Voyage à mon bureau, aller et retour/Chapitre XXXII

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LA GRIMACE

Puisque j'ai parlé des épingles, j'ai besoin de vous présenter la grimace sur laquelle on les pique ordinairement. Notre grimace est une boîte en carton de forme ronde, à huit pans coupés. Elle est recouverte de soie sous laquelle on a eu soin de mettre du son ou de la sciure de bois pour que le couvercle s'érige en pelote. L'intérieur de la boîte, si on l'ouvre, contient des pains à cacheter de toutes les couleurs : ce qui ne veut pas dire que l'homme doive être changeant dans ses opinions, mais qu'il est bon parfois de varier la couleur de son style, si l'on ne veut pas que la forme en soit monotone.

La grimace que je possède est comme notre fauteuil ; elle a une inscription sous forme de date qui indique qu'avant moi elle appartenait à une autre personne. Cet objet me provient de l'héritage de mon père. Il l'avait laissé sur la table du bureau en faisant ses adieux à la vie bureaucratique, et le sous-chef nommé en remplacement de mon père a eu la délicatesse de se déposséder de la boîte en question, pensant bien que son souvenir précieux me serait agréable.

J'attache en effet un grand prix à cette boîte qui me rappelle la présence de mon père et les longs services qu'il a rendus à l'administration.

Le temps a promené ses ravages sur elle, et il a flétri la soie verte qui la recouvre, mais il ne détruira jamais l'honneur et la réputation de son ancien maître.

Je tiens essentiellement à garder jusqu'au moment où je prendrai ma retraite à mon tour le gage précieux de mon père, et, lorsqu'il sera tout à fait hors de service, je le conserverai chez moi comme une sainte relique que trouveront plus tard mes enfants


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