Vol de papillons/Le vase

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Librairie Nouvelle ; Librairie Universelle (Anthologie Contemporaine. vol. 50) (p. 2-3).

LE VASE


À Mathilde d’E***


L a-bas dans la pénombre, au coin de l’étagère,
Le vase avec ses fleurs, roses, lys, œillets blancs,
Herbe folle, jasmin, élégante fougère,
Semble peint par un dieu sur les rideaux tremblants.

Le ton rouge éclatant de l’étoffe alourdie,
Accentue à souhait les suaves pâleurs
Du merveilleux faisceau. — C’est une mélodie
Faite par le printemps qu’elles chantent, ces fleurs !

Et ce vase lui-même, aux formes contournées,
Rugueux comme du grès, dont les flancs travaillés
Ont roulé dans les flots pendant bien des années,
Par la vague mobile incessamment mouillés,

Ce vase chante aussi son poème ; il exhale
Une sombre tristesse !… Il a vu si souvent,
Comme un linceul glacé, passer sur un front pâle
L’eau verte dont l’écume haletait sous le vent !…

Il a vu tant de fois des formes incertaines,
Quand la lune montait livide à l’horizon,
Il a vu si souvent de joyeux capitaines,
Qui n’ont plus repassé le seuil de leur maison !…


C’était à l’aube. — Au ciel montaient des rayons fauves.
À travers le brouillard par le jour dispersé,
De longs vols d’alcyons et déclatantes mauves,
Passaient, rasant la mer de leur vol cadencé. —

Des pêcheurs sous la voile aux plis teints par l’aurore
Relevaient leurs filets ; — de leur groupe éloigné,
Un homme au front pensif songeait, songeait encore
Sans regarder le flot de lumière baigné.

Des clameurs ! — Il tressaille et sa pensée errante
Revient. — Il voit parmi le poisson argenté,
Ce vase, que la vague horrible ou murmurante,
Dans son sinistre sein avait longtemps porté.

Donnez-le-moi, dit-il. — Avec sa teinte sombre,
Ce vase, de mon cœur est bien l’emblème et l’ombre.
Plus tard, quand au combat cenduit par le devoir,
La mort vint lentement le couvrir de son aile,
Ce fut le souvenir qu’il fit remettre à celle

Qu’il aimait, et jamais ne devait plus revoir !…
Et voilà donc pourquoi, lorsque je te supplie,
Ô ma chère adorée, une larme descend
De tes yeux de velours sur ta lèvre pâlie…
Tu regardes ce vase et songes à l’absent !