Vingt-deux jours de captivité/04
VOYAGE PEU SENTIMENTAL.
M. Villeneuve ayant ordonné de me mener à l’hôtel-de-ville, j’y fus conduit par les deux mêmes agents. Cette odyssée ressemble à toutes les autres, je la passerai sous silence. Assez connu dans Lyon pour n’avoir rien à craindre pour mon honneur de l’entourage des gardes du corps que m’octroyait M. Villeneuve, il m’importait peu de parcourir la ville au milieu d’eux, et je trouve même que c’est une garantie pour les hommes politiques ; en effet, demi-heure après, toute la ville savait mon arrestation.
Un plus grand honneur m’attendait : je ne sais si je le dois à M. Villeneuve, assez coutumier, dit-on, du fait de rendre la presse dépositaire de ses gestes ; ou si c’est au proprio motu du rédacteur de la Gazette de Lyon, instruit par la rumeur publique. Dans ce dernier cas j’ignore, ou plutôt je sais trop à quel sentiment l’attribuer. Quoi qu’il en soit, on lisait dans le numéro de cette feuille du 20 juin, l’annonce de mon arrestation. Cette annonce était répétée par les autres journaux ; des journaux de Lyon elle passait dans ceux des départements et même de la capitale.
Me voilà devenu un homme important par mon arrestation, et la célébrité que dix-huit ans de travaux n’avaient pu obtenir, venait me trouver, grâce à M. Villeneuve. Qu’on ne s’étonne donc pas que je lui aie dédié cet écrit ; ce serait le comble de l’ingratitude de ne pas lui témoigner ma reconnaissance toutes les fois que je le pourrai, sans… blesser sa modestie, et je ne suis pas ingrat.
Qu’il me soit aussi permis de remercier celui de MM. les agents de police qui me promit formellement de faire part à ma femme de mon arrestation, et s’est empressé… d’oublier sa promesse. C’est un grand, bel homme, avec une veste-paletot et un chapeau de paille. Je le recommande à ceux qui voudront bien le charger de… ne pas faire leurs commissions. Il est si beau d’être utile à son semblable lorsque l’adversité le frappe ! peut-être que cet agent de police ne s’est pas cru mon semblable ; au fait, il peut avoir eu raison.