, malgré les précautions dont ils s’entourent pour y entretenir la fraîcheur, il arrive un moment où les fonctionnaires et les négocians anglais sentent le besoin d’émigrer. Ils allaient autrefois se refaire au cap de Bonne-Espérance ; ils préfèrent aujourd’hui remonter les pentes de l’Himalaya. En 1821, le gouverneur d’une des provinces récemment annexées à la présidence du Bengale eut l’idée de fixer à Simla sa résidence d’été. Cette localité, située à 700 lieues de Calcutta et à une altitude de plus de 2 000 mètres, était alors déserte ; mais bientôt des maisons s’y élevèrent, on fit des routes pour y accéder : aujourd’hui c’est une station importante où on retrouve le luxe et le confortable des habitations de Calcutta.
Depuis cette époque, le gouvernement a fondé de nombreux sanatoria dans ses trois présidences. Dans celle de Calcutta, c’est Darjeling, à une altitude de 2 668 mètres ; Murrce, qui n’en a pas moins de 2 432 ; Landour, par 2135 mètres ; Sanauser (Laurence Asylum), par 2 000 mètres ; Nynee-Tal, par 2 266 ; Almora par 1 800. La présidence de Bombay a pour sanatorium Malcompelt, dans les Ghates occidentales, à une altitude de 1 500 mètres. Dans celle de Madras, les Européens se réfugient sur le plateau des Nilgherrys, à 2 200 mètres d’altitude. C’est là que nos compatriotes de Pondichéry vont en villégiature. Cette station délicieuse leur offre un printemps perpétuel. La température moyenne de l’année y est de 13°,6, elle se maintient à 10°,6 en janvier et ne dépasse pas 15°,8 dans le mois le plus chaud. Les stations les plus vantées du midi de l’Europe ne peuvent pas offrir aux valétudinaires un climat plus doux, un ciel plus pur et des sites plus agréables. Il y a encore, de par le monde, bon nombre de ces régions privilégiées que personne ne connaît et dans lesquelles il serait si doux de vivre. C’est la réserve des générations de l’avenir.
Nous ferons remarquer que, tandis qu’en Suisse les stations fréquentées par les touristes et les valétudinaires sont situées à une altitude qui varie de 600 à 1 300 mètres, celles de l’Inde sont presque toutes au-dessus de 2 000. C’est que, sous les tropiques, il faut s’élever à un millier de mètres plus haut que dans nos contrées pour rencontrer le même climat. La limite inférieure des neiges perpétuelles, qui descend dans les Alpes à 2 708 mètres, remonte jusqu’à 3 956 sur le versant méridional de l’Himalaya, où les Anglais ont échelonné leurs résidences. On ne peut pas trouver partout des massifs montagneux de cette élévation : ainsi, aux Antilles, où la température est, il est vrai, moins élevée que dans l’Inde, on se contente de beaucoup moins. Les stations dans lesquelles les troupes vont chercher un abri contre la fièvre jaune, où les Européens vont également passer les mois les plus chauds de l’année, ont de 400 à 550 mètres d’altitude tout au plus. Le camp Jacob, à la Guadeloupe, a 545 mètres, mais celui de Balota, à la Martinique, n’en a que 440, et Saint-François, à la Réunion, n’en a que 400.
La température estivale du midi de la France se rapproche sensiblement de celle des Antilles. A Toulon, la moyenne du mois de juillet est de 22°,9 ; celle du mois d’août de 22°,6, et souvent le thermomètre se maintient à 30 degrés pendant plusieurs jours : aussi la mortalité des enfans du premier âge est-elle considérable à cette époque de l’année. Il en est de même dans toutes les villes du Midi : le sevrage et la dentition sont des écueils terribles pendant la saison des chaleurs, et le seul moyen de sauver les enfans atteints des affections gastro-intestinales qui en résultent consiste à les faire émigrer vers le Nord, ou à les envoyer dans les montagnes. Les altitudes ne font pas défaut dans nos départemens du Midi : le Vaucluse a le Mont Ventoux, qui s’élève à plus de 1 900 mètres ; les Bouches-du-Rhône, le Var, les Alpes-Maritimes ont les derniers contreforts des Alpes ; le Gard et l’Hérault ont les Cévennes, et les familles aisées peuvent y transporter leurs enfans.
Mais cela ne suffit pas, et le docteur Pamard, d’Avignon, a proposé, il y a quinze ans, dans un mémoire qu’il a présenté à l’Académie de médecine, de fonder dans ces montagnes des résidences d’été, pour y envoyer les enfans menacés d’athrepsie ou simplement débiles, de même que les Anglais, dans l’Inde, envoient leurs soldats malades dans les sanatoria dont nous avons parlé. Depuis cette époque, le docteur Pamard a poursuivi la réalisation de son idée, et en 1892 il est parvenu à la faire agréer par les conseils généraux de Vaucluse et du Gard. Une commission interdépartementale a fixé les bases du projet, et son choix s’est arrêté sur des prairies situées dans la partie la plus élevée d’une vallée dépendant de la commune d’Arrigas, dans le canton d’Alzon. Les plans du sénatorium ont été approuvés par la commission le 6 juillet 1894, et les fonds ont été votés à la session d’août des deux conseils généraux. L’établissement ne recevra que les enfans au-dessous de quatre ans débiles ou menacés d’athrepsie. Il comprendra 100 lits, 80 pour les enfans seuls et 20 pour ceux qui seront accompagnés par leurs mères.
