Visites (Verlaine)
VISITES
Je n’ai pas vu d’arbres ni d’herbe
Ni de ciel, sinon un seul pan,
Durant tout cet été superbe
Dont on me rabat le tympan.
Ah ça, m’aurait-on donc jeté
Dans un cachot trop mérité ?
Non, je suis simplement malade,
Mais un malade dès l’abord
En plein large, à la débandade,
Délire, coma, pris pour mort ;
Puis je redevins l’alité
Classique — à perpétuité ?
Et ce n’est pas que je m’ennuie,
Au moins, dans l’asile où je suis.
Pas de soleil, mais pas de pluie,
J’y vis au frais, au chaud, et puis
Des visiteurs assidûment
Y charment mon isolement.
C’est toi d’abord, ô bien-aimée,
M’apportant avec ta gaité
Dorénavant douce, l’armée
Des victorieux procédés
Par quoi tu m’as toujours dompté,
Conseil juste, forte bonté…
Et ne voilà-t-il pas encore,
Ô miracle renouvelé
De vingt ans passés, que j’implore
Depuis lors, contrit, désolé,
Que la grâce entre et me sourit
De Notre-Seigneur Jésus-Christ !
Octobre 1893.