Voyage à la Guadeloupe/26

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Monnoyer (p. 229-233).

De la couleur et de l’odeur des nègres.

Quelques philosophes ont voulu faire des nègres une espèce d’homme particulière et de beaucoup inférieur à la race blanche ; d’autres ont prétendu que les caractères qui les différencient ne sont que l’effet du climat, des mœurs et de la nourriture. D’autres enfin voient, dans ces caractères, l’effet de la malédiction prononcée sur l’impudique Cham, dont ils descendent. On a beaucoup disserté sur leur couleur, et l’on en a recherché la cause avec soin, sans que toutes ces recherches aient répandu beaucoup de lumière sur ce grand problème. Je suis loin de vouloir entrer en lice. Je n’examinerai point comment les causes ci-dessus pourraient agir sur l’organisation de l’épiderme. Les effets qui résultent de l’action des agents extérieurs et de la réaction de la vie sont, pour la plupart, inexplicables, et la nature semblerait moins belle si toutes ses œuvres pouvaient être comprises par l’intelligence humaine.

Je vois dans l’Africain et dans l’Européen la même organisation physique, à quelques différences de forme près ; même disposition dans la charpente, même direction dans les muscles et les vaisseaux ; même forme, même situation des viscères ; mêmes modes d’action dans les propriétés vitales, mêmes relations extérieures. J’y vois les mêmes facultés intellectuelles, les mêmes penchants, les mêmes passions. J’infère de tout cela qu’ils ont la même destinée, et je ne puis croire qu’ils n’aient pas la même origine. Il serait, en effet, assez singulier qu’avec de telles ressemblances, ils vinssent de sources différentes, et leur commune origine est beaucoup plus facile à comprendre que ne serait l’identité d’effet dans des causes différentes. Je me bornerai donc à quelques faits.

Du commerce des blancs avec des femmes noires, il naît des enfants chez qui la couleur est de moins en moins foncée à mesure qu’ils s’éloignent du premier mélange ; c’est-à-dire que d’un blanc et d’une négresse nait le câpre, qui déjà n’est plus noir ; que d’un blanc et d’une câpresse naît le mulâtre, dont la couleur est beaucoup moins foncée encore. Enfin la couleur ternit de plus en plus et disparaît tout à fait par trois ou quatre générations.

Les nègres en naissant sont presque blancs. Ce n’est que quelques jours après, qu’ils deviennent noirs.

Il me semble que si la couleur chez le nègre était un caractère d’espèce différente, elle ne devrait jamais s’effacer ; que le mélange produirait seulement des nuances diversifiées à l’infini. Si le noir est aussi naturel à l’Africain que le blanc à l’Européen, pourquoi leur union ne produit-elle pas des noirs aussi bien que des blancs ? Pourquoi les nuances intermédiaires pâlissent-elles constamment dans le même rapport ? Pourquoi vont-elles enfin se fondre, pour ainsi dire, dans les blancs ? pourquoi ne reviennent-elles jamais vers le noir ?

Si du commerce d’un nègre avec une femme blanche il naissait un enfant noir, le problème serait plus difficile à résoudre ; mais ce nouvel ordre d’union produit encore les mêmes phénomènes. En Angleterre comme en France, il est une foule d’hommes de couleur à différents degrés qui ont épousé des femmes blanches, et les enfants, fruits de ces mariages, se sont tous trouvés plus ou moins blancs.

Que doit-on donc raisonnablement conclure de ces faits ? Que le blanc est la couleur naturelle et primitive de l’homme ; que la couleur noire, chez le nègre, n’est qu’un accident dont on ne saurait trop expliquer la cause et qui est devenue héréditaire ; que donner à l’homme une double origine, c’est multiplier les causes sans nécessité.

La sainte autorité des livres sacrés doit d’ailleurs fixer nos idées à cet égard. Le législateur des Juifs ne parle que d’un seul couple, autour de toute la race humaine. « Masculum et feminam creavit cos… adæ verò non inveniebatur adjutor similis ejus, immisit ergo Dominus Deus soporem in Adam ; cumque dormisset, tulit unam de costis ejus… et ædificavit Dominus Deus costam, quam tulerat de Adam in mulierem… erat autem uterque nudus Adam scilicet et uxor ejus, etc., etc. »

L’historien sacré qui rapporte avec tant de détails et d’exactitude la création et l’histoire du couple blanc, aurait-il oublié celle du couple noir ?

Il serait peut-être aussi difficile de trouver la cause de la répugnante odeur qu’exhalent tous les gens de couleur. Je ne fais aussi que l’indiquer ; c’est au physiologiste à s’exercer sur ce sujet.

Cette odeur, plus ou moins forte, selon la teinte de la couleur, n’est pas la même chez tous. Les uns répandent une odeur ailliacée ; d’autres l’odeur de bouc ; ceux-ci l’odeur de cabrit ; ceux-là l’odeur d’aloès ; il y en a enfin qui exhalent la repoussante odeur du Kakerlaque. Ces odeurs ne se développent ordinairement que quand ils ont atteint l’âge de douze à treize ans. La colère ou toute autre forte passion en augmente singulièrement l’intensité et la rend insupportable.