Vitraux/Prospero’s Island

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Léon Vanier, éditeur (p. 41-46).

Prospero’s Island

L’âme des fleurs lente et subtile
S’exhale sous la lune pâle,
Dans le parc bleuâtre où rutile
La rosée en gouttes d’opale.

Sur l’eau des vasques séculaires,
Les nénufars semblent des jonques
Où la Willis, par les nuits claires,
Chante au soupir voilé des conques ;


Au temps où la Fée amoureuse
S’en vient en la nappe dormante
Baigner ses flancs de tubéreuse
À travers les bouquets de menthe.

C’est le jardin des songes mièvres
Assoupis au vol des phalènes ;
C’est le jardin où, sur les lèvres,
Passe comme un frisson d’haleines.

Et quand les harpes du silence
Ont mis d’accord tous leurs murmures,
Immatérielle, s’élance
Une voix d’or, sous les ramures.

Aveux d’amours inavouées,
Lamento des Lyres, paresses
Des chevelures dénouées ;
Torpeur divine des caresses ;


La voix, la voix d’or qui s’élève
Suscite, ainsi qu’un Zodiaque,
Sur le décor fané du rêve
L’image paradisiaque.

Dans le bleu des tonnelles rases,
Pelouses qu’ennoblit l’acanthe,
Et sur vos fraîches chrysoprases
Glisse l’intangible bacchante.

Voici fleurir, fleurir des roses
Vertes, noires, couleur de flammes,
Pour assoupir nos cœurs moroses,
Pour dorloter nos pauvres âmes.

Et des roses ensorcelées,
Captieuse, meurt la fragrance :
L’on dirait, au fond des allées,
Un musc lointain, exquis et rance.


Le vin d’amour, l’or et le jade,
Et la gloire, et la fleur du saule
Durent si peu ! Le vent maussade
Sur les tombes grises miaule,

Mais les bonnes chansons demeurent
Et clémentes sont les tempêtes
Aux saintes Roses qui ne meurent
Jamais sur le front des poètes.