Visions gaspésiennes/32

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Imprimerie du Devoir (p. 73-74).


LE RUISSEAU


Connais-tu le ruisseau qui descend la colline,
Là-bas, et qui se perd ensuite dans les champs,
Le ruisseau merveilleux qui chante et qui s’incline
Sous la mousse des prés et la fleur des penchants ?
Dans l’aulnier de ses bords souvent les moissonneuses
Vont s’asseoir, pour parler de quelque jouvenceau.
Et le passant bénit ces jeunes ricaneuses :
Connais-tu le ruisseau ?

Les amoureux y vont, le soir, couples par couples,
À l’heure où les chemins sont dans un demi-jour,
Et l’on peut voir passer, au loin, leurs formes souples,
Comme un troupeau léger que gouverne l’amour…
Ils vont sur le vieux pont d’épinette bien mûre,
Où le silence épand son mystère profond ;
Et nul n’entend les mots que la nuit leur murmure.
Les amoureux y vont.


Si tu veux, nous irons, nous aussi, quand la brune
Achève de descendre au fond des cieux lointains,
Nous irons voir danser, sur la montagne brune,
Les dernières lueurs des derniers feux éteints.
Puisque ton âme ardente à mon âme ressemble,
Et puisqu’il est écrit que nous nous aimerons,
Vers le petit ruisseau, quelque beau soir, ensemble,
Si tu veux, nous irons…