Visions gaspésiennes/00

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Imprimerie du Devoir (p. 7-8).

PRÉFACE


Le lecteur va, dans un instant, lire les vers de Mademoiselle Blanche Lamontagne : à quoi bon lui vanter la poésie chantante des Visions gaspésiennes ? Il aimera mieux en découvrir lui-même le charme exquis, l’aimable simplicité, et la sincère émotion. D’autre part, pourquoi ferais-je remarquer d’abord que la coupe des vers n’est pas toujours irréprochable, et que la forme est parfois lâchée ? Le lecteur, devant cette œuvre de début, trouvera plutôt merveilleux qu’elle soit le plus généralement exempte de gaucherie, et admirera que, dans sa naïve inexpérience, la jeune poétesse ait eu tant de choses délicates à dire, et les ait dites si agréablement, sans tarabiscotage de sentiment et sans banalité d’expression.

Mais il convient de noter ici que ceci, lecteur, est un livre de bonne foi. Appliqué à un recueil de vers, ce vieux mot n’est plus banal ; il en parait tout rajeuni.

Mlle Lamontagne aime ce qu’elle chante ; elle chante ce qu’elle croit. Sans doute, un poète, au moment qu’il écrit, est toujours plus ou moins sincère ; mais l’enthousiasme, où le hausse pour un instant une inspiration passagère, ne laisse pas souvent d’être quelque peu factice. Le poète vraiment sincère est celui dont la vie est vouée, tout entière et pour toujours, à quelque beau rêve, et qui laisse simplement chanter son âme harmonieuse et claire. Or, ce qui caractérise surtout le talent poétique de Mlle Lamontagne, c’est cette émouvante sincérité, qui fait paraître un cœur jeune et ardemment épris.

La muse de Mlle Lamontagne est avant tout canadienne ; que dis-je ? elle est gaspésienne ! Elle se plaît uniquement à dire les choses de chez nous ; et, parmi les choses de chez nous, elle préfère les petites choses de chez elle. Cela est presque nouveau, dans notre littérature. Nos poètes, à qui l’on a reproché de n’avoir fait vibrer que deux cordes de la lyre, la religieuse et la patriotique, ont bien célébré la grande patrie ; ils n’ont pas su voir toutes les beautés de la petite patrie. Ils ont chanté les blés ; se sont-ils penchés vers le brin d’herbe ?

Quelques-uns, sans doute, ont aimé la vie des champs ; dans l’intime et paisible poésie qui s’en exhale, ils ont trouvé leurs meilleures inspirations. Mais un souffle plus large les appelait bientôt à des vols plus hardis. Ce qui caractérise encore l’auteur des Visions gaspésiennes, c’est donc qu’elle n’est et ne veut être qu’une poétesse paysanne ; c’est qu’elle ne chante et ne veut chanter que les gens et les choses de chez elle.

Par là, l’œuvre de Mlle Lamontagne est personnelle. Par la forme, elle ne l’est peut-être pas assez. La poétesse gaspésienne n’a pas encore conquis toute sa liberté. Des rythmes entendus chantent à ses oreilles et elle en adopte volontiers les dessins. Cela peut priver le lecteur, ici et là, du plaisir de la surprise ; cela n’enlève rien au charme intime de cette poésie sincère.


Adjutor RIVARD.