Voyage à la Guadeloupe/05

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Monnoyer (p. 37-41).

Promenades.

Les environs de la ville offrent quelques promenades agréables ; d’abord, c’est le chemin de la rivière des Pères, bordé de chaque côté, ou d’acacias qui exhalent un parfum délicieux, ou de fleurs jaunes, arbustes qu’affectionne le brillant colibri, et sur la fleur desquels on le voit pomper en voltigeant son liquide aliment ; ce chemin longe la mer et se dirige au nord-ouest de la ville, sur une ligne tortueuse ; tantôt on aperçoit dans un fond la ville et une partie de ses environs couronnés par le Houëlmont, et tantôt, entre les massifs d’arbustes, la vue s’échappe sur la mer et découvre au loin les Saintes et la Dominique ; ici on se trouve entre deux masses de tufas escarpés, et là plongé dans un vallon sauvage.

Le champ d’Arbaux ou champ de Mars est la promenade la plus fréquentée ; il est situé hors de la ville, devant le nouveau palais des gouverneurs, c’est un grand espace carré, couvert de gazon, entouré d’avenues plantées de manguiers et de palmiers alternés ; ces avenues sont sablées et offrent, de distance en distance, des bancs de bois fort commodes ; à l’extrémité de cette place, opposée au palais, est une belle fontaine ; c’est sur cette place que la troupe fait l’exercice et que les esclaves de la ville tiennent leurs bamboula ou leurs danses, les dimanches et les fêtes ; c’est encore à M. le comte de Lardenoy qu’on doit les embellissements de cette promenade qui, avant son gouvernement, n’était qu’une savane ; de là, la vue s’étend librement sur la mer, sur une partie de la ville, sur le Houëlmont et les habitations qui en dépendent, sur les hauteurs du Palmiste, sur la solfatare et les montagnes voisines, sur le Matouba ; c’est dire que ce lieu est charmant, et que l’amant de la nature y trouve de délicieuses et véritables jouissances.

En quittant le champ d’Arbaux par l’extrémité où est la fontaine, on se trouve sur le chemin de Desmarais, qui a bien aussi ses charmes et qui n’est guère moins fréquenté que le champ d’Arbaux ; d’abord, on voit à droite une belle maison avec ses dépendances, appelée Versailles, où a demeuré pendant quelque temps l’ex-intendant M. de Foulon-Descôtiers, et où depuis on eut le dessein de former un jardin des plantes qui devait être dirigé par M. L’Herminier, pharmacien-chimiste, fixé depuis longtemps dans ce pays ; on marche ensuite au milieu de beaux acacias dont les fleurs sont ou jaunes ou blanches ; puis entre des terres plantées de cannes à sucre ; on arrive enfin à l’une des plus vastes et des plus belles savanes de la colonie, à l’extrémité est de laquelle se trouve la sucrerie Desmarais. Cette savane est bornée, d’un côté, par la rivière aux Herbes, sur laquelle est un pont beaucoup plus beau que celui qu’on voit dans la ville ; de là se voient, dans toute leur magnificence, la solfatare et les lieux environnants.

Il est encore une promenade bien justement vantée, celle du pont des Gallions ; au sud-est du champ d’Arbaux, est la rue de Lardenoy qui y conduit ; c’est le chemin qui mène au camp Saint-Charles, situé à une lieue de la ville, sur un plateau voisin du Palmiste, camp où loge une partie du régiment ; ce chemin offre des pentes plus ou moins rapides et beaucoup de détours ; il passe d’abord sous le fort Saint-Charles ; là, se détournant brusquement à gauche, il descend au fameux pont des Gallions, situé sur la rivière du même nom ; ce pont est vraiment très-beau pour une colonie : il est fort long, large, horizontal ; il n’est soutenu que par une seule arche très-hardie et très-élégante ; il est élevé de cent mètres au moins au-dessus du lit de la rivière ; de chaque côté est un trottoir et un parapet en pierre ; sur un de ces parapets est une inscription moins effacée par les injures du temps que par la malice de certaines gens, de laquelle je n’ai pu lire que le nom d’Arbaux ; il est à présumer que c’est par les soins de ce gouverneur que ce pont fut construit. Là la vue est bornée, parce qu’on se trouve renfermé dans une gorge profonde ; passé ce pont, le chemin monte presque toujours en faisant plusieurs détours, et, à mesure qu’il s’élève, la vue découvre des objets différents ; à diverses distances, sont quelques chaumières où vont boire et manger les soldats et les nègres ; ses doux côtés sont bordés de divers végétaux, parmi lesquels ont distingue l’acacia, la fleur jaune, le manguier, le goavier, l’acajou à fruit ; on ne passe guère en se promenant la hauteur du Bisdary, c’est-à-dire qu’on ne va pas à beaucoup plus de deux kilomètres de la ville. Il est souvent désagréable de se promener seul sur ce chemin, surtout les dimanches et les fêtes, parce qu’on est exposé à y rencontrer des soldats ivres qui insultent les passants, encore bien qu’il leur soit très-expressément ordonné de respecter les blancs.

Je pourrais à ces promenades en ajouter plusieurs autres qui, sans être aussi fréquentées, n’en sont pas moins agréables, telles que le camp de Boulogne et ses environs ; le chemin qui passe par le pont Dulion longe en serpentant l’habitation Coussin, et va rejoindre, près le champ d’Arbaux, le chemin de Desmarais ; celui, moins fréquenté encore, qui passe sous le fort Saint-Charles du côté de la mer, et mène à l’embouchure de la rivière des Gallions ; les environs de la rivière Sance, etc.