Voulez-vous demeurer belles et jeunes ?/1

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Voulez-vous demeurer Belles et Jeunes ?

 
I
Ayez l’Esprit calme


Je vais commencer en vous prêchant la vertu. Oh ! une vertu un peu intéressée, une vertu qui a un but, celui de vous donner le calme sans lequel vous ne pouvez être belles. Si vous n’avez pas l’esprit calme, vos lèvres se pinceront, vos yeux jetteront des éclairs, votre front se barrera d’un large pli, votre visage se sillonnera de rides, vous répondrez peu poliment aux gens qui feront assaut de politesse, de grâce, de générosité pour vous plaire, vous serez nerveuses, vous casserez votre éventail, vous briserez votre ombrelle, vous déchirerez vos dentelles.

Soyez optimistes, c’est la principale condition. Trouvez la vie belle et les gens pas trop méchants. Pardonnez-leur, et jugez, même, assez naturels leurs calomnies et leurs potins. Au reste, ne vous occupez pas d’eux, et ils ne s’occuperont pas de vous. Considérez la vie comme une pièce de théâtre, plus ou moins comique, plus ou moins dramatique, plus ou moins spirituelle, n’y attachez pas plus d’importance que vous n’en attachez aux scènes que vous voyez défiler sur les planches. Considérez les hommes et les femmes qui s’agitent devant vous comme des acteurs, et oubliez que vous-mêmes êtes des acteurs pour eux.

En étant optimistes vous ne vous ferez pas de bile, votre digestion sera bonne, votre teint ne jaunira pas, il conservera ce ton de rose et lis si cher aux poètes. Vous sourirez toujours. Or, le sourire c’est la jeunesse. C’est, par-dessus le marché, une arme excellente devant laquelle les plus grognons s’inclinent, c’est l’arme qui permet aux femmes d’obtenir tout ce qu’elles désirent. Il s’agit donc de vous composer une petite philosophie aimable qui, sans tomber dans l’optimisme de Candide le héros du conte de Voltaire, lequel trouve tout bien, même les plus épouvantables catastrophes qui lui arrivent, vous fasse accepter gaiement les petits ennuis, les petites contrariétés. Il faut se conduire avec tout le monde comme l’on se conduit avec ses enfants, il faut user de la même patience et de la même indulgence.

Fuyez les querelles, les disputes. Le jour où quelqu’un commence à vous déplaire, abandonnez-le, doucement, sans rien casser, sans laisser voir votre pensée. Je ne trouve personne de plus idiote que celle qui dit : « Moi, j’ai l’habitude de dire aux gens ce que je pense d’eux. » Ce n’est point de la franchise, c’est simplement de la grossièreté ! Et une grossièreté, bien entendu, dont on est la première victime. Dire aux gens ce que l’on pense d’eux, c’est vouloir faire le vide autour de soi ou s’entourer d’ennemis, n’arriver à rien qu’à s’aigrir chaque jour davantage, s’enlizer dans la misère, vivre dans un perpétuel état de colère, voire de jalousie, devenir bilieux, c’est-à-dire laid.

Vous avez mis une robe claire et des souliers blancs, vous allez sortir… Patatras ! la pluie, une pluie torrentielle ! et vous vous mettez en colère, vous attrapez votre femme de chambre ! À quoi cela sert-il ? Ça ne fait pas cesser la pluie. Rappelez-vous le mot d’Anatole France : Il faut souffrir ce qu’on ne peut empêcher. Nous ne vous demandons pas de suivre par mortification un régime de privations, nous vous demandons seulement de ne pas vous révolter contre l’inévitable. Nous ne vous demandons pas, non plus, d’exagérer, et de déclarer, lorsque la pluie vous surprend : « Quel temps délicieux ! J’adore la pluie ! »

Il y a encore une façon d’arriver à obtenir le calme de l’esprit, qui consiste à s’environner d’objets… calmes. Mais oui ! sur vos murs, pas de tableaux représentant des tempêtes ou des batailles ; comme descente de lit, pas de peau de lion, de tigre ou autres animaux féroces ; prenez de la chèvre, ce sera moins riche, mais ce sera plus sain pour votre esprit. Si vous avez, des domestiques, ne les habillez pas de noir : des gens noirs qui circulent sans cesse autour de vous finissent par vous donner des idées noires. Si vous écrivez beaucoup, servez-vous d’encre bleue : elle vous fera, voir tout en bleu, et malgré vous, vous rendra meilleures, bonnes, car l’on n’écrit pas des choses méchantes avec de l’encre bleue.

Surveillez, aussi, vos lectures : ne gémissez pas avec l’Imitation de Jésus-Christ et Schopenhauer sur cette vallée de misère qu’est la vie, plongez-vous dans l’aimable scepticisme d’Anatole France, ou, plus simplement, dans le facile comique de Paul de Kock.

J’irai plus loin : si vous voulez avoir l’esprit calme méfiez-vous des odeurs : les parfums violents rendent triste et méchant. N’usez que de parfums modestes, comme la violette ou le jasmin. Fuyez le musc. Aussi bien, quand une femme s’inonde de parfums violents on est toujours tenté de penser : « Faut-il qu’elle sente mauvais naturellement ! » Si vous êtes musiciennes, laissez Wagner et la Marche funèbre de Chopin tranquilles, jouez, sans vous lasser, de l’Offenbach.

Que les papiers de votre appartement, les tentures, les étoffes des meubles soient clairs, gais, qu’ils réjouissent les yeux. Bien en vue, posez des gentilles statuettes, des amours, des danseuses. Et des fleurs ! des fleurs partout ! des fleurs gaies, bien entendu ! pas d’anémones, ni de chrysanthèmes, ni de pensées… Il n’y en aura jamais trop. Que votre intérieur soit un jardin, que le printemps y règne toute l’année. Et puis, une volière, une très grande volière dans laquelle s’ébattront des oiseaux aux couleurs chatoyantes, et dans laquelle ils gazouilleront comme en plein champ.

Pour avoir l’esprit calme, lisez et relisez notre brochure sur la Volonté : apprenez à avoir de la volonté. Vouloir être calme, c’est l’être. La personne qui a de la volonté respire la tranquillité, la quiétude, elle attire, elle donne confiance. Et la sérénité des traits c’est la beauté. Dominez donc vos passions et vos instincts. S’affoler ne sert qu’à commettre des bêtises.

Ne dites du mal de personne (ou dites-en le moins possible). Il y a un phénomène bien connu en magie qui s’appelle le « choc en retour », en vertu duquel quelqu’un qui veut tuer un ennemi doit le frapper mortellement du premier coup, sous peine de voir l’envoûtement revenir à son point de départ, et atteindre l’envoyeur. Eh bien ! en disant du mal des gens on s’en fait dg terribles ennemis, et l’on redoute constamment leur vengeance, l’on n’est jamais tranquille, l’on se méfie toujours, et l’on porte sur le visage des traces de cette inquiétude. Le grand charme, la vraie beauté de l’enfance et de l’adolescence, c’est l’absence de soucis sérieux, le reflet d’une conscience point troublée.

Ai-je besoin d’ajouter que, pour posséder le calme de l’esprit, vous devez suivre un régime physique en conséquence, vous abstenir d’excitants, d’échauffants, etc. ?… Pas d’alcool, peu de vin. N’abusez pas du thé. Et, surtout, mesdames, n’usez pas de tabac ! Oh ! je sais tout l’avantage esthétique qu’une femme peut tirer du geste gracieux consistant à courber le bras pour porter la cigarette aux lèvres ! Mais croyez-moi : si le tabac n’est pas un excitant physique, c’est un déprimant moral en ce sens que ses spirales de fumée bleuâtre qui s’envolent languissamment vers le plafond portent à la rêverie, c’est-à-dire à des idées tristes, au moins mélancoliques. La rêverie, c’est beaucoup plus le regret du passé que la joie de l’avenir, c’est l’évocation des êtres chers, des heures qui ont été heureuses. Or, si vous voulez demeurer jeunes, vivez du présent, vivez de l’avenir, ne vivez pas du passé ; seuls les vieillards vivent du passé.

Appliquez-vous à avoir la démarche calme : ne courez pas, ne sautillez pas, ne vous arrêtez pas non plus. Filez toujours à la même vitesse, votre petit bonhomme de chemin.

Souriez à la vie, et elle vous sourira.