Voyage à Vénus/16

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Michel Lévy (p. 207-211).

XVI

DE LA LUMIÈRE


« Nous différons aussi d’opinion sur la lumière.

« Votre théorie à ce sujet paraît se rapprocher beaucoup de celle que vous avez imaginée pour le son, et permettez-moi de vous dire que si la nature a mis une admirable diversité dans ses phénomènes, vous n’apportez pas une grande variété dans l’explication que vous en donnez. Qu’est-ce, d’après vous, que le son ? une vibration ; la chaleur ? une vibration ; la lumière ? encore une vibration. Vibration, vibration, et tout est vibration ! C’est le fond de la langue scientifique. Seulement, vous admettez que, selon les cas, les vibrations sont plus ou moins nombreuses, plus ou moins rapidement transmises, celles-ci perpendiculairement au rayon, celles-là dans le sens du rayon ; comme si ces différences de détail pouvaient rendre compte de tant de phénomènes qui nous impressionnent si diversement !

« Observez qu’en certain cas ce semblant même d’explication vous échappe. Ainsi par exemple, tout le monde sait que la chaleur et la lumière du soleil arrivent à nous dans le même temps. Or, je me demande pourquoi ces deux agents, issus des mêmes vibrations d’un foyer et voyageant si bien de compagnie, produisent sur nos sens des impressions dissemblables, et se montrent quelquefois, isolés l’un de l’autre. Je me demande aussi comment, en présence du vide de l’espace, vous expliquez la transmission du mouvement vibratoire depuis les astres jusqu’à nous. Il faudrait un agent intermédiaire.

— Évidemment ; mais cela ne nous embarrasse pas. Nous supposons l’existence d’un fluide éminemment élastique et subtil que nous appelons éther, et qui se trouve répandu dans tout l’espace céleste, dans l’air, dans l’eau, le verre, le diamant…

— Voilà bien des choses éthérées ! et, en vérité, j’admire la commodité de pareilles solutions. Quand on ne peut rien constater, on suppose ; et s’il faut, pour étayer un système, remplir l’espace infini d’un fluide élastique, on le crée par la grâce de la science : il suffit d’un trait de plume, de l’assemblage de cinq lettres, et l’éther est fait ! Mais avez-vous un savant qui ait recueilli jamais un seul atome de ce précieux fluide ?

— Aucun.

— On ne trouve votre éther nulle part, et vous êtes pourtant obligé, dans votre hypothèse, d’admettre sa présence dans tout l’espace céleste, dans les gaz, les liquides et tous les corps transparents !

« Savez-vous ensuite que cette diffusion du fluide dans les solides transparents me paraît quelque peu malaisée à concevoir. Ainsi, quand vous considérez une de ces belles glaces sans tain, si claires et si pures qu’on voit au travers avec une netteté parfaite, je vous prierais de me dire ce que vous faites des particules matérielles qui les composent. Vous avez beau supposer que l’éther pénètre tout l’espace intra-atomique ; mais encore faut-il que ces atomes, si entourés qu’ils soient chacun d’une atmosphère éthérée, existent à l’état de particules solides qui donnent à la glace sa dure consistance, et dont le nombre infini devrait troubler la limpidité de sa transparence.

« Quant à l’air, dont vous expliquez aussi la diaphanéité par la présence de l’éther, d’où vient que sa raréfaction opérée à un si haut degré par la machine pneumatique n’altère en rien la transparence de l’intérieur de la cloche ? Puisque, à mesure qu’on en retire l’air, on en retire aussi l’éther que vous dites si intimement uni à ce gaz, la lumière devrait cesser de se transmettre au travers de la cloche, comme il arrive pour le son, ou du moins subir un notable affaiblissement.

— Il se peut aussi, répliquai-je, que le piston de la machine pneumatique n’ait pas prise sur un fluide aussi subtil que l’éther et que l’air seul soit enlevé.

— Fort bien, mais alors cet air, privé d’éther, ne serait plus transparent, et l’expérience prouve qu’il ne l’est pas moins qu’auparavant. Enfin, si l’éther restait sous la cloche, comment ne transmettrait-il pas le son ? car je ne vois pas pourquoi un fluide assez élastique pour être ébranlé par les vibrations si infimes des atomes lumineux dont l’ensemble forme la flamme, ne le serait point par celles des corps sonores.

« Puis, cette commotion produite dans l’espace par d’aussi faibles oscillations, ne vous semble-t-elle pas en disproportion avec la cause qui la fait naître ? Je m’étonnais, à propos du son, que le mouvement d’une corde fût assez intense pour ébranler un milieu si peu dense que l’air avec une rapidité de 340 mètres par seconde et à de grandes distances ; mais ici comme l’objection se présente avec plus de force : combien les mouvements vibratoires des corps lumineux sont plus petits (à supposer qu’ils existent), combien l’éther est plus subtil, combien plus rapide la vitesse de transmission et plus vaste l’espace parcouru ! La vitesse, elle est de 74,500 lieues par seconde ; l’espace, il est incommensurable !

« Cependant, si subtile et si impalpable que vous supposiez la substance éthérée, il faut, de toute nécessité, que vous admettiez qu’elle est matérielle, car une substance à laquelle vous attribuez non seulement une densité variable suivant l’état plus ou moins réfringent des milieux transparents qu’elle remplit, mais encore la faculté de recevoir une commotion vibratoire et de la transmettre à l’infini en vertu de son élasticité, est forcément matérielle. Or, la pesanteur étant une qualité inhérente à la matière, il arrivera qu’en vertu de cette pesanteur, l’éther tendra à se rapprocher des astres qui, à raison de leur masse ou de leur proximité,