Cette création a son importance, parce qu’elle représente le premier pas fait dans une excellente direction. Nous avons déjà les sanatoria pour les petits scrofuleux et l’œuvre des hôpitaux marins dont j’ai raconté l’histoire dans cette Revue[1] : il est à désirer qu’il se forme quelque chose de semblable pour les enfans du premier âge dans le midi de la France, et que l’heureuse fondation due à la persévérance du docteur Pamard trouve des imitateurs. Déjà M. A. Boumet, dans une brochure récente, a proposé de fonder l’Œuvre des sanatoria de montagne, à l’imitation de celle des hôpitaux marins, et nous faisons des vœux pour qu’il réussisse.
Les stations maritimes dans lesquelles les habitans des villes vont passer un mois ou deux, pendant les chaleurs de l’été, diffèrent essentiellement des centres de villégiature dont il a été question jusqu’ici, tant au point de vue hygiénique que sous le rapport des distractions qu’on y trouve.
L’atmosphère maritime a des propriétés spéciales. Elle se rapproche par sa pureté de celle des montagnes, mais elle s’en éloigne par son extrême densité, par son état d’agitation presque constante, et par les particules salines dont elle est imprégnée. Au bord de la mer la pression est au maximum, tandis qu’elle est de plus en plus faible, comme nous l’avons vu, à mesure qu’on s’élève dans les montagnes. Alors que la colonne barométrique oscille autour de 760 millimètres au bord de la mer, elle varie de 710 à 550 dans les stations de la Suisse et de la Haute Engadine. Une différence de plus de 200 millimètres n’est pas indifférente pour la santé. Tandis que les gens robustes respirent à pleins poumons l’air sain et vivifiant des plages maritimes, les poitrines suspectes ne le supportent pas avec la même facilité. Il leur est particulièrement nuisible sur les bords de la Manche et de la mer du Nord, à cause de son état d’agitation continuelle, des variations brusques et fréquentes de température auxquelles il est su jet dans ces parages.
Ce séjour ne convient pas davantage aux femmes très impressionnables. L’action du vent, le mouvement de la mer, l’agitation de la plage où séjournent les baigneurs, tout cela détermine chez elles une excitation qui leur enlève le sommeil, leur donne souvent un mouvement de lièvre pendant la nuit et quelquefois des palpitations. En revanche, il réussit a merveille chez les enfans pâles et lymphatiques des villes. Indépendamment de l’action Ionique de l’air marin, ils trouvent, au bord de la mer des distractions sans nombre. Ils jouent avec le sable, ils cherchent des coquillages dans le creux des rochers ; les jeunes gens vont à la pêche, font des promenades en canot ; les personnes plus âgées jouissent du mouvement qui se fait autour d’elles, et tout ce monde a sous les yeux le spectacle imposant de la haute mer, dont l’aspect mobile et changeant impressionne les natures les plus vulgaires.
L’air vif de la mer, comme celui des montagnes, excite et entretient l’appétit : il le fait renaître chez ceux qui depuis longtemps l’avaient perdu, et les gastralgiques eux-mêmes voient diminuer leurs malaises. La cure d’air marin convient également aux hommes qui, sans être malades, sont fatigués par des travaux trop assidus, à ceux qui sont en proie aux soucis ou au chagrin. La voix de la mer, son mouvement lent et monotone, l’aspect de ses grands horizons, loin de les exciter comme les femmes neurasthéniques, procure à ces natures viriles mais tourmentées, un calme profond et un soulagement réel. Tous les marins connaissent cette influence sédative.
Enfin il est une catégorie très intéressante de jeunes sujets pour lesquels le séjour des plages et les bains de mer sont une véritable panacée : ce sont les enfans scrofuleux, en faveur desquels ont été créés les hôpitaux marins dont nous avons parlé plus haut. Les guérisons qu’on y obtient sont véritablement remarquables, et nous insisterions avec grand plaisir sur ce sujet, si nous ne l’avions pas déjà traité.
Ce qui précède s’applique surtout aux plages de la mer du Nord, de la Manche et de l’Océan, qui sont les plus fréquentées à l’époque de l’émigration estivale. Il n’y a pas en effet de comparaison à établir entre l’air humide et tourmenté qu’on respire sur les plages de Scheveningen, d’Ostende, de Dieppe ou du Tréport et l’atmosphère lumineuse et limpide de la Méditerranée ; mais ces stations ne répondent pas aux mêmes indications : on les fréquente dans des saisons opposées, et nous nous occuperons de celles du Midi, quand il sera question de la villégiature hivernale.
Les personnes qui fréquentent les plages de la Manche et de l’Océan y sont surtout attirées par l’attrait des bains de mer, et c’est un second élément de la villégiature maritime dont il nous reste à apprécier l’influence. L’hydrothérapie maritime est un des agens les plus efficaces de l’hygiène. Elle joint, à l’action tonique du froid, celle des substances minérales que l’eau de mer tient en dissolution et qui en font une eau saline de premier ordre. Elle se range dans le groupe des chlorobromurées sodiques. Il faut tenir compte aussi de sa densité plus grande que celle de l’eau douce, et des mouvemens dont elle est agitée. Pour toutes ces raisons, les bains de mer sont plus fortifians que ceux de rivière, mais ils sont aussi plus excitans. Ils ne conviennent pas aux sujets très faibles et très impressionnables. La réaction salutaire qui doit suivre le bain ne s’opère que difficilement chez eux. L’immersion brusque du corps tout entier dans cette eau froide, dont la densité est 700 fois plus grande que celle de l’air, cause à ces personnes un resserrement de la poitrine, une sorte de suffocation, une véritable angoisse. Elles grelottent et deviennent violettes. Le choc des vagues leur fait l’effet d’une douche permanente qui les étonne et les fatigue. Elles ont souvent une peine extrême à réagir, et frissonnent parfois pendant plusieurs heures après la sortie du bain.
Les névropathes doivent a fortiori s’en abstenir, sauf dans quelques conditions bien déterminées, et doivent auparavant prendre l’avis de leurs médecins. Les bains de mer sont dangereux pour les gens atteints d’affections du cœur ou des centres nerveux, pour les arthritiques et pour les personnes sujettes aux hémorrhagies, à l’hémoptysie surtout. J’ai vu survenir des crachemens de sang, à la suite d’un bain de mer, chez de jeunes sujets qui n’en avaient pas eu depuis plusieurs années. Les vieillards d’une bonne constitution peuvent se baigner à la mer comme les autres, quand ils en ont conservé l’habitude : toutefois, à partir de soixante-dix ans, j’estime qu’ils font bien de s’en abstenir dans la crainte des congestions. Il ne faut donner des bains de mer aux jeunes enfans qu’avec une grande prudence ; on doit les retirer de l’eau au bout de quelques minutes, les habiller rapidement et les faire courir sur la plage pour favoriser la réaction. Il est bon d’attendre qu’ils aient trois ou quatre ans pour commencer, et même de différer plus longtemps encore, lorsqu’ils sont très nerveux ou trop faibles pour réagir et surtout lorsque la mer leur inspire une terreur invincible. Le docteur Jules Simon, qui fait autorité pour tout ce qui touche à l’hygiène infantile, interdit les bains de mer aux enfans nés de parens épileptiques ou de mères hystériques, ainsi qu’à ceux qui sont sujets aux maux de tête et disposés à la méningite.
Tout cela revient à dire que les bains de mer ne conviennent pas aux malades ni à ceux qui sont en passe de le devenir ; mais, en dehors de cette classe de valétudinaires, l’hydrothérapie marine est le plus admirable moyen d’entretenir les constitutions vigoureuses et de fortifier celles qui ne le sont pas. Elle habitue au froid, aux vicissitudes atmosphériques ; elle combat la facilité à s’enrhumer que détermine l’excès des précautions. Elle est héroïque chez les enfans élevés en serre chaude, par des mères trop craintives, qui les couvrent à l’excès, les entretiennent dans un état de moiteur permanente, et les exposent aux refroidisse-mens lorsqu’ils se reposent ou qu’ils traversent un courant d’air.
L’endurcissement bien compris est le pivot de l’éducation physique des jeunes gens, et les bains de mer sont un des meilleurs moyens d’y arriver. Ils ont pour eux un autre avantage qu’il n’est pas possible de passer sous silence : c’est qu’ils leur donnent le moyen d’apprendre à nager. La natation est tout à la fois le plus hygiénique et le plus utile des exercices. C’est le plus hygiénique, parce qu’il met en jeu des muscles qui d’ordinaire ne fonctionnent pas, et qu’il développe la poitrine par les larges inspirations qu’il exige ; c’est le plus propre à fortifier l’organisme, parce que les efforts qu’il entraîne, se produisant dans l’eau froide, ne causent aucune déperdition de forces. Enfin c’est le plus utile, parce qu’il permet de sauver sa vie et celle des autres. Dans un pays dont trois mers baignent l’immense littoral et que sillonnent de grands fleuves, la natation devrait être le premier des sports, et c’est chez nous le moins répandu. On est surpris du petit nombre d’hommes sachant nager qu’on rencontre, même dans la marine. On dit, il est vrai, que dans les naufrages ce sont toujours les bons nageurs qui se noient, parce qu’ils ont trop de confiance dans leurs forces et qu’ils n’ont pas la patience d’attendre sur l’épave qu’on vienne à leur secours. Le fait est possible, mais pour un nageur qui se noie par impatience, il y en a dix qui succombent en se dévouant pour sauver les autres, en portant à terre le bout de l’amarre qui doit être le salut de tous, ou bien en s’obstinant à rester près de ceux qui ne savent pas nager, pour les soutenir en attendant qu’on vienne à leur aide. Si ce sont toujours les mêmes qui se noient, tant pis pour les autres ! ce ne sont pas les braves qui meurent en faisant leur devoir qu’il faut plaindre, ce sont les malheureux qui sont dans l’impuissance de le remplir.
Les bains de nier, comme l’atmosphère maritime, n’ont pas les mêmes propriétés sur toutes les plages. Pour nous en tenir à la France, les stations de la Manche, qui sont les plus fréquentées, sont aussi les plus froides. A Dieppe, le docteur Gaudet a recueilli, pendant dix ans, des observations thermométriques pendant les mois de juillet, d’août et de septembre, époque à laquelle s’y rendent les baigneurs. Il a trouvé en moyenne 17°,6 pour l’atmosphère et 18°,2 pour la mer. La température de celle-ci monte lentement, descend de même, et n’est pas influencée sensiblement parcelle de l’air. En dix ans d’observation, l’écart n’a été pour l’eau que de 5 degrés (15 à 20 degrés), tandis que pour l’air il a été de 18 (10 à 28 degrés).
La température moyenne de la Méditerranée est de 4°,35 plus élevée que celle de l’Océan. En 1834, à Trieste, elle est montée à 30 degrés, comme entre les tropiques. Lorsqu’on s’y plonge, dans ces parages, on éprouve une agréable sensation de fraîcheur ; mais on peut y séjourner longtemps sans éprouver le second frisson qui indique le moment d’en sortir. Ces bains ne sont pas aussi toniques que ceux qu’on prend sur les plages de la Manche, mais on peut en user plus longtemps. Ainsi, au sanatorium de Giens, près d’Hyères, qui a été créé par le conseil général des hospices de Lyon, pour le traitement des petits scrofuleux de cette ville, on leur donne des bains à la l’âme pendant six mois consécutifs, depuis la fin d’avril jusqu’au commencement de novembre, et, quand le temps est beau, on les laisse jouer et barboter dans l’eau tout à leur aise. Il n’y a presque jamais d’interruption, tandis qu’à Berck-sur-Mer la saison ne dure que quatre mois, et les suspensions causées par le mauvais temps sont si fréquentes que les petits malades prennent rarement plus de 80 bains, et ces bains sont très courts : leur durée varie de deux à cinq minutes, suivant leur âge et le temps qu’il fait.
Indépendamment du mouvement d’émigration qui se produit dans les villes, à l’époque des grandes chaleurs, il en est un autre, moins général et moins régulier, mais qui s’accentue chaque année davantage : c’est la villégiature hivernale. Elle répond à un besoin analogue, bien que moins impérieux. Il est aussi naturel de fuir le froid de l’hiver que d’éviter les chaleurs de la canicule, et déjà la coutume se répand, dans les familles riches qu’aucune obligation ne retient nulle part, de suivre l’exemple que leur donnent les hirondelles, d’aller passer l’hiver dans les régions favorisées par le soleil, et de revenir dans le Nord lorsque ces régions ne sont plus habitables. C’est surtout en Angleterre que ce genre de vie prend faveur. Il y a des causes spéciales. Le climat de la Grande-Bretagne est triste, brumeux et froid ; la capitale est lugubre ; les grandes fortunes y sont nombreuses, et, par le fait même de la situation géographique du pays, les migrations n’ont rien qui épouvante ces insulaires pour lesquels la mer est une seconde patrie et qui regardent le monde entier comme leur domaine. Voilà pourquoi nous trouvons des Anglais sur tous les points du globe. Ce sont les voyageurs par excellence, et la vie d’hôtel ne les effraie pas. En France, et pour des raisons opposées, nous sommes plus attachés au sol ; nous ne trouvons nulle part de pays qui vaille le nôtre. Et puis, la vie errante n’est pas notre fait ; elle est incompatible avec les joies de la famille et les relations sociales durables ; elle est la négation de toute fonction, et ne permet l’accomplissement d’aucun devoir social. Cependant on commence à rencontrer, dans les stations thermales comme sur le littoral de la Méditerranée, quelques familles françaises qui ont rompu leurs attaches et s’en vont ainsi de ville en ville, au gré des saisons, de leurs caprices ou de leurs amitiés de rencontre.
Ce sont encore des exceptions ; mais ce qui devient de plus en plus commun, c’est de voir des hommes très utiles, exerçant des fonctions importantes, qui, par le fait même de l’activité trop grande de leurs occupations, n’ont plus assez de leurs vacances annuelles et ressentent le besoin d’aller passer une ou deux semaines chaque année loin du foyer de leur action. Nombre de médecins à Taris sont aujourd’hui dans ce cas : ils profitent pour s’éloigner des vacances de Pâques, pendant lesquelles on commence à déserter Paris ; parfois même, ils s’en vont au milieu de l’hiver à Cannes ou à Nice. Quelques-uns ont des maisons de campagne à Saint-Raphaêl ou à Beaulieu, et c’est une attraction de plus qui les hante dans leur existence surmenée. Le barreau et la magistrature commencent à faire de même.
Il faut joindre à ces touristes d’occasion lus malades et les valétudinaires. La facilité des voyages a décuplé le nombre de ceux auxquels on conseille le changement d’air et qui peuvent faire les sacrifices nécessaires pour s’en procurer le bénéfice. Jadis on ne déplaçait que les poitrinaires des classes riches. On les envoyait à Montpellier, à Pau, à Hyères : les Anglais allaient à Pise ou à Madère. Il n’en partait qu’un petit nombre et il n’en revenait pas du tout. Aujourd’hui les phtisiques n’ont plus le monopole de la migration : toutes les maladies à forme chronique, surtout celles qui ont leur siège dans le système nerveux ou qui ont le chagrin pour cause, se trouvent bien du changement de résidence, pourvu que le déplacement s’opère avec intelligence et dans une direction convenable.
Les voyageurs d’hiver ont étendu leurs pérégrinations à tout le bassin de la Méditerranée ; les plus valides, les plus entreprenans vont jusque dans le Levant ; ils visitent Constantinople, parcourent la côte de Syrie ; d’autres se rendent en Algérie, en Tunisie ; quelques-uns vont jusqu’en Égypte ; mais ceux qui ne demandent à la villégiature que du repos sous un ciel clément ne quittent pas la France. Ils se rendent directement sur quelque point de notre littoral méditerranéen et y passent le temps qu’ils ont pu dérober à leurs travaux. Ils ont raison de ne pas aller plus loin, car je ne connais pas, sur aucun point du globe, de climat plus ravissant, de pays plus enchanteur, que la côte qui s’étend de Saint-Tropez à Bordighera. Elle doit son charnu ! à la protection que le massif des Alpes et des Apennins lui procure contre les vents glacés du nord. Cette muraille gigantesque forme un demi-cercle autour de la partie de la côte dont nous nous occupons en ce moment ; puis elle se rapproche de la mer, qu’elle longe jusqu’au de la du golfe de Gênes.
Le littoral couché sur le flanc méridional de ces montagnes est exposé, au soleil ainsi qu’au vent du sud. Devant lui s’étend la mer avec son incomparable éclat ; l’intensité de la lumière, y est égale à la pureté de l’air. Avant d’arriver à Marseille, on entre déjà dans un milieu tellement lumineux qu’aucune autre région de l’Europe ne peut lui être comparée. L’atmosphère est d’une limpidité qui égale celle du Sahara et, pendant la nuit, les étoiles brillent d’un éclat incomparable dans un ciel d’une profondeur inouïe. C’est cet éclat, cette lumière, que regrettent le plus les habitans du Midi lorsqu’ils sont transportés sous le ciel bas et triste des contrées du nord de l’Europe.
Le littoral méditerranéen n’a contre lui que le mistral, ce vent de nord-ouest qui descend des glaciers de la Suisse, s’engouffre dans la vallée du Rhône, s’élance avec furie sur les côtes de la Provence et sur la mer qui les baigne. Ce vent, le plus violent de ceux qui soufflent sur la France, est tellement froid et tellement sec qu’on ressent son influence même dans l’intérieur des appartenions bien clos, qu’il y fait tousser les personnes dont les bronches sont susceptibles, et provoque parfois des crachemens de sang chez les tuberculeux. Le mistral n’a pas la même intensité sur tous les points de la côte. Il est redoutable dans la vallée du Rhône. Il y déracine parfois les arbres et y renverse les cheminées. C’est un véritable fléau pour Avignon, Arles, Aix, Marseille et même Toulon ; mais à partir d’Hyères, il a déjà perdu de sa force. De Fréjus à Vintimille, il ne se fait sentir qu’à l’ouverture des vallées dans lesquelles coulent les torrens descendus des montagnes de l’Estérel et des Maures. A Nice, le mistral souffle encore avec force le long du Paillon, mais il est moins froid. De Nice à Menton, le vent du nord-ouest est entravé par le Mont-Boron, par la pointe de Saint-Hospice, qui abrite Villefranche, et par le cap Martin. A Monaco et à Menton, il n’est véritablement plus à craindre.
Quand le mistral souffle, l’air est d’une transparence, d’une limpidité admirable, et c’est ce qui le rend dangereux. Séduits par cette brillante apparence, les malades se hasardent à sortir ; ils vont se chauffer au soleil, et lorsqu’ils traversent un coin de rue qu’enfile le mistral et qui est dans l’ombre, ils sont transis jusqu’aux os. Les valétudinaires doivent donc éviter avec soin les villes où ce vent redoutable règne d’habitude et que nous avons citées plus haut. Cannes, le Cannet pour les personnes qui redoutent le voisinage de la mer, Villefranche, Beaulieu, Eze, la Turbie, Menton, sont les points où les malades se rendent de préférence. Nice et Monaco sont le rendez-vous des gens de loisir qui veulent jouir tout à la fois des plaisirs du monde et des charmes d’un beau climat. Je ne parle pas de ceux que le jeu attire à Monte-Carlo : ceux-là sont parfaitement indifférons à tout ce qui est étranger à leur passion. Les gens laborieux qui veulent se refaire dans un endroit agréable et tranquille se rendent volontiers à Saint-Raphaël.
En vantant le climat du littoral méditerranéen, j’ai tâché de me tenir en garde contre les exagérations de l’enthousiasme : il est certain qu’il a ses mauvais côtés. On n’y trouve pas l’uniformité de température qui rogne à Madère, ni la sérénité uniforme des hauts plateaux de l’Indoustan. Beaucoup de valétudinaires éprouvent de cruelles déceptions en y arrivant. Les Méridionaux, pour lesquels les superlatifs sont monnaie courante, leur ont promis « un éternel printemps, sous un ciel toujours bleu » ; ils sont hypnotisés, en arrivant, par l’éclat de la lumière et la beauté de la mer et, pour peu qu’ils s’attardent à contempler le coucher du soleil, ils sont saisis par le froid du soir, dont l’impression est plus vive dans le Midi que dans le Nord. Pour peu que le soleil se cache, le temps devient terne et perd son aspect riant ; enfin, s’il vient à pleuvoir, c’est une désolation, parce que rien n’est disposé en vue du mauvais temps. Les maisons ne sont pas confortables, les portes et les fenêtres ferment mal, les chambres sont carrelées, et les cheminées n’existent que pour la forme. On comprend le découragement qu’inspire aux malades une pareille, désillusion. Heureusement que le mauvais temps n’est jamais de longue durée et qu’il suffit d’un rayon de soleil et d’une matinée sereine pour les réconcilier avec le pays.
Il est pourtant des précautions dont il faut s’entourer quand on n’a pas une santé à toute épreuve. Nous venons de parler du refroidissement qui se produit au coucher du soleil ; il augmente pendant la nuit et se fait sentir d’autant plus vivement que le temps est plus clair. Le refroidissement nocturne n’est pas à craindre en été ; au printemps et en automne, on peut n’en pas tenir compte ; mais, dès que la neige couvre les montagnes, il faut s’en délier et prendre des vêtemens de laine, comme le font les marins dans les pays chauds. Sous aucun prétexte on ne doit se couvrir de fourrures. Les boas et les cache-nez causent plus de coryzas et d’angines dans le Midi que partout ailleurs, à cause des variations de température. On transpire aussitôt qu’on marche au soleil, et la sueur se glace quand on s’arrête à l’ombre.
Le choix de l’habitation est une question de premier ordre. La chambre à coucher doit être exposée en plein midi, et rien ne peut permettre d’en accepter une au nord. C’est une règle au sujet de laquelle les hygiénistes sont tous d’accord. Dans une chambre mal exposée, les malades ne se rétablissent pas et les gens bien portans tombent souvent malades. Il faut éviter les maisons à plusieurs étages, à logemens multiples, tâcher de trouver un appartement dont les pièces soient parquetées, et, dont les cheminées ne fument pas par tous les temps.
Il est enfin une précaution dont il ne faut pas s’exagérer l’importance, mais dont on doit cependant tenir compte. Lorsqu’on descend dans un hôtel, comme c’est l’habitude pour les courtes villégiatures, et qu’on réside dans une station fréquentée par les phtisiques, il est bon de s’informer si la chambre qu’on vous offre n’a pas été occupée récemment par un poitrinaire, et surtout s’il n’est pas mort dans le lit qui va devenir le vôtre. Il n’est pas prudent de passer outre lorsque le propriétaire de l’hôtel vous affirme qu’il a fait désinfecter la pièce. Cette opération est très délicate et ne présente aucune garantie dans les villes dont nous parlons, parce qu’on la pratique sans connaissances suffisantes et sans conviction.
Il faut surtout se défier des chambres qui sont couvertes d’un tapis et qui ont des rideaux d’étoffe. Ces tissus sont en effet le réceptacle des poussières ainsi que des microbes que l’expectoration des malades y a mêlés. Les cas de phtisie à marche rapide contractés dans ces conditions par de jeunes sujets absolument sains jusque-là ne sont pas une rareté. Cette crainte éloigne aujourd’hui beaucoup de touristes des localités fréquentées par les malades.
On ne peut en effet accorder qu’un degré de confiance très limité aux assertions des propriétaires des hôtels, et comme on n’a pas de moyens de contrôle, il est plus prudent de s’en aller ailleurs, surtout quand on voyage en famille, avec des jeunes gens ou des jeunes filles. La vue de ces pauvres malades n’a d’ailleurs rien de réjouissant ; leur fréquentation est un peu répugnante et n’est pas absolument sans danger, même en dehors de l’habitation des chambres qu’ils ont occupées.
En général, on quitte le Midi de trop bonne heure. Cela n’a pas d’inconvénient pour les touristes qui jouissent d’une bonne santé : ceux-là viennent en janvier sur le littoral pour assister aux fêtes de toutes sortes qui ont lieu à cette époque et s’en vont quand elles sont terminées. La mode veut qu’on remonte dans le Nord au mois de mars, et les valétudinaires ont le tort de la suivre. Le printemps, dans le centre de la France, est souvent un mythe, tandis qu’il est splendide dans le Midi. Les mois d’avril et de mai sont les plus agréables de l’année. On ne devrait aller vers le Nord, dit le docteur Onimus, que lorsque la lune rousse est passée, parce qu’elle s’accompagne presque toujours d’un retour du froid et des gelées. Les convalescens font bien, avant de revenir à Paris, d’aller faire une étape de retour dans les départemens du Sud-Ouest où la température est alors régulière, ou bien encore en Touraine. Cette partie de la France a souvent de très beaux printemps, et les médecins y envoyaient leurs convalescens avant la création des chemins de fer[2].
La douceur du climat du Midi ne s’arrête pas à la frontière de France. La côte d’Italie, qui fait suite à la nôtre, a bien aussi son charme, et San-Remo jouit, à l’étranger, d’une réputation qui égale celle de Menton. Les collines qui l’abritent ne sont pas très hautes, mais elles sont bien situées. Les arbres qui les couvrent sont très avantageux pour les promenades, mais ils ne sont pas aussi favorables pour la chaleur que les rochers qui réfléchissent les rayons du soleil. Aussi la fraîcheur du soir se fait-elle sentir de meilleure heure à San-Remo qu’à Menton. En revanche, le printemps y est plus intense et c’est une résidence charmante lorsque les arbres ont repris leurs feuilles et leurs fleurs. San-Remo est la station hivernale des étrangers qui ont des raisons pour éviter le sol de France. Quant à Bordighera et à Vintimille, on n’en peut pas conseiller le séjour en hiver, parce qu’il y fait trop de vent et que les montagnes y projettent trop d’ombre. Les valétudinaires ne peuvent pas davantage se fixer à Gênes, malgré la beauté de la ville et le confortable qu’on y trouve. C’est le climat le plus perfide de toute l’Italie : on ne peut guère y séjourner qu’à la fin du printemps et au commencement de l’été, lorsque les vents du nord ont purifié l’atmosphère et qu’ils y apportent les parfums de la Ligurie.
Le climat de l’Italie, envisagé dans son ensemble, ne mérite qu’à moitié sa vieille réputation. On y est attiré par le charme des souvenirs, par la séduction des monumens et des musées ; mais les voyages trop rapides qu’on peut y faire pendant une période de vacances, alors qu’on désire tout voir, sont très fatigans et ne sont même pas absolument sans danger. La plupart des grandes villes de la péninsule sont insalubres ; le surmenage prédispose aux maladies infectieuses ; et j’ai vu plus d’un voyage de noces interrompu par une fièvre typhoïde contractée à Rome, à Naples ou à Milan. Le séjour de ces villes ne convient pas davantage aux valétudinaires. Rome est inhabitable pendant l’été. L’air y est vicié par les émanations qui se dégagent de ses ruines et par les miasmes qui viennent de la campagne voisine. A partir de la fin de mai toutes les grandes familles émigrent. Je m’y suis trouvé deux fois à l’époque des chaleurs, et la ville était quasi déserte. L’hiver, le froid y est vif et piquant. Le séjour n’en est possible, pour les santés chancelantes, qu’aux mois de mars, d’avril et d’octobre.
Florence est plus habitable. On n’a pas à y redouter les influences palustres et, bien que le climat soit variable, l’air humide et souvent chargé d’électricité, on peut y séjourner sans inconvénient au printemps et en automne.
Les gens dont la poitrine est délicate feront bien de se défier de Naples. Il faut y aller, parce que c’est un des points les plus admirables du globe. Le panorama qu’on embrasse du regard, en parcourant le nouveau boulevard qui fait le tour de la ville à mi-côte, est un enchantement. On ne se lasse pas de le contempler. Le matin, lorsque la brume de la nuit se soulève lentement, comme un rideau de théâtre sur une féerie, on voit apparaître successivement la mer calme, immobile, la plage, les petites villes qui la bordent et que dore le soleil levant ; puis, la chaîne des collines qui s’étagent par plans successifs ; enfin, dans le lointain, on voit sortir de la brume Caprée, Ischia, Sorrente, et au fond du golfe le Vésuve avec son panache de fumée. Malgré la banalité des descriptions qu’on en a lues, malgré l’exagération du proverbe italien que tout le monde répète, on reste stupéfait en présence de ce spectacle. Il faut toutefois qu’il fasse beau temps ; et il pleut souvent à Naples. C’est une ville à voir et à revoir encore ; mais ce n’est pas un séjour pour les valétudinaires. Le climat est inconstant, orageux, et la ville basse est malsaine. Milan ne vaut pas mieux. Les vents froids y soufflent de tous les points de l’horizon. Ceux du sud y tombent des cimes de l’Apennin, ceux du nord et du nord-ouest y descendent du sommet des Alpes ; la température y est froide et variable. La moyenne de l’hiver est au-dessous de + 2°, et on a vu le thermomètre y descendre à — 15°.
Les seules villes d’Italie dans lesquelles on puisse passer l’hiver avec une entière sécurité sont Venise, Pise et Gaëte.
Lorsqu’on a quitté l’Italie, la ville qui vous laisse le souvenir le plus durable c’est Venise. On désire y retourner, on aimerait à y vivre, au milieu des splendeurs de son passé et dans ce calme profond qu’aucun bruit ne trouble, où l’activité même est silencieuse. La température y est douce, égale, l’air humide et le ciel azuré. Une résidence semblable convient à tous ceux qui aspirent au repos.
Le climat de Pise se rapproche un peu de celui de Venise. La ville étrusque, abritée contre les vents du nord par une chaîne de collines et ouverte aux brises du sud, jouit d’une température douce et égale en hiver, principalement sur la rive droite de l’Arno. L’air y est doux, saturé de vapeurs, les pluies fréquentes et le ciel souvent couvert. On y envoyait autrefois les phtisiques, et c’était avec raison. Le climat convient en effet aux santés délicates ; la ville est calme, silencieuse, un peu triste ; elle offre cependant des ressources, et on peut s’y installer confortablement.
Gaëte est également une résidence agréable et salubre. L’air y est plus vif et plus tonique qu’à Pise, à cause du voisinage plus immédiat de la mer. C’est à Gaëte que se rendent l’été la plupart des grandes familles romaines, lorsque les chaleurs et la malaria les chassent de la Ville éternelle.
Les localités que je viens de passer en revue peuvent convenir pour abriter des convalescens et des malades pendant la mauvaise saison ; mais la région de l’Italie qui se prête le mieux à la villégiature véritable, c’est celle des lacs de la Lombardie. Il est vrai qu’elle ne répond pas aux mêmes indications et qu’on ne la fréquente que pendant l’été. Située au pied des Alpes, qui l’abritent des vents du nord, la région des lacs jouit d’un climat tempéré que caractérise une chaleur douce et humide ; on y trouve des hôtels assez confortables et les silos sont ravissans. Pendant la belle saison, le lac Majeur et le lac de Côme sont le rendez-vous des habitans du Milanais qui peuvent quitter leurs villes. Ceux de Varese et de Lugano sont plus petits et moins fréquentés ; celui de Garde n’est pas assez abrité pour qu’on en recherche les abords.
Il y a sans doute en Italie beaucoup d’autres points vers lesquels le courant de l’émigration pourrait se porter avec avantage ; et nous citerions sur le littoral de l’Adriatique ou sur les deux versans de l’Apennin, nombre de localités qui pourraient devenir des centres de villégiature ; mais elles ne sont pas connues ; elles sont dénuées de ressources ; et les voyageurs ne pourraient pas y trouver les élémens de bien-être qui sont indispensables à des valétudinaires.
Les mêmes raisons leur interdisent le séjour de l’Espagne. L’absence de tout confortable y est absolue ; et c’est chose fâcheuse, car le littoral de ses provinces méditerranéennes pourrait offrir des ressources. La Huerta de Valence est un séjour délicieux. C’est une forêt d’orangers et de citronniers, un milieu desquels se dresse la vieille ville espagnole, avec ses maisons arabes, ses monumens religieux et ses remparts en mines, à travers lesquels ont passé, à 700 ans de distance, le Cid Campéador et le maréchal Suchet.
Un voyage en Espagne est de nos jours le complément obligatoire d’une éducation bien dirigée ; mais ce n’est pas là qu’il convient d’aller chercher le repos et encore moins la santé. On la trouverait peut-être aux Baléares. Je crois avoir été le premier à signaler la douceur exceptionnelle du climat de Majorque, où j’ai séjourné pendant un temps assez long pour avoir pu l’apprécier. La ville de Palma est située au fond d’une baie ouverte au sud ; les montagnes du centre l’abritent contre les vents du nord, l’atmosphère y est limpide, la végétation luxuriante ; mais les communications sont difficiles et les ressources du pays presque nulles. Il est évident que ces îles de la Méditerranée, pour lesquelles la nature a tout fait, deviendront un jour des centres de villégiature très recherchés. Elles sont tout près de la côte : il suffirait d’un service régulier de bateaux à vapeur, de quelques hôtels bien tenus, pour y attirer les voyageurs, et le climat se chargerait de les retenir.
Les Français qui ne redoutent pas un long voyage et qui n’ont pas peur de la mer se rendent volontiers en Algérie pendant l’hiver ; ils ne regrettent pas la peine qu’ils se sont donnée. C’est un séjour délicieux. La mer et le ciel y sont de ce bleu intense particulier à la Méditerranée. On y compte en moyenne 200 jours par an sans un nuage, sans une goutte d’eau. Le printemps y est ravissant, la végétation d’une richesse et d’une variété splendides. Les constitutions délicates s’y fortifient. Les sujets prédisposés à la tuberculose eux-mêmes s’en trouvent bien. J’ai eu l’occasion de voir nombre de jeunes officiers dont la poitrine m’inspirait des inquiétudes, revenir bien portans, après un séjour de quelques années dans le nord de l’Afrique. Les Anglais, qui sont de grands navigateurs, promènent leurs malades sur tous les points de la Méditerranée. Ils les mènent en Égypte, en Grèce, aux îles Ioniennes, à Madère, qui n’est pas plus loin de chez eux.
Pour compléter mon programme, il me reste à dire un mot des stations thermales envisagées au point de vue de la villégiature. Ce n’est pas une digression, car, parmi les personnes qui fréquentent les eaux minérales, les malades sont en minorité. Les Romains en avaient donné l’exemple. Lorsqu’ils émigraient vers les thermes du nord de l’Italie ou du midi des Gaules, ils y étaient attirés par des mobiles qui n’avaient rien à voir avec le soin de leur santé. Ils allaient y chercher le plaisir, et c’est encore ce qui se passe aujourd’hui.
Parmi les gens bien portans qui fréquentent les eaux minérales, les uns y viennent pour retrouver leur milieu et continuer leur genre de vie ; d’autres y accompagnent des malades ou des amis ; et tout ce monde forme une société très gaie et très mouvante. Au confortable des hôtels se joignent les distractions que la localité permet de prendre. Elles sont très variées dans les stations à la mode, les seules qui soient recherchées par les personnes en santé. Pendant le jour, ce sont les promenades dans les environs, les excursions dans les montagnes, à cheval ou à des de mulet, et tout est disposé dans les hôtels pour organiser ces parties de plaisir avec un grand confortable. Les malades, pendant ce temps-là, se réunissent dans le parc où l’on entend de la musique ; on y lit, on s’y promène, on y cause de son mal avec le premier venu ; la goutte y fraternise avec la dyspepsie, et l’après-midi se passe. Le soir on se retrouve au Casino où se donnent des concerts, où se jouent de petites pièces de théâtre. Ces soirées finissent de très bonne heure et les malades eux-mêmes peuvent y assister. Les joueurs des deux sexes se pressent autour des tables de baccara, de roulette, ou font tourner les petits chevaux. Dans certains hôtels on donne des bals qui se prolongent fort avant dans la nuit. Les personnes tranquilles ont soin de fuir ces demeures trop bruyantes et vont se loger dans des maisons plus calmes ; mais le spectacle de ce mouvement gracieux et élégant, la participation indirecte à cette existence joyeuse, sont une distraction pour les malades et les aident à oublier leur souffrance.
Les hommes fatigués par les travaux de cabinet ont autant besoin de distractions que de repos ; ils s’ennuieraient à mourir dans la campagne la plus fleurie, parce que l’inaction absolue est intolérable pour les hommes habitués à la vie de labeur intellectuel. Ceux-là se trouvent très bien du séjour des eaux, lorsqu’ils n’en prennent que la partie hygiénique, c’est-à-dire les promenades et les excursions en agréable compagnie, les repas sobres et réguliers, les distractions paisibles du soir suivies d’une longue nuit de sommeil qu’on peut se procurer aisément en évitant les hôtels à grand tapage.
Dans ces conditions, pour retirer d’une saison passée dans une station thermale tout le bénéfice désirable, il y a trois conditions à remplir : la première c’est de n’y emporter aucune préoccupation, aucun souci sérieux ; la seconde, de ne s’y livrer à aucun travail intellectuel. La conversation, la lecture des journaux, des revues et des romans doivent suffire pour occuper la pensée. Il faut savoir se contenter de la littérature de casino. La troisième condition enfin, c’est de ne pas suivre de traitement thermal quand on n’est pas malade. Il ne faut pas oublier que les eaux minérales sont des médicamens et qu’on ne se drogue pas impunément quand on se porte bien. Il n’est pas indifférent d’ingurgiter chaque jour un litre d’eau contenant de 7 à 8 grammes de matériaux salins, comme celles de Vichy ou de Vals, de se plonger dans des bains sulfureux, ou de se faire donner des douches. On ne traite ni le mal passé, ni le mal à venir. Les personnes qui, se trouvant aux eaux thermales pour accompagner quelqu’un des leurs, veulent en profiter pour faire une cure afin de prévenir quelque maladie dont elles se croient menacées, celles-là font un mauvais calcul et s’exposent à compromettre leur santé au lieu de l’affermir.
JULES ROCHARD